Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes distinctes, présentées sous les nos 2311100 et 2311101, Mme D... B... née C... et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du 18 avril 2023, par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement nos 2311100 et 2311101 du 7 février 2024, le tribunal a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la Cour :
I°) Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2024 sous le n° 24MA01826, Mme B..., représentée par Me Leonhardt, doit être regardée comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qui la concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône la concernant ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence d'un an lui permettant de travailler ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation de séjour lui permettant de travailler, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour a été prise en violation des stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et de celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ;
- cette décision a méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour ;
- cette décision est entachée d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ainsi que d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
- le préfet aurait dû lui accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours et a ainsi commis une erreur manifeste d'appréciation.
Par une décision en date du 31 mai 2024, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
II°) Par une requête, enregistrée le 15 juillet 2024 sous le n° 24MA01827, M. B..., représenté par Me Leonhardt, doit être regardé comme demandant à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 7 février 2024 en tant qu'il le concerne ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône le concernant ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence d'un an lui permettant de travailler ou, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer pendant cet examen une autorisation de séjour lui permettant de travailler, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il présente les mêmes moyens que ceux présentés par son épouse.
Par une décision en date du 10 octobre 2024, le bénéfice de l'aide juridictionnelle a été refusé à M. B....
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- et les observations de Me Grebaut pour M. et Mme B..., et celles de M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... née C... et M. B..., ressortissants algériens nés respectivement le 21 novembre 1988 et le 14 octobre 1987, ont sollicité le 25 janvier 2023 leur admission au séjour. Par deux arrêtés du 18 avril 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de leur délivrer un titre de séjour, les a obligés à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. et Mme B... ont alors saisi le tribunal administratif de Marseille de deux demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté ces demandes. Par deux requêtes distinctes, M. et Mme B... relèvent appel de ce même jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées n° 24MA01826 et n° 24MA01827 ont été introduites contre le même jugement, présentent à juger des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5. Au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme et M. B..., entrés en France le 21 août 2015 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa D portant la mention " étudiant " délivré par les autorités consulaires françaises à Alger, se sont vu délivrer chacun deux certificats de résidence d'un an en cette même qualité dont le dernier a expiré le 31 octobre 2017. Ils ont trois enfants, nés à Marseille le 21 mai 2016, le 16 octobre 2018 et le 16 août 2020, l'aînée et la cadette ayant entamé leur scolarité en classe de petite section d'école maternelle respectivement en novembre 2018 et septembre 2021. Il ressort également des pièces du dossier qu'ils doivent bénéficier d'un accompagnement éducatif, social et médical spécifique en raison de leur surdité et d'un accompagnement pédagogique spécialisé depuis septembre 2021 pour leur fille cadette, atteinte du même handicap. Ils établissent avoir suivi des formations en langue des signes française (LSF), M. B... par la production d'une attestation de compétence en LFS délivrée le 21 juillet 2016, d'une attestation de fin de formation du 12 septembre 2016 au 9 décembre 2016, auprès du centre de formation pour adultes Tetraccord, d'une attestation d'inscription à la formation LSF niveau A2, le 30 mars 2018 ainsi que d'un suivi de cours intensifs de LSF niveau A2, et Mme B... par la production d'une attestation datée du 3 septembre 2015 d'inscription à la formation d'apprentissage LSF, d'une attestation de compétence en LSF délivrée le 21 juillet 2016, d'une attestation de fin de formation LSF du 21 juillet 2016, d'une attestation d'inscription à la formation LSF niveau A2 du 30 mars 2018, d'une attestation de suivi de cours intensifs de LSF niveau A2, ainsi que d'un bilan de la formation suivie en préparation à l'enseignement LSF du 14 février au 16 décembre 2022. Les appelants justifient par ailleurs de leur qualité de membres de l'Association des parents d'enfants sourds (APES) à Marseille depuis 2018 et, s'agissant de Mme B..., de son engagement au sein de l'Association socio-culturelle des sourds 13, dont elle occupe la fonction de vice-présidente depuis le 18 mars 2023. De plus, Mme B... produit une promesse d'embauche consentie le 19 septembre 2022 par l'association " Langue des Signes Française Méditerranée " (LSF Med) pour un emploi de formatrice de langue des signes française à mi-temps sous contrat de travail à durée déterminée de neuf mois, subordonnée à l'obtention d'un diplôme de premier cycle universitaire. M. B... a bénéficié en 2017 d'une même promesse d'embauche. Enfin, ils versent l'attestation du président de l'Association socio-culturelle des sourds 13 et celle de la présidente de l'Association des parents d'enfants sourds, faisant fort de leur investissement et de leur implication au sein de ces associations. Compte tenu tout autant de la particularité du handicap de Mme et M. B... et de leur fille, qui ont appris à communiquer dans la seule langue des signes française, que de leur dynamique d'intégration dans la société française, le préfet des Bouches-du-Rhône, en leur refusant la délivrance d'un titre de séjour, a porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ces refus ont été pris et a ainsi méconnu les stipulations précitées du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 et celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, les arrêtés du 18 avril 2023 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône leur a refusé un droit au séjour doivent être annulés et, par voie de conséquence, les décisions les obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
5. Il résulte de ce qui précède que sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leurs requêtes, M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 18 avril 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
6. Eu égard aux motifs du présent arrêt et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la situation des requérants se serait modifiée, en droit ou en fait, depuis l'intervention des décisions attaquées, l'exécution de cet arrêt implique nécessairement la délivrance à Mme et M. B... d'un certificat de résidence mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à cette délivrance dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, en revanche, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
7. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, sous réserve que Me Leonhardt renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à celle-ci de la somme de 2 000 euros. Dans les circonstances de l'espèce, et compte tenu de la similitude des écritures, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de M. B..., présentée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 2311100 et 2311101 du 7 février 2024 du tribunal administratif de Marseille et les arrêtés du 18 avril 2023 du préfet des Bouches-du-Rhône sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme et M. B... un certificat de résidence d'une durée d'une année portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Leonhardt une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.
Article 4 : Le surplus des requêtes est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... née C..., à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Leonhardt.
Copie en sera transmise au procureur de la République près du tribunal judiciaire de Marseille et au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 17 février 2025, où siégeaient :
- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère,
- Mme Constance Dyèvre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 mars 2025.
N°s 24MA01826, 24MA01827 2