Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. F... a demandé au tribunal administratif de Bastia, par une requête enregistrée sous le n° 2300790, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 janvier 2023 par lequel le ministre de l'intérieur l'a révoqué de ses fonctions, ensemble la décision tacite rejetant son recours gracieux du 1er mars 2023 contre cet arrêté, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative
Mme E... A... a demandé à ce tribunal, par une requête enregistrée sous le n° 2300791, d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 2 janvier 2023 par lequel le ministre de l'intérieur l'a révoquée de ses fonctions, ensemble la décision tacite rejetant son recours gracieux du 1er mars 2023 contre cet arrêté, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2300790 et 2300791 du 5 juillet 2024, le tribunal administratif de Bastia a joint ces deux demandes et a annulé ces deux arrêtés.
Procédures devant la Cour :
I - Par une requête, enregistrée le 30 juillet 2024 sous le n° 24MA02019, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 5 juillet 2024 ;
2°) de rejeter la demande de M. C....
Le ministre soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal et ainsi qu'il en est justifié, l'agent a été informé de son droit à prendre connaissance de son dossier et de la possibilité d'être assisté par un défenseur de son choix, préalablement à la réunion du conseil de discipline, l'intéressé ayant consulté son dossier et ayant été assisté le jour de cette réunion ;
- la sanction a été signée par une autorité ayant reçu délégation à cet effet ;
- aucun texte ne prévoit ni la communication à l'agent du rapport de saisine du conseil de discipline, celui-ci ayant été lu en début de séance et l'intéressé ayant eu connaissance des faits reprochés par la réception de sa convocation judiciaire, ni la mention dans ce rapport des sanctions proposées au conseil ;
- les faits reprochés à l'agent sont établis par les pièces du dossier, de sorte que le tribunal ne pouvait considérer l'administration en défense comme ayant acquiescé à ceux exposés par l'intéressé ;
- ces faits constituent des fautes, consistant en des manquements aux devoirs d'exemplarité, de probité et de rendre compte, alors même qu'ils ont été commis en dehors du service, ayant porté atteinte au crédit et au renom de la police nationale, et justifient légalement le prononcé de la sanction en litige.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2025, M. C..., représenté par Me Poli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que :
- les moyens d'appel ne sont pas fondés ;
- l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984, faute pour le ministre d'avoir informé le conseil de discipline des motifs pour lesquels il n'a pas suivi sa proposition de sanction.
Par une ordonnance du 3 janvier 2025 la clôture d'instruction a été fixée au 20 janvier 2025, à 12 heures.
Un mémoire a été produit par le ministre de l'intérieur le 28 janvier 2025, soit après la clôture de l'instruction et n'a pas été communiqué.
II - Par une requête, enregistrée le 2 août 2024 sous le n° 24MA02059, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 5 juillet 2024 ;
2°) de rejeter la demande de Mme A....
Le ministre soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal et ainsi qu'il en est justifié, l'agent a été informé de son droit à prendre connaissance de son dossier et de la possibilité d'être assisté par un défenseur de son choix, préalablement à la réunion du conseil de discipline, l'intéressée ayant consulté son dossier et ayant été assistée le jour de cette réunion ;
- la sanction a été signée par une autorité ayant reçu délégation à cet effet ;
- aucun texte ne prévoit ni la communication à l'agent du rapport de saisine du conseil de discipline, celui-ci ayant été lu en début de séance et l'intéressée ayant eu connaissance des faits reprochés par la réception de sa convocation judiciaire, ni la mention dans ce rapport des sanctions proposées au conseil ;
- les faits reprochés à l'agent sont établis par les pièces du dossier, de sorte que le tribunal ne pouvait considérer l'administration en défense comme ayant acquiescé à ceux exposés par l'intéressée ;
- ces faits constituent des fautes, consistant en des manquements aux devoirs d'exemplarité, de probité et de rendre compte, alors même qu'ils ont été commis en dehors du service, ayant porté atteinte au crédit et au renom de la police nationale, et justifient légalement le prononcé de la sanction en litige.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 janvier 2025, Mme A..., représentée par Me Poli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens d'appel ne sont pas fondés ;
- l'arrêté en litige a été pris en méconnaissance de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984, faute pour le ministre d'avoir informé le conseil de discipline des motifs pour lesquels il n'a pas suivi sa proposition de sanction.
Par une ordonnance du 3 janvier 2025 la clôture d'instruction a été fixée au 20 janvier 2025, à 12 heures.
III - Par une requête, enregistrée le 2 août 2024 sous le n° 24MA02060, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 5 juillet 2024 ;
2°) de rejeter la demande de Mme A....
Le ministre soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal et ainsi qu'il en est justifié, l'agent a été informé de son droit à prendre connaissance de son dossier et de la possibilité d'être assisté par un défenseur de son choix, préalablement à la réunion du conseil de discipline, l'intéressée ayant consulté son dossier et ayant été assistée le jour de cette réunion ;
- la sanction a été signée par une autorité ayant reçu délégation à cet effet ;
- aucun texte ne prévoit ni la communication à l'agent du rapport de saisine du conseil de discipline, celui-ci ayant été lu en début de séance et l'intéressé ayant eu connaissance des faits reprochés par la réception de sa convocation judiciaire, ni la mention dans ce rapport des sanctions proposées au conseil ;
- les faits reprochés à l'agent sont établis par les pièces du dossier, de sorte que le tribunal ne pouvait considérer l'administration en défense comme ayant acquiescé à ceux exposés par l'intéressé ;
- ces faits constituent des fautes, consistant en des manquements aux devoirs d'exemplarité, de probité et de rendre compte, alors même qu'ils ont été commis en dehors du service, ayant porté atteinte au crédit et au renom de la police nationale, et justifient légalement le prononcé de la sanction en litige.
IV - Par une requête, enregistrée le 5 septembre 2024 sous le n° 24MA02337, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de surseoir à l'exécution du jugement n° 2300790 et 2300791 du
5 juillet 2024 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 2 janvier 2023 révoquant Mme A... de ses fonctions.
Le ministre soutient que :
- sa demande de sursis n'est pas privée d'objet par l'intervention d'une mesure prise pour assurer l'exécution du jugement ;
- les moyens qu'il développe à l'appui de sa requête d'appel, jointe à sa demande de sursis, sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet de la demande de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2024, Mme A..., représentée par Me Poli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 janvier 2025 la clôture d'instruction a été fixée au 20 janvier 2025, à 12 heures.
V - Par une requête, enregistrée le 9 septembre 2024 sous le n° 24MA02357, le ministre de l'intérieur et des outre-mer demande à la Cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de surseoir à l'exécution du jugement n° 2300790 et 2300791 du
5 juillet 2024 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 2 janvier 2023 révoquant M. C... de ses fonctions.
Le ministre soutient que :
- sa demande de sursis n'est pas privée d'objet par l'intervention d'une mesure prise pour assurer l'exécution du jugement ;
- les moyens qu'il développe à l'appui de sa requête d'appel, jointe à sa demande de sursis, sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet de la demande de première instance.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 octobre 2024, M. C..., représenté par Me Poli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 3 janvier 2025 la clôture d'instruction a été fixée au 20 janvier 2025, à 12 heures.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code de la sécurité intérieure :
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... et Mme A..., liés par un pacte civil de solidarité, et gardiens de la paix affectés à la direction départementale de la sécurité publique de Corse, ont été condamnés, par un jugement du tribunal correctionnel de Bastia du 24 novembre 2020, pour des faits d'escroquerie à leur assurance en déclarant un faux sinistre et en produisant de fausses factures, à une peine d'emprisonnement de douze mois avec sursis et à une peine d'amende de 5 000 euros chacun. Par deux arrêtés pris le 2 janvier 2023, après avis du conseil de discipline du 27 janvier 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer les a révoqués de leurs fonctions. Par un jugement du 5 juillet 2024, dont le ministre de l'intérieur relève appel par ses requêtes n°s 24MA02019, 24MA02059 et 24MA02060, et demande le sursis à exécution par ses requêtes n°s 24MA02337 et 24MA02357, le tribunal administratif de Bastia, après avoir joint les demandes de M. C... et de Mme A... dirigées contre ces deux arrêtés, a annulé ces deux décisions.
2. Les requêtes n°s 24MA02019, 24MA02059 et 24MA02060, et 24MA02337 et 24MA02357 sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions identiques. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.
3. Toutefois, le document enregistré sous le n° 24MA02060 constitue en réalité un doublon du recours présenté par le ministre de l'intérieur et des outre-mer et enregistré sous le
n° 24MA02059. Il doit, par suite, être rayé des registres du greffe de la Cour et joint à la requête enregistrée sous le n° 24MA02059.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Pour annuler les révocations en litige, le tribunal administratif de Bastia, après avoir constaté que, faute d'avoir produit un mémoire avant la clôture de l'instruction, malgré une mise en demeure de défendre, le ministre de l'intérieur et des outre-mer devait être regardé comme ayant acquiescé aux faits exposés par M. C... et Mme A..., s'est fondé sur le motif tiré de ce que ceux-ci n'avaient été informés ni de leur droit à la communication de leurs dossiers individuels, ni de leur droit à l'assistance d'un défenseur de leur choix.
5. Aux termes du troisième alinéa de l'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version antérieure à son abrogation par l'ordonnance du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique :
" Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes et à l'assistance de défenseurs de son choix. L'administration doit informer le fonctionnaire de son droit à communication du dossier. Aucune sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l'Etat, territoriale et hospitalière ne peut être prononcée sans consultation préalable d'un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté ". Aux termes de l'article L. 532-4 du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l'intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes. / L'administration doit l'informer de son droit à communication du dossier. / Le fonctionnaire à l'encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l'assistance de défenseurs de son choix ". Aux termes de l'article 1er du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " L'administration doit dans le cas où une procédure disciplinaire est engagée à l'encontre d'un fonctionnaire informer l'intéressé qu'il a le droit d'obtenir la communication intégrale de son dossier individuel et de tous les documents annexes et la possibilité de se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix ".
6. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que Mme A... a informé son administration, le 11 janvier 2022, de son souhait de ne pas consulter son dossier, malgré l'invitation en ce sens par courrier du 20 décembre 2021, reçu le 22 décembre suivant, et d'autre part, que M. C... a pu former le souhait, le 11 janvier 2022, de prendre connaissance de son dossier individuel, soit avant la réunion du conseil de discipline le 27 janvier 2022. En outre, il ressort des énonciations du procès-verbal de la séance du conseil de discipline du 27 janvier 2022 que chacun, qui a pu faire part de son intention à ce sujet dès le 11 janvier 2022, a été assisté de deux défenseurs, représentants syndicaux. Le ministre de l'intérieur et des outre-mer est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler les arrêtés prononçant la révocation de M. C... et de Mme A..., le tribunal administratif de Bastia s'est fondé sur l'irrégularité de procédure liée au défaut d'information de ces agents sur leurs droits préalablement à la réunion du conseil de discipline.
7. Il appartient donc à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de première instance et d'appel présentés par M. C... et Mme A....
Sur la légalité externe des arrêtés en litige :
8. En premier lieu, les arrêtés en litige ont été signés par M. D... B..., directeur général de la police générale qui, en application de l'article 1er décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, pouvait à compter de sa nomination par décret du 29 janvier 2020, publié au journal officiel de la République française du 30 janvier 2020 et opposable au juge comme aux parties, signer au nom du ministre de l'intérieur, par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous son autorité, au nombre desquels figurent les décisions de révocation disciplinaire des fonctionnaires actifs de la police nationale. Ainsi, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des mesures en litige ne peut qu'être écarté.
9. En deuxième lieu, si devant la Cour, M. C... et Mme A... affirment ne pas avoir reçu l'intégralité de leurs dossiers " disciplinaires " dont ils ont demandé la communication par courriel du 22 décembre 2021, ils ne contestent pas sérieusement avoir reçu les pièces jointes au courriel de réponse du même jour du secrétariat général des affaires du ministère de l'intérieur Sud, dès lors qu'ils n'indiquent pas avoir sollicité en vain l'envoi de ces pièces prétendument manquantes. Dans la mesure où les intimés se prévalent de ces deux courriels pour prétendre que l'intégralité de leurs dossiers ne leur aurait pas été communiquée, ils ne sont pas non plus fondés, pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, à soutenir que leur droit à la communication intégrale de leurs dossiers a été méconnu, alors, au surplus, qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, que Mme A... a souhaité le 11 janvier 2022 ne pas consulter son dossier individuel.
10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet a saisi le conseil de discipline le 21 décembre 2021 pour avis sur les manquements reprochés à M. C... et à Mme A... à leurs devoirs d'exemplarité et de rendre compte et sur l'atteinte à l'image et au renom de la police nationale qui en aurait résulté. Si en vertu de l'article 2 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat, l'organisme siégeant en conseil de discipline est saisi par un rapport émanant de l'autorité ayant pouvoir disciplinaire ou d'un chef de service déconcentré ayant reçu délégation de compétence à cet effet et indiquant clairement les faits reprochés au fonctionnaire et précisant les circonstances dans lesquelles ils se sont produits, il ne résulte ni de ces dispositions, ni de celles du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale, ni d'aucune autre disposition applicable au litige et relative à la procédure disciplinaire engagée contre un fonctionnaire actif de la police nationale, que ce rapport devrait être communiqué à cet agent avant que se prononce pour avis le conseil de discipline. Aucune disposition ni aucun principe ne prévoient non plus que ce rapport devrait mentionner les sanctions proposées par l'administration pour avis du conseil de discipline. Par suite, M. C... et Mme A... ne peuvent utilement soutenir que le conseil de discipline aurait été irrégulièrement saisi des poursuites disciplinaires engagées à leur encontre.
11. En quatrième lieu, la circonstance, postérieure à l'arrêté prononçant la révocation de M. C..., que le ministre de l'intérieur n'aurait pas informé le conseil de discipline, qui a proposé la sanction de l'exclusion temporaire de fonctions d'une durée de 24 mois, dont 18 mois avec sursis, des motifs pour lesquels il n'a pas suivi sa proposition, en méconnaissance de l'article 8 du décret du 25 octobre 1984, est sans incidence sur la légalité de la décision en litige. Il en va également ainsi, pour les mêmes motifs, de la circonstance que le ministre n'a pas informé le conseil de discipline, qui n'a proposé aucune sanction à l'encontre de Mme A..., faute de majorité sur les diverses propositions qui ont été soumises à ses suffrages, des motifs qui l'ont conduit tout de même à prononcer sa révocation.
Sur la légalité interne des arrêtés en litige :
12. Il ressort des énonciations des arrêtés en litige que le ministre de l'intérieur a sanctionné Mme A... et M. C... de la révocation, pour méconnaissance par la première de ses devoirs d'exemplarité et de probité, et par le second de ces mêmes devoirs ainsi que de son obligation de rendre compte, pour des faits ayant consisté, à l'occasion d'un litige commercial les opposant à un artisan au sujet du paiement de prestations réalisées à leur domicile, en l'établissement de fausses déclarations, à leur compagnie d'assurance, non seulement de vols de biens personnels et de frais engagés pour des travaux de réparation de leur maison d'habitation, mais encore de loyers qu'ils auraient été contraints de payer pour se loger le temps de ces travaux, du 1er avril au 31 août 2015. Ces arrêtés précisent que sur la foi de ces déclarations, le couple a obtenu de leur assurance les sommes de 16 939 euros et de 1 139,11 euros.
En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés :
13. D'abord, contrairement à ce que soutiennent les intimés, le ministre de l'intérieur, pour prononcer les sanctions en litige, ne s'est pas fondé sur le caractère frauduleux de leur déclaration de sinistre relative à la détérioration par un artisan ayant pénétré dans leur domicile des menuiseries et huisseries, ou de la plainte déposée à ce titre par Mme A..., mais sur celui des déclarations à leur assurance, réalisées par Mme A... à cette même occasion, concernant la disparition d'autres biens et l'engagement des travaux de réparation de leur domicile rendus selon eux nécessaires par cette intrusion. Ils ne sont donc pas fondés à soutenir que les arrêtés seraient dans cette mesure entachés d'une erreur de fait.
14. Ensuite, l'autorité absolue de la chose jugée par les juridictions répressives ne s'attache qu'aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire des jugements définitifs et statuent sur le fond de l'action publique. Une décision rendue en dernier ressort présente à cet égard un caractère définitif, même si elle peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou est effectivement l'objet d'un tel pourvoi et si, par suite, elle n'est pas irrévocable.
15. Il ressort des motifs du jugement du tribunal correctionnel de Bastia du 24 novembre 2020, dont les intimés se sont désistés de leur appel le 17 février 2022, et qui les a condamnés chacun à une peine d'emprisonnement d'un an avec sursis et une peine d'amende de 5 000 euros pour escroquerie à l'assurance, que les faits ainsi retenus à leur encontre par le juge pénal visent les fausses déclarations portant notamment sur le vol d'un ordinateur, d'un téléviseur, d'outillage et d'un sac à main de marque, lesquels ont été retrouvés à leur domicile lors d'une perquisition, et sur des factures établies par des entreprises dont les intéressés ont été dans l'incapacité de démontrer l'acquittement ou dont le montant a été sciemment surévalué à leur demande. L'autorité absolue de la chose jugée attachée à de telles constatations de fait qui sont le soutien nécessaire de cette condamnation pénale devenue définitive, fait obstacle à ce que M. C... et Mme A... contestent utilement la matérialité des mêmes faits retenus par le ministre de l'intérieur pour les sanctionner à la suite de cette décision de justice, en soutenant ne pas avoir eu besoin de produire à leur assurance des factures pour justifier du coût des travaux de réparation à réaliser après le passage de l'artisan, compte tenu de l'évaluation réalisée par l'expert même de cet assureur.
16. Enfin, en affirmant avoir été en congé de maladie lors du prononcé du jugement du tribunal correctionnel de Bastia et que les services de police judiciaire dans cette commune sont nécessairement informés des suites réservées à une procédure pénale, M. C... ne conteste pas sérieusement ne pas avoir informé lui-même par écrit sa hiérarchie de la procédure judiciaire engagée à son encontre et de la condamnation prononcée contre lui.
En ce qui concerne la qualification juridique des faits :
17. Aux termes de l'article R. 434-12 du code de la sécurité intérieure : " Le policier ou le gendarme ne se départ de sa dignité en aucune circonstance. En tout temps, dans ou en dehors du service, y compris lorsqu'il s'exprime à travers les réseaux de communication électronique sociaux, il s'abstient de tout acte, propos ou comportement de nature à nuire à la considération portée à la police nationale et à la gendarmerie nationale. Il veille à ne porter, par la nature de ses relations, aucune atteinte à leur crédit ou à leur réputation ".
18. Par ailleurs, aux termes des dispositions du II de l'article R. 434-4 du code de la sécurité intérieure : " II. - Le policier ou le gendarme porte sans délai à la connaissance de l'autorité hiérarchique tout fait survenu à l'occasion ou en dehors du service, ayant entraîné ou susceptible d'entraîner sa convocation par une autorité de police, juridictionnelle, ou de contrôle ". L'article 113-1 de l'arrêté du 6 juin 2006 portant règlement général d'emploi précise que " Outre l'obligation de compte-rendu prévue à l'article 111-6 ci-dessus du présent règlement général d'emploi, les fonctionnaires actifs des services de la police nationale sont soumis à celle, également, de rendre compte sans délai et par écrit à la hiérarchie, qui, dès lors, prend toute mesure qui s'impose, de tout fait ou incident à caractère personnel ou se rapportant à l'exécution du service, et des circonstances dans lesquelles ils se sont produits, ayant entraîné ou susceptible d'entraîner leur présentation devant une autorité de police ou devant une autorité juridictionnelle. La hiérarchie est tenue informée sans délai de l'évolution des faits ainsi signalés et des suites qu'ils ont comporté ".
19. Les fausses déclarations de Mme A..., avec l'assentiment de M. C..., son conjoint, à leur compagnie d'assurance, afin d'obtenir de celle-ci l'indemnisation de préjudices qu'ils n'ont pas subis, constituent non pas seulement des indélicatesses comme ils le soutiennent, mais des manquements à leurs obligations de dignité et d'exemplarité qui découlent de leurs fonctions de policier national, alors même que ces faits ont été commis en dehors du service. L'abstention répétée de M. C... à rendre compte personnellement par écrit à sa hiérarchie, qui plus est malgré les demandes de celle-ci, des poursuites engagées contre lui, de la date d'audience pénale et de la condamnation prononcée à son encontre constitue, pour sa part, un manquement à son obligation de rendre compte prescrite par les dispositions réglementaires citées au point 18, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que, à la date de sa condamnation, l'intéressé était en congé de maladie. Les rapports institutionnels existant entre l'autorité judiciaire et les services de police judiciaire ne sont pas quant à eux de nature à dispenser le policier de son obligation de rendre compte.
20. Les fautes commises par Mme A... et M. C... sont de nature à justifier légalement le prononcé de sanctions disciplinaires.
En ce qui concerne la proportionnalité des sanctions à la gravité des fautes commises :
21. Aux termes de l'article L. 533-1 du code général de la fonction publique : " Les sanctions disciplinaires pouvant être infligées aux fonctionnaires sont réparties en quatre groupes : (...) 3° Troisième groupe : a) La rétrogradation au grade immédiatement inférieur et à l'échelon correspondant à un indice égal ou, à défaut, immédiatement inférieur à celui afférent à l'échelon détenu par le fonctionnaire ; b) L'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans. / 4° Quatrième groupe : a) La mise à la retraite d'office ; b) La révocation ".
22. S'il ressort des pièces du dossier que les faits retenus par le ministre de l'intérieur dans ses arrêtés ont été commis par les intéressés en dehors de l'exercice de leurs fonctions, qu'ils n'ont reçu aucune publicité et qu'ils demeurent isolés dans leurs carrières respectives qui n'ont donné lieu à aucune précédente sanction, de telles fautes, qui correspondent à de graves agissements de malhonnêteté et sont des manquements à leurs obligations de probité et d'intégrité, sont incompatibles avec la nature même des fonctions de policier. Eu égard à la nature de ces faits, dont M. C... et Mme A... ne mesurent pas la gravité en soulignant qu'ils s'apparent à de simples indélicatesses, compte tenu en outre du manquement de M. C... à son devoir de rendre compte de tels faits et de leurs conséquences à sa hiérarchie, et malgré les états de service de ces agents, nommés dans la police nationale en 2008, l'autorité disciplinaire n'a pas, en l'espèce, pris de sanction disproportionnée en décidant de révoquer les intéressés.
23. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé ses arrêtés du 2 janvier 2023 prononçant la révocation de M. C... et de Mme A..., et à demander l'annulation de ce jugement et le rejet des demandes de ces derniers dirigées contre ces arrêtés. Il y a donc lieu d'annuler ce jugement et de rejeter ces demandes.
Sur les requêtes n°s 24MA02337 et 24MA02357 tendant au sursis à exécution du jugement attaqué :
24. Le présent arrêt statuant sur les appels du ministre de l'intérieur contre le jugement du tribunal administratif de Bastia du 5 juillet 2024, il n'y a plus de statuer sur ses requêtes
n°s 24MA02337 et 24MA02357 tendant au sursis à exécution de ce jugement.
Sur les frais liés au litige :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances, au titre des frais exposés par M. C... et par Mme A... et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées par ces derniers sur le fondement de ces dispositions ne peuvent donc qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La production enregistrée sous le n° 24MA02060 sera rayée des registres du greffe de la Cour pour être jointe à la requête enregistrée sous le n° 24MA02059.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les requêtes du ministre de l'intérieur n°s 24MA02337 et 24MA02357 tendant au sursis à exécution du jugement n° 2300790 et 2300791 rendu le 5 juillet 2024 par le tribunal administratif de Bastia.
Article 3 : Le jugement n° 2300790 et 2300791 rendu le 5 juillet 2024 par le tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 4 : Les demandes de M. C... et de Mme A... tendant à l'annulation des arrêtés du ministre de l'intérieur du 2 janvier 2023, et leurs conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. G... C... et à Mme E... A....
Délibéré après l'audience du 4 février 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 février 2025.
N° 24MA02019, 24MA02059, 24MA02060, 24MA02337, 24MA023572