La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/02/2025 | FRANCE | N°23MA02156

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 04 février 2025, 23MA02156


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Par une première requête, enregistrée sous le n° 2009217, Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2020 par laquelle le président directeur général du centre national de la recherche scientifique (CNRS) a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie et, d'autre part, d'enjoindre au CNRS, à titre principal, de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de sa malad

ie dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, à ti...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une première requête, enregistrée sous le n° 2009217, Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler la décision du 28 septembre 2020 par laquelle le président directeur général du centre national de la recherche scientifique (CNRS) a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie et, d'autre part, d'enjoindre au CNRS, à titre principal, de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de sa maladie dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, à titre subsidiaire de réexaminer sa situation, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir.

Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 2107567, Mme A... a demandé à ce tribunal de condamner le CNRS à lui verser la somme de 135 000 euros assortie des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis du fait de sa maladie imputable au service.

Par un jugement n° 2009217, 2107567 du 23 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a joint ces deux demandes, a annulé cette décision du 28 septembre 2020, a condamné le CNRS à verser à Mme A... la somme de 2 500 euros tous intérêts compris en réparation de ses préjudices, a enjoint au président directeur général du CNRS de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... à partir du 7 janvier 2019, a mis à la charge du CNRS la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de Mme A....

Procédures devant la Cour :

I - Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 août 2023 et 17 septembre 2024, sous le n° 23MA02156, Mme A..., représentée par Me Athon-Perez, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 juin 2023 en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner le CNRS à lui verser la somme de 135 800 euros, à parfaire, en réparation de ses préjudices patrimoniaux, à hauteur de 36 500 euros, et de ses préjudices extra-patrimoniaux, à hauteur de 99 300 euros, à augmenter des intérêts légaux à compter de sa réclamation préalable, ainsi que de leur capitalisation ;

3°) de mettre à la charge du CNRS la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son employeur a commis une faute en manquant à son obligation de protection de la santé de son agent posée par l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, sa hiérarchie n'ayant pris aucune mesure pour la soutenir et faire cesser les tensions avec son équipe et ayant préféré assurer sa mobilité interne ;

- la responsabilité pour faute de son employeur, ainsi que sa responsabilité sans faute, doivent donc être engagées envers elle ;

- sa maladie dépressive est directement liée à l'exercice de ses fonctions, et non à des difficultés de sa vie personnelle ;

- au titre de la responsabilité sans faute, elle a droit à la réparation de son déficit fonctionnel permanent, qui n'est pas intégralement réparé par l'allocation temporaire d'invalidité qu'elle n'est pas certaine de recevoir, et pour juger le contraire, le tribunal s'est à tort fondé sur une jurisprudence relative aux militaires et inapplicable à son cas ;

- s'agissant de ses préjudices patrimoniaux, à caractère temporaire :

* elle a droit à l'indemnisation des frais liés à l'impossibilité d'utiliser son véhicule pendant deux années, due à son syndrome anxiodépressif, ainsi que cela résulte de l'expertise du 20 janvier 2021, et estimés à 4 000 euros, à parfaire en fin d'instance ;

* elle a droit à l'indemnisation de ses frais de santé actuels, non pris en charge par l'assurance maladie, et correspondant aux consultations d'un psychologue, soit la somme de 2 500 euros à parfaire en fin d'instance ;

- s'agissant de ses préjudices patrimoniaux, à caractère permanent :

* son préjudice professionnel doit être réparé par l'octroi d'une somme de 20 000 euros à parfaire en fin d'instance, et correspond à la perte de productivité causée par le nombre de rendez-vous médicaux hebdomadaires à honorer, l'impossibilité de reprendre son travail à temps plein, au bénéfice limité d'un mi-temps thérapeutique, au refus de lui accorder un congé de longue maladie fractionné et l'obligation consécutive d'être admise à la retraite pour invalidité à compter du 13 novembre 2022 ;

* ses frais de consultation d'un psychologue doivent être indemnisés, même après consolidation, et justifient l'octroi d'une somme de 10 000 euros à parfaire au terme de l'instance ;

- s'agissant de ses préjudices extra-patrimoniaux à caractère temporaire :

* le préjudice correspondant aux souffrances physiques et morales, aggravé par le refus d'imputabilité au service de sa maladie, doit être réparé par une indemnité de 4 100 euros à parfaire en fin d'instance ;

* compte tenu de l'évaluation faite par l'expert médical, de la durée de la maladie diagnostiquée en octobre 2018, de l'intensité et de la permanence des gênes subies, et de son incapacité à reprendre son activité professionnelle durant plus d'une année et demie, son déficit fonctionnel temporaire doit être réparé par l'octroi de la somme de 3 000 euros à parfaire ;

* son préjudice esthétique temporaire, correspondant à sa prise de poids et son alopécie, doit être réparé par l'allocation de la somme de 5 000 euros à parfaire ;

- s'agissant de ses préjudices extra-patrimoniaux permanents :

* elle a droit à la somme de 3 000 euros en réparation de ses souffrances physiques et morales, compte tenu de la dégradation de la situation au sein de l'institut pendant trois ans, et de ce qu'elle a été contrainte de contester devant le juge le refus d'imputabilité au service ;

* son taux d'incapacité permanente de 30% justifie, au titre de son déficit fonctionnel permanent, l'octroi de la somme de 65 000 euros à parfaire en fin d'instance ;

* son préjudice esthétique, lié à sa prise de poids et à son alopécie, est permanent et justifie une indemnité d'un montant de 3 500 euros à parfaire en fin d'instance ;

* son préjudice d'agrément, correspondant à son incapacité à voyager et à prendre part à un projet social, doit être réparé à hauteur de 700 euros ;

* la somme de 15 000 euros assure une juste réparation de son préjudice moral ;

- elle n'a commis aucune faute de nature à réduire la responsabilité de son employeur.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2024, le centre national de la recherche scientifique, représentée par Me Peru de la selarl Gaia, conclut à titre principal au rejet de la requête, subsidiairement à la désignation d'un expert pour déterminer les préjudices de l'appelante et la part professionnelle de ceux-ci, et à ce que soit mise à la charge de celle-ci la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- aucune faute n'a été commise à l'égard de la requérante ;

- l'ensemble des expertises médicales montrent que le syndrome anxio-dépressif de l'intéressée provient surtout de problématiques personnelles, indépendantes de son travail ;

- il conviendrait, en cas de condamnation, de désigner un expert pour déterminer les préjudices directement causés par les fonctions de l'intéressée ;

- celle-ci a commis une faute en refusant toutes les propositions de sa hiérarchie destinées à atténuer sa souffrance au travail ;

- l'appréciation du tribunal quant aux différents chefs de préjudice invoqués doit être confirmée.

II - Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 août 2023 et 31 janvier 2024, sous le n° 23MA02195, le CNRS, représenté par Me Peru de la selarl Gaia, demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1 à 4 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 23 juin 2023 ;

2°) de rejeter la demande de Mme A... ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier du fait d'une contradiction entre les motifs du jugement, aux points 20 et 21, fixant le montant de l'indemnité due à 2 000 euros, et son dispositif, qui condamne le centre à verser la somme de 2 500 euros ;

- le droit applicable est à déterminer, non pas au jour où la maladie a été diagnostiquée, mais à la date de la déclaration de maladie professionnelle, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal ;

- en tout état de cause, la maladie a été diagnostiquée le 7 mars 2019, de sorte que c'est à tort que le tribunal a considéré que la décision en litige est entachée d'erreur de droit pour s'être fondée sur l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 ;

- en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie professionnelle au motif que le taux d'incapacité permanente en résultant est inférieur à 25%, il n'a commis aucune erreur d'appréciation ;

- cette maladie, due en grande partie à des facteurs extra-professionnels, ne peut être considérée comme ayant été causée essentiellement et directement par l'exercice des fonctions.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 octobre 2023 et le 17 septembre 2024, Mme A..., représentée par Me Athon-Perez, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de son auteur la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée à la mutuelle générale de l'éducation nationale qui n'a pas produit d'observations.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Achard, substituant Me Athon-Perez, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., chargée d'études en administration scientifique affectée jusqu'au 1er septembre 2020 à l'institut de chimie, relevant du centre national de la recherche scientifique (CNRS), a demandé le 19 décembre 2019 que soit reconnue imputable au service la maladie anxio-dépressive dont elle souffre selon elle depuis novembre 2018. Par une décision du 28 septembre 2020 prise après avis de la commission de réforme du 24 septembre 2020, le président directeur général du CNRS a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de cette maladie. Par un courrier du 30 avril 2021, reçu le 3 mai, Mme A... a demandé au président directeur général du CNRS la réparation des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux qu'elle estime avoir subis du fait de sa maladie professionnelle, par le versement d'une somme de 65 800 euros. Par un jugement du 23 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille, joignant les deux demandes dont l'avait saisi Mme A..., a premièrement annulé cette décision du 28 septembre 2020, a deuxièmement enjoint au président directeur général du CNRS de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... à partir du 7 janvier 2019, a troisièmement condamné le CNRS à verser à Mme A... la somme de 2 500 euros tous intérêts compris en réparation de ses préjudices, a quatrièmement mis à la charge du CNRS la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a enfin rejeté le surplus des conclusions de Mme A.... Par sa requête n° 23MA02156, celle-ci relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande indemnitaire, et par sa requête n° 23MA02195, le CNRS en relève appel en tant qu'il a fait droit au surplus des conclusions de Mme A....

2. Les requêtes n°s 23MA02156 et 23MA02195 sont dirigées contre le même jugement et ont trait au même litige. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a annulé la décision de refus d'imputabilité au service de la maladie de Mme A... du 28 septembre 2020 et en tant qu'il a enjoint au président directeur général du CNRS de prendre une décision de reconnaissance de cette maladie :

En ce qui concerne la date à laquelle la maladie en litige a été diagnostiquée :

3. Il résulte des deux rapports d'expertise psychiatrique établis par deux médecins différents les 7 mars et 29 juillet 2020 à l'intention de la commission de réforme appelée à se prononcer sur la demande d'imputabilité de Mme A..., ainsi que du rapport du médecin de prévention du 14 février 2020, et du certificat de la psychologue-psychothérapeute du 23 février 2019 consultée par l'intéressée depuis le mois de novembre 2018, que le syndrome anxio-dépressif dont elle a souffert a pu être diagnostiqué à compter du mois d'octobre 2018 et, en tout état de cause, au plus tard le 7 janvier 2019, date de son premier arrêt de travail motivé par son état de santé mentale. La double circonstance que la cotation liée à la réglementation de sécurité sociale portée par le médecin sur ce premier arrêt de travail correspond à un trouble de l'adaptation, contrairement aux arrêts de travail intervenus à partir du 1er mars 2019, mentionnant une cotation qui correspond quant à elle à des troubles neuro-psychiatriques, et que les deux rapports d'expertise psychiatrique précités fixent au 1er mars 2019 le début de la période d'imputabilité des arrêts de travail de Mme A... n'est pas de nature à justifier que sa maladie soit regardée comme diagnostiquée à cette dernière date.

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

4. Aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat dans sa version applicable à la date à laquelle la maladie litigieuse a été diagnostiquée : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ; / (...) ". Pour l'application de ces dispositions, une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

5. Pour refuser de faire droit à la demande de Mme A... tendant à la reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie, le président directeur général du CNRS s'est fondé, en application des dispositions de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 19 janvier 2017 portant diverses dispositions relatives au compte personnel d'activité, à la formation et à la santé et à la sécurité au travail dans la fonction publique, inapplicable à la situation de l'agent, sur le motif que le taux d'invalidité correspondant à cette affection est inférieur au taux de 25 % fixé par ces dispositions, " à supposer établie l'origine professionnelle du trouble ". En statuant de la sorte, sans se prononcer exclusivement sur l'existence d'un lien direct entre la maladie de Mme A... et l'exercice de ses fonctions ou ses conditions de travail, le président directeur général du CNRS a commis une erreur de droit, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal.

En ce qui concerne l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... :

6. Il ressort des pièces du dossier, et plus particulièrement des deux rapports d'expertise psychiatrique des 7 mars et 29 juillet 2020, que si la situation personnelle et familiale difficile et les ennuis de santé rencontrés par Mme A... n'ont pas été étrangers dans le développement de son syndrome anxio-dépressif, les malentendus et manques de communication avec ses collègues de travail, qui sont apparus à l'institut de chimie au retour de Mme A... de ses congés de maternité et de présence parentale, ont conduit à des tensions et difficultés relationnelles ayant engendré son isolement progressif et l'apparition, à la fin de l'année 2018, de troubles

anxio-dépressifs. Ces troubles, qui ont entraîné son placement en congé de maladie du 7 janvier au 18 février 2019, puis du 1er mars 2019 au 29 février 2020, sont ainsi directement liés aux conditions de travail de l'intéressée, qui ont été en l'espèce de nature à susciter le développement de sa maladie, alors même qu'elles n'en ont pas été la cause exclusive.

7. Contrairement à ce que soutient le CNRS, il ne ressort pas des pièces du dossier, notamment des rapports précités, que d'une part les difficultés de santé, liées à une grossesse difficile, à l'apparition d'une maladie auto-immune en 2015, à un trouble temporaire de la circulation sanguine, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé en août 2016 et au diagnostic d'une endométriose en 2018, et d'autre part les difficultés de vie personnelle et familiale rencontrées par Mme A... avant l'apparition de sa maladie, constitueraient des faits ou circonstances conduisant à détacher ce syndrome du service, ni un état préexistant auquel ce syndrome serait exclusivement imputable.

8. Enfin, les mesures prises par le CNRS pour se conformer à son obligation d'assurer à ses agents, dont Mme A..., des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à protéger leur santé et leur intégrité physique, demeurent sans incidence sur le lien d'imputabilité existant ainsi entre la maladie de Mme A... et ses conditions de travail à l'institut de chimie.

9. Il suit de là que c'est en commettant une erreur d'appréciation que le président directeur général du CNRS a refusé, par sa décision du 28 septembre 2020, de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie anxio-dépressive de Mme A....

10. Il résulte de ce qui précède que le CNRS n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé cette décision et a enjoint à son président directeur général de prendre une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la maladie de Mme A....

Sur la régularité du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires de Mme A... :

11. Il résulte des énonciations mêmes du jugement attaqué que si, au point 20 de cette décision, le tribunal a fixé à 2 000 euros le montant de l'indemnité accordée à Mme A... en réparation de ses souffrances physiques et morales et de son préjudice moral, la somme de 2 500 euros fixée au point 21 correspond à cette indemnité tous intérêts compris. C'est donc sans contradiction avec ses motifs que le jugement condamne le CNRS, à l'article 2 de son dispositif, à verser à Mme A... la somme de 2 500 euros tous intérêts compris. Par suite le CNRS n'est pas fondé à se prévaloir d'une prétendue contradiction entre les motifs et le dispositif du jugement qu'il attaque.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions indemnitaires de Mme A... :

12. Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou atteints de maladies professionnelles, une rente d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre, au titre des conséquences patrimoniales de l'atteinte à l'intégrité physique, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. La circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées ci-dessus subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. Les dispositions précitées ne font obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l'accident ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, tels qu'un déficit fonctionnel, des souffrances physiques ou morales, un préjudice esthétique ou d'agrément ou des troubles dans les conditions d'existence, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incomberait.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires de Mme A... fondées sur la responsabilité pour faute du CNRS :

13. Conformément aux dispositions de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, ainsi qu'aux dispositions de l'article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la prévention médicale dans la fonction publique, il incombe à l'administration de prendre les mesures destinées à assurer aux fonctionnaires des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à protéger leur santé et leur intégrité physique.

14. Il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas des rapports du médecin de prévention, ni des affirmations de l'appelante, à cet égard dépourvues de précisions suffisantes, que, bien qu'informé à la fois de la fragilité de l'état de santé de Mme A... et de son fils, qui l'obligent à se rendre à différents rendez-vous médicaux ou à s'absenter, et de la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicape en août 2016, le CNRS n'aurait pris aucune mesure pour en tenir compte.

15. S'il n'est pas contesté que le 18 février 2019, au retour de la première période de congé de maladie de Mme A..., la directrice administrative adjointe lui a demandé un calendrier de départ et lui a indiqué ne plus faire le lien avec les autres agents, il est constant que cette demande a fait suite à l'évocation à la fin de l'année 2018 d'une mobilité de la part de Mme A... et à des propositions de cette directrice d'organiser des réunions avec ses collègues pour apaiser les tensions dans le service.

16. Par ailleurs, en se bornant à produire sa lettre du 29 avril 2019 adressée au président directeur général du CNRS, qui fait état de l'ensemble des griefs portés contre ses collègues de travail, sa directrice administrative adjointe et sa directrice scientifique adjointe, et dont le CNRS conteste valablement les assertions en versant notamment le rapport de l'institut de chimie du 22 janvier 2020, Mme A... n'établit ni que la directrice administrative adjointe aurait minimisé des actes malveillants dont elle ne précise pas la nature, ni qu'elle n'aurait pas réagi à la moquerie à laquelle se serait livrée une collègue de travail à l'endroit de la requérante lors d'un entretien, ni qu'elle aurait été contrainte par ses deux directrices à demander une mobilité géographique. Il ne résulte pas davantage de l'instruction, notamment pas d'un échange de courriels du 20 février 2019, que, comme la requérante l'affirme dans son courrier du 29 avril 2019, la directrice administrative adjointe l'aurait verbalement agressée lors d'un entretien le 22 février 2019 et aurait suscité son intention de mettre fin à ses jours.

17. La simple circonstance que le président directeur général du CNRS n'a pas proposé une nouvelle fois à Mme A... de s'entretenir avec elle, à la suite de sa première proposition répondant au courrier de l'intéressée du 29 avril 2019, demeurée sans suite en raison de difficultés du service postal, n'est pas de nature à démontrer une inertie ou une négligence fautive de son employeur dans l'accomplissement de son obligation de prévention et de sécurité.

18. Enfin, s'il résulte des échanges de courriers des 23 juin et 1er juillet 2020 que Mme A..., qui souhaitait un reclassement conforme à son bilan de compétences et un changement d'environnement professionnel et de métier, a refusé le poste de chargé d'études en administration scientifique qui lui avait été proposé en mars 2020 à l'institut des sciences humaines et sociales à Paris, il ne s'en déduit pas que son affectation dans un laboratoire d'astrophysique de Marseille ne serait pas conforme à son grade, et ne lui offrirait pas un environnement de travail normal.

19. Par conséquent, Mme A... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité pour faute du CNRS pour obtenir l'indemnisation des préjudices patrimoniaux et personnels qu'elle estime avoir subis du fait de sa maladie imputable au service, alors même que, comme elle le soutient, elle n'a pas sollicité le bénéfice d'une allocation temporaire d'invalidité puis d'une rente viagère d'invalidité et qu'elle n'en remplirait pas les conditions.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires de Mme A... fondées sur la responsabilité sans faute du CNRS :

20. D'une part, ainsi qu'il a été dit aux points 6 à 8, l'ensemble des pièces médicales versées au dossier d'instance montre que le syndrome anxio-dépressif dont a souffert Mme A... est directement lié à ses conditions de travail à l'institut de chimie.

21. D'autre part, en l'absence de faute du CNRS, Mme A... ne peut prétendre à la réparation par le centre que de ses préjudices personnels et des préjudices patrimoniaux, causés par sa maladie, et non réparés forfaitairement par l'allocation temporaire d'invalidité et par la rente viagère d'invalidité, et bien que, ainsi qu'il a été dit au point 12, elle ne remplisse pas les conditions pour prétendre à l'octroi de tels avantages.

22. Néanmoins, alors que Mme A... sollicite l'indemnisation de préjudices temporaires et permanents, les rapports d'expertise psychiatrique, confrontés au rapport d'un expert psychiatre mandaté par l'intéressée et à l'avis rendu par le conseil médical le 23 novembre 2023 sur son admission à la retraite pour invalidité, ne permettent pas de déterminer la date de consolidation de sa maladie. L'instruction ne permet pas davantage d'évaluer le déficit fonctionnel temporaire et permanent dont Mme A... dit être affectée du fait de sa maladie. Il y a donc lieu, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de l'intéressée fondées sur la responsabilité sans faute du CNRS, d'ordonner une expertise aux fins d'examiner l'état de santé de Mme A..., de prendre connaissance de l'intégralité de son dossier médical, de déterminer la date de consolidation de la maladie anxio-dépressive qui lui a été diagnostiquée au plus tôt en novembre 2018 et au plus tard en janvier 2019, de déterminer le taux d'invalidité dont elle reste atteinte du fait de cette maladie, avant et après consolidation, et de fournir tous autres éléments utiles à la détermination, l'imputabilité à la maladie dépressive et à l'évaluation des préjudices résultant pour elle du déficit fonctionnel temporaire et permanent, des frais de santé exposés avant et après consolidation, du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément subi avant et après consolidation et des souffrances physiques et morales, avant et après consolidation.

DECIDE :

Article 1er : Les conclusions d'appel du CNRS dirigées contre le jugement n° 2009217, 2107567 du 23 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a annulé la décision du 28 septembre 2020 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de la maladie de Mme A... et lui enjoignant de prendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, une décision reconnaissant l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... à partir du 7 janvier 2019 sont rejetées.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions indemnitaires de Mme A... et les conclusions d'appel du CNRS dirigées contre le jugement du 23 juin 2023 le condamnant à verser à celle-ci la somme de 2 500 euros tous intérêts compris en réparation de son préjudice moral et de ses souffrances physiques et morales, procédé par un expert, de la spécialité " psychiatrie ", désigné par le président de la Cour, à une expertise en vue de préciser la date de consolidation de la maladie de l'intéressée, de déterminer le taux d'invalidité dont elle est atteinte de ce fait et de fournir tous éléments utiles pour permettre la détermination, l'imputabilité à la maladie dépressive et à l'évaluation des préjudices résultant pour elle du déficit fonctionnel temporaire et permanent, des frais de santé exposés avant et après consolidation, du préjudice esthétique et du préjudice d'agrément subi avant et après consolidation et des souffrances physiques et morales, avant et après consolidation.

Article 3 : Les conclusions et moyens sur lesquels le présent arrêt n'a pas statué sont réservés pour y être statué en fin d'instance.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au centre national de la recherche scientifique et à la mutuelle générale de l'éducation nationale.

Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 février 2025.

N°s 23MA02156, 23MA021952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02156
Date de la décision : 04/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Congés.

Responsabilité de la puissance publique - Problèmes d'imputabilité.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SELARL GAIA;SELARL GAIA;SELARL GAIA

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-04;23ma02156 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award