Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par trois requêtes, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler le titre exécutoire n° 2763 d'un montant de 36 000 euros émis le 26 décembre 2018 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), le titre exécutoire n° 1280 d'un montant de 404 178,65 euros émis le 3 septembre 2018 par l'ONIAM et le titre exécutoire n° 307 d'un montant de 784 987,80 euros émis le 18 février 2021par l'ONIAM, et de la décharger de l'obligation de payer les sommes correspondantes.
L'ONIAM, par des conclusions reconventionnelles, a demandé au tribunal de condamner la SHAM à lui verser les intérêts portés au taux légal sur ces sommes à compter du 7 janvier 2019 et du 11 mars 2021 et la capitalisation des intérêts, ainsi que les sommes de 66 026 euros et de 117 748,17 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Par un jugement n° 1905749, 1909298, 2104044 du 18 juillet 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les demandes de la SHAM et condamné cette dernière à payer la somme de 61 258,32 euros à l'ONIAM au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 19 septembre 2022, le 21 octobre 2022 et le 23 juin 2023, la société Relyens Mutual Insurance, représentée par la SARL Le Prado-Gilbert, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 18 juillet 2022 ;
2°) de faire droit à ses demandes de première instance ;
3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les titres exécutoires en litige méconnaissent l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration et c'est à tort que le tribunal a écarté l'application des dispositions de cet article ;
- les titres exécutoires en litige ne correspondent à aucune créance de l'ONIAM dès lors que la responsabilité du centre hospitalier du pays d'Aix n'est pas engagée dans le dommage qui a donné lieu à indemnisation par l'ONIAM, ou, subsidiairement, seulement au titre d'une perte de chance ;
- c'est à tort que le tribunal a validé l'indemnisation du préjudice d'agrément de la victime, dont la réalité n'est pas établie ;
- c'est à tort que le tribunal a condamné la SHAM au paiement de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
- les conclusions présentées par l'ONIAM tendant au remboursement des honoraires d'expert sont irrecevables ;
- les intérêts de retard ne sont pas dus avant la notification du jugement attaqué et, les conclusions tendant à leur paiement sont, en tout état de cause irrecevables.
Par des mémoires, enregistrés le 7 avril 2023, le 22 juin 2023 et le 24 juillet 2023, l'ONIAM, représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, agissant par Me Birot, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de condamner la société Relyens Mutual Insurance à lui payer les sommes de 404 178,65 euros, 36 000 euros et 784 987,80 euros en remboursement des indemnisations versées aux consorts D... en substitution de l'assureur ;
3°) de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a fait droit à sa demande de condamnation de l'assureur formulée à titre reconventionnel au paiement de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
4°) de réformer le jugement attaqué sur le montant de la pénalité allouée et de condamner la société Relyens Mutual Insurance à lui payer la somme de 183 774,97 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
5°) de réformer le jugement attaqué en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamnation au paiement des intérêts au taux légal avec capitalisation par période annuelle à compter de la réception des titres exécutoires ;
6°) de condamner la société Relyens Mutual Insurance au paiement des intérêts au taux légal sur la somme de 404 178,65 euros à compter du 11 septembre 2018, sur la somme de 36 000 euros à compter du 7 janvier 2019 et sur la somme de 784 987,80 euros à compter du 11 mars 2021, avec capitalisation des intérêts par période annuelle sur les sommes dues ;
7°) à titre reconventionnel, de condamner la société Relyens Mutual Insurance à lui payer la somme de 1 400 euros en remboursement des honoraires de l'expert ;
8°) de mettre à la charge de la société Relyens Mutual Insurance la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le centre hospitalier a engagé son entière responsabilité compte tenu de la prise en charge fautive de l'enfant lors de l'accouchement, à l'origine exclusive des infirmités dont la victime demeure atteinte ;
- une nouvelle expertise n'apparaît pas utile ;
- l'indemnisation du préjudice d'agrément n'est pas discutable ;
- l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ne s'applique pas et n'est, en tout état de cause, pas méconnu ;
- il est en droit de réclamer le paiement de la somme de 183 774,97 euros correspondant à 15 % de celle de 1 225 166,45 euros en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ;
- il est en droit de demander la condamnation de la société Relyens à lui payer les sommes correspondant aux titres exécutoires en litige si ces derniers étaient annulés pour un vice de forme ;
- la société Relyens doit être condamnée à lui payer la somme de 1 400 euros en remboursement des honoraires de l'expert, en application du dernier alinéa de l'article L. 1142-12 du code de la santé publique, ces conclusions étant par ailleurs recevables ;
- les intérêts de retard et leur capitalisation sont dus sur les sommes correspondant aux titre exécutoires contestés, ces conclusions étant par ailleurs recevables.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rigaud,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Goldnadel, représentant la société Relyens Mutual Insurance.
Considérant ce qui suit :
1. Le 8 mai 2004, Mme D... a été admise au centre hospitalier intercommunal du pays d'Aix, en vue de son accouchement. L'enfant est né le même jour à 11 heures en état de mort apparente, et s'il a pu être réanimé et survivre, il a souffert d'encéphalopathie anoxo-ischémique entraînant un handicap moteur, sensoriel, cognitif et psychique majeur, avec complications orthopédiques. M. et Mme D... ont déposé une demande d'indemnisation auprès de la Commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de la région Provence Alpes Côte d'Azur, qui a rendu des avis les 16 avril et 11 juin 2012 concluant que le centre hospitalier avait eu un comportement fautif et devait indemniser l'intégralité des préjudices résultant, pour l'enfant et ses parents, de la faute commise lors de l'accouchement de Mme D.... Par courrier du 24 août 2012, la SHAM, assureur du centre hospitalier, a indiqué à l'ONIAM refuser de faire une offre d'indemnisation aux consorts D.... L'ONIAM s'est alors substitué à l'assureur pour faire une proposition d'indemnisation aux consorts D..., qui l'ont acceptée, et qui a été formalisée par plusieurs protocoles transactionnels par lesquels l'ONIAM s'est engagé à verser la somme de 12 500 euros à chacun des parents, celle de 11 000 euros à l'enfant Côme D... au titre des souffrances endurées, celle provisionnelle de 404 178,65 euros au titre des divers préjudices liés aux conséquences de la faute sur son état de santé et enfin, après consolidation de l'état de Côme D..., celle de 784 987,80 euros, par protocole du 28 décembre 2020. Agissant en qualité de subrogé dans les droits des victimes, l'ONIAM a adressé un premier titre exécutoire n° 1280 à la SHAM, pour un montant de 404 178,65 euros, le 3 septembre 2018. Un deuxième titre exécutoire n° 2763 a été notifié à la SHAM, le 26 décembre 2018, pour un montant de 36 000 euros. Un troisième titre exécutoire n° 307 a été émis par l'ONIAM à l'encontre de la SHAM le 18 février 2021 pour un montant de 784 987,80 euros.
2. Par un jugement joint n° 1905749, 1909298, 2104044 du 18 juillet 2022, dont la société Relyens Mutual Insurance, venant aux droits de la SHAM, relève appel, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les demandes de la SHAM tendant à l'annulation de ces trois titres exécutoires et à la décharge de l'obligation de payer les sommes correspondantes. Le tribunal a également condamné la SHAM à payer la somme de 61 258,32 euros à l'ONIAM au titre de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Par un appel incident, l'ONIAM demande à la cour de réformer le jugement attaqué en condamnant la société Relyens Mutual Insurance à lui payer la somme de 183 774,97 euros au titre de la pénalité prévue par l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, celle de 1 400 euros en remboursement des frais d'expertise et les intérêts de retard et leur capitalisation sur les sommes mises à la charge de la SHAM par les titres exécutoires contestés.
Sur le bien-fondé du jugement du 18 juillet 2022 :
En ce qui concerne le cadre juridique du litige :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, (...), l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".
En ce qui concerne la régularité des titres exécutoires :
4. D'une part, aux termes de l'article L. 100-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Le présent code régit les relations entre le public et l'administration en l'absence de dispositions spéciales applicables. (...) ". Aux termes de l'article L. 100-3 du même code : " Au sens du présent code et sauf disposition contraire de celui-ci, on entend par : / 1o Administration : les administrations de l'État, les collectivités territoriales, leurs établissements publics administratifs et les organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés d'une mission de service public administratif, y compris les organismes de sécurité sociale ; / 2o Public ; / a) Toute personne physique ; / b) Toute personne morale de droit privé, à l'exception de celles qui sont chargées d'une mission de service public lorsqu'est en cause l'exercice de cette mission. ".
5. Si l'ONIAM fait valoir que la SHAM, devenue société Relyens Mutual Insurance, est liée au centre hospitalier intercommunal d'Aix par un contrat administratif, cette circonstance est sans incidence sur l'application des dispositions précitées à un titre exécutoire émis par un établissement public dans ses relations avec une personne morale de droit privé dont il n'est pas soutenu qu'elle serait chargée d'une mission de service public dont l'exercice serait en cause.
6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) / Toute décision prise par l'une des autorités mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ".
7. Il résulte de ces dispositions, d'une part, que les titres exécutoires émis par l'ONIAM, établissement public administratif de l'Etat, doivent être signés et comporter les prénom, nom et qualité de leur auteur et, d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier, en cas de contestation, que l'état revêtu de la formule exécutoire comporte la signature de l'émetteur. Lorsque le bordereau est signé non par l'ordonnateur lui-même mais par une personne ayant reçu de lui une délégation de compétence ou de signature, ce sont, dès lors, les nom, prénom et qualité de cette personne qui doivent être mentionnés sur le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.
8. En l'espèce, le titre exécutoire n° 1280 du 3 septembre 2018 adressé à la SHAM mentionne le nom de M. I... E..., directeur de l'ONIAM et n'est pas signé. Toutefois, le bordereau de titre de recettes produit par l'ONIAM est signé par M. E..., directeur de l'ONIAM. Le titre exécutoire n° 307 adressé à la SHAM mentionne le nom de M. B... G..., directeur des ressources, et comporte sa signature par délégation du directeur de l'ONIAM. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration doit, dès lors, être écarté, s'agissant de ces deux titres. En revanche, le titre exécutoire n° 2763 du 26 décembre 2018 adressé à la SHAM mentionne le nom de M. I... E..., directeur de l'ONIAM et n'est pas signé. Par ailleurs, le bordereau de titre de recettes produit par l'ONIAM comporte la signature de M. B... G..., directeur des ressources, qui doit être ainsi regardé comme étant l'auteur de l'acte au sens des dispositions précitées. Dès lors, ce dernier titre ne mentionnait pas l'identité réelle de son auteur, en méconnaissance des dispositions précitées. Il ressort par ailleurs de l'instruction que cette inexactitude a privé le destinataire de l'acte de la garantie prévue par les dispositions précitées, qui porte sur l'identification précise de l'auteur d'un acte, notamment pour les besoins de la vérification des règles de compétence. Par suite le titre exécutoire n° 2763 du 26 décembre 2018 est illégal sans que cette illégalité implique l'extinction de la créance correspondante. La société Relyens Mutual Insurance venant aux droits de la SHAM est donc seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande en tant qu'elle concerne le titre exécutoire n° 2763. Il y a donc lieu d'annuler le jugement en date du 18 juillet 2022 dans cette mesure et la décision en date du 26 décembre 2018.
En ce qui concerne le bien-fondé de la créance :
9. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) ".
10. Le rapport d'expertise réalisé en décembre 2005 par le Dr A..., désignée par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille du 28 avril 2005, conclut que les séquelles neurologiques de Côme D... " semblent à ce jour en relation avec une anoxo-ischémie périnatale " sans, pour autant, " que l'on puisse formellement la rattacher à une souffrance fœtale certaine lors du déroulement de l'accouchement ". Il précise toutefois, dans ses constats et analyses, d'une part que l'examen du rythme cardiaque fœtal in utero pendant le travail que de 9h à 9h25 révèle l'apparition de ralentissements " profonds et résiduels " avec une " bonne récupération entre les décélérations " dont il n'est pas possible d'apprécier la gravité et les conséquences en l'absence d'enregistrement monitoré pendant près d'une heure ensuite, d'autre part que l'analyse du rythme cardiaque fœtal à compter de la reprise, à 10h30, de l'enregistrement monitoré n'a pas permis la prise en charge adéquate à l'état de l'enfant à naître, et enfin que le bilan pédiatrique complet est " plutôt en faveur d'une origine anoxo-ischémique ". Le rapport de l'expertise réalisée en janvier 2012 par le Dr F..., diligentée par la CCI PACA, conclut notamment d'une part que la sage-femme a réalisé une mauvaise interprétation du rythme cardiaque fœtal tout au long de l'accouchement et n'a pas fait appel suffisamment tôt au gynécologue-obstétricien alors que l'enregistrement monitoré avant qu'il ne cesse de fonctionner le nécessitait et exigeait la réalisation d'une extraction en urgence par césarienne aux environs de 9h40 et d'autre part que l'acte médical à l'origine des graves séquelles de l'enfant est le défaut de réalisation de cette césarienne à partir de 9h40. Il affirme également, après une analyse documentée des mesures et examens réalisés pendant l'accouchement puis à 48 h de la naissance, que l'enfant est atteint d'une infirmité motrice d'origine cérébrale (IMOC) par asphyxie fœtale per partum. Il précise en outre dans ses constats et analyses que l'absence d'observation et d'analyse du rythme cardiaque fœtal pendant près d'une heure jusqu'à 10h30 n'a pas permis une prise en charge adéquate de l'enfant. Ces éléments divergents et l'ensemble des pièces versées au débat ne permettant pas à la cour de déterminer si la sage-femme présente avant et pendant l'accouchement et, de manière générale, les moyens mis en œuvre lors de la prise en charge de l'accouchement de Mme D... le 8 mai 2004 sont constitutifs de manquement fautifs à l'origine directe des dommages subis par l'enfant Côme D.... Il y a donc lieu d'ordonner avant dire droit une expertise aux fins précisées ci-après.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires et les conclusions tendant au versement des intérêts et de leur capitalisation :
11. Lorsqu'il cherche à recouvrer les sommes versées aux victimes en application de la transaction conclue avec ces dernières, l'ONIAM peut soit émettre un titre exécutoire à l'encontre de la personne responsable du dommage, de son assureur ou du fonds institué à l'article L. 426-1 du code des assurances, soit saisir la juridiction compétente d'une requête à cette fin. Toutefois, l'office n'est pas recevable à saisir le juge d'une requête tendant à la condamnation du débiteur au remboursement de l'indemnité versée à la victime lorsqu'il a, préalablement à cette saisine, émis un titre exécutoire en vue de recouvrer la somme en litige. Réciproquement, il ne peut légalement émettre un titre exécutoire en vue du recouvrement forcé de sa créance s'il a déjà saisi le juge ou s'il le saisit concomitamment à l'émission du titre.
12. Par suite, l'ONIAM ayant choisi en l'espèce d'émettre des titres exécutoires à l'encontre de la SHAM, il n'est pas recevable à demander au juge au cours d'un litige portant sur ces titres exécutoires par voie de conclusions reconventionnelles postérieurement à leur émission, et quand bien même ces derniers seraient annulés, la condamnation de la société Relyens Mutual Insurance à lui verser les sommes de 36 000 euros, 404 178,65 euros et 784 987,80 euros qu'il a versées aux consorts D.... Il en va de même s'agissant de ses conclusions tendant au versement des intérêts et de leur capitalisation sur ces sommes.
13. Il en résulte que les conclusions de l'ONIAM tendant à la condamnation de la société Relyens Mutual Insurance doivent être rejetées comme étant irrecevables.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement en date du 18 juillet 2022 en tant qu'il rejette les conclusions tendant à l'annulation du titre exécutoire n° 2763 du 26 décembre 2018 et le titre exécutoire n° 2763 du 26 décembre 2018 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de l'ONIAM tendant à la condamnation de la société Relyens Mutual Insurance à lui payer les sommes de 404 178,65 euros, 36 000 euros et 784 987,80 euros ainsi que les intérêts portant sur ces sommes et leur capitalisation sont rejetées.
Article 3 : Il sera, avant de statuer sur le surplus des conclusions de la requête de la société Relyens Mutual Insurance, procédé à une expertise confiée à un collège d'experts composé d'un gynécologue-obstétricien et d'un pédiatre spécialisé en néonatologie, désigné par le président de la cour, à une expertise au contradictoire de la société Relyens Mutual Insurance et de l'ONIAM, avec mission de :
1°) se faire communiquer et de prendre connaissance de toutes pièces et tous documents, notamment des expertises médicales réalisées par le Dr A... en 2005 et par le Dr F... en 2012, des notes rédigées par le Pr C... le 7 juin 2019 et le 9 janvier 2022, de la note rédigée par le Dr J... le 15 février 2007 et de la note rédigée par le Dr H... le 31 décembre 2021, relatifs aux examens, soins, traitements, administration de produits ou intervention de toutes sortes dont Mme D... et l'enfant Côme D... ont pu être l'objet au sein du système de santé, et notamment lors de leur prise en charge par le centre hospitalier intercommunal du Pays d'Aix à l'occasion de son accouchement le 8 mai 2004 ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ;
2°) préciser à la cour, au vu de la littérature médicale :
- si les examens, soins, traitements, administration de produits ou intervention de toutes sortes dont Mme D... et l'enfant Côme D... ont été dispensés selon les règles de l'art et/ou si des fautes médicales, de soin ou d'organisation du service ont été commises et, notamment :
* de préciser les obligations professionnelles qui s'imposaient à la sage-femme selon les bonnes pratiques applicables à la date de l'accouchement, dont celles relatives à la surveillance du rythme cardiaque fœtal de l'enfant in utero et les moyens matériels à sa disposition pour remplir ses missions ;
* d'expliquer s'il était possible pour la sage-femme d'effectuer une surveillance adaptée de la parturiente durant la période durant laquelle il n'y a pas eu de transcription sur papier de l'enregistrement du monitoring en l'absence de cette transcription ;
- dans le cas de fautes multiples, la part relative de chacune d'entre elles ;
- de rechercher si la souffrance fœtale préexistait à l'accouchement, et, le cas échéant, dire dans quelle mesure une ou plusieurs fautes éventuelles sont à l'origine de l'état de l'enfant à l'exclusion de toute pathologie antérieure ;
- dans quelle mesure, les éventuels manquements fautifs du centre hospitalier intercommunal du Pays d'Aix ont pu contribuer aux dommages subis par Côme D... et si ce dernier a perdu une chance d'échapper aux préjudices subis en lien direct avec la faute du centre hospitalier du Pays d'Aix ;
- chiffrer en pourcentage l'ampleur de la perte de chance.
Article 4 : Les experts accompliront leur mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Relyens Mutual Insurance, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Copie en sera adressée à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme C. Fedi, présidente de chambre,
- Mme L. Rigaud, présidente assesseure,
- M. J. Mahmouti, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2025.
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N° 22MA02494