Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler l'arrêté du 22 mai 2024 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours renouvelables, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans, et,
d'autre part, d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié ".
Par un jugement n° 2402707 du 11 juin 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 22 mai 2024 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2024 sous le n° 24MA01785, le préfet des Alpes-Maritimes demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2402707 du 11 juin 2024 du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler la demande de versement de la somme de 900 euros mise à sa charge par ce même jugement en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la gravité des faits et les actes judiciaires qui en découlent démontrent que M. A... présente un réel et persistant de trouble à l'ordre public au sens de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté est parfaitement motivé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2025, M. A..., représenté par Me Laïfa, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par le préfet ne sont pas fondés ;
- la décision préfectorale est entachée d'erreur de fait ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur de qualification juridique des faits ;
- elle méconnaît les articles 6 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par une décision du 25 octobre 2024, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. Martin.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 15 novembre 2000 et de nationalité sierraléonaise, a sollicité du préfet des Alpes-Maritimes la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ".
Par arrêté du 22 mai 2024, le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté cette demande de titre de séjour, a fait obligation à M. A... de quitter le territoire français sans délai, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours renouvelables, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de trois ans. Par jugement du 11 juin 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Nice a annulé cet arrêté et enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la situation de M. A... dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement. Il s'agit du jugement dont le préfet des Alpes-Maritimes relève appel dans la présente instance.
2. Aux termes de l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public ". Lorsque l'administration oppose à un ressortissant étranger un motif lié à la menace à l'ordre public pour refuser de faire droit à sa demande de titre de séjour, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision. La délivrance d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle ou d'une carte de résident peut, par une décision motivée, être refusée à tout étranger dont la présence en France constitue une menace pour l'ordre public.
3. Pour annuler l'arrêté en litige, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nice a relevé que la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise au vu du refus de séjour opposé à M. A..., et que ce refus de séjour était entaché d'une erreur de fait traduisant un défaut d'examen réel et sérieux de la situation de M. A... dès lors que, contrairement à ce que mentionne l'arrêté, la procédure pénale dont il a fait l'objet n'a pas été clôturée en juillet 2023 pour irresponsabilité pour trouble mental, et que son état de santé n'est par ailleurs pas incompatible avec l'exercice d'une activité professionnelle en France.
4. Si le préfet des Alpes-Maritimes ne conteste pas les erreurs de fait ainsi relevées à juste titre, l'arrêté attaqué était également fondé sur la circonstance que M. A... a été placé en détention provisoire le 7 octobre 2021 à la maison d'arrêt de Grasse pour des faits de viol commis sur une mineure de 15 ans et violences sur une personne vulnérable. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que M. A... a été placé en détention provisoire à la suite de l'ouverture d'une information judiciaire à son encontre pour avoir, par violence, contrainte, menace ou surprise, commis le 30 septembre 2021 un acte de pénétration sexuelle sur une mineure de plus de 15 ans ainsi que des violences n'ayant pas entrainé une incapacité de travail supérieure à huit jours, avec cette circonstance que les faits ont été commis sur une personne qu'il savait vulnérable en raison de son état physique ou mental, et qu'il a ensuite été remis en liberté et placé sous contrôle judiciaire, par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Nice du 26 septembre 2022. Si cette détention provisoire puis son placement sous contrôle judiciaire ne constituent pas une preuve de la culpabilité de M. A..., sa mise en examen n'a pu être prononcée, conformément à l'article 80-1 du code de procédure pénale, que parce qu'il existait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'il ait pu participer, comme auteur, à la commission des infractions dont était saisi le juge d'instruction. L'intéressé a d'ailleurs, pour ces mêmes faits, été mis en accusation devant la cour criminelle départementale des Alpes-Maritimes par ordonnance du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nice du 20 février 2024, laquelle relève, notamment, que la partie civile a dénoncé les faits de viol de façon précise et circonstanciée, que contrairement à M. A..., elle n'a jamais varié dans ses déclarations, lesquelles sont restées stables et crédibles, et qu'au regard de l'ensemble des éléments du dossier d'instruction, il existe des charges suffisantes pour renvoyer M. A... du chef de viol sur mineur de plus de 15 ans devant une juridiction de jugement.
5. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément permettant de douter de la vraisemblance des faits qui ont justifié la mise en détention provisoire de l'intéressé puis son placement sous contrôle judiciaire et enfin sa mise en accusation, le préfet pouvait se fonder sur ces circonstances, dont il se prévaut pour la première fois en appel, et qui révèlent qu'il a procédé à un examen global de la situation de M. A..., pour estimer que la présence de
celui-ci en France constituait une menace pour l'ordre public, et ce, sans remettre en cause la présomption d'innocence garanti par l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. En second lieu et au surplus, aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui exerce une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " d'une durée maximale d'un an. / La délivrance de cette carte de séjour est subordonnée à la détention préalable d'une autorisation de travail, dans les conditions prévues par les articles L. 5221-2 et suivants du code du travail. (...) ".
7. Il ressort de l'arrêté en litige que le refus de séjour opposé à M. A... était fondé sur un autre motif, tiré de ce qu'à la date de ce refus, l'intéressé ne justifiait plus être titulaire d'un contrat de travail, et ce en dépit de la circonstance qu'une précédente autorisation de travail lui avait été délivrée à compter du 1er mars 2023. Ce motif n'a pas été contesté par M. A..., qui a lui-même reconnu, en première instance, que son employeur a été contraint de suspendre la relation contractuelle, circonstance qui ne saurait être imputable à l'administration ni avoir d'incidence sur la légalité de la décision en litige dès lors que l'intéressé n'a pas justifié avoir saisi les services de l'Etat d'une demande de titre avant le 13 novembre 2023, soit plus de
huit mois après que l'autorisation de travail précitée lui a été délivrée. Et il résulte de l'instruction que le préfet aurait, en tout état de cause, pris la même décision en ne se fondant que sur ce seul motif, qui n'est pas illégal.
8. Par suite, le préfet est fondé à soutenir que c'est à tort que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nice a estimé que le refus de titre de séjour litigieux était entaché d'une erreur de fait traduisant un défaut d'examen réel et sérieux de la situation administrative de M. A..., justifiant l'annulation dans son ensemble de l'arrêté du 22 mai 2024.
9. Il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A... tant en première instance qu'en appel.
10. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que par arrêté n° 2023-947 du 6 novembre 2023, publié le même jour au recueil des actes administratifs spécial n° 270-2023 de la préfecture des Alpes-Maritimes, accessible tant aux parties qu'au juge sur le site internet de la préfecture, Mme C... B..., directrice de la réglementation de l'intégration et des migrations a reçu délégation de signature à l'effet de signer au nom du préfet des
Alpes-Maritimes les actes et documents relevant du domaine de compétence de la direction précitée, dont notamment les décisions portant refus de séjour, obligation de quitter le territoire français et assignation à résidence. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
11. En deuxième lieu, le refus de titre de séjour comporte un exposé suffisamment précis des considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement, de sorte que M. A... n'est pas fondé à soutenir que cette décision est insuffisamment motivée.
12. En troisième lieu, les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur de qualification juridique des faits soulevés par M. A... dans son mémoire enregistré le 3 janvier 2025 au greffe de la Cour doivent être écartés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 2 à 5 du présent arrêt.
13. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., célibataire et sans enfant, est entré sur le territoire français au cours de l'année 2017 à l'âge de 17 ans, et qu'après avoir été placé auprès de l'aide sociale à l'enfance, il s'est vu délivrer un titre de séjour portant la mention " étudiant ". Si M. A... se prévaut d'une relation conjugale avec une ressortissante française, relation qui aurait débuté le 28 septembre 2022 selon l'attestation de l'intéressée produite au dossier, il n'apporte aucun autre élément que ladite attestation permettant d'établir l'effectivité de relations privées et familiales durables et stables en France. S'il a certes suivi une formation en vente et obtenu un CAP en juillet 2020 et qu'il justifie avoir suivi la formation civique au titre du contrat d'intégration républicaine, de telles circonstances demeurent insuffisantes, compte tenu de ce qui a été précédemment exposé au point 4, pour établir que la décision contestée aurait porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. A... une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation sur la situation du requérant doivent être écartés.
15. En cinquième lieu, les moyens dirigés contre la décision de refus de titre de séjour ayant été écartés, l'exception d'illégalité de cette décision, invoquée par M. A... à l'appui de ses conclusions dirigées contre l'obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écartée.
16. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ".
17. Compte tenu, notamment, de ce qui a été dit aux points 4 et 14, en particulier au regard de la gravité des faits pour lesquels il est mis en cause, et en l'absence de circonstances humanitaires, les éléments de sa vie privée et familiale dont fait état M. A... ne suffisent pas pour considérer que la durée de trois ans de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée à son encontre serait entachée d'une erreur d'appréciation. Pour les mêmes motifs, l'interdiction de retour sur le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
18. En septième lieu, l'arrêté attaqué prévoit que M. A..., qui présente des garanties de représentation suffisantes et effectives, est assigné à résidence dans la commune de Cannes, chez sa concubine déclarée, et qu'il doit se présenter une fois par semaine, tous les mardis entre 9 heures et 12 heures, au commissariat de police de Cannes. Une telle décision, qui est motivée tant en droit qu'en fait, ne peut, ni dans son principe ni dans ses modalités, être regardée comme disproportionnée par rapport au but poursuivi.
19. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Alpes-Maritimes est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté du 22 mai 2024. Par suite, ce jugement doit être annulé, et la demande de première instance de M. A... doit être rejetée, en ce compris les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, les conclusions d'appel présentées par l'intéressé en application de ces mêmes dispositions et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2402707 du 11 juin 2024 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : La demande de première instance de M. A... est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel de M. A... présentées sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., à Me Laïfa et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président-assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 21 janvier 2025.
N° 24MA01785 2