Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 9 décembre 2020 par laquelle la commission de recours de l'invalidité a rejeté son recours administratif préalable obligatoire formé contre la décision du 20 juillet 2020 rejetant sa demande de révision de sa pension militaire d'invalidité.
Par un jugement n° 2003606 du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 juillet et 24 novembre 2023 et le 29 août 2024, M. A... demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 27 juin 2023 ;
2°) de faire droit à sa demande de révision de pension militaire d'invalidité.
Il soutient que :
- le tribunal n'a tenu compte que de l'argumentation du ministre, et non de la sienne qui n'apparaît pas dans son jugement, non plus des éléments des registres des constatations et des éléments médicaux qu'il avait produits ;
- la décision en litige méconnaît les dispositions de l'article R. 151-10 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, faute d'avoir convoqué le militaire devant le médecin expert, alors qu'elle se fonde sur une expertise sommaire ;
- il y a lieu de tenir compte des conclusions du médecin expert otorhinolaryngologiste, désigné par ses soins, qui a estimé que l'aggravation constante de sa surdité et la persistance des acouphènes ouvraient droit à pension, même s'il ne revenait pas à cet expert reconnu dans sa discipline de fixer un taux d'invalidité ;
- les avis et expertises établis en 1998 et en 2010 sont incomplets et insuffisants en ce qui concerne les acouphènes ;
- l'ensemble des conclusions médicales recueillies établissent que l'atteinte des fréquences de 4000 Hz à 6000 Hz est symptomatique du traumatisme sonore aigu dont il a été victime en 1989, alors qu'il ne présentait aucun état pathologique antérieur ;
- le motif de refus, lié au caractère nécessairement régressif des hypoacousies
sono-traumatiques, ne repose sur aucun fondement médical ou juridique, alors que le vieillissement n'exclut pas l'imputabilité de l'infirmité qu'il aggrave et qu'il n'a plus été soumis à des nuisances sonores intenses depuis son départ à la retraite en juillet 1999 ;
- cette décision de refus se fonde uniquement sur le rapport du médecin expert qui ne tient compte que d'un rapport d'expertise du 5 mai 2010, et non de l'aggravation de sa surdité ni de la persistance des acouphènes ;
- contrairement à ce qu'affirme l'administration, le rapport circonstancié mentionne à la fois un assourdissement et un sifflement continu des oreilles du militaire ;
- ses infirmités l'ont contraint à se faire appareiller à ses frais avec des prothèses auditives.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 août 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 22 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 août 2024, puis a été reportée au 2 septembre 2024 à 12 heures par une ordonnance du 21 août 2024, et enfin a été reportée au 25 septembre 2024 à 12 heures par une ordonnance du
2 septembre 2024.
Par une lettre du 24 décembre 2024, la Cour a informé les parties, sur le fondement de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, qu'elle était susceptible de fonder son arrêt sur le moyen, relevé d'office, tiré de ce qu'une annulation de la décision en litige pour vice de procédure impliquerait le prononcé d'office d'une injonction de réexamen de la demande de M. A..., après examen par le médecin expert, dans un délai de deux mois.
Le 3 janvier 2025, le ministre des armées a produit des observations en réponse à l'information de la Cour, indiquant que le délai dans lequel une injonction de réexamen devrait être exécutée ne pourrait être inférieur ou égal à deux mois.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., capitaine de l'armée de terre, rayé des contrôles le 19 juillet 1999, est titulaire d'une pension militaire d'invalidité au taux de 55 %, au titre de six infirmités.
Le 12 juillet 2018, il a demandé la révision de cette pension pour tenir compte de deux infirmités nouvelles, des " hypoacousies bilatérales " d'une part, et des " acouphènes " d'autre part, qu'il impute à un accident survenu en service le 25 avril 1989. Par une décision du 20 juillet 2020, le ministre des armées a rejeté sa demande. Par une décision du 9 décembre 2020, la commission du recours de l'invalidité a rejeté le recours de M. A... contre la décision de refus du ministre des armées, au motif, d'une part, que ses précédentes demandes de pension relatives à ces infirmités avaient été rejetées par des décisions des 18 mai 1998 et 28 septembre 2010, devenues définitives, d'autre part, que les séquelles d'un traumatisme sonore ne sont pas susceptibles d'évoluer défavorablement après une période de six à douze mois, et enfin que le taux d'invalidité susceptible d'être attribué au titre des hypoacousies est trop faible et que les acouphènes n'avaient pas été décelées lors de la visite de fin du service du militaire. Par un jugement du 27 juin 2023, dont M. A... relève appel, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande qu'il a regardée comme tendant à l'annulation de la décision de rejet de son recours préalable devant la commission de recours d'invalidité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 151-9 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction applicable au litige : " Les expertises auxquelles sont soumis les militaires en vue de l'obtention d'une pension d'invalidité sont effectuées par un médecin mandaté par le service désigné par le ministre chargé des anciens combattants et victimes de guerre./ Ce médecin, qualifié médecin expert, est choisi soit parmi les médecins militaires, soit parmi les médecins civils spécialement agréés à cet effet. (...) ". L'article R. 151-10 du même code dispose que : " Préalablement à l'examen de l'intéressé, le médecin expert est mis en possession des pièces de l'instruction nécessaires à cet examen. Il établit un rapport qui est revêtu de sa signature. / L'intéressé a la faculté de produire tout certificat médical ou document ayant trait à la pathologie à examiner, et dont il peut demander l'annexion au dossier. Il peut également, à chacune des expertises auxquelles il est procédé, se faire assister par un médecin à ses frais.
Ce médecin présente, s'il le juge utile, des observations écrites, qui sont jointes au rapport de l'expert ". En vertu de l'article R. 151-5-1 du le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, issu du décret n° 2024-1119 du 4 décembre 2024 autorisant l'expertise médicale sur pièces dans le cadre d'une demande de pension d'invalidité servie au titre du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, au vu de la nature de l'infirmité et des pièces détenues, le chef du service des pensions peut décider, sur avis du médecin responsable des expertises médicales, que l'expertise médicale sera réalisée sur pièces.
3. Il résulte des dispositions des articles R. 151-9 et R. 151-10 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans leur version applicable au litige, que la visite médicale à laquelle est soumis le candidat à pension ou à révision de pension, à l'occasion de l'examen de sa demande, consiste, à la date de la décision en litige, en un examen de l'intéressé par un médecin expert mandaté par le service des pensions, qui, à partir de cet examen médical et de l'étude de l'ensemble des pièces du dossier de l'intéressé, lequel peut lui communiquer tout certificat médical ou document relatif à sa pathologie, établit un rapport d'expertise. Le ministre des armées statue sur la demande de pension de l'intéressé au vu de ce rapport. Compte tenu de l'importance de cette expertise médicale dans l'instruction de la demande de pension du militaire, cette formalité constitue pour lui une garantie, dont la privation du bénéfice effectif, qui n'est pas un vice seulement propre à la décision de refus du ministre des armées, entache d'illégalité la décision prise par la commission de recours de l'invalidité sur le recours de l'intéressé contre la décision du ministre sur sa demande.
4. Il résulte de l'instruction, et il est d'ailleurs constant, que malgré ses demandes du 18 juin 2019 et du 11 février 2020, et les réponses d'attente qui y ont été données par le service des pensions, indiquant que sa demande de pension était en cours d'instruction et qu'un courrier lui serait adressé pour l'inviter à prendre rendez-vous avec un médecin expert, M. A... n'a pas été examiné par le médecin expert au cours d'une visite ayant précédé l'établissement de son rapport du 23 juin 2020. Il ne résulte d'aucun des éléments de l'instruction qu'au cours de la procédure d'instruction de sa demande, M. A... aurait été examiné par un autre médecin désigné par l'administration des pensions. La circonstance que, avant l'édiction des décisions du 18 mai 1998 et du 28 septembre 2010 rejetant ses précédentes demandes de pension relatives aux hypoacousies et aux acouphènes, il a été reçu en visite médicale par le médecin conseil du service des pensions ne saurait, compte tenu de son ancienneté, être regardée comme lui ayant permis de bénéficier de mesures d'effet équivalent à la visite prévue pour les besoins de sa nouvelle demande. Il en va de même de la circonstance, qui n'a d'incidence que sur le sens de la décision en litige, que compte tenu des motifs de cette décision, liés à la seule imputabilité des infirmités en cause, et identiques à ceux de l'avis du médecin expert du 23 juin 2020, l'examen médical du demandeur n'était pas utile, aucune des dispositions législatives et réglementaires applicables à l'instruction de la demande de pension de M. A... ne permettant à ce médecin de mener son expertise seulement sur pièces. Il suit de là que M. A... a été privé du bénéfice effectif de la garantie que constitue l'examen par le médecin expert. Un tel vice, qui n'est pas seulement propre à la décision de refus du ministre des armées mais qui entache la régularité de la décision prise par la commission du recours de l'invalidité sur le recours préalable de M. A... contre ce refus, est de nature à en justifier l'annulation.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que par ce jugement, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours d'invalidité du 9 décembre 2020 et qu'il y a lieu, pour le motif énoncé au point précédent, d'annuler ce jugement et cette décision, aucun des autres moyens de la requête n'étant mieux à même de régler le litige.
Sur le prononcé d'office d'une injonction :
6. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé./ La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision.".
7. Le présent arrêt implique nécessairement, en application des dispositions de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, ainsi que la Cour en a informé les parties, non pas qu'il soit fait droit à la demande de pension de M. A..., mais que le ministre des armées instruise de nouveau cette demande, en faisant procéder à son examen par le médecin expert, sauf mise en œuvre des dispositions de l'article R. 151-5-1 du code des pensions militaires et d'invalidité et des victimes de guerre, et qu'il prenne une nouvelle décision sur cette demande. Il y a donc lieu d'enjoindre au ministre des armées de procéder dans ces conditions au réexamen de la demande de pension de M. A... et de prendre une nouvelle décision, dans un délai qu'il y a lieu en l'espèce de fixer à trois mois suivant la notification du présent arrêt.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2003606 rendu le 27 juin 2023 par le tribunal administratif de Toulon, et la décision du 9 décembre 2020 par laquelle la commission du recours de l'invalidité a rejeté le recours de M. A... contre la décision du ministre des armées du 20 juillet 2020 rejetant sa demande de pension sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de procéder à un nouvel examen de la demande de pension de M. A..., dans les conditions énoncées aux points 4 et 7 du présent arrêt, et de prendre sur cette demande une nouvelle décision, dans un délai de trois mois suivant la notification de cet arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 7 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 janvier 2025.
N° 23MA018012