Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 12 juillet 2022, par lequel le ministre de l'éducation nationale lui a infligé la sanction de révocation.
Par un jugement n° 2201104 du 15 février 2024, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 avril, 15 mai et 13 décembre 2024, M. A..., représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé et entaché d'une erreur d'appréciation ;
- la motivation de l'arrêté en litige est insuffisamment motivée ;
- l'arrêté est intervenu à l'issue d'une procédure irrégulière ;
- le ministre a méconnu le principe non bis in idem dès lors qu'antérieurement à sa révocation, M. A... avait déjà été sanctionné, de façon déguisée, à plusieurs reprises ;
- c'est à tort que ses propos et agissements à l'égard de certains enseignants et de ses supérieurs hiérarchiques ont été regardés comme des manquements à ses devoirs de dignité, de réserve, de respect, de loyauté et d'obéissance hiérarchique ;
- la sanction prononcée présente un caractère disproportionné.
Une mise en demeure du 24 octobre 2024 a été adressée à la ministre de l'éducation nationale.
Un courrier du 26 novembre 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2024, la ministre de l'éducation nationale conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 20 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution du 4 octobre 1958 ;
- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
- le code général de la fonction publique ;
- le code pénal ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;
- le décret du 30 juin 2021 portant nomination du directeur de l'encadrement, secrétaire général adjoint des ministères de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Laffargue pour M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 20 avril 1968, inspecteur de l'éducation nationale, a été condamné le 16 février 2021 par le tribunal correctionnel de Bastia à six mois d'emprisonnement avec sursis, une peine d'inéligibilité d'une durée de deux ans, une amende de 1 000 euros, et à payer à la victime la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral et 1 000 euros de dommages et intérêts pour des faits de harcèlement moral, propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail pouvant attenter aux droits, à la dignité, à la santé ou l'avenir professionnel d'autrui. Par un arrêté du 12 juillet 2022, le ministre de l'éducation nationale a prononcé sa révocation. M. A... a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande. M. A... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et tenant notamment à la régularité du jugement :
2. En vertu de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa version applicable à l'espèce, les sanctions disciplinaires susceptibles d'être infligées aux fonctionnaires de l'Etat sont réparties en quatre groupes. Relèvent du premier groupe les sanctions de l'avertissement, du blâme et d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de trois jours, du deuxième groupe celles de la radiation du tableau d'avancement, de l'abaissement d'échelon, de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de quatre à quinze jours et du déplacement d'office, du troisième groupe celles de la rétrogradation et de l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans et, enfin, du quatrième groupe celles de la mise à la retraite d'office et de la révocation.
3. Aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité. (...) Le fonctionnaire traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité. (...) ".
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
5. Pour justifier le prononcé à l'encontre de M. A... de la sanction disciplinaire de révocation, le ministre de l'éducation nationale s'est fondé sur les circonstances qu'il a été reconnu coupable par le juge judiciaire de faits qualifiés de harcèlement moral, qu'il a manqué à son devoir d'exemplarité eu égard à ses fonctions d'encadrement et à sa qualité de supérieur hiérarchique direct de la victime, et qu'il a manqué à ses devoirs de respect, de réserve, de loyauté et d'obéissance hiérarchique envers le directeur académique de la Haute-Corse et la rectrice de l'académie de Corse ainsi que sur l'atteinte que cette affaire a portée à la considération du corps des inspecteurs de l'éducation nationale et à l'image de l'institution en raison notamment de la publicité qui en a été faite dans la presse régionale et nationale.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir été éconduit par une enseignante avec laquelle il a entretenu une relation amoureuse et qui était affectée dans le ressort de la circonscription où il était investi des fonctions d'inspecteur d'académie, M. A... a adressé à cette dernière de nombreux messages insultants, menaçants, haineux ou consistant en des menaces de suicide, en utilisant différentes voies de communication, notamment des réseaux sociaux au cours des mois de septembre et octobre 2019. Ces faits ont donné lieu au dépôt de plusieurs plaintes, le 30 septembre 2019, le 14 octobre 2019 et le 23 décembre 2019 après que la plaignante a constaté que M. A... la suivait, la photographiait et lui envoyait les photographies afin de lui indiquer qu'il savait où elle se trouvait, y compris le soir lorsqu'elle était chez elle. M. A... l'a en outre dénigrée et insultée auprès d'une autre enseignante et de la directrice de l'établissement où elle était affectée en leur adressant plusieurs messages et appels téléphoniques par jour. Par ailleurs, l'appelant a employé un ton menaçant à l'endroit du directeur académique de la Haute-Corse lors d'un échange téléphonique qui a fait l'objet d'une note du 11 avril 2020 adressée par ce supérieur à la rectrice de l'académie. Par jugement du 16 février 2021, devenu définitif du fait du désistement de son appel par M. A..., le tribunal correctionnel de Bastia l'a reconnu coupable de l'infraction de harcèlement moral ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail de la victime, faits prévus par l'article L. 222-33-2 du code pénal. L'intéressé a été condamné à six mois d'emprisonnement assortis d'un sursis de deux ans avec obligation de réparer les dommages causés par l'infraction et interdiction d'entrer en contact avec la victime ainsi qu'au paiement d'une amende de 1 000 euros et à une peine d'inéligibilité de deux ans, le tribunal ayant rejeté la demande d'exclusion de la condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire. M. A... a été condamné à verser à la victime une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral et 1 000 euros de dommages et intérêts. Par ailleurs, alors que cette procédure pénale avait fait l'objet d'une couverture importante par les médias, y compris par la presse nationale, M. A... a ouvertement remis en cause, par l'intermédiaire de son conseil, le choix opéré par la rectrice d'académie de Corse d'apporter des précisions au sujet de cet évènement par voie de communiqué de presse. Enfin, à l'unanimité de ses membres la commission administrative paritaire nationale compétente a, dans son avis du 29 juin 2022, estimé que ces faits étaient fautifs et méritaient une " sanction sur le principe ". Dans ces conditions, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que la sanction prise à son encontre reposerait sur des faits matériellement inexacts.
7. En revanche, les faits en cause qui ont donné lieu à la condamnation pénale ne peuvent être regardés comme révélant un comportement général et durable de M. A... mais sont liés à un épisode ponctuel, alors que ce dernier soutient sans être contredit avoir connu un passage dépressif sévère, et a d'ailleurs, pour y faire face, été suivi médicalement et psychologiquement. En outre, l'intéressé n'avait jamais été sanctionné jusque-là. De plus, le juge pénal n'a prononcé aucune interdiction d'exercer ses fonctions. Enfin, aucune sanction figurant dans l'échelle des sanctions disciplinaires n'a recueilli la majorité des suffrages de la commission administrative paritaire nationale compétente. Aussi, la sanction de la révocation, qui est la plus sévère des sanctions susceptibles d'être infligées en application de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 mentionné au point 2, est, dans les circonstances de l'espèce, hors de proportion au regard des fautes reprochées.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a rejeté sa demande d'annulation de la sanction infligée par arrêté du 12 juillet 2022 du ministre de l'éducation nationale.
Sur les frais liés au litige :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'arrêté du 12 juillet 2022 du ministre de l'éducation nationale et le jugement n° 2201104 du 15 février 2024 du tribunal administratif de Bastia sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et à la ministre d'Etat, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Délibéré après l'audience du 6 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 janvier 2025.
N° 24MA00883 2