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31/12/2024 | FRANCE | N°23MA01436

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 31 décembre 2024, 23MA01436


Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. Sous le n° 2104141, la commune d'Eyguières a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 22 décembre 2020 prononçant sa carence, pour la période triennale 2017-2019, au titre de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, d'autre part, de fixer, le cas échéant, au titre de cette même période, le montant de la pénalité

devant lui être infligée et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

I. Sous le n° 2104141, la commune d'Eyguières a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 22 décembre 2020 prononçant sa carence, pour la période triennale 2017-2019, au titre de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, d'autre part, de fixer, le cas échéant, au titre de cette même période, le montant de la pénalité devant lui être infligée et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Sous le n° 2104143, la commune d'Eyguières a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 26 février 2021 fixant le montant du prélèvement prévu à l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, au titre de l'année 2021, à 420 196,40 euros, dont 273 041,35 euros de majoration résultant de son arrêté susmentionné du 22 décembre 2020, d'autre part, de fixer, le cas échéant, en le révisant à la baisse, le montant de la pénalité susceptible de lui être infligée pour sa carence constatée au titre de la période triennale 2017-2019, et de réformer la majoration du taux de prélèvement, et, enfin, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

III. Sous le n° 2104200, la commune d'Eyguières a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, d'annuler cet arrêté préfectoral du 22 décembre 2020, ensemble cette décision implicite portant rejet de son recours gracieux, et de prononcer la décharge des sommes éventuelles appelées au titre de la majoration prononcée à son encontre, à titre subsidiaire, de prononcer la réfaction du taux de majoration et, en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Après avoir procédé à la jonction de ces trois demandes, le tribunal administratif de Marseille les a rejetées par un jugement nos 2104141, 2104143, 2104200 du 6 avril 2023.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 8 juin 2023, la commune d'Eyguières, représentée par Me Gonand, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 avril 2023 ;

2°) d'annuler ces deux arrêtés préfectoraux des 22 décembre 2020 et 26 février 2021 ;

3°) de prononcer la décharge des sommes éventuellement appelées au titre de la majoration prononcée à son encontre ou, à défaut, la réfaction du taux de majoration retenu par le préfet des Bouches-du-Rhône ;

4°) en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur l'irrégularité du jugement attaqué :

- le tribunal administratif de Marseille s'étant borné à considérer qu'il n'appartenait pas au préfet des Bouches-du-Rhône de communiquer l'avis rendu par le comité régional de l'habitat et de l'hébergement, sans évoquer la " problématique " de la composition de ce comité, une omission de statuer semble pouvoir être caractérisée ;

- en visant un avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement en date du 10 juillet 2020, le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de fait ;

- en relevant que la commission nationale de l'habitat et de l'hébergement n'avait pas rendu d'avis sur la situation, le tribunal a commis une nouvelle erreur de fait ;

- en faisant grief à son maire de ne pas avoir saisi la commission nationale de l'habitat et de l'hébergement alors qu'il s'agit d'une compétence réservée par la loi à une instance spécifique, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- alors que la commission nationale de l'habitat et de l'hébergement a rendu un avis antérieur à celui du comité régional de l'habitat et de l'hébergement, l'inversion de la chronologie procédurale applicable révèle l'existence d'un vice de procédure qui l'a privée d'une garantie ;

- en considérant qu'aucun grief ne saurait résulter du défaut de communication à son égard des avis rendus par le comité régional de l'habitat et de l'hébergement, et par la commission nationale de l'habitat et de l'hébergement alors qu'il ressort des dispositions des articles

L. 309-1-1 et R. 302-26 du code de la construction et de l'habitation que ces avis sont notifiés au maire, le tribunal a commis une erreur de droit.

Sur la réformation du jugement attaqué :

- elle entend se prévaloir de l'entier bénéfice de ses écritures de première instance ;

- sur l'annulation de la décision en litige en tant qu'elle porte constat de carence :

. si ses précédents développements révèlent que le tribunal administratif de Marseille a pu, à tort, considérer que la procédure de constat de carence s'était déroulée dans des conditions conformes aux dispositions légales et règlementaires en vigueur, le jugement attaqué apparaît tout aussi critiquable en ce qui concerne l'analyse du bien-fondé de l'arrêté de carence ;

. la décision en litige a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article

L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation ;

. elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation résultant du caractère inatteignable des objectifs assignés en l'état des dispositions de l'article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales ; en première instance, elle soutenait que sa compétence en matière de politique locale de l'habitat, et donc de logement social, avait été transférée, de plein droit, à la métropole Aix-Marseille-Provence et que, ce faisant, elle ne pouvait être tenue pour responsable de la carence relevée par le représentant de l'Etat ; or, le jugement attaqué ne statue pas sur ce moyen ;

- sur l'annulation de la décision en litige en tant qu'elle porte majoration du prélèvement prévu à l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation fixé à hauteur de 400 % :

. contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Marseille, l'application d'un taux majoré de 400 % est disproportionnée et l'arrêté préfectoral litigieux n'a pas été édicté dans le respect du mécanisme d'analyse fixé par les dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation ;

. la Cour devra la décharger des sommes appelées au titre de la majoration prononcée à son encontre ou, à tout le moins, prononcer une réfaction du taux de majoration ;

. en fixant à son niveau quasiment maximal le taux de majoration du prélèvement prévu à l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, le préfet des Bouches-du-Rhône a, par son arrêté du 22 décembre 2020, méconnu " l'ambition " du législateur qui s'oriente vers un allègement des contraintes reposant sur les communes en matière de logement social.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens de cette requête ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 5 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 avril 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lombart,

- et les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté en date du 22 décembre 2020, le préfet des Bouches-du-Rhône a, d'une part, et en application des dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, prononcé la carence de la commune d'Eyguières, au regard des objectifs quantitatif et qualitatifs de production de logements sociaux qui lui avaient été fixés, au titre de la période triennale 2017-2019, et, d'autre part, fixé à 400 % le taux de majoration du prélèvement prévu à l'article L. 302-7 du même code. Puis, par un arrêté du 26 février 2021, le représentant de l'Etat a fixé le montant de ce prélèvement à la somme de 420 196,40 euros, dont 273 041,35 euros de majoration résultant de son arrêté de carence du 22 décembre 2020. La commune d'Eyguières relève appel du jugement du 6 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de cet arrêté du 22 décembre 2020, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, et de cet arrêté du 26 février 2021, et à ce qu'elle soit déchargée totalement ou partiellement du paiement de cette somme de 420 196,40 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, il n'appartient pas au juge d'appel d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, la commune d'Eyguières ne peut utilement soutenir, pour contester la régularité du jugement attaqué, que celui-ci serait entaché d'erreurs de droit ou de fait.

3. D'autre part, si la commune d'Eyguières fait grief au tribunal administratif de Marseille de ne pas avoir " évoqu[é] la problématique " de la composition du comité régional de l'habitat et de l'hébergement, il ressort de ses écritures de première instance que cette commune se bornait alors à soutenir qu'en l'absence de communication de l'avis de ce comité régional, elle n'avait pas été mise à même de s'assurer que sa consultation s'était déroulée dans les formes et selon les modalités prescrites par le code de la construction et de l'habitation. Cette seule argumentation, qui n'était étayée par aucun autre élément et qui, au demeurant, n'a pas été complétée suite à la communication de cet avis au cours de l'instruction, n'était pas suffisamment précise pour constituer un moyen auquel les premiers juges devaient répondre à peine d'irrégularité de leur jugement.

4. Enfin, il ressort des pièces de la procédure devant le tribunal administratif de Marseille qu'à l'appui de sa demande de première instance enregistrée sous le n° 2104200, la commune d'Eyguières soutenait, dans ses développements consacrés à " l'erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet en prononçant la carence de la commune d'Eyguières ", que, dès lors qu'en application des dispositions de l'article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, la compétence en matière de politique locale de l'habitat avait été transférée de plein droit à la métropole Aix-Marseille-Provence, elle ne pouvait pas mettre en œuvre les objectifs triennaux qui lui avaient été fixés. Devant la Cour, la commune d'Eyguières soutient que les premiers juges ne se sont pas prononcés sur ce moyen. Toutefois, il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que l'attribution de plein droit à la métropole de cette compétence en matière de politique locale de l'habitat, en lieu et place de ses communes membres, dont la commune d'Eyguières, aurait eu pour effet de transférer à cet établissement public de coopération intercommunale les obligations de construction de logements sociaux imposées à ces communes. Dès lors, l'appelante ne peut utilement soutenir qu'elle ne pouvait pas être tenue pour responsable de la carence relevée par l'Etat et que seule la métropole Aix-Marseille-Provence devait répondre du non-respect des objectifs triennaux qui lui avaient fixés. A supposer qu'une telle argumentation soit constitutive d'un moyen autonome par rapport à celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, les premiers juges, qui l'ont analysée dans les visas de leur jugement, l'ont ainsi et à bon droit, implicitement écartée comme inopérante. Ce faisant, ils n'ont pas entaché leur décision d'une irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

5. Aux termes de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les dispositions de la présente section s'appliquent aux communes dont la population est au moins égale à 1 500 habitants en Ile-de-France et 3 500 habitants dans les autres régions qui sont comprises, au sens du recensement de la population, dans une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants, et dans lesquelles le nombre total de logements locatifs sociaux représente, au 1er janvier de l'année précédente, moins de 25 % des résidences principales. (...) ". Aux termes de l'article L. 302-7 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " A compter du 1er janvier 2002, il est effectué chaque année un prélèvement sur les ressources fiscales des communes visées à l'article L. 302-5 (...) ".

6. Dans sa rédaction applicable à la période triennale 2017-2019 en litige, le I de l'article L. 302-8 du même code prévoit que, pour atteindre, dans les communes d'Ile-de-France de plus de 1 500 habitants, un nombre de logements locatifs sociaux au moins égal à 25 % du nombre de résidences principales, au plus tard à la fin de l'année 2025, " le conseil municipal définit un objectif de réalisation de logements locatifs sociaux par période triennale " et le II du même article indique que " l'objectif de réalisation de logements locatifs sociaux défini au I précise la typologie des logements à financer (...) ".

7. Enfin, aux termes de l'article L. 302-9-1 du même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque, dans les communes soumises aux obligations définies aux I et II de l'article L. 302-5, au terme de la période triennale échue, le nombre de logements locatifs sociaux à réaliser en application du I de l'article L. 302-8 n'a pas été atteint ou lorsque la typologie de financement définie au III du même article L. 302-8 n'a pas été respectée, le représentant de l'Etat dans le département informe le maire de la commune de son intention d'engager la procédure de constat de carence. Il lui précise les faits qui motivent l'engagement de la procédure et l'invite à présenter ses observations dans un délai au plus de deux mois. / En tenant compte de l'importance de l'écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale échue, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut, par un arrêté motivé pris après avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et, le cas échéant, après avis de la commission mentionnée aux II et III de l'article L. 302-9-1-1, prononcer la carence de la commune. Cet arrêté prévoit, pendant toute sa durée d'application, le transfert à l'Etat des droits de réservation mentionnés à l'article L. 441-1, dont dispose la commune sur des logements sociaux existants ou à livrer, et la suspension ou modification des conventions de réservation passées par elle avec les bailleurs gestionnaires, ainsi que l'obligation pour la commune de communiquer au représentant de l'Etat dans le département la liste des bailleurs et des logements concernés.

Cet arrêté peut aussi prévoir les secteurs dans lesquels le représentant de l'Etat dans le département est compétent pour délivrer les autorisations d'utilisation et d'occupation du sol pour des catégories de constructions ou d'aménagements à usage de logements listées dans l'arrêté. Par le même arrêté et en fonction des mêmes critères, il fixe, pour une durée maximale de trois ans à compter du 1er janvier de l'année suivant sa signature, la majoration du prélèvement défini à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut être supérieur à cinq fois le prélèvement mentionné à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune figurant dans le compte administratif établi au titre du pénultième exercice. Ce plafond est porté à 7,5 % pour les communes dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur ou égal à 150 % du potentiel fiscal médian par habitant sur l'ensemble des communes soumises au prélèvement défini à l'article L. 302-7 au 1er janvier de l'année précédente. / Les dépenses déductibles mentionnées au quatrième alinéa de l'article L. 302-7 qui n'ont pas été déduites du prélèvement viennent en déduction de la majoration du prélèvement. / La majoration du prélèvement est versée au fonds national mentionné à l'article L. 435-1. / L'arrêté du représentant de l'Etat dans le département peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction. (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une commune n'a pas respecté son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, il appartient au préfet, après avoir recueilli ses observations et les avis prévus au I de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, d'apprécier si, compte tenu de l'écart existant entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, il y a lieu de prononcer la carence de la commune, et, dans l'affirmative, s'il y a lieu de lui infliger une majoration du prélèvement annuel prévu à l'article L. 302-7 du même code, en en fixant alors le montant dans la limite des plafonds fixés par l'article L. 302-9-1.

9. Lorsqu'une commune demande l'annulation d'un arrêté préfectoral prononçant sa carence et lui infligeant un prélèvement majoré en application de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer si le prononcé de la carence procède d'une erreur d'appréciation des circonstances de l'espèce et, dans la négative, d'apprécier si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la sanction retenue est proportionnée à la gravité de la carence et d'en réformer, le cas échéant, le montant.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement en tant qu'il a rejeté les conclusions de la commune d'Eyguières dirigées contre l'arrêté du 22 décembre 2020 :

S'agissant de la légalité du constat de carence :

Quant à sa procédure d'adoption :

10. Premièrement, il résulte de l'instruction que le comité régional de l'habitat et de l'hébergement s'est réuni le 16 décembre 2020, sous la présidence du préfet de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) et qu'il a donné son avis sur les propositions d'arrêtés de carence concernant la période triennale 2017-2019, comme il est mentionné dans l'arrêté préfectoral contesté du 22 décembre 2020 et ainsi qu'il ressort du relevé de conclusions versé à l'instance par le préfet des Bouches-du-Rhône. Aucune disposition législative ou réglementaire n'impose que cet avis soit communiqué à la commune concernée. Dès lors, le moyen tiré du défaut de communication de cet avis doit être écarté.

11. Deuxièmement, si la commune d'Eyguières soutient que, faute d'avoir reçu une copie de l'avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement, elle n'a pas pu s'assurer qu'à l'occasion de la séance qui s'est tenue le 16 décembre 2020, ce comité était régulièrement composé, cette argumentation n'est en tout état de cause pas assortie des précisions permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé.

12. Troisièmement, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 302-9-1-1 du code de la construction et de l'habitation que la commission nationale placée auprès du ministre du logement dispose d'une double compétence. D'une part, en application du II de cet article, elle est saisie par la commission départementale mentionnée au I du même article, avec l'accord du maire concerné, dans l'unique hypothèse où cette commission départementale parvient à la conclusion que la commune ne pouvait, pour des raisons objectives, respecter son obligation triennale.

D'autre part, en application du III de cet article, la commission nationale peut, de sa propre initiative, le cas échéant, après avoir demandé la communication de tous documents qu'elle juge utiles ou sollicité les avis qu'elle estime nécessaires, émettre, à l'intention du préfet, un avis sur la pertinence de projets d'arrêté de carence, ou, au contraire, de l'absence de projet d'arrêté de carence, sans qu'il soit nécessaire pour elle, dans ce cadre, de procéder à une quelconque audition ou réunion, ni de motiver, rendre public ou notifier son avis à la commune concernée.

13. En l'espèce, il résulte de l'instruction que l'avis du 17 novembre 2020 de la commission nationale a été rendu, de sa propre initiative, sur le fondement du III de l'article L. 302-9-1-1 du code de la construction et de l'habitation, et qu'elle n'a pas été saisie, sur le fondement du dernier alinéa du I de ce même article, avec l'accord du maire, par la commission départementale. Dans ces conditions, la commission nationale n'était pas tenue de notifier son avis à la commune d'Eyguières, ni d'en assurer la publicité, en application des dispositions du II de ce même article L. 302-9-1-1 et de l'article R. 302-26 du code de la construction et de l'habitation. Par suite, le moyen tiré du défaut de communication de cet avis doit être écarté. Pour le même motif, il doit en être de même de celui tiré de que la commission nationale aurait irrégulièrement émis son avis antérieurement à la réunion du comité régional de l'habitat et de l'hébergement.

14. Quatrièmement, l'argumentation tirée de ce que, faute d'avoir obtenu une copie de l'avis rendu par la commission nationale, la commune d'Eyguières n'a pas pu s'assurer de sa consultation régulière est dépourvue de toute précision permettant à la Cour d'en apprécier la portée et le bien-fondé.

15. Il s'ensuit que le moyen tiré du vice de procédure doit être écarté dans toutes ses branches.

Quant à l'appréciation portée sur le respect des objectifs fixés à la commune d'Eyguières :

16. En premier lieu, les objectifs assignés à la commune d'Eyguières en matière de réalisation de logements sociaux ne résultent pas de l'arrêté en litige, mais de la lettre susmentionnée du préfet des Bouches-du-Rhône du 1er août 2017, dont l'exception d'illégalité n'est, en tout état de cause, pas invoquée. Par suite, le moyen tiré du caractère inatteignable de ces objectifs doit être écarté.

17. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 4, et pour les mêmes motifs, l'argumentation tenant à ce que, compte tenu du transfert de plein droit à la métropole

Aix-Marseille-Provence de la matière de politique locale de l'habitat, la commune d'Eyguières ne pouvait pas être " tenue pour responsable " de la carence relevée par le préfet des Bouches-du-Rhône, à supposer qu'elle puisse être regardée comme constitutive d'un moyen autonome par rapport à celui tiré de l'erreur manifeste d'appréciation, doit être écartée comme inopérante.

18. En troisième et dernier lieu, dans son arrêté litigieux du 22 décembre 2020, le préfet des Bouches-du-Rhône a rappelé que l'objectif quantitatif de réalisation de logements sociaux assigné à la commune d'Eyguières, pour la période triennale 2017-2019, par sa lettre du 1er août 2017, était de 215 logements, dont au moins 30 %, soit 65 logements, devant être financés en prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) ou assimilés, et au plus 20 %, soit 43 logements, devant l'être en prêt locatif social (PLS). Le représentant de l'Etat a également indiqué que le bilan pour cette période faisait état de la réalisation globale d'un seul logement social et d'aucun logement financé en PLAI ou en PLS. Pour prononcer la carence de la commune d'Eyguières, le préfet des Bouches-du-Rhône a, sur la base de ces données chiffrées, qui ne sont pas contestées par l'appelante, laquelle ne remet pas davantage en cause le taux de réalisation observé sur les trois périodes triennales précédentes qui est de 44,01 % des objectifs cumulés pour ces mêmes périodes, constaté l'écart entre les objectifs quantitatif et qualitatifs de réalisation de logements locatifs sociaux de la commune appelante et le résultat atteint pour la période en litige. Après avoir visé, outre l'avis émis par le comité régional de l'habitation et de l'hébergement du 16 décembre 2020, le courrier du maire d'Eyguières en date du 24 août 2020 présentant ses observations sur le

non-respect des objectifs triennaux pour cette période 2017-2019 ainsi que le compte-rendu de réunion de la commission départementale chargée de l'examen du respect des obligations de réalisation de logements sociaux qui s'est tenue le 10 juillet 2020, le représentant de l'Etat en a conclu que les mesures prises par la commune d'Eyguières étaient très insuffisantes pour répondre à l'accélération significative de la production de logements locatifs sociaux nécessaire au regard des besoins et que, tout en prenant en compte les spécificités de cette commune, il devait relever l'absence de mobilisation, par la commune, de tous les outils et partenariats permettant d'accélérer la production de logements locatifs sociaux sur son territoire. Pour tenter de justifier le non-respect de ses objectifs, la commune d'Eyguières se prévaut du changement de majorité municipale, de contraintes géographiques et urbanistiques, de l'absence de zone d'activités et de bassins d'emploi sur son territoire, du manque d'efficience de son réseau de transport, du coût des acquisitions foncières et de la circonstance que le préfet des Bouches-du-Rhône n'aurait pas fait usage du droit de préemption qui lui a été transféré, par application des dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme, suite à l'édiction du premier arrêté constatant sa carence au titre de la période triennale 2008-2011. Toutefois, la commune appelante n'établit pas que ces contraintes rendaient effectivement impossible, ou trop difficile, la réalisation du nombre de logements sociaux attendus sur son territoire. En particulier, l'alternance politique au sein du conseil municipal d'Eyguières, au demeurant intervenue en 2008, n'est pas de nature à expliquer l'absence de réalisation des objectifs pour la période en cause. La commune d'Eyguières ne justifie pas, en l'état de ses écritures et des pièces produites à leur appui, d'impossibilités de construire liée à la géographie particulière de son territoire et à sa structuration socio-économique. En outre, et alors que, malgré les transferts de compétence à la métropole Aix-Marseille-Provence, et bien que l'exercice du droit de préemption ait été conféré au préfet, la commune d'Eyguières a conservé des prérogatives lui permettant d'avoir un rôle opérationnel dans les domaines du logement, du foncier et de l'urbanisme, elle ne justifie pas davantage avoir mis en place, notamment dans le plan local d'urbanisme (PLU) en vigueur sur son territoire, l'ensemble des instruments mobilisables en vue d'accroître le foncier disponible pour la construction de logement sociaux. Ainsi, si la commune appelante soutient que, dans le cadre de la révision de ce document d'urbanisme, il aurait été instauré des orientations d'aménagement et de programmation (OAP) ainsi que des emplacements réservés pour la réalisation de logement sociaux, elle se borne à produire une copie de la délibération de son conseil municipal du 13 juillet 2017 portant approbation de cette révision, sans préciser la localisation, ni le nombre de ces logements ou encore leur date de réalisation. De même, si elle soutient que la délibération du 19 décembre 2019, par laquelle le conseil métropolitain de la métropole Aix-Marseille-Provence a approuvé la modification n° 1 de son PLU, prévoyait l'instauration d'une OAP et si elle reproche au préfet des Bouches-du-Rhône d'en avoir, dans le cadre du contrôle de légalité, sollicité et obtenu le retrait, la définition de cette OAP, dont ne figure au dossier aucune description précise, n'aurait en tout état de cause pas pu être prise en compte au titre de la période triennale 2017-2019 et, au cours de la séance de la commission départementale qui s'est tenue le 7 décembre 2020, le représentant de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) des Bouches-du-Rhône a regretté que cette modification n'ait pas intégré un renforcement des servitudes de mixité sociale et des exigences au bénéfice du développement des logements locatifs sociaux. Il ressort, en outre, du compte rendu de cette même séance du 7 décembre 2020 que le maire d'Eyguières a refusé de signer un contrat de mixité sociale et qu'à ce titre, le sous-préfet d'Aix-en-Provence a regretté " le manque de volontarisme de la commune ". Enfin, et alors qu'il ne résulte d'aucune disposition légale ou réglementaire que le bilan triennal devrait prendre en compte d'autres éléments que les objectifs assignés à une commune et ses réalisations effectives, en particulier la réalisation de logements au cours des périodes ultérieures à celle au titre de laquelle la carence est constatée, le bail emphytéotique conclu avec l'association Entraide 13 pour la mise à disposition d'une parcelle d'une superficie de 4 036 m2, en vue de la construction d'une résidence d'autonomie qui " contribuer[a] à atteindre les objectifs en matière de production de logement social " tout comme la construction d'un groupe scolaire " sans lequel la création de logements sociaux serait dépourvue de sens ", n'étaient encore qu'à l'état de projet à la fin de la période triennale 2017-2019. La commune d'Eyguières ne contredit pas devant

la Cour le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui, comme

le préfet des Bouches-du-Rhône en première instance, fait valoir que le programme " Résidence De Amicis 2 ", qui représente vingt-deux logements locatifs sociaux, ne pouvait pas être comptabilisé, faute d'avoir fait l'objet d'une demande d'agrément.

19. Il suit de là que, compte tenu de l'importance de l'écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale 2017-2019, et de la nature des difficultés prétendument rencontrées par la commune sur cette période, c'est sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, ni commettre d'erreur d'appréciation que le préfet des Bouches-du-Rhône, qui a procédé à un examen individualisé de la situation de la commune d'Eyguières, a pu constater sa carence par son arrêté en litige du 22 décembre 2020. Ces moyens doivent, par conséquent, être écartés.

S'agissant de la légalité de la majoration du taux de prélèvement :

20. En premier lieu, si la commune d'Eyguières conteste le taux de cette majoration, fixé à 400 %, au motif que celui-ci serait disproportionné au regard des difficultés auxquelles elle a été confrontée et des efforts qu'elle a engagés, ces derniers ne sont toutefois pas établis, ainsi qu'il vient d'être dit au point précédent. Dans ces conditions, eu égard à la fois au caractère récurrent du non-respect de ses objectifs de construction de logements sociaux par la commune d'Eyguières qui a abouti à un taux de réalisation sur les trois précédentes périodes triennales de seulement 44,01 %, et à l'aggravation de cette situation au cours de la période triennale, pour laquelle ont été constatés un taux de réalisation de 0,5 % seulement de l'objectif quantitatif et une absence totale de réalisation des objectifs qualitatifs, la sanction infligée à la commune en fixant le taux de majoration à 400 % ne présente pas en l'espèce un caractère disproportionné. Ce moyen doit dès lors être écarté.

21. En second lieu, ainsi que le fait valoir en défense le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, la commune d'Eyguières ne peut utilement soutenir que, par son arrêté contesté, le préfet des Bouches-du-Rhône aurait méconnu l'" ambition " du législateur qui " s'oriente[rait] vers un allègement des contraintes reposant sur les communes en matière de logement social ". Ce moyen doit donc être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté les conclusions de la commune d'Eyguières dirigées contre l'arrêté du 26 février 2021 :

22. Il résulte des motifs énoncés aux points précédents que la commune d'Eyguières n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de l'arrêté du 22 décembre 2020 au soutien de ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 26 février 2021. Il suit de là que ce moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la reprise des moyens de première instance :

23. Il appartient au requérant, tant en première instance qu'en appel, d'assortir ses moyens des précisions nécessaires à l'appréciation de leur bien-fondé. Il suit de là que le juge d'appel n'est pas tenu d'examiner un moyen que l'appelant se borne à déclarer reprendre en appel, sans l'assortir des précisions nécessaires.

24. En se bornant à soutenir qu'elle entend " se prévaloir de l'entier bénéfice de ses écritures de première instance ", la commune d'Eyguières n'énonce pas les moyens de première instance qu'elle entend ainsi reprendre. Par suite, et alors qu'elle ne produit pas à l'appui de sa requête une copie de ses écritures de première instance, elle ne met pas la Cour en mesure de se prononcer sur les erreurs que les premiers juges auraient pu commettre en écartant ces moyens.

25. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Eyguières n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a, sans qu'il lui soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en première instance, rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation de l'arrêté du 22 décembre 2020 constatant sa carence au titre de la période 2017-2019 et fixant à 400 % le taux de majoration du prélèvement, ensemble la décision implicite portant rejet de son recours gracieux, et de l'arrêté du 26 février 2021 fixant le montant de ce prélèvement à la somme de 420 196,40 euros, et, d'autre part, à ce qu'elle soit déchargée totalement ou partiellement du paiement de cette somme. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris, et par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la commune d'Eyguières est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Eyguières et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, où siégeaient :

- M. Revert, président,

- M. Martin, premier conseiller,

- M. Lombart, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 décembre 2024.

2

No 23MA01436


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01436
Date de la décision : 31/12/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Collectivités territoriales - Commune - Finances communales.

Logement - Habitations à loyer modéré.


Composition du Tribunal
Président : M. REVERT
Rapporteur ?: M. Laurent LOMBART
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : GONAND

Origine de la décision
Date de l'import : 05/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-31;23ma01436 ?
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