Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par quatre requêtes distinctes, la société civile immobilière (SCI) Elodie a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler les décisions implicites prises respectivement par la commune du Lavandou, la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, et le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, par lesquelles ces autorités ont rejeté ses demandes tendant à ce que soit rétabli l'usage de la servitude de passage dont elle bénéficiait sur la parcelle cadastrée section AP n° 54, et, d'autre part, de condamner la commune du Lavandou à lui verser la somme de 446 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis résultant du non-respect par la commune de son engagement de rétablir l'usage de cette même servitude.
Par un jugement n°s 1902468, 1902469, 1902470, 1901299 du 16 décembre 2020, le tribunal administratif de Toulon a rejeté les demandes de la SCI Elodie.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 février 2021, la SCI Elodie, représentée par Me Tricot, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n°s 1902468, 1902469, 1902470, 1901299 du 16 décembre 2020 du tribunal administratif de Toulon ainsi que les décisions implicites par lesquelles la commune du Lavandou, la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, et le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, ont rejeté ses demandes tendant à ce que soit rétabli l'usage de la servitude de passage dont elle bénéficiait sur la parcelle cadastrée section AP n° 54 ;
2°) d'enjoindre à la commune du Lavandou, à la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres de rétablir cette servitude de passage, et ce, sous astreinte provisoire dont il plaira à la juridiction de fixer le montant et la date d'effet ;
3°) d'annuler la décision du 19 février 2019 par laquelle la commune du Lavandou a rejeté sa demande indemnitaire, et de la condamner à lui verser la somme de 446 000 euros, à parfaire, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis ;
4°) de mettre à la charge de la commune du Lavandou, de la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, et du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres le versement de la somme de 5 000 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- en ce qui concerne les décisions de rejet de ses demandes de rétablissement de la servitude, le jugement attaqué est entaché de plusieurs erreurs manifestes d'appréciation et d'une contradiction de motifs ;
- il ne ressort pas des pièces du dossier que le simple usage de la servitude serait contraire aux conditions de la convention de gestion conclue entre le Conservatoire et la commune ;
- les premiers juges ne pouvaient estimer que sa parcelle n'est pas enclavée, et juger par ailleurs que la convention de gestion précitée prohibe la circulation et le stationnement des véhicules motorisés ;
- en tout état de cause, par l'effet de la suppression de la servitude, l'enclavement de la parcelle est établi puisqu'elle ne dispose plus d'un accès direct au domaine public routier ;
- la responsabilité de la commune est engagée pour promesse non tenue et au titre de la responsabilité sans faute à raison de dommages nés de l'existence d'un ouvrage public et de l'absence de réalisation de travaux publics ;
- la Cour fera droit à la demande d'expertise qu'elle avait sollicitée devant le président du tribunal de grande instance de Toulon.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 avril 2021, la commune du Lavandou, représentée par Me Roi, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la requérante la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 avril 2021, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par Me Briec, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 21 décembre 2021, la SCI Elodie précise que le litige porte sur la reconstitution d'une servitude stable et pérenne et sollicite l'organisation d'une mesure de médiation à cette fin.
Un courrier du 26 avril 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 mai 2024, la commune du Lavandou, représentée par Me Roi, conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que précédemment.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2024, la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, représentée par Me Gravé, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la requérante la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 21 juin 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code l'environnement ;
- le code de justice administrative ;
Le président de la Cour a désigné M. Revert, président assesseur, pour présider la formation de jugement de la 4ème chambre, en application des dispositions de l'article
R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Sebbar, substituant Me Briec, représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Elodie est propriétaire des lots n° 2 et n° 3 d'un ensemble immobilier situé sur la parcelle cadastrée section AP n° 289 sur le territoire de la commune du Lavandou. Cet ensemble est desservi au sud par l'impasse de l'absinthe, propriété du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, cadastrée section AP n° 54, laquelle était grevée d'une servitude de passage au bénéfice de la propriété de la SCI Elodie, instituée par acte notarié du 15 juin 2004 avant même qu'elle en acquière la propriété par acte authentique du 30 décembre 2004. A la suite de plusieurs inondations, le maire du Lavandou a fait réaliser en 2013 des travaux d'élargissement de l'écoulement pluvial dans l'impasse de l'absinthe, empêchant l'accès à la propriété de la SCI au moyen de la servitude de passage. Par quatre requêtes distinctes, la SCI Elodie a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler les décisions implicites prises respectivement par la commune du Lavandou, la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, et le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, par lesquelles ces autorités ont rejeté ses demandes tendant à ce que soit rétabli l'usage de cette servitude, et, d'autre part, de condamner la commune du Lavandou à lui verser la somme de 446 000 euros, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices subis résultant du non-respect de son engagement de rétablir l'usage de la servitude. Par un jugement du 16 décembre 2020, dont la SCI Elodie relève appel, le tribunal administratif de Toulon rejeté ses demandes après les avoir jointes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La requérante ne peut donc utilement se prévaloir de ce que le jugement attaqué serait entaché d'erreurs manifestes d'appréciation ou d'une contradiction de motifs.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation des décisions implicites de refus de rétablir l'usage de la servitude prises par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, la commune du Lavandou et la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures :
3. D'une part, aux termes du I de l'article L. 322-1 du code de l'environnement :
" Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est un établissement public de l'Etat à caractère administratif qui a pour mission de mener, après avis des conseils municipaux et en partenariat avec les collectivités territoriales intéressés, une politique foncière ayant pour objets la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels ainsi que celle des biens culturels qui s'y rapportent : (...) 2° Dans les communes riveraines des mers, (...) ". Selon l'article L. 322-9 du même code : " Le domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres comprend les biens immobiliers acquis ainsi que ceux qui lui sont affectés, attribués, confiés ou remis en gestion par l'Etat.
Le domaine propre du conservatoire est constitué des terrains dont il est devenu propriétaire et qu'il décide de conserver afin d'assurer sa mission définie à l'article L. 322-1. Le domaine relevant du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres est du domaine public à l'exception des terrains acquis non classés dans le domaine propre. Dans la limite de la vocation et de la fragilité de chaque espace, ce domaine est ouvert au public. ".
4. Il est constant, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif de Toulon, que le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a acquis 83 hectares situés sur le site de Cavalière par acte authentique du 19 octobre 2006, dont la parcelle cadastrée section
AP n° 54 grevée de la servitude de passage dont se prévaut la SCI Elodie, et que par délibération du 29 octobre 2008, cette parcelle a été classée dans le domaine propre du conservatoire du littoral. Par conséquent, en application des dispositions précitées de l'article L. 322-9 du code de l'environnement, cette parcelle, constitutive du domaine propre du Conservatoire, relève du domaine public.
5. D'autre part, il résulte des principes de la domanialité publique qu'une servitude conventionnelle de droit privé pouvait être maintenue sur une parcelle incorporée au domaine public à la condition d'être compatible avec son affectation.
6. Il ressort des pièces du dossier que, par convention de gestion conclue le 17 janvier 2009, le Conservatoire de l'espace littoral a confié la gestion du site de Cavalière à la commune du Lavandou. Aux termes de cette convention, l'entité naturelle de Cavalière est constituée par un vaste cirque créé par le relief des Maures Littorales, ouvert sur une anse et une plage de sable délimitées par la pointe du Layet et le Cap Nègre, constituant un ensemble paysager remarquable et présentant un intérêt patrimonial historique et biologique important. L'annexe à cette convention ainsi que le plan opérationnel de gestion du site précisent que le statut de propriété du Conservatoire implique deux orientations dont la première, qui porte sur la sauvegarde de l'espace littoral, le respect de l'intérêt écologique et le développement des potentiels biologiques, est déclinée en plusieurs objectifs parmi lesquels le maintien et le développement de la valeur écologique et biologique des zones basses du site, la conservation et l'amélioration de la valeur patrimoniale du site, la restauration des habitats naturels et des paysages, et la mise en place d'une politique de protection de l'ensemble du cirque jusqu'aux lignes de crêtes. Enfin, aux termes de l'article 1.3 de cette convention, sont interdits sur le site, notamment, les constructions nouvelles, ainsi que les travaux autres que ceux prévus au plan de gestion de nature à altérer substantiellement l'équilibre écologique et la qualité du paysage.
7. Selon l'étude du cabinet Artelia mandaté par la commune du Lavandou, les travaux nécessaires au rétablissement de la circulation sur la servitude de passage dont se prévaut la requérante consiste à créer un ouvrage d'art sur le vallon de la Cavalière, d'un gabarit de 14 mètres par deux mètres, avec mise en sécurité du site, compte tenu du risque d'inondation, par la reprise de la totalité du ruisseau et des ouvrages existants afin de supprimer complètement les débordements dans le secteur. Il en résulte que l'emprise du bief à l'amont immédiat du pont serait de 20 mètres, suivie d'un ouvrage d'entonnement correctement dimensionné pour introduire l'eau sous le pont sans désordre. Par conséquent, de tels travaux, qui portent sur une construction nouvelle, doivent être regardés comme prohibés par les stipulations citées au point précédent de l'article 1-3 de la convention de gestion du 17 janvier 2009. Dans ces conditions, la SCI Elodie ne précisant pas quelles mesures alternatives, non prohibées par la convention de gestion du 17 janvier 2009, auraient pu être mises en œuvre pour restaurer la circulation, la servitude de passage dont elle demande le rétablissement sur la dépendance du domaine propre du Conservatoire serait, en tout état de cause, incompatible avec les objectifs de protection du site dans le périmètre duquel est située cette dépendance.
8. Par suite, la SCI Elodie, qui pour solliciter le rétablissement d'une servitude de passage sur le domaine public, ne peut utilement soutenir que sa propriété est enclavée, n'est pas fondée à demander l'annulation des décisions attaquées.
En ce qui concerne les conclusions indemnitaires dirigées contre la commune du Lavandou :
9. Si la parcelle de la SCI Elodie n'est plus accessible depuis l'avenue du golf au moyen de la servitude de passage qui grevait la parcelle AP n° 54, il est constant que sa desserte est maintenue depuis la route départementale n° 559 sur laquelle débouche la seconde extrémité de l'impasse de l'absinthe, après contournement du bassin Beaumont, impasse sur laquelle la circulation automobile est autorisée ainsi que cela résulte de la signalétique qu'elle comporte et qui apparaît sur plusieurs photographies annexées au procès-verbal de constat d'huissier dressé le 4 mars 2019. En outre, il résulte de l'acte authentique de dépôt de pièces et constitution de servitudes du 15 juin 2004 que la parcelle cadastrée AP n° 291, qui jouxte la parcelle AP n° 289 appartenant à la SCI Elodie dans son extrémité nord-est, est également grevée d'une servitude de passage au bénéfice de cette dernière afin de permettre sa desserte depuis l'avenue du golf par le nord, sur une bande de quatre mètres de largeur dont l'entretien incombe au seul propriétaire du fonds dominant, à ses frais exclusifs, de manière à ce que le passage soit normalement carrossable en tout temps par un véhicule particulier. Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que, malgré l'impossibilité de maintenir la servitude de passage sur la parcelle AP n° 54, la propriété de la SCI appelante serait enclavée. Par suite, celle-ci n'est pas fondée à demander la condamnation de la commune du Lavandou à l'indemniser des préjudices causés selon elle par l'état d'enclavement de son bien immobilier, et tirés d'une perte de valeur vénale de ce bien et de l'impossibilité de le mettre en location, que ce soit sur le terrain de la responsabilité pour faute à raison d'une promesse non tenue, ou sur le terrain de la responsabilité sans faute à raison de dommages nés de l'existence d'un ouvrage public et de l'absence de réalisation de travaux publics.
10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que la SCI Elodie n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes. Par suite, ses conclusions de première instance et d'appel à fin d'annulation et d'injonction sous astreinte, ainsi que ses conclusions indemnitaires dirigées contre la commune de Lavandou doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la commune du Lavandou, du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, et de la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, au titre des frais exposés par la SCI Elodie et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCI Elodie, au bénéfice des intimés, une somme de 1 000 euros chacun au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SCI Elodie est rejetée.
Article 2 : La SCI Elodie versera à la commune du Lavandou, au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, et à la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures, une somme de 1 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Elodie, à la commune du Lavandou, au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, et à la communauté de communes Méditerranée Porte des Maures.
Délibéré après l'audience du 17 décembre 2024, où siégeaient :
- M. Revert, président,
- M. Martin, premier conseiller,
- M. Lombart, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 31 décembre 2024.
N° 21MA00665 2