Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Manije a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 28 septembre 2020 par lequel le maire d'Eguilles lui a refusé la délivrance d'un permis de construire une maison individuelle avec piscine, sur des parcelles cadastrées section AN nos 334 et 337, sises 49 rue de la Caranque sur le territoire communal, et, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 18 septembre 2020 par lequel le maire d'Eguilles lui a refusé la délivrance d'un permis de construire une maison individuelle avec piscine sur des parcelles cadastrées section AN nos 335 et 336, sises 49 rue de la Caranque sur le territoire communal.
Par un jugement nos 2008872, 2008873 du 24 janvier 2023, le tribunal administratif de Marseille a annulé les arrêtés des 18 septembre 2020 et 28 septembre 2020 du maire d'Eguilles.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 24 mars 2023, la commune d'Eguilles, représentée par Me Gouard-Robert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 24 janvier 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter les demandes présentées par la société à responsabilité limitée (SARL) Manije devant le tribunal administratif de Marseille ;
3°) de mettre à la charge de la SARL Manije la somme de 1 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les dispositions de l'article UD 12 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) d'Eguilles étaient, malgré l'annulation dudit plan, applicables aux projets litigieux en vertu des dispositions de l'article L. 442-14 du code de l'urbanisme ;
- les projets litigieux méconnaissent les dispositions de l'article UD 12 du règlement du PLU d'Eguilles ;
- les refus litigieux peuvent être fondés, par substitution de motifs, sur la méconnaissance des dispositions de l'article UD 5 du règlement du plan d'occupation des sols (POS) d'Eguilles ;
- les refus litigieux peuvent être fondés, par substitution de motifs, sur la méconnaissance des dispositions de la zone UD du POS d'Eguilles, applicable eu égard à l'annulation du PLU communal, qui n'autorisent qu'une seule construction par terrain ;
- les projets litigieux méconnaissent les dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur de fait au regard de la dangerosité de la voie de desserte des projets litigieux.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 avril 2024, la SARL Manije, représentée par Me Andreani, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune d'Eguilles la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par une lettre du 20 novembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la Cour est susceptible de fonder son arrêt sur un moyen relevé d'office, tiré de la caducité du plan d'occupation des sols en application de l'article L. 174-3 du code de l'urbanisme, du fait de l'annulation rétroactive du plan local d'urbanisme de la commune par deux jugements n° 1706513 et n° 1706327 du tribunal administratif de Marseille du 26 octobre 2020 devenus définitifs.
Le 26 novembre 2024, la commune d'Eguilles a présenté des observations en réponse à cette communication.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Dyèvre, rapporteure ;
- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public ;
- les observations de Me Gouard-Robert représentant la commune d'Eguilles, et celles de Me Tosi représentant la SARL Manije.
Une note en délibéré enregistrée le 27 novembre 2024 a été présentée pour la commune d'Eguilles et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux arrêtés des 18 septembre 2020 et 28 septembre 2020, le maire d'Eguilles a refusé de délivrer à la société à responsabilité limitée (SARL) Manije deux permis de construire portant respectivement sur une maison individuelle avec piscine, sur des parcelles cadastrées section AN nos 335 et 336, et sur une maison individuelle avec piscine, sur des parcelles cadastrées section AN nos 334 et 337, sises 49 rue de la Caranque sur le territoire communal. La commune d'Eguilles relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Marseille, après avoir joint les deux requêtes dont il était saisi par la SARL Manije, a annulé ces deux arrêtés.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si la commune requérante soutient que le jugement attaqué est irrégulier car entaché d'une erreur de fait, ce moyen, qui relève du bien-fondé du jugement, est sans incidence sur sa régularité et ne peut donc qu'être écarté comme inopérant.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement annulant un acte en matière d'urbanisme, de se prononcer sur les différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui et d'apprécier si l'un au moins de ces moyens justifie la solution d'annulation. Dans ce cas, le juge d'appel n'a pas à examiner les autres moyens de première instance. Dans le cas où il estime en revanche qu'aucun des moyens retenus par le tribunal administratif n'est fondé, le juge d'appel, saisi par l'effet dévolutif des autres moyens de première instance, examine ces moyens. Il lui appartient de les écarter si aucun d'entre eux n'est fondé et, à l'inverse, en application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, de se prononcer, si un ou plusieurs d'entre eux lui paraissent fondés, sur l'ensemble de ceux qu'il estime, en l'état du dossier, de nature à confirmer, par d'autres motifs, l'annulation prononcée par les premiers juges.
4. Pour faire droit à la demande de la SARL Manije tendant à l'annulation des arrêtés des 18 septembre 2020 et 28 septembre 2020, par lesquels le maire de la commune d'Eguilles a refusé de lui délivrer deux permis de construire deux maisons individuelles avec piscines sur des terrains contigus issus d'une division foncière en vue de lotir, le tribunal administratif a relevé que le motif tiré de l'insuffisance des documents graphiques en méconnaissance de l'article R. 431-10 du code de l'urbanisme devait être écarté, que la méconnaissance des dispositions de l'article UD 12 du règlement du plan local d'urbanisme (PLU) ne pouvait être retenue par application de l'article L. 600-12-1 du code de l'urbanisme, que le motif tiré de la méconnaissance de l'article R. 111-2 de ce même code ne pouvait qu'être écarté, et que les autorisations sollicitées ne pouvaient être refusées sur le fondement des dispositions des articles R. 424-21 du code de l'urbanisme et UD 5 du règlement du plan d'occupation des sols (POS).
En ce qui concerne les motifs d'annulation contestés en appel :
S'agissant du document d'urbanisme applicable :
5. D'une part, aux termes de l'article L. 600-12 du code de l'urbanisme : " Sous réserve de l'application des articles L. 600-12-1 et L. 442-14, l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale a pour effet de remettre en vigueur le schéma de cohérence territoriale, le plan local d'urbanisme, le document d'urbanisme en tenant lieu ou la carte communale immédiatement antérieur ". Selon l'article L. 442-14 de ce même code : " Lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date. (...) L'annulation, totale ou partielle, ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale pour un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au lotissement ne fait pas obstacle, pour l'application du présent article, au maintien de l'application des règles au vu desquelles le permis d'aménager a été accordé ou la décision de non-opposition a été prise ".
6. Il ressort des pièces du dossier que la SARL Manije a obtenu, le 21 juin 2018, une décision de non-opposition à une déclaration préalable n° DP 013 032 18 00068 portant sur une division foncière en vue de créer un lotissement de trois lots à bâtir, sur des anciennes parcelles cadastrées section AN nos 287 et 288, désormais cadastrées section AN nos 333 à 337, sises 49 rue de la Caranque sur le territoire de la commune d'Eguilles. Les demandes de permis de construire litigieuses, dont les formulaires Cerfa indiquent qu'elles ont été présentées " conformément à la DP 013 032 18 00068 ", l'ont dès lors été dans le cadre du lotissement prévu par cette déclaration préalable. Toutefois, la SARL Manije, qui entendait conserver la propriété de l'ensemble des parcelles dont elle avait préalablement déclaré la division et sollicitait les permis litigieux pour son propre compte, n'avait, aux dates des décisions contestées, pas procédé à la cession dont aurait résulté la division. Dès lors, en l'absence de tout transfert de propriété ou de jouissance, elle ne peut se prévaloir, à l'occasion de ces demandes de permis de construire, des droits attachés, en vertu de l'article L. 442-14 précité du code de l'urbanisme, au lotissement autorisé, dont les projets de constructions ne pouvaient relever.
7. D'autre part, aux termes de l'article L. 600-12-1 du code de l'urbanisme : " L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l'utilisation du sol ou à l'occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé dès lors que ces annulations ou déclarations d'illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet. / Le présent article n'est pas applicable aux décisions de refus de permis ou d'opposition à déclaration préalable. Pour ces décisions, l'annulation ou l'illégalité du document d'urbanisme leur ayant servi de fondement entraîne l'annulation de ladite décision ". Il résulte de ces dernières dispositions que l'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un document d'urbanisme entraîne l'annulation d'une décision de refus de permis de construire prise sur son fondement, sauf au juge à procéder, le cas échéant, à une substitution de base légale ou de motifs dans les conditions de droit commun, en s'appuyant sur les dispositions pertinentes du document d'urbanisme immédiatement antérieur, remises en vigueur, totalement ou partiellement, en application des dispositions précitées de l'article L. 600-12 du code de l'urbanisme.
8. Il ressort des pièces du dossier que le plan local d'urbanisme (PLU) d'Eguilles a été annulé par des jugements n° 1706513 et n° 1706327 du 26 octobre 2020 du tribunal administratif de Marseille, devenus définitifs. Dans ces conditions, en application des dispositions précitées des articles L. 600-12 et L. 600-12-1 du code de l'urbanisme, le plan d'occupation des sols (POS) de la commune a été remis en vigueur, de manière rétroactive, à compter de cette date. Dès lors, le moyen tiré de ce que les projets litigieux méconnaîtraient les dispositions de l'article UD 12 du règlement du PLU d'Eguilles ne peut qu'être écarté comme inopérant.
S'agissant des risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique :
9. En second lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ". Les risques d'atteinte à la sécurité publique visés par les dispositions de l'article R. 111-2 précité sont aussi bien les risques auxquels peuvent être exposés les occupants de la construction pour laquelle l'autorisation est sollicitée que ceux que l'opération projetée peut engendrer pour des tiers. Il appartient à l'autorité d'urbanisme compétente et au juge de l'excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d'atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de ces dispositions, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent.
10. Il ressort des pièces du dossier et du site Géoportail, librement accessible tant au juge qu'aux parties, que les projets litigieux seront desservis par la rue de la Caranque, laquelle rejoint la route départementale (RD) n° 543. Cette rue, d'une largeur d'environ 5 mètres, est limitée à 30 km/h, comporte plusieurs ralentisseurs et est réservée aux riverains. Contrairement à ce que soutient la commune requérante, il existe le long de cette rue plusieurs accotements permettant aux véhicules de se croiser et aux piétons de circuler dans des conditions de sécurité satisfaisantes. En outre, l'intersection entre la rue de la Caranque et la RD n° 543, qui n'est caractérisée par aucun problème de visibilité, est sécurisée par la présence d'un panneau " stop " et de feux de circulation. Enfin, si la commune requérante soutient que l'accès par le boulevard Léonce Artaud, situé à environ 500 mètres au sud-est des projets litigieux, ne serait pas sécurisé en raison notamment d'un manque de visibilité, il ressort toutefois des pièces du dossier que ce boulevard ne constitue en tout état de cause pas l'accès auxdits projets, lequel est situé sur la RD n° 543. Dans ces conditions, les refus litigieux ne pouvaient légalement être fondés sur les dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
S'agissant de la demande de substitution de motifs :
11. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'intéressé d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
12. Aux termes de l'article UD 5 du règlement du POS d'Eguilles, remis en vigueur, dans le cadre du présent litige, dans les conditions rappelées aux points 5 à 8 : " La superficie minimale des terrains ne doit pas être inférieure à : / 700 m² en secteur UD1 (...) ".
13. Il ressort des pièces du dossier que le projet ayant fait l'objet du refus du permis de construire du 18 septembre 2020 est implanté sur les parcelles cadastrées section AN nos 335 et 336, disposant d'une superficie de 600 m². Le second projet, ayant fait l'objet de l'arrêté contesté du 28 septembre 2020, est implanté sur les parcelles cadastrées section AN nos 334 et 337, disposant également d'une superficie de 600 m². Dès lors, les projets litigieux ne disposent pas de la superficie exigée par les dispositions précitées de l'article UD 5 du règlement du POS d'Eguilles, et la substitution de motifs sollicitée par la commune sur ce fondement doit être accueillie.
14. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la seconde substitution de motifs sollicitée, que la commune d'Eguilles est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a annulé les arrêtés de son maire des 18 septembre 2020 et 28 septembre 2020.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Eguilles, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par la SARL Manije au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL Manije la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune d'Eguilles et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement nos 2008872, 2008873 du 24 janvier 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par la SARL Manije devant le tribunal administratif de Marseille sont rejetées.
Article 3 : La SARL Manije versera à la commune d'Eguilles la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Eguilles et à la société à responsabilité limitée (SARL) Manije.
Délibéré prolongé après l'audience du 27 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- Mme Courbon, présidente assesseure,
- Mme Dyèvre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2024
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N° 23MA00727
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