Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) EI Montagne a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014.
Par un jugement n° 2200054 du 21 mars 2024, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 mai 2024 et 26 novembre 2024, la société EI Montagne, représentée par Me Mundet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2200054 du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, sa demande de première instance n'était pas tardive dès lors que l'absence de délivrance du pli qui contenait la décision de rejet de sa réclamation préalable est imputable à une erreur des services postaux ;
- la notification du pli devait être effectuée à son conseil auprès duquel elle avait élu domicile, ce que confirme l'interprétation administrative référencée BOI-CTX-ADM-10-20-20 et BOI-CTX-DG-20-20-40 ;
- une copie de la décision devait être adressée à son mandataire, ainsi que le prévoit l'interprétation administrative référencée BOI-CTX-PREA-10-80 du 27 décembre 2016 ;
- l'administration ne lui a pas permis d'exercer ses droits de la défense et méconnu son obligation de loyauté ;
- elle est fondée à se prévaloir de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le rappel en matière de taxe sur la valeur ajoutée déductible n'est pas fondé, s'agissant de livraisons de biens et non de prestations de services ;
- les provisions comptabilisées étaient bien fondées ;
- les pertes comptabilisées étaient fondées dans leur principe et leur montant.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 octobre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la société EI Montagne ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Mundet, pour la société EI Montagne.
Considérant ce qui suit :
1. La société EI Montagne, qui exerce l'activité de travaux publics, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 29 juillet 2016 lui a été notifiée. Au terme de la procédure, elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2013 et 2014 et à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2014, assortis des intérêts de retard. La société EI Montagne relève appel du jugement du 21 mars 2024 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droits et majorations, de ces impositions comme irrecevable pour tardiveté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales : " Le contribuable qui désire contester tout ou partie d'un impôt qui le concerne doit d'abord adresser une réclamation au service territorial, selon le cas, de la direction générale des finances publiques ou de la direction générale des douanes et droits indirects dont dépend le lieu de l'imposition (...) ". Aux termes de l'article R. 198-10 de ce livre : " Le service compétent pour statuer sur une réclamation est celui à qui elle doit être adressée en application de l'article R. 190-1 (...) Les décisions de l'administration sont notifiées dans les mêmes conditions que celles prévues pour les notifications faites au cours de la procédure devant le tribunal administratif. ". Aux termes de l'article R. 199-1 dudit livre : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 431-1 du code de justice administrative : " Lorsqu'une partie est représentée devant le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel par un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2, les actes de procédure, à l'exception de la notification de la décision prévue aux articles R. 751-3 et suivants, ne sont accomplis qu'à l'égard de ce mandataire ". Aux termes de l'article R. 751-3 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, les jugements, les ordonnances et arrêts sont notifiés par les soins du greffe à toutes les parties en cause, à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception (...) ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'en indiquant que les décisions par lesquelles l'administration statue sur une réclamation sont notifiées dans les mêmes conditions que celles prévues pour les notifications faites au cours de la procédure devant le tribunal administratif, l'article R. 198-10 du livre des procédures fiscales a entendu renvoyer aux dispositions du code de justice administrative qui régissent la notification des décisions clôturant l'instance. Il suit de là que le délai de recours devant le tribunal administratif ne court qu'à compter du jour où la notification de la décision de l'administration statuant sur la réclamation du contribuable a été faite au contribuable lui-même, à son domicile réel, alors même que cette réclamation aurait été présentée par l'intermédiaire d'un mandataire, la circonstance que le contribuable a élu domicile au cabinet de son mandataire étant sans incidence sur l'application de cette règle. Par ailleurs, il incombe à l'administration, lorsqu'elle oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'action introduite devant un tribunal administratif en application de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales, d'établir que le contribuable a reçu notification régulière de la décision prise sur sa réclamation.
5. Il résulte de l'instruction que la décision du 5 août 2021 rejetant la réclamation préalable du 24 juin 2021, qui comportait les voies et délais de recours, a été notifiée à bon droit, en application des principes précités, à la seule adresse du siège social de la société EI Montagne au 34 rue Jean Canavese à Nice, adresse qui était celle mentionnée dans la réclamation, par pli recommandé avec accusé de réception. Ce pli est revenu à l'administration fiscale le 19 août 2021 avec la mention que le destinataire était inconnu à cette adresse. Toutefois, la société EI Montagne fait valoir qu'elle réceptionnait effectivement son courrier à cette adresse, ce dont elle justifie en produisant notamment une mise en demeure de payer du 11 mai 2021 et la réponse du 8 juin 2021 à l'opposition à poursuite qu'elle avait présentée contre cet acte, un avis de passage d'un huissier du 14 mai 2021, ainsi que divers courriers postérieurs à la date de la décision en litige. L'administration, à qui incombe la charge de la preuve, se borne à faire valoir que la société EI Montagne, qui apporte des éléments suffisants permettant d'établir l'existence d'une erreur des services postaux, ne justifie pas que son nom aurait figuré sur une boite aux lettres en août 2021. Toutefois, elle n'a pas sollicité d'attestation des services postaux de nature à établir que le destinataire du pli n'était pas effectivement inconnu à l'adresse précitée. Dans ces conditions, dès lors que l'administration n'établit pas que la notification a été effectuée conformément à la réglementation postale, la société EI Montagne est fondée à soutenir que sa demande devant le tribunal administratif de Nice, enregistrée le 6 janvier 2022, ne pouvait être rejetée comme irrecevable du fait de sa tardiveté.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, que la société EI Montagne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande comme irrecevable pour tardiveté. Ce jugement doit dès lors être annulé et il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de renvoyer l'affaire au tribunal administratif de Nice pour qu'il soit statué sur la demande de la société EI Montagne.
Sur les frais liés au litige :
7. Il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais que la société EI Montagne a exposés, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1 : Le jugement n° 2200054 du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Nice est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Nice.
Article 3 : L'Etat versera la somme de 1 500 euros à la société EI Montagne, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) EI Montagne et au ministre chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 décembre 2024.
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N° 24MA01246