Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société en nom collectif Vectalia Sophia Antipolis, immatriculée au registre du commerce et des sociétés d'Antibes sous le n° 484 023 403, a demandé au tribunal administratif de Nice, en premier lieu, d'annuler le marché conclu entre la communauté d'agglomération de Sophia Antipolis et la société Keolis relatif au transport urbain de voyageurs et à la construction d'un dépôt de bus, en deuxième lieu, de condamner la communauté d'agglomération à lui verser une somme de 7 509 089 euros hors taxes, assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 août 2019, capitalisés annuellement, et, en troisième lieu, de mettre à la charge de la communauté d'agglomération la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1904017 du 16 janvier 2024, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 mars 2024, la société Vectalia Sophia Antipolis, représentée par la SELARL Parme Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner la communauté d'agglomération à lui verser la somme de 7 509 089 euros hors taxes, à parfaire, augmentée des intérêts au taux légal, capitalisés à compter du 5 août 2019 ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation ;
- l'acheteur a retenu un critère non prévu par le règlement de la consultation ;
- l'énoncé du jugement des offres n'était pas cohérent ;
- la possibilité de proposer des variantes n'a pas été suffisamment encadrée ;
- l'application de la méthode de notation est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la communauté d'agglomération a porté atteinte au secret des affaires ;
- en écartant ces cinq moyens, les premiers juges ont commis des erreurs de droit.
Par un mémoire, enregistré le 6 mai 2024, la société Keolis, représentée par le cabinet Joffe et Associés, conclut au rejet de la requête d'appel et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Vectalia Sophia Antipolis en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens présentés par la société appelante sont infondés.
Par un mémoire, enregistré le 13 septembre 2024, la communauté d'agglomération Sophia Antipolis, représentée par la SELAS Charrel et Associés, conclut au rejet de la requête de la société Vectalia Sophia Antipolis et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de cette dernière sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens présentés par la société appelante sont infondés.
Par une lettre en date du 23 juillet 2024, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu avant le 31 décembre 2024, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 15 septembre 2024.
Par ordonnance du 3 octobre 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Abboub pour la société Vectalia Sophia Antipolis, celles de Me Harket pour la communauté d'agglomération Sophia Antipolis, et celles de Me Delarousse pour la société Keolis. M. B... A..., de la société ABC, qui formait avec la société Vectalia le groupement candidat, a été entendu.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 19 octobre 2018 au bulletin officiel des annonces de marchés publics et le 20 octobre 2018 au journal officiel de l'Union européenne, la communauté d'agglomération de Sophia Antipolis a lancé une procédure concurrentielle avec négociation relative à l'attribution d'un marché global de performance de transports urbains de voyageurs et à la construction d'un dépôt de bus. Par un courrier du 20 mai 2019, la communauté d'agglomération a notifié à la société Vectalia Sophia Antipolis, mandataire d'un groupement conjoint composé de la société ABC Architectes et de la société Eiffage, le rejet de son offre. Ce marché a été attribué à la société Keolis. La société Vectalia Sophia Antipolis a saisi le tribunal administratif de Nice d'une action en contestation de la validité de ce marché et d'une demande de condamnation de la communauté d'agglomération à lui verser une somme de 7 509 089 euros hors taxes en réparation du préjudice résultant de son éviction. Par le jugement attaqué, dont la société Vectalia Sophia Antipolis relève appel, le tribunal administratif de Nice a rejeté ces demandes.
Sur l'étendue du litige :
2. La société Vectalia Sophia Antipolis se borne, dans ses conclusions d'appel, à solliciter la condamnation de la communauté d'agglomération à lui verser une indemnité de 7 509 089 euros, sans davantage contester la validité du contrat conclu entre la communauté d'agglomération et la société Keolis. Le jugement est donc, en ce qu'il rejette cette action en contestation de validité, devenu définitif.
Sur la mise hors de cause :
3. La société Keolis, à laquelle le jugement ne fait pas grief et contre laquelle aucune conclusion n'est plus présentée en appel, doit donc être mise hors de cause.
Sur la régularité du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
5. Dans son point 7, le jugement attaqué a répondu de manière suffisamment précise au moyen tiré de l'atteinte portée au secret des affaires. Si la société appelante soutient que les premiers juges, dans leur réponse, ont fait une " lecture erronée " des documents de la consultation et de l'ensemble des éléments fournis, et n'ont pas examiné " les conséquences de la présence d'un tiers aux auditions ", ces griefs n'ont pas trait à la motivation du jugement attaqué, mais à son bien-fondé.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était ou non dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché. Dans un tel cas, l'entreprise a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement,
puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.
7. En premier lieu, aux termes de l'article 48 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " I. - Le candidat produit à l'appui de sa candidature : (...) 2° Les renseignements demandés par l'acheteur aux fins de vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles du candidat conformément à l'article 44 (...) ". Il résulte de ces dispositions que la capacité des candidats à exécuter le marché ne peut être examinée au stade de la sélection des offres.
8. Il résulte, certes, du règlement de la consultation, en son point 5.2, qu'au titre de la présentation des offres, il était exigé des candidats qu'ils produisent, notamment, un " organigramme complet de la structure de l'entreprise du candidat " et " une attestation de capacité professionnelle ", ainsi que l'" inscription au registre des transporteurs ". Toutefois, en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que ces documents, qui ont en effet trait à la capacité des candidats, auraient été pris en compte pour apprécier la valeur de l'offre, que ce soit au titre du critère de la valeur technique, dont l'avis d'attribution et l'article 5.2.4 du règlement de la consultation précise qu'elle est " appréciée au vu du mémoire technique ", ou du point de vue des performances. En outre et en tout état de cause, la société Vectalia n'établit pas le lien entre l'irrégularité ainsi alléguée et son éviction.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 62 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " Les critères ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation (...) ".
10. La société Vectalia soutient que les éléments du dossier de la consultation n'ont pas apporté aux candidats une information appropriée sur les critères de jugement des offres et leurs modalités d'appréciation. Elle relève, à cet égard, une contradiction entre l'article 5.2.4 du règlement de la consultation, qui prévoit que la valeur technique de l'offre serait appréciée au vu du mémoire technique du candidat, et l'article 5.2.1 du même règlement, qui prévoit que les éléments relatifs à la construction d'un dépôt de bus doivent être renseignés dans un cadre de réponse spécifique, et que les éléments relatifs à la performance du candidat sont renseignés dans l'annexe 3 au cahier des clauses administratives particulières, à compléter par chaque candidat, et se plaint à ce titre que la liste des éléments composant le mémoire technique énumérés dans l'article 5.2.2 ne correspond pas à la liste des éléments d'appréciation énumérée par l'article 5.2.1.
11. Toutefois, il résultait sans ambiguïté des dispositions des articles 5.2.1, 5.2.2 et 5.2.4 du règlement de la consultation que les candidats devaient s'attendre à ce que la valeur technique de leur offre soit appréciée au vu de leur mémoire technique, ainsi que du cadre et de l'annexe 3 complétée. En outre et en tout état de cause, la société Vectalia n'établit pas le lien entre l'irrégularité alléguée et son éviction.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article 58 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics : " (...) III. - Lorsque l'acheteur autorise expressément ou exige la présentation de variantes, il mentionne dans les documents de la consultation les exigences minimales que les variantes doivent respecter ainsi que toute condition particulière de leur présentation ". Et aux termes de l'article 58 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " III. - Lorsque l'acheteur autorise expressément ou exige la présentation de variantes,
il mentionne dans les documents de la consultation les exigences minimales que les variantes doivent respecter ainsi que toute condition particulière de leur présentation ".
13. En l'espèce, l'article 3.3 du règlement de la consultation autorisait la présentation de variantes, à condition de respecter les exigences minimales fixées par l'article 3.1 du règlement de la consultation, tenant à la continuité du service public et à la construction, dans un délai maximal de trois ans, du dépôt de bus, et à la condition que les variantes permettent d'améliorer et d'optimiser la qualité des services. La communauté d'agglomération a ainsi suffisamment précisé les exigences minimales s'imposant aux variantes.
14. En quatrième lieu, si la société Vectalia, qui se prévaut de l'appréciation erronée des mérites respectifs de son offre et de l'offre de la société Keolis, évoque à ce titre la notation des offres initiales et intermédiaires, cette notation, qui ne porte pas sur les offres finales, est en tout état de cause sans lien avec son éviction. Par ailleurs, si elle soutient qu'" il est (...) manifeste que l'offre variante [finale] bis de la société Keolis a été surnotée ", elle ne fournit aucun élément de nature à l'établir. Enfin, si elle soutient que les " offres ont été notées de manière totalement arbitraire " s'agissant du critère du coût, son offre variante ayant reçu une note inférieure à l'offre variante bis de la société Keolis en dépit du coût global supérieur de cette dernière, cette différence n'est pas en tant que telle de nature à établir le caractère arbitraire de la notation, dès lors que, comme le prévoyait l'article 5.2.4 du règlement de la consultation, le coût global incluait, d'une part, le montant des prestations de services de transports urbains, mais également du montant des travaux, ces deux postes étant notés séparément et affectés de pondérations spécifiques, soit respectivement 60 et 10, ce qui peut expliquer le fait qu'un coût global légèrement supérieur puisse bénéficier d'une note légèrement supérieure également.
15. En cinquième lieu, la société Vectalia soutient que la communauté d'agglomération a porté atteinte au secret des affaires, en soutenant qu'" il semble que Keolis se soit inspirée de la variante 'silo' de [Vectalia Sophia Antipolis] remise en offre initiale pour produire son offre intermédiaire n° 3 (...) ". Toutefois, à supposer même que la société Keolis ait fait évoluer son offre pour proposer un site unique, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, que cette modification du projet aurait été rendue possible par la divulgation d'une information couverte par le secret des affaires, qui aurait conduit à l'élaboration de l'offre variante bis déclarée lauréate.
16. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que l'offre de base et l'offre variante présentées par la société Vectalia ont été classées, respectivement, en cinquième et quatrième position sur un total de cinq offres notées. Or, la société requérante conteste la note attribuée à l'offre variante bis de la société Keolis, en invoquant à ce titre une possible divulgation, à cette dernière société, des caractéristiques de son offre variante, une telle irrégularité serait seulement de nature à remettre en cause le classement de l'offre variante bis de la société Keolis, retenant l'idée d'un parking en silo et classée première, sans remettre en cause le classement de l'offre de base et de l'offre variante de cette même société, classées respectivement troisième et deuxième. Par conséquent, l'irrégularité du classement des offres de base et variante de la société Keolis n'étant pas établie, le lien de causalité entre l'irrégularité ainsi invoquée et l'éviction de la société Vectalia n'est pas établi. Dans ces conditions, il n'y a pas lieu pour la Cour de faire usage de ses pouvoirs d'instruction pour prescrire, en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, la production des documents de la procédure d'attribution du marché.
17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Vectalia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
18. L'article L. 761-1 du code de justice administrative fait obstacle à ce qu'une somme quelconque soit laissée à la charge de la communauté d'agglomération, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. La société Keolis, ayant été mise hors de cause, n'est pas partie à la présente instance et ne peut solliciter le bénéfice de ces dispositions. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre une somme de 2 500 euros à la charge de la société Vectalia pour être versée à la communauté d'agglomération à ce titre.
D É C I D E :
Article 1er : La société Keolis est mise hors de cause.
Article 2 : La requête de la société Vectalia Sophia Antipolis est rejetée.
Article 3 : La société Vectalia Sophia Antipolis versera à la communauté d'agglomération Sophia Antipolis une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Vectalia Sophia Antipolis, à la communauté d'agglomération Sophia Antipolis et à la société Keolis.
Délibéré après l'audience du 25 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président-assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 décembre 2024.
N° 24MA00645 2