Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Dekra Foncier a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 8 avril 2020 par laquelle la maire d'Aix-en-Provence l'a mise en demeure de dépolluer la parcelle cadastrée section LB n° 216 dont elle est propriétaire sur le territoire communal.
Par un jugement n° 2004874 du 13 octobre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 décembre 2022 et 7 septembre 2023, la société Dekra Foncier, représentée par la société d'avocats Blackstone, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 octobre 2022 ;
2°) d'annuler la décision du 8 avril 2020 ;
3°) de mettre à la charge de la commune d'Aix-en-Provence une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle ne peut être regardée comme détenteur des déchets au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement ; les détenteurs des déchets sont identifiables ; la responsabilité du preneur à bail seulement pourrait le cas échéant être engagée ; elle n'a pour sa part pas fait preuve de négligence.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 21 juillet 2023 et 14 décembre 2023, et un mémoire enregistré le 24 octobre 2024 et non communiqué, la commune d'Aix-en-Provence, représentée par la SCP Gobert et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Dekra Foncier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Moghrani substituant la société d'avocats Blackstone, représentant la société Dekra Foncier, et de Me Olmier, représentant la commune d'Aix-en-Provence.
Une note en délibéré présentée par Me Morabito pour la commune d'Aix-en-Provence a été enregistrée le 25 novembre 2024.
Une note en délibéré présentée par Me Simony pour la société Dekra Foncier a été enregistrée le 26 novembre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par décision du 8 avril 2020, la maire d'Aix-en-Provence a mis en demeure la société Dekra Foncier de dépolluer la parcelle cadastrée section LB n° 216, d'une superficie de plus de 87 000 m², dont cette dernière est propriétaire sur le territoire communal, plus précisément sur le plateau de l'Arbois, et qui se trouve encombrée de monticules de déchets hétéroclites, notamment de matériaux de construction. La société Dekra Foncier relève appel du jugement du 13 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 541-2 du code de l'environnement : " Tout producteur ou détenteur de déchets est tenu d'en assurer ou d'en faire assurer la gestion, conformément aux dispositions du présent chapitre. / Tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu'à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. / (...) ". Aux termes de l'article L. 541-3 du même code dans sa version alors applicable : " I. - Lorsque des déchets sont abandonnés, déposés ou gérés contrairement aux prescriptions du présent chapitre et des règlements pris pour leur application (...), l'autorité titulaire du pouvoir de police compétente avise le producteur ou détenteur de déchets des faits qui lui sont reprochés ainsi que des sanctions qu'il encourt et, après l'avoir informé de la possibilité de présenter ses observations, écrites ou orales, dans un délai de dix jours, le cas échéant assisté par un conseil ou représenté par un mandataire de son choix, peut lui ordonner le paiement d'une amende au plus égale à 15 000 euros et le mettre en demeure d'effectuer les opérations nécessaires au respect de cette réglementation dans un délai déterminé. / (...) ".
3. Sont responsables des déchets, au sens des dispositions citées ci-dessus, les producteurs ou autres détenteurs connus des déchets. En leur absence, le propriétaire du terrain sur lequel ils ont été déposés peut être regardé comme leur détenteur, au sens de l'article L. 541-2 du code de l'environnement, et être de ce fait assujetti à l'obligation de les éliminer, notamment s'il a fait preuve de négligence à l'égard d'abandons sur son terrain ou s'il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d'une part, l'existence de ces déchets, d'autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses obligations.
4. Il ressort des pièces du dossier qu'entre le 28 novembre 2013 et le 11 mars 2017, la société Dekra Foncier a donné le terrain en litige en location à la communauté d'agglomération du pays d'Aix-en-Provence. Les contrats conclus prévoyaient notamment une prise des lieux " dans l'état actuel ", à charge pour le preneur d'aménager le terrain et de le restituer en bon état d'entretien, étant précisé que le preneur s'engageait particulièrement à se conformer aux obligations relatives à l'élimination des déchets. Rien ne permet de conclure que la parcelle aurait, lors de la prise à bail initiale, déjà été encombrée de déchets. Destinée à être affectée par la communauté d'agglomération comme aire de grand passage des gens du voyage, elle a en réalité surtout été utilisée comme lieu de stationnement par certaines familles mais également comme déchetterie sauvage. Alors qu'aucun état des lieux n'a été effectué lors de l'expiration du bail, il ressort d'un article de presse produit aux débats qu'au mois d'août 2017 elle était encombrée, en divers endroits, de gravats de chantier et autre détritus en tous genres amoncelés en très grandes quantités, dont le dépôt remontait manifestement, au moins pour l'essentiel, à une période antérieure à la fin du contrat, intervenue seulement quatre mois plus tôt. La société Dekra foncier a fait constater par un huissier de justice, le 16 janvier 2018, l'état de la parcelle depuis ses abords, similaire à celui évoqué par l'article de presse du mois d'août précédent. Elle a obtenu auprès du tribunal de grande instance, le 29 janvier suivant, la commission d'un huissier pour constater l'état de dégradation des lieux et l'identification des occupants, puis le 27 novembre, une ordonnance d'expulsion de ces personnes. Parallèlement, par courrier du 6 août 2018, la société a sollicité la métropole Aix-Marseille Provence, venant aux droits de la communauté d'agglomération, afin qu'elle intervienne pour faire libérer ce terrain, au regard tant de l'obligation liée à sa prise à bail tenant à la restitution des lieux en bon état, que de celle résultant du pouvoir de police spéciale dont elle estimait que le président de l'établissement était titulaire. Il n'est pas allégué que le volume de déchets sur le site, évalué à plus de 41 000 m3, aurait augmenté entre la fin de l'année 2018 et la date de la mise en demeure en litige.
5. Dans ces circonstances, la société Dekra Foncier ne peut être regardée comme ayant fait preuve de négligence à l'égard des déchets abandonnés sur son terrain, ni depuis le 11 mars 2017 dans la mesure où elle a accompli des diligences nécessaires à la reprise de possession des lieux et qu'il ne ressort d'aucun élément que la situation se serait détériorée postérieurement à la fin du bail, ni a fortiori durant la période antérieure où elle n'avait pas la disposition du bien. Il ne saurait notamment lui être reproché, eu égard à la personnalité publique de son locataire et à l'usage prévu des lieux, de n'avoir par exemple pas cherché à obtenir la résiliation anticipée du bail conclu. Dès lors, et alors que la commune n'établit en outre pas qu'elle aurait accompli les diligences nécessaires pour identifier les producteurs ou autres détenteurs des déchets litigieux, la société Dekra Foncier ne peut être regardée comme en étant le détenteur au sens de l'article L. 541-2 code de l'environnement. La maire d'Aix-en-Provence ne pouvait légalement l'assujettir à l'obligation de les éliminer.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a, par le jugement attaqué, rejeté la demande de la société Dekra Foncier. La décision de la maire d'Aix-en-Provence du 8 avril 2020 doit être annulée.
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Dekra Foncier qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Aix-en-Provence une somme de 2 000 euros à verser à la société Dekra Foncier sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 13 octobre 2022 et la décision de la maire d'Aix-en-Provence du 8 avril 2020 sont annulés.
Article 2 : La commune d'Aix-en-Provence versera une somme de 2 000 euros à la société Dekra Foncier au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Dekra Foncier et à la commune d'Aix-en-Provence.
Délibéré après l'audience du 22 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 décembre 2024.
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N° 22MA03007
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