Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Coram a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge des cotisations d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, de la retenue à la source qui lui a été réclamée au titre des années 2011, 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes.
Par un jugement n° 2009241 du 30 décembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 27 février 2023 et le 5 octobre 2023, la SAS Coram, représentée par Me Vergniolle, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 30 décembre 2022 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et majorations en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle n'est pas imposable à l'impôt sur les sociétés en France :
- l'article 9 de la convention fiscale franco-marocaine fait obstacle à l'imposition en France des revenus de l'immeuble situé au Maroc ;
- à titre subsidiaire, les charges engagées et les amortissements doivent être déduits des produits ;
- l'administration ne démontre ni que le loyer de l'ensemble immobilier situé à Marrakech serait anormalement bas, ni qu'elle aurait eu l'intention d'agir contre son propre intérêt en mettant l'ensemble immobilier à la disposition de son principal associé ;
- la retenue à la source est par voie de conséquence infondée, dès lors qu'en l'absence de bénéfices à réintégrer dans ses résultats, il n'y a pas de distributions sous forme d'avantages occultes ;
- par voie de conséquence, aucune majoration ne pouvait être mise à sa charge.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 7 septembre 2023 et le 6 février 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SAS Coram ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention signée le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune ;
- la convention signée le 29 mai 1970 entre la France et le Royaume du Maroc tendant à éliminer les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière fiscale ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné M. Platillero, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Delsol, substituant Me Vergniolle, représentant la SAS Coram.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Coram, qui est une société de droit français dont l'associé principal est un résident suisse, est propriétaire d'un ensemble immobilier situé au Maroc. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, à l'issue de laquelle l'administration fiscale a estimé que l'indemnité d'occupation déclarée à raison de l'ensemble immobilier était inférieure à sa valeur locative réelle et que cette minoration, qui était constitutive d'un acte anormal de gestion, devait être réintégrée dans ses résultats, sur le fondement des articles 38 et 209 du code général des impôts. La SAS Coram a ainsi été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, et à la retenue à la source au titre des années 2011, 2012 et 2013. Elle fait appel du jugement du 30 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions et des majorations correspondantes.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
2. D'une part, aux termes de l'article 206 du code général des impôts : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 8 ter, 239 bis AA, 239 bis AB et 1655 ter, sont passibles de l'impôt sur les sociétés, quel que soit leur objet, les sociétés anonymes, les sociétés en commandite par actions, les sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif ". Aux termes de l'article 209 du même code : " I. Sous réserve des dispositions de la présente section, les bénéfices passibles de l'impôt sur les sociétés sont déterminés d'après les règles fixées par les articles 34 à 45 (...) en tenant compte uniquement des bénéfices réalisés dans les entreprises exploitées en France (...) ainsi que de ceux dont l'imposition est attribuée à la France par une convention internationale relative aux doubles impositions (...) ". D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention fiscale franco-marocaine du 29 mai 1970 : " 3. Les impôts actuels auxquels s'applique le présent chapitre sont : / a) En ce qui concerne la France : / - l'impôt sur le revenu ; / - l'impôt sur les sociétés ; (...) ". Aux termes de l'article 9 de cette convention : " Les revenus des biens immobiliers (...) ne sont imposables que dans l'Etat où ces biens sont situés ". Aux termes de l'article 23 de la même convention : " Les revenus non mentionnés aux articles précédents ne sont imposables que dans l'Etat contractant du domicile fiscal du bénéficiaire, à moins que ces revenus ne se rattachent à l'activité d'un établissement stable que ce bénéficiaire posséderait dans l'autre Etat contractant ". Selon l'article 25 de ladite convention : " 1. Un Etat contractant ne peut pas comprendre dans les bases des impôts sur le revenu visés à l'article 8 les revenus qui sont exclusivement imposables dans l'autre Etat contractant en vertu de la présente Convention, mais chaque Etat conserve le droit de calculer l'impôt au taux correspondant à l'ensemble des revenus imposables d'après sa législation. (...) ".
3. Si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.
4. Il est constant que la SAS Coram est une société de capitaux de droit français dont le siège social est en France. Ainsi, cette société, qui a d'ailleurs spontanément déposé ses déclarations de résultats au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, est passible de l'impôt sur les sociétés en France en application de l'article 206 du code général des impôts. Toutefois, il résulte des stipulations de la convention fiscale franco-marocaine citées au point 2 que les revenus correspondant à la mise à disposition gratuite d'un immeuble sont assimilables à des revenus des biens immobiliers au sens des stipulations de l'article 9 de la convention précitée et ne peuvent être regardés comme des revenus non spécialement traités par cette convention au titre de son article 23. Par conséquent, à supposer même que la SAS Coram puisse être regardée comme exploitée en France, les recettes auxquelles elle a renoncé en mettant à la disposition de son principal associé l'ensemble immobilier dont elle est propriétaire au Maroc en contrepartie d'une indemnité d'occupation inférieure à la valeur locative réelle ne sont imposables qu'au Maroc, quand bien même cet Etat n'aurait pas effectivement exercé son droit d'imposer les revenus correspondants. Dans ces conditions, la SAS Coram est fondée à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011, 2012 et 2013, qui procèdent de la réintégration des recettes auxquelles elle a ainsi renoncé et des majorations correspondantes.
En ce qui concerne la retenue à la source :
5. Aux termes de l'article 108 du code général des impôts : " Les dispositions des articles 109 à 117 fixent les règles suivant lesquelles sont déterminés les revenus distribués par : 1° Les personnes morales passibles de l'impôt prévu au chapitre II du présent titre (...) ". Aux termes de l'article 111 du même code : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) c. Les rémunérations et avantages occultes ; (...) ". Aux termes de l'article 119 bis de ce code : " (...) 2. Les produits visés aux articles 108 à 117 bis donnent lieu à l'application d'une retenue à la source dont le taux est fixé par l'article 187 lorsqu'ils bénéficient à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France (...) ".
6. Il résulte de l'instruction que l'ensemble immobilier dont la SAS Coram a fait l'acquisition au cours des années 2006 à 2010 comprend huit constructions contiguës situées dans la vieille ville de Marrakech, dont trois riyads, et a une superficie totale de 4 000 m². L'administration, en l'absence de comparables pertinents, a déterminé la valeur locative de cet ensemble immobilier par voie d'appréciation directe, en appliquant un taux de rendement de 5 % à la valeur vénale figurant à l'actif, soit une valeur locative annuelle de 488 010 euros au titre de l'année 2011, 488 452 euros au titre de l'année 2012, et 489 845 euros pour l'année 2013. Elle a soumis à la retenue à la source au titre des années 2011, 2012 et 2013, sur le fondement du 2 de l'article 119 bis du code général des impôts, au taux de 15 % prévu au a) du 2 de l'article 11 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 modifiée, les montants correspondant aux avantages en nature résultant de la mise à disposition de l'ensemble immobilier, correspondant à la valeur locative annuelle, regardés comme des avantages occultes accordés par la SAS Coram à son principal associé, résident de Suisse, au sens du c de l'article 111 du code général des impôts.
7. D'une part, si la société requérante conteste la méthode d'évaluation de l'ensemble immobilier mis à la disposition de son associé, l'administration a pu faire application d'un taux de rendement de 5 %, eu égard à la nature et à l'emplacement exceptionnels de l'ensemble immobilier dont elle est propriétaire, aucun élément en sens contraire n'étant apporté. D'autre part, alors qu'il est constant que la SAS Coram a procédé à d'importants travaux de rénovation de l'ensemble immobilier en cause, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles sa valeur locative aurait dû être réduite en raison de son mauvais état en se bornant à produire un rapport d'expertise non daté, portant la mention " document de travail ", se référant de surcroit à une estimation locative de 100 000 euros réalisée par l'agence Garcin qui n'est ni jointe au rapport ni explicitée, et comportant une autre estimation de la valeur à 29'910 euros reposant sur la seule location de neuf chambres, alors que l'administration démontre par la production d'un article de presse que l'immeuble comporte deux suites principales et huit suites d'invités. Ainsi, dès lors qu'il est constant que l'ensemble immobilier a été mis par la SAS Coram à la disposition de son principal associé, qui est un résident de Suisse, et que les avantages ainsi consentis au cours des trois années en litige, dont l'existence et le montant sont établis, n'ont pas été comptabilisés, l'administration, alors même que la SAS Coram ne pouvait être soumise à l'impôt sur les sociétés à raison des revenus de l'immeuble, a pu à bon droit faire application de la retenue à la source.
Sur le surplus des pénalités :
8. Il suit de ce qui a été dit précédemment que la SAS Coram ne saurait demander par voie de conséquence de la décharge des rappels de retenue à la source en litige la décharge des majorations dont ils ont été assortis.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Coram est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté les conclusions de sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes. Ce jugement doit dès lors être réformé dans cette mesure et le surplus des conclusions en décharge doit être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SAS Coram et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La SAS Coram est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011, 2012 et 2013, ainsi que des majorations correspondantes.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 2009241 du 30 décembre 2022 est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à la SAS Coram une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS Coram est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée Coram et au ministre chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2024, où siégeaient :
- M. Platillero, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Mastrantuono, première conseillère,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 décembre 2024.
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N° 23MA00498