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03/12/2024 | FRANCE | N°23MA00994

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 03 décembre 2024, 23MA00994


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires de Marseille d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de fracture de la rotule résultant d'une blessure par balle.



Par un jugement n° RG 18 /00091 du 14 mars 2019, le tribunal des pensions militaires de Marseille a, d'une part, jugé que le critère de nationalité française n'est pas opposab

le à la demande de pension militaire d'invalidité de M. A... et d'autre part, sursis à statuer sur ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal des pensions militaires de Marseille d'annuler la décision du 6 février 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité de fracture de la rotule résultant d'une blessure par balle.

Par un jugement n° RG 18 /00091 du 14 mars 2019, le tribunal des pensions militaires de Marseille a, d'une part, jugé que le critère de nationalité française n'est pas opposable à la demande de pension militaire d'invalidité de M. A... et d'autre part, sursis à statuer sur ses conclusions dirigées contre la décision du 6 février 2018.

Par un jugement n° 2003833 du 21 février 2023, le tribunal administratif de Marseille, auquel la requête de M. A... a été transmise, a annulé cette décision en tant qu'elle rejette la demande de pension militaire d'invalidité de M. A... pour l'infirmité " patellectomie " et a attribué à celui-ci une pension militaire d'invalidité à compter du 9 février 2018, au taux global de 30 %, au titre de cette infirmité.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 avril 2023 et 5 septembre 2024, le ministre des armées demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 février 2023 ;

2°) de rejeter la demande de M. A....

Le ministre soutient que :

- le tribunal n'a pas motivé son jugement concernant l'évaluation de l'infirmité, en méconnaissance de l'article L. 151-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, alors que l'infirmité ne peut consister, en 2011, qu'en des séquelles de la patellectomie pratiquée en 1962 ;

- en faisant droit à la demande de pension, le tribunal a méconnu les dispositions de l'article L. 124-20 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dès lors que le demandeur ne fait pas la preuve que son infirmité a son origine dans une blessure ou une maladie causée par un fait d'attentat ou tout autre acte de violence en relation avec la guerre d'Algérie, faute pour l'intéressé de fournir un procès-verbal de gendarmerie ou de police contemporain des faits allégués, les pièces produites n'étant pas suffisamment circonstanciées ni en lien avec sa personne ;

- le tribunal a également méconnu les dispositions de l'article L. 151-2 du même code en ne se plaçant pas à la date de la demande de pension et en n'évaluant pas les séquelles de la patellectomie réalisée en 1962.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 16 juin 2023 et le 15 octobre 2024, M. A... conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que la requête d'appel est tardive et que les moyens d'appel ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre ;

- la loi n° 63-778 du 31 juillet 1963 ;

- le décret n° 64-505 du 5 juin 1964 ;

- le décret n° 69-402 du 25 avril 1969 ;

- la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-690 QPC du 8 février 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né en 1939 et de nationalité algérienne, a demandé le 10 mai 2011 le bénéfice d'une pension d'invalidité de victime civile en raison, notamment, de l'infirmité au genou droit dont il dit souffrir depuis l'attentat dont il affirme avoir été victime le 23 janvier 1962 dans le quartier de Kouba à Alger. Par une décision du 6 février 2018, la ministre des armées a rejeté cette demande au motif que M. A... n'a pas la nationalité française au jour de sa demande, contrairement aux prévisions de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 et du décret du 5 juin 1964. Par un jugement du 14 mars 2019, le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille a jugé, en application de la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-690 QPC du 8 février 2018, que la condition de nationalité française n'est pas opposable à la demande de M. A... et a sursis à statuer sur le bien-fondé de celle-ci. Mais par un jugement du 21 février 2023, dont le ministre des armées relève appel, le tribunal administratif de Marseille, auquel la requête de M. A... a été transmise, a, d'une part, annulé cette décision en tant qu'elle rejette sa demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité

" patellectomie " et, d'autre part, attribué à celui-ci une pension militaire d'invalidité à compter du 9 février 2018, au taux global de 30 %, au titre de cette infirmité.

Sur la recevabilité de l'appel :

2. La requête d'appel du ministre contre le jugement du 21 février 2023, enregistrée au greffe de la Cour le 21 avril 2023, a été introduite dans le délai de deux mois prévu par les dispositions de l'article R. 811-2 du code de justice administrative. La seule circonstance que cette requête a été datée, de manière manuscrite, par erreur, du 21 juillet 2023, est sans incidence sur la recevabilité de l'appel du ministre. La fin de non-recevoir tirée par M. A... de la tardiveté de celui-ci ne peut donc qu'être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le cadre juridique applicable :

3. Aux termes de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963, dans sa rédaction en vigueur au jour de la demande de pension de M. A... : " Sous réserve de la subrogation de l'Etat dans les droits des victimes ou de leurs ayants cause, les personnes de nationalité française, ayant subi en Algérie depuis le 31 octobre 1954 et jusqu'au 29 septembre 1962 des dommages physiques du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements survenus sur ce territoire ont, ainsi que leurs ayants cause de nationalité française, droit à pension. / Ouvrent droit à pension, les infirmités ou le décès résultant : 1° De blessures reçues ou d'accidents subis du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements d'Algérie mentionnés à l'alinéa premier ; 2° De maladies contractées du fait d'attentat ou de tout autre acte de violence en relation avec les évènements précités ; 3° De maladies contractées ou aggravées du fait de mauvais traitement ou de privations subis en captivité en relation avec les mêmes évènements. / Sont réputés causés par les faits prévus à l'alinéa précédent les décès, même par suite de maladie, s'ils sont survenus pendant la captivité. / Lorsque la blessure, l'accident, la maladie ou la mort sont dus à une faute inexcusable de la victime, ils ne donnent droit à aucune indemnité. / Les personnes qui auront participé directement ou indirectement à l'organisation ou à l'exécution d'attentats ou autres actes de violence en relation avec les évènements mentionnés à l'alinéa premier ou auront incité à les commettre seront, ainsi que leurs ayants cause, exclues du bénéfice des dispositions du présent alinéa. / Des règlements d'administration publique détermineront les dispositions nécessaires à l'application du présent article, et notamment les règles relatives au mode de calcul de la pension, à la date de son entrée en jouissance, ainsi qu'à l'attribution des allocations et avantages accessoires susceptibles d'y être rattachés ; ils fixeront en outre les conditions dans lesquelles certaines personnes ne possédant pas la nationalité française pourront être admises au bénéfice des dispositions du présent article ".

4. Néanmoins, la condition de nationalité française mise au bénéfice de ce régime d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie par les dispositions législatives précitées a été jugée contraire au principe constitutionnel d'égalité par la décision du Conseil constitutionnel n° 2017-690 QPC du 8 février 2018 avec effet à compter du 9 février 2018.

5. Les dispositions des premiers alinéas de l'article L. 113-6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, issues du I de l'article 49 de la loi du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense, et supprimant la condition de nationalité française mise au bénéfice de ce régime d'indemnisation des victimes civiles de la guerre d'Algérie par les dispositions de la loi du 31 juillet 1963, sont applicables, en vertu du II de l'article 49 de la loi du 13 juillet 2018, aux demandes tendant à l'attribution d'une pension déposées à compter du 9 février 2018 ainsi qu'aux instances en cours au 14 juillet 2018.

En ce qui concerne les droits à pension de M. A... :

6. Pour demander l'annulation du jugement qu'il attaque, le ministre des armées ne remet pas en cause le jugement rendu le 14 mars 2019 par le tribunal des pensions militaires d'invalidité de Marseille qui a jugé inopposable à la demande de pension de M. A..., la condition de nationalité française posée par l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 de finances rectificative pour 1963 et qui a, dans cette mesure, acquis un caractère définitif. En revanche, le ministre des armées soutient d'une part, ainsi qu'il le faisait devant le tribunal, que M. A... ne rapporte la preuve que l'infirmité invoquée trouve son origine dans un attentat ou tout acte de violence en relation avec les évènements survenus en Algérie du 31 octobre 1954 au 29 septembre 1962, et d'autre part, pour la première fois en appel, que l'intéressé ne fait valoir aucune gêne fonctionnelle susceptible de donner lieu à pension.

7. Certes, il résulte des pièces produites par M. A..., et plus particulièrement du rapprochement d'une " attestation d'attentat " établie le 17 septembre 1963 par le commissaire du 17ème arrondissement de Kouba, de coupures de presse du 24 janvier 1962, qui identifient précisément M. A... en dépit d'une faute d'orthographe dans la mention de son prénom, et d'un bulletin d'hospitalisation du 6 janvier 1963, que celui-ci a été victime le 23 janvier 1962, vers midi, avec huit autres personnes, d'une fusillade ciblant des ressortissants algériens, dans la rue François Daudet, quartier de Kouba à Alger. M. A..., qui a alors souffert d'une plaie par balle au niveau de l'articulation du genou droit ayant entraîné une fracture de la rotule et du condyle, a dû subir une patellectomie. Ainsi, contrairement à ce que soutient le ministre, alors même que les recherches d'un conservateur du patrimoine n'ont mis au jour aucun procès-verbal de police ou de gendarmerie relatant ces faits, M. A... justifie suffisamment de ce qu'il a été victime d'un dommage physique du fait d'un attentat en relation avec les événements survenus en Algérie au cours de la période du 31 octobre 1954 au 29 septembre 1962, susceptible d'ouvrir droit à pension en application des dispositions législatives citées au point 3.

8. M. A... dit souffrir depuis l'opération chirurgicale du 23 janvier 1962 d'une réduction de sa capacité à marcher, à monter des escaliers et à tenir debout de manière prolongée, ainsi que de douleurs chroniques, d'une instabilité articulaire et d'une limitation des activités quotidiennes. Mais, à l'appui de sa demande de pension, non plus que devant le tribunal ou la Cour, M. A..., qui se borne à verser au dossier d'instance des photographies de la cicatrice de son genou droit, ne produit aucune pièce médicale de nature à justifier de l'existence, au jour de sa demande, d'une gêne fonctionnelle en lien avec la patellectomie dont il a été l'objet le 23 janvier 1962 et qui a justifié son hospitalisation à l'hôpital Mustafa d'Alger jusqu'au 18 février 1962. Si la patellectomie correspond, d'un point de vue médical, à l'extraction totale de la rotule, par la liaison des tendons du haut du tibia et du bas de la cuisse, et est associée, dans le guide-barème des invalidités qui prévoit, à ce titre, un taux d'invalidité entre 30 et 40 %, à une extension insuffisante du triceps avec, le cas échéant, à des raideurs du genou, cette seule circonstance, qui s'attache en ce qui concerne M. A... à des faits remontant à 1962, ne peut suffire à rapporter la preuve, qui incombe au demandeur, de l'existence de séquelles, en 2011, constitutives de gênes fonctionnelles susceptibles d'ouvrir droit à pension en application de l'article 13 de la loi du 31 juillet 1963 cité au point 3. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, le ministre des armées est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de pension de

M. A..., au taux de 30 % à compter du 9 février 2018, et, par suite, à en demander l'annulation. Ce jugement doit donc être annulé et la demande de M. A... rejetée.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2003833 rendu le 21 février 2023 par le tribunal administratif de Marseille est annulé.

Article 2 : La demande de M. A... présentée devant le tribunal administratif de Marseille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et des anciens combattants et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 19 novembre 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 décembre 2024.

N° 23MA009942


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00994
Date de la décision : 03/12/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

48-01 Pensions. - Pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 15/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-12-03;23ma00994 ?
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