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26/11/2024 | FRANCE | N°23MA01303

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 26 novembre 2024, 23MA01303


Vu la procédure suivante :



Procédures contentieuses antérieures :



Par une requête enregistrée sous le n° 2003175, la société Axa France Iard a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'État et la commune de Saint-Benoît in solidum à lui verser la somme totale de 408 448,40 euros en réparation des préjudices subis qu'elle dit avoir subis du fait des sommes qu'elle a dû verser, pour le compte de son assurée, la régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur, aux victimes et ayants droit de victimes

de l'accident survenu le 8 février 2014 sur la ligne de chemins de fer de Provence reliant...

Vu la procédure suivante :

Procédures contentieuses antérieures :

Par une requête enregistrée sous le n° 2003175, la société Axa France Iard a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'État et la commune de Saint-Benoît in solidum à lui verser la somme totale de 408 448,40 euros en réparation des préjudices subis qu'elle dit avoir subis du fait des sommes qu'elle a dû verser, pour le compte de son assurée, la régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur, aux victimes et ayants droit de victimes de l'accident survenu le 8 février 2014 sur la ligne de chemins de fer de Provence reliant Nice à

Digne-les-Bains, dans les droits desquels elle est subrogée.

Par un jugement n° 2003175 du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, rejeté sa demande, d'autre part, mis à sa charge la somme de 1 500 euros à verser à la commune de Saint-Benoît en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et, enfin, rejeté le surplus des conclusions des parties.

Par une requête enregistrée sous le n° 1910207, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles ont demandé au même tribunal de condamner l'État à leur verser la somme totale de 3 809 222,31 euros assortie des intérêts à taux légal à compter du 5 septembre 2019 en réparation des préjudices subis par leur assurée, la régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur, du fait de l'accident survenu le 8 février 2014 sur la ligne de chemins de fer de Provence reliant Nice à Digne-les-Bains.

Par un jugement n° 1910207 du 31 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande.

Procédures devant la Cour :

I - Par une requête, enregistrée le 25 mai 2023 sous le n° 23MA01303, la société Axa France Iard, représentée par la scp de Angelis et associés, demande à la Cour :

1°) de réformer ce jugement n° 2003175 rendu par le tribunal administratif de Marseille le 31 mars 2023 ;

2°) de condamner in solidum l'Etat et la commune de Saint-Benoît à lui verser la somme de 408 448, 40 euros en réparation des préjudices qu'elle dit avoir subis du fait des sommes versées au nom de la régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur, son assurée, aux victimes et ayants droit des victimes de l'accident de train du 8 février 2014, dans les droits desquels elle est subrogée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la commune de Saint-Benoît, in solidum, la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la responsabilité même sans faute de la commune, à raison des conséquences dommageables de la chute d'un rocher depuis sa falaise, ouvrage public mal entretenu et en tout état de cause particulièrement dangereux, doit être engagée, l'appelante ayant indemnisé les victimes de cette chute et ayant été subrogée dans leurs droits à indemnisation ;

- la responsabilité pour faute de la commune doit être également retenue, compte tenu, d'une part, de la carence de son maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police générale au regard de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, faute d'avoir installé des filets de sécurité et engagé des travaux de purge de la falaise, et d'autre part, de la méconnaissance de son obligation d'entretenir un élément de son domaine privé, qu'elle a volontairement assumée ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat doit être engagée du fait des travaux de sécurisation de la falaise réalisés sous sa maîtrise d'ouvrage, notamment pour protéger la voie ferrée, et constitutifs de travaux publics ;

- la responsabilité de l'Etat doit enfin être retenue du fait de la faute commise par le centre d'études techniques de l'équipement Méditerranée, dont il est l'autorité de tutelle et dont les erreurs, concernant l'identification de l'aléa et l'évaluation du risque de chute de pierres, sont à l'origine directe de la chute du rocher depuis la falaise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2023, la commune de Saint Benoît, représentée par Me Pontier de la selarl Abeille et associés, conclut :

1°) à titre principal au rejet de la requête ;

2°) subsidiairement, à la réformation du jugement attaqué, au constat de l'absence de responsabilité de la commune dans l'accident survenu le 8 février 2014 en raison d'une chute de rocher, au rejet de la demande de première instance ;

3°) très subsidiairement, à ce que les sommes réclamées par l'appelante soient ramenées à de plus justes proportions ;

4°) en tout état de cause, à ce que soit mise à la charge de l'appelante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune fait valoir que :

- les moyens d'appel ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, si le jugement attaqué devait être annulé, les sommes réclamées devraient être diminuées, faute pour l'appelante de démontrer les préjudices subis par les victimes qu'elle dit avoir indemnisées.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut :

1°) à titre principal au rejet de la requête ;

2°) subsidiairement, à ce que, d'une part, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur garantisse l'Etat de toute condamnation ou que sa responsabilité soit partagée avec celle-ci à hauteur des fautes commises, et d'autre part, à ce que la régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur le garantisse de toute condamnation ou que sa responsabilité soit partagée avec celle-ci à hauteur des fautes commises.

Le ministre fait valoir que :

- les moyens d'appel ne sont pas fondés ;

- la réalité des préjudices n'est pas établie ;

- subsidiairement, la région doit garantir l'Etat de toute condamnation éventuelle, à tout le moins leurs responsabilités doivent être partagées, compte tenu des fautes commises par cette collectivité en négligeant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurisation de la voie ferrée et de ses usagers ;

- il doit en aller de même de la régie régionale des transports, chargée de l'entretien et de l'exploitation de cette voie ferrée.

II - Par une requête, enregistrée le 2 juin 2023 sous le n° 23MA01377, les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, représentées par Me Drujon d'Astros, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n°1910207 rendu le 31 mars 2023 par le tribunal administratif de Marseille ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 3 809 222,31 euros, en ce compris les frais d'expertise judiciaire, majorée des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation formée le 5 septembre 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 25 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais d'instance et d'expertise judiciaire.

Elles soutiennent que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé en ce qu'il a rejeté leurs prétentions fondées sur la responsabilité de l'Etat en sa qualité de seul maître d'ouvrage des travaux de sécurisation réalisés en 2007 ;

- c'est à tort que le tribunal a rejeté de telles prétentions, dès lors que de tels travaux tendaient non seulement à la sécurisation du talus routier se situant sous la voie ferrée en amont de la RN 202 mais encore à la sécurisation de la falaise se situant en amont de la voie ferrée et de la RN 202 ;

- la responsabilité de l'Etat pour faute en sa qualité d'autorité de tutelle du centre d'études techniques de l'équipement, en raison des erreurs commises par cet établissement public dans l'étude réalisée en 2006, dans la perception du risque et la préconisation des travaux à réaliser, et n'ayant pas permis de prendre les mesures de protection suffisantes et étant à l'origine directe de l'accident en cause, doit être engagée ;

- les préjudices subis correspondent à des frais de relevage, d'expertise de la rame, et au coût de destruction de cet ouvrage, ainsi qu'aux frais d'expertise judiciaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juin 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut :

1°) à titre principal au rejet de la requête ;

2°) subsidiairement, à ce que, d'une part, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur garantisse l'Etat de toute condamnation ou que sa responsabilité soit partagée avec celle-ci à hauteur des fautes commises, et d'autre part, à ce que la régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur le garantisse de toute condamnation ou que sa responsabilité soit partagée avec celle-ci à hauteur des fautes commises.

Le ministre fait valoir que :

- les moyens d'appel ne sont pas fondés, les requérantes ayant mal dirigé leurs conclusions puisque l'Etat n'est pas le maître d'ouvrage des travaux de sécurisation de la voie ferrée et que les études préalables menées par ses services n'avaient pour objet de tels travaux ;

- la réalité des préjudices n'est pas établie ;

- subsidiairement, la région doit garantir l'Etat de toute condamnation éventuelle, à tout le moins leurs responsabilités doivent être partagées, compte tenu des fautes commises par cette collectivité en négligeant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurisation de la voie ferrée et de ses usagers ;

- il doit en aller de même de la régie régionale des transports, chargée de l'entretien et de l'exploitation de cette voie ferrée.

Par une ordonnance du 2 octobre 2024, la clôture d'instruction a été fixée au

18 octobre 2024, à 12 heures.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Revert,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Robles, représentant la société AXA France Iard, de Me Drujon d'Astros, représentant les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, de Me Durand, substituant Me Pontier, représentant la commune de Saint-Benoît, et de

Me Rasamoelina, substituant Me Gauch, représentant la région Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Considérant ce qui suit :

1. Le 8 février 2014, un bloc rocheux de 10 m3 s'est détaché de la falaise du Clot Jaumal, appartenant à la commune de Saint-Benoît, et a percuté le train circulant sur la ligne, située en contrebas, reliant Nice à Digne-les-Bains, alors exploitée par la régie des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur, en vertu d'un contrat d'obligation de service public conclu le 16 décembre 2013 avec la région. Cet accident a causé la mort de deux personnes et en a blessé vingt-deux. La société Axa France Iard, indiquant agir par subrogation aux droits des victimes de cet accident et leurs ayants droit, qu'elle a indemnisés en vertu du contrat d'assurance la liant à la régie régionale des transports, a saisi le 30 décembre 2019 le ministre chargé de la transition écologique et la commune de Saint-Benoît de deux demandes tendant au versement de la somme de 300 089, 25 euros, correspondant aux sommes versées à ces personnes. Les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, subrogées dans les droits de la régie régionale des transports, ont présenté à ce ministre une demande de paiement de la somme de 3 808 222, 31 euros correspondant aux sommes versées à la régie. Par un jugement n° 2003175 rendu le 31 mars 2023, dont la société Axa France Iard relève appel par sa requête n° 23MA01303, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation in solidum de l'Etat et de la commune de Saint-Benoît à lui verser la somme totale de 408 448,40 euros en réparation des préjudices subis par les victimes de cet accident et leurs ayants droits. Par un jugement n° 1910207 rendu le même jour, dont les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles relèvent appel par leur requête n° 23MA01377, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leur demande tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme totale de 3 809 222,31 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 septembre 2019 en réparation des préjudices subis par leur assurée, la régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte d'Azur, du fait de cet accident.

2. Les requêtes n°s 23MA01303 et 23MA01377 présentent à juger des questions identiques. Il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un même arrêt.

Sur le bien-fondé du jugement n° 2003175 en tant qu'il a rejeté les conclusions indemnitaires de la société Axa France Iard dirigées contre la commune de Saint-Benoît :

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité pour faute de la commune :

3. En premier lieu, un litige relatif à la mise en cause de la responsabilité d'une commune du fait d'un dommage causé par le défaut d'entretien d'une dépendance de son domaine privé relève de la compétence du juge judiciaire.

4. Il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que la parcelle cadastrée section D n° 87, constitutive d'une partie de la falaise du Clot Jaumal, dont s'est détaché le bloc rocheux ayant causé l'accident de train du 8 février 2014, est la propriété de la commune de

Saint-Benoît, et n'était pas, à la date de l'accident en cause, affectée à l'usage direct du public, ou à un service public. En raison de son éloignement des dépendances du domaine public ferroviaire et du domaine public routier, situées en contrebas, elle ne peut davantage être vue comme un accessoire de ces éléments du domaine public. Cette parcelle relevait donc du domaine privé de la commune de Saint-Benoît, dont la responsabilité pour cause de défaut d'entretien de ce terrain ne peut être mise en cause devant le juge administratif, ainsi que l'a jugé le tribunal.

5. En second lieu, aux termes de l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (...)". Le maire d'une commune peut prendre, y compris sur le domaine privé communal, des mesures relevant de son pouvoir de police municipal, en vue notamment d'y réglementer l'ordre public ou d'assurer la sécurité des usagers.

6. Ainsi que le soutient la commune de Saint-Benoît, aucune des pièces du dossier ne permet d'établir qu'elle avait reçu connaissance des études réalisées en juin 2001 et en mars 2006 par le centre d'étude techniques de l'équipement (CETE) Méditerranée, à la demande des services de la direction départementale de l'équipement, sur l'aléa élevé à très élevé des chutes de blocs de pierre dans le secteur du Clot Jaumal et les mesures de sécurité de la route nationale 202, située sous la falaise, en contrebas de la voie ferrée. Il résulte certes de l'instruction, et plus particulièrement du rapport du bureau d'études techniques des accidents de transports de décembre 2015, utilement complété sur ce point par le rapport d'expertise judiciaire du 16 novembre 2018, rendu sur ordonnance du président du tribunal de grande instance de Nice du 10 février 2015, que le risque d'éboulement depuis la falaise du Clot Jaumal était largement connu et avait justifié, en 2007, l'installation, sur le site, d'un filet plaqué et de sept lignes d'écrans de protection, financée par l'Etat et la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Néanmoins, compte tenu des mesures ainsi prises et des moyens de la commune de Saint-Benoît, et alors même que, dans son rapport du 16 novembre 2018, l'expert judiciaire indique que la pose d'un filet supplémentaire, de type filet pendu, aurait permis de freiner utilement la course d'un bloc de pierre de 10 m3, il ne résulte pas de l'instruction que le maire de Saint-Benoît, en fonction des informations dont il disposait à la date de l'accident, et de la connaissance du risque de chute de ce type de rocher qu'il avait pu alors acquérir, aurait dû prescrire d'autres mesures de sécurité que celles déjà prises, et notamment des travaux de purge de la falaise comme le soutient la société Axa France Iard.

Par suite, celle-ci n'est pas fondée à soutenir qu'en s'abstenant d'exercer son pouvoir de police, le maire de la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité sans faute de la commune :

7. Si la qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi, présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public.

8. Contrairement à ce que soutient la société Axa France Iard, la falaise du Clot Jaumal prise dans sa partie appartenant à la commune de Saint-Benoît, qui n'a fait l'objet d'aucun aménagement propre à lui ôter son caractère naturel, ne saurait constituer, par elle-même, un ouvrage public, nonobstant la réalisation d'ouvrages de protection plus bas sur la falaise.

En l'absence de tout lien physique ou fonctionnel avec la voie ferrée située en contrebas, cette portion de falaise ne peut davantage être vue comme l'accessoire indispensable à cet ouvrage public, ni même, à plus forte raison, à l'ouvrage public que constitue la route nationale, implantée plus bas encore. La parcelle de la commune de Saint-Benoît ne constituant donc pas un ouvrage public, et relevant, ainsi qu'il a été dit au point 4, du domaine privé communal, c'est par conséquent à bon droit que le tribunal administratif de Marseille a rejeté comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, les conclusions indemnitaires de la société Axa France Iard tendant à l'engagement de la responsabilité sans faute de la commune de Saint-Benoît au titre d'un dommage causé par cette propriété.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'argumentation de la commune de Saint-Benoît tirée tant de la faute commise par l'Etat et par la régie régionale des transports que de l'existence d'un cas de force majeure, que la société Axa France Iard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort, que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande indemnitaire dirigée contre la commune de Saint-Benoît.

Sur le bien-fondé des jugements n° 2003175 et n° 1910207 en tant qu'ils ont rejeté les conclusions indemnitaires de la société Axa France Iard et des sociétés MMA dirigées contre l'Etat :

En ce qui concerne la qualification des filets de protection en litige :

10. Il résulte de l'instruction qu'au cours de l'année 2007, à la suite des études menées en juin 2001 et mars 2006 par le CETE Méditerranée, ont été installés, sur la falaise du

Clot Jaumin, en surplomb de la voie ferrée et de la route nationale 202, d'une part, un filet plaqué sur une faible superficie de la paroi et, d'autre part, sept lignes de filets de protection

" anti-sous- marins " de classe 9, dits " filets écran ". Certes, et contrairement à ce que soutiennent les appelantes, il ne résulte ni du contrat de plan Etat-Région conclu pour la période 2000-2006, ni des études du CETE, ni des pièces du marché relatif à la pose de ces dispositifs de sécurité,

ni même d'un courrier adressé le 1er juin 2007 par la direction régionale de l'équipement à l'un des propriétaires de la falaise auquel se réfère le rapport d'expertise judiciaire, que ces installations, commandées par les services de l'Etat, auraient été conçues à une autre fin que la protection de la route nationale 202. Néanmoins il ressort à la fois du contrat de plan Etat-région précité et du rapport du bureau d'études techniques des accidents de transports de décembre 2015, non seulement que ces installations ont été co-financées par l'Etat et par la région PACA dans le cadre d'un programme de fiabilisation des itinéraires alpins, mais encore que la région, qui prévoyait initialement, dès 2001, la pose d'un système de détection en amont de la voie ferrée sur une longueur de 200 mètres et la construction d'un piège à cailloux, a décidé de considérer les dispositifs conçus par les services de l'Etat comme suffisants pour assurer la protection de la voie ferrée dont elle a la garde et la gestion, alors que l'étude du CETE de mars 2006 soulignait leur insuffisance pour un tel usage. Il résulte en outre de ce rapport du bureau d'études techniques des accidents de transports que seuls les services de l'Etat et ceux du CETE Méditerranée, devenu Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA), ont assuré le contrôle périodique de ces installations. Dans ces conditions, ces installations, constitutives de biens immobiliers par destination, aménagées initialement afin de protéger la route nationale 202, ouvrage public sous la maîtrise de l'Etat, mais également considérées par la région PACA comme affectées à la protection de la voie ferrée, ouvrage public dont elle a la garde, présentent le caractère d'ouvrages publics accessoires à ces voies. La finalité même de ces ouvrages publics rend sans incidence sur leur qualification la circonstance qu'ils sont éloignés des voies qu'ils ont pour objet de protéger.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité pour faute de l'Etat :

11. La société Axa France Iard et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles recherchent d'abord la responsabilité de l'Etat pour les fautes commises selon elles par le CETE Méditerranée, service de l'Etat dépourvu de la personnalité morale à la date de l'accident, du fait des erreurs entachant ses études réalisées en 2001 et en 2006 quant au niveau d'aléa de chutes de blocs de pierre de 10 à 50 m3 sur la voie ferrée et quant aux mesures nécessaires à la conjuration de ce risque.

12. D'une part, l'étude du CETE de mars 2006, qui précise que la falaise présente des instabilités qui caractérisent pour une large part un aléa élevé " dans un délai de déclenchement qui se situe entre le court et le moyen terme ", n'a pas omis de préciser le délai d'occurrence du phénomène de chute de rochers, alors même que, dans le tableau de synthèse de qualification des aléas joint à ce rapport, la colonne relative au compartiment de la falaise surplombant la route nationale 202 n'a pas été renseignée. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que les études de 2001 et de 2006 seraient affectées d'une erreur de détermination de la nature géologique précise de la falaise, et notamment du compartiment concerné. D'autre part, s'il résulte de l'instruction, et plus particulièrement du rapport d'expertise judiciaire du 16 novembre 2018, que les études du CETE comportent une confusion entre m3 et tonnes concernant les dimensions des blocs de pierre susceptibles de se détacher de la falaise, cet expert judiciaire relève également que " le danger lié à la chute de masses rocheuses de 10 à 50 m3 avait été parfaitement identifié par le CETE " et que les filets écrans de classe 9 étaient les plus résistants. Par ailleurs, en admettant même, ainsi que le conclut le rapport d'expertise judiciaire, et ainsi que le montre l'installation en mai 2014, après l'accident en cause, d'un filet pendu sur la falaise, que la pose d'une tel type de protection était, en 2007, techniquement possible, déjà pratiquée en d'autres lieux, dans sa synthèse, et à même d'intercepter efficacement un bloc de pierre de 10 m3, de la nature de la masse rocheuse qui a causé cet accident, il résulte de ce qui a été dit au point 10 que les filets de protection installés en 2007 n'ont pas été conçus par les services de l'Etat pour assurer la protection de la voie ferrée, mais seulement celle de la route nationale 202. L'étude du CETE de mars 2006 précise elle-même, que les mesures de protection qu'elle préconise, et qui consistaient en la pose d'un filet plaqué et de sept lignes de filets écrans, n'étaient pas de nature à empêcher la " propagation " des blocs de 10 m3 et plus sur la voie ferrée. Il suit de là que, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, les erreurs commises par le CETE dans ses études, constitutives de fautes des services de l'Etat, ne peuvent être regardées comme ayant empêché les autorités compétentes de prendre les mesures adaptées à la conjuration du risque de chute d'un bloc de pierre de 10 m3 et partant comme ayant été à l'origine directe de la chute du bloc ayant causé l'accident de train du 8 février 2014. Les appelantes ne sont donc pas fondées à rechercher la responsabilité de l'Etat du fait de la faute commise par ses services dans l'évaluation du risque de chute de pierres depuis la falaise du Clot Jaumal.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires fondées sur la responsabilité de l'Etat du fait de travaux et d'ouvrages publics :

13. En premier lieu, la société Axa France Iard ne peut utilement soutenir que l'opération de travaux publics ayant consisté, en 2007, en la mise en sécurisation de la route nationale 202 et entièrement achevés au cours de cette même année, serait à l'origine de l'accident de train du 8 février 2014, compte-tenu du délai important écoulé entre ces travaux et cet accident.

14. En deuxième lieu, une collectivité publique peut en principe s'exonérer de la responsabilité qu'elle encourt à l'égard des usagers d'un ouvrage public victimes d'un dommage causé par l'ouvrage si elle apporte la preuve que cet ouvrage a été normalement aménagé et entretenu. Sa responsabilité ne peut être engagée à l'égard des usagers, même en l'absence de tout défaut d'aménagement ou d'entretien normal, que lorsque l'ouvrage, en raison de la gravité exceptionnelle des risques auxquels sont exposés les usagers du fait de sa conception même, doit être regardé comme présentant par lui-même le caractère d'un ouvrage exceptionnellement dangereux.

15. Il résulte de l'instruction qu'avant la pose en 2007 du filet plaqué et des filets écrans, la portion de voie ferrée surplombée par la falaise du Clot Jaumal était exposée à un risque élevé à très élevé de chutes de pierres. En revanche, depuis la mise en place de ces dispositifs de sécurité, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas du rapport de l'inspection des filets réalisée en 2013 par le CETE Méditerranée, auquel renvoie le rapport de bureau d'études des accidents de transports de décembre 2015, et qui fait mention de pierres repérées sur le tronçon de voie avant 2013, sans en préciser les dimensions, que des blocs ou masses rocheuses auraient été trouvés sur la voie ferrée ou sur la route nationale. Ces circonstances ne conféraient donc pas à cette voie ferrée le caractère d'ouvrage exceptionnellement dangereux de nature à engager envers les usagers la responsabilité de l'Etat, qui a assuré de fait et dans cette mesure le suivi et le contrôle de cet ouvrage, en l'absence d'un vice de conception, d'un défaut d'aménagement ou d'un défaut d'entretien normal.

16. Par ailleurs, l'ensemble des pièces du dossier montre que les filets de protection installés en 2007 étaient à la date de l'accident en bon état et normalement dimensionnés, au nombre des matériels les plus performants à cette date et que l'état précaire du rocher, qui a causé sa chute, ne pouvait pas être détecté lors des tournées de surveillance effectuées au pied des falaises par les agents chargés de la maintenance de la route ou de la voie ferrée. Il résulte également de l'instruction, notamment de la comparaison du rapport d'expertise judiciaire et des études du CETE, du CEREMA en 2014 et des rapports des cabinets d'études établis en 2008 et en 2013 à la demande de la région PACA, qu'à la date de l'accident, compte tenu des procédés techniques couramment pratiqués, la pose d'un filet pendu, en complément des filets écrans, n'était pas au nombre des aménagements normaux pour parer au risque d'éboulement. Par suite, l'Etat, qui en tout état de cause n'est pas le maître de l'ouvrage public que constituent la voie ferrée et ses accessoires mais s'est borné à assurer le contrôle technique et le suivi des filets de protection de cette voie, rapporte la preuve, qui incombe en principe au maître d'ouvrage, de son entretien normal. Les appelantes, venant aux droits des usagers de la voie ferrée, ne sont donc pas fondées à demander la condamnation de l'Etat au titre de la responsabilité du fait d'ouvrages publics.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la société Axa France Iard d'une part, et les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles d'autre part, ne sont pas fondées à se plaindre de ce que, par les jugements attaqués, qui sont suffisamment motivés, le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs demandes subrogatoires dirigées contre l'Etat et la commune de Saint-Benoît.

Sur les conclusions du ministre chargé de la transition écologique tendant à l'appel en garantie de la région PACA et de la régie régionale des transports PACA :

18. Le présent arrêt ne prononçant aucune condamnation de l'Etat, les conclusions aux fins d'appel en garantie présentées par le ministre chargé de la transition écologique sont sans objet.

Sur les dépens :

19. Les présentes instances n'ont donné lieu à aucun dépens, les frais exposés par les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles au titre de l'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de grande instance de Nice ne s'y rattachant pas. Leurs conclusions tendant au remboursement par l'Etat de ces frais ne peuvent donc qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Saint-Benoît et de l'Etat, qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Axa France Iard, au titre des frais exposés par la commune de Saint-Benoît et non compris dans les dépens, la somme de 2 000 euros.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Axa France Iard, la requête des sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, et les conclusions du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires sont rejetées.

Article 2 : La société Axa France Iard versera à la commune de Saint-Benoît la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Axa France Iard, aux sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles, au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, à la commune de Saint Benoît, à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et à la régie régionale des transports Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Copie en sera adressée au préfet des Alpes-de-Haute-Provence.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 novembre 2024.

N°s 23MA01303, 23MA013772


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01303
Date de la décision : 26/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-01 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages sur les voies publiques terrestres.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Michaël REVERT
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SCP DE ANGELIS & ASSOCIÉS;SCP DE ANGELIS & ASSOCIÉS;SCP DRUJON D'ASTROS BALDO & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 01/12/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-26;23ma01303 ?
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