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22/11/2024 | FRANCE | N°23MA00553

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 22 novembre 2024, 23MA00553


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012.



Par un jugement n° 2001151 du 9 janvier 2023, le tribunal administratif de Toulon l'a déchargée, en droits et pénalités, des contributions sociales en cause et a rejeté le surplus de sa demande

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Procédure devant la Cour :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 m...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012.

Par un jugement n° 2001151 du 9 janvier 2023, le tribunal administratif de Toulon l'a déchargée, en droits et pénalités, des contributions sociales en cause et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 mars et 15 juin 2023 et le 9 février 2024, Mme A..., représentée par Me Peltier-Feat, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 janvier 2023 en tant qu'il rejette le surplus de sa demande ;

2°) de faire droit à sa demande de décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le délai de reprise était échu ;

- l'administration ne saurait se prévaloir de la demande d'assistance administrative qu'elle a effectuée pour prétendre à une prolongation de ce délai, sur le fondement de l'article L. 188 du livre des procédures fiscales, dès lors qu'elle disposait de tous les éléments utiles à la rectification, sans que cette demande ne soit nécessaire à l'établissement de l'imposition ;

- au demeurant, la demande d'assistance administrative n'a pas été faite dans le délai de reprise s'agissant des impositions au titre de l'année 2011 ;

- en tout état de cause, elle n'a pas été informée en temps utile de la demande d'assistance administrative ;

- cette information comporte des mentions erronées sur la durée du délai applicable à la suite d'une telle demande d'assistance ;

- elle a été imposée en Roumanie sur des bénéfices non commerciaux perçus dans ce pays ; ces sommes doivent être déduites de l'impôt français ;

- la majoration prévue par le 7° de l'article 158 du code général des impôts est contraire à l'article 1er du protocole n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 juillet 2023 et 11 avril 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au non-lieu à statuer à hauteur du dégrèvement de 34 949 euros effectué et au rejet du surplus des conclusions de la requête.

Il soutient que :

- un dégrèvement est prononcé s'agissant de la majoration prévue par le 7° de l'article 158 du code général des impôts ;

- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention entre la France et la Roumanie tendant à éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune du 27 septembre 1974 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative.

Le président de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Toulon du 9 janvier 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à obtenir la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012.

Sur l'étendue du litige :

2. Par décision du 20 mars 2024 postérieure à l'introduction de la requête, le directeur départemental des finances publiques du Var a accordé à Mme A... un dégrèvement, en droits et pénalités, à hauteur de la somme totale de 34 949 euros au titre des deux exercices en litige. Les conclusions de la requête de Mme A... sont, dans cette mesure, devenues sans objet.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, si une convention bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions peut, en vertu de l'article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l'imposition. Par suite, il incombe au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative à une telle convention, de se placer d'abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l'imposition contestée a été valablement établie et, dans l'affirmative, sur le fondement de quelle qualification. Il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer - en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s'agissant de déterminer le champ d'application de la loi, d'office - si cette convention fait ou non obstacle à l'application de la loi fiscale.

4. Aux termes du I de l'article 155 A du code général des impôts, dans sa version applicable : " Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières : / - soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ; / - soit, lorsqu'elles n'établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ; / - soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l'article 238 A ". Les prestations dont la rémunération est ainsi susceptible d'être imposée entre les mains de la personne qui les a effectuées correspondent à un service rendu pour l'essentiel par elle et pour lequel la facturation par une personne domiciliée ou établie hors de France ne trouve aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière, permettant de regarder ce service comme ayant été rendu pour son compte.

5. En l'espèce, Mme A..., médecin spécialiste en information médicale, exerce une activité de conseil et d'audit ayant trait à la codification des pathologies pour leur prise en charge par la sécurité sociale auprès d'établissements de santé. L'examen de sa situation fiscale personnelle a permis de constater qu'au cours des années 2011 et 2012 elle avait effectué, pour la société ADHREN ayant obtenu un certain nombre de marchés, des prestations auprès de divers établissements hospitaliers parisiens, facturées par l'intermédiaire d'une société de droit roumain, E-WAY Trading. Mme A... est la seule associée de cette société, et détient seule la signature et la carte bleue attachée à son compte bancaire. La société E-WAY Trading n'a pas d'autres revenus que ceux tirés des prestations effectuées par Mme A... et ne dispose d'aucun local en Roumanie ni d'aucune charge salariale. L'administration a ainsi estimé, à bon droit, que Mme A..., qui est domiciliée en France et contrôle directement la société E-WAY trading au sens du I de l'article 155 A du code général des impôts, devait être imposée en France à raison de ces bénéfices non-commerciaux, en application de ces dispositions.

6. Dans sa décision n° 2010-70 QPC du 26 novembre 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne créaient pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques, sous la réserve suivante : " dans le cas où la personne domiciliée ou établie à l'étranger reverse en France au contribuable tout ou partie des sommes rémunérant les prestations réalisées par ce dernier, la disposition contestée ne saurait conduire à ce que ce contribuable soit assujetti à une double imposition au titre d'un même impôt ".

7. Cette réserve d'interprétation ne peut, en tout état de cause, concerner que les impositions françaises. Par suite, l'argumentation de Mme A... tirée de l'imposition en Roumanie des rémunérations litigieuses doit être écartée comme inopérante quant à l'application de l'article 155 A du code général des impôts.

8. Aux termes de l'article 4 de la convention fiscale franco-roumaine du 27 septembre 1974 : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression " résident d'un État contractant " désigne toute personne qui, en vertu de la législation dudit État, est assujettie à l'impôt dans cet État, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège statutaire, de son siège de direction ou de tout autre critère de nature de nature analogue. / 2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1, une personne physique est considérée comme résident de chacun des États contractants, sa situation est réglée de la manière suivante : a) Cette personne est considérée comme résident de l'État contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. ; / (...) ". Aux termes de l'article 14 de cette convention : " 1. Les revenus qu'un résident d'un Etat contractant tire d'une profession libérale exercée pour son propre compte ou d'autres activités indépendantes de caractère analogue ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que ce résident ne dispose de façon habituelle, dans l'autre Etat contractant, d'une base fixe pour l'exercice de ses activités. S'il dispose d'une telle base, les revenus sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à ladite base fixe ".

9. Eu égard aux éléments exposés ci-dessus au point 5, ces stipulations ne font pas obstacle à l'imposition de Mme A... en France, sur le fondement des dispositions du I de l'article 155 A du code général des impôts, ce qui n'est d'ailleurs pas allégué par la requérante.

10. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales : " Pour l'impôt sur le revenu et l'impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l'administration des impôts s'exerce jusqu'à la fin de la troisième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due ". Aux termes de l'article L. 188 A du même code : " Lorsque l'administration a, dans le délai initial de reprise, demandé à l'autorité compétente d'un autre Etat ou territoire des renseignements concernant un contribuable, elle peut réparer les omissions ou les insuffisances d'imposition afférentes à cette demande, même si le délai initial de reprise est écoulé, jusqu'à la fin de l'année qui suit celle de la réception de la réponse et, au plus tard, jusqu'au 31 décembre de la troisième année suivant celle au titre de laquelle le délai initial de reprise est écoulé. / Le présent article s'applique dans la mesure où le contribuable a été informé de l'existence de la demande de renseignements dans le délai de soixante jours suivant son envoi ainsi que de l'intervention de la réponse de l'autorité compétente de l'autre Etat ou territoire dans le délai de soixante jours suivant sa réception par l'administration ".

11. En l'espèce, les impositions en litige concernant les années 2011 et 2012, les délais de reprise expiraient respectivement, en application de l'article L. 169 du livre des procédures fiscales, les 31 décembre 2014 et 31 décembre 2015. Pour soutenir que la demande formulée par les autorités françaises à leurs homologues roumaines n'a pas été adressée dans le délai initial de reprise s'agissant des impositions dues au titre de l'année 2011, c'est-à-dire, avant le 31 décembre 2014, la requérante se prévaut d'un procès-verbal rédigé le 17 février 2016 par les inspecteurs de l'administration fiscale roumaine qui fait référence à une " lettre officielle de demande pour l'échange international d'informations " du 2 avril 2015. Toutefois, il y est indiqué que cette lettre a été adressée à " l'administration de secteur 1 ", compétente, par le " bureau d'informations fiscales de la direction générale régionale des finances publiques - Bucarest ". Il ne s'agit dès lors que d'un courrier interne à l'administration fiscale roumaine. Au contraire, le ministre justifie dans l'instance que l'administration roumaine a accusé réception de la demande d'assistance des autorités françaises par un formulaire électronique du 29 avril 2014.

12. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... a été informée de l'existence de la demande de renseignements par courrier du 12 mai 2014, soit dans le délai de soixante jours suivant son envoi aux autorités roumaines. La circonstance que ce courrier mentionne, par erreur, que les rectifications peuvent être réparées, en cas d'une telle assistance, au plus tard jusqu'à la fin de la cinquième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due, alors que le texte applicable fixe ce butoir à la fin de la troisième année suivant celle-ci, est sans incidence sur le délai de reprise applicable et sur la régularité de la procédure.

13. Avant d'obtenir la réponse des autorités roumaines à cette demande d'assistance, la vérificatrice avait pu constater via les relevés des comptes bancaires roumains de la société E-WAY Trading et de Mme A... elle-même, des transferts d'argent entre ladite société et, d'une part, la requérante, d'autre part, la société ADHREN. Cependant, c'est par l'intermédiaire de cette demande d'assistance qu'elle a pu obtenir le contrat de prestation signé entre la société E-WAY Trading et la société ADHREN, les factures correspondantes faisant apparaître le lieu d'exécution des prestations, de même surtout que les statuts de la société E-WAY Trading, permettant de constater que Mme A... en est l'unique actionnaire. Ces éléments ont seuls permis de déterminer que les sommes en cause correspondaient à la rémunération de services effectués par la requérante elle-même, que les rémunérations versées à la société E-WAY Trading ne trouvaient aucune contrepartie réelle dans une intervention propre de cette dernière et qu'elles étaient imposables sur le fondement du I de l'article 155 A du code général des impôts dans la catégorie des bénéfices non commerciaux. Mme A... ne saurait dès lors soutenir que l'administration a effectué une demande d'assistance administrative dans le seul but de prolonger son délai de reprise.

14. Il résulte de ce qui vient d'être exposé des points 10 à 13 que le moyen tiré de ce que le délai de reprise aurait été dépassé doit être écarté en toutes ses branches.

15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a, par le jugement attaqué, rejeté le surplus de sa demande tendant à obtenir la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2011 et 2012.

Sur les frais liés au litige :

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une quelconque somme à la charge de l'Etat, au bénéfice de Mme A..., sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme A... à concurrence du dégrèvement octroyé par la décision du 20 mars 2024.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Marchessaux, première conseillère,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 novembre 2024.

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N° 23MA00553

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00553
Date de la décision : 22/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Textes fiscaux - Conventions internationales.

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt - Prescription.

Contributions et taxes - Impôts sur les revenus et bénéfices - Règles générales - Questions communes - Personnes imposables.


Composition du Tribunal
Président : Mme VINCENT
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : FEAT SOCIETE D'AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-22;23ma00553 ?
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