Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 12 novembre 2018 par laquelle le maire de Cannes l'a radié des cadres, ensemble la décision du 18 janvier 2019 rejetant son recours gracieux, d'enjoindre au maire de Cannes de procéder à sa réintégration à la date de son éviction et à la reconstitution de sa carrière et de condamner la commune de Cannes à lui verser la somme de 29 699,67 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de l'illégalité de la décision du 12 novembre 2018.
Par un jugement n° 1901226 du 27 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 12 novembre 2018 par laquelle le maire de Cannes a radié M. B... des cadres et celle rejetant son recours gracieux, a enjoint au maire de Cannes de procéder à la réintégration juridique de l'intéressé à compter de la date de son éviction, à l'adoption rétroactive des mesures nécessaires pour reconstituer sa carrière, ainsi qu'à la reconstitution des droits sociaux et à pension de retraite, dans un délai de deux mois, et condamné la commune à payer à M. B... la somme de 17 903,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2019 et capitalisation des intérêts.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 juin 2022 et le 6 mai 2024, la commune de Cannes, représentée par Me Eglie-Richters, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice n° 1901226 du 27 avril 2022 ;
2°) statuant à nouveau, de rejeter la requête de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les premiers juges n'ont pas fait une juste appréciation du comportement de M. B... qui témoignait d'une volonté de rompre ses liens avec son employeur et le service public ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en considérant comme suffisant le fait que M. B... se soit rendu chez son médecin traitant le 8 novembre 2018, soit avant la décision attaquée, pour régulariser sa situation ;
- les moyens soulevés par M. B... en première instance ne sont pas fondés ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit et de fait en la condamnant à payer à M. B... des dommages et intérêts.
Par un mémoire, enregistré le 30 novembre 2023, M. A... B..., représenté par Me Liger, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête d'appel présentée par la commune de Cannes ;
2°) de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a annulé la décision du 12 novembre 2018 et la décision de rejet de son recours gracieux, prononcé les injonctions au maire de Cannes et mis à la charge de la commune de Cannes la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de réformer le jugement attaqué en tant qu'il a condamné la commune de Cannes à lui payer la somme de 17 903,20 euros à titre de dommages et intérêts et rejeté le surplus des conclusions de la requête ;
4°) de condamner la commune de Cannes à lui payer la somme de 19 576,03 euros en réparation du préjudice financier augmentée des intérêts moratoires à compter de la demande préalable et celle de 10 000 euros en réparation des conséquences dommageables du fait de son éviction illégale et en réparation du préjudice moral subi et de l'atteinte à l'image et à la réputation, augmentée des intérêts moratoires à compter de la demande préalable ;
5°) de mettre à la charge de la commune de Cannes la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il n'est pas possible d'identifier l'auteur de la décision en litige ;
- cette décision est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'il n'a pas pris connaissance de la mise en demeure adressée le 22 octobre 2018 ;
- la commune de Cannes aurait dû procéder à l'adaptation de son poste ou à son reclassement, en l'absence de quoi la décision en litige est entachée d'un détournement de procédure ;
- elle est entachée d'une erreur de fait ; l'ensemble des éléments démontre qu'il n'a pas entendu rompre tout lien avec le service ;
- son préjudice s'élève à la somme totale de 29 576,03 euros.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme Rigaud, présidente assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Rigaud ;
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public ;
- et les observations de Me Eglie-Richters, représentant la commune de Cannes.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Cannes interjette appel du jugement du 27 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 12 novembre 2018 par laquelle son maire a radié M. B... des cadres ainsi que la décision rejetant le recours gracieux de ce dernier, enjoint à son maire de procéder à la réintégration juridique de l'intéressé à compter de la date de son éviction, à l'adoption rétroactive des mesures nécessaires pour reconstituer sa carrière, ainsi qu'à la reconstitution des droits sociaux et à pension de retraite, dans un délai de deux mois, et par lequel il l'a condamnée à payer à M. B... la somme de 17 903,20 euros. Par un appel incident, M. B... demande à la cour de réformer le jugement du 27 avril 2022 et de condamner la commune de Cannes à lui payer la somme de 29 576,03 euros en réparation de ses préjudices.
Sur le bienfondé du motif d'annulation retenu par le tribunal :
2. Une mesure de radiation des cadres pour abandon de poste ne peut être régulièrement prononcée que si l'agent concerné a, préalablement à cette décision, été mis en demeure de rejoindre son poste ou de reprendre son service dans un délai approprié qu'il appartient à l'administration de fixer. Une telle mise en demeure doit prendre la forme d'un document écrit, notifié à l'intéressé, et l'informant du risque couru de radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable. Lorsque l'agent ne s'est ni présenté ni n'a fait connaître à l'administration aucune intention avant l'expiration du délai fixé par la mise en demeure, et en l'absence de toute justification d'ordre matériel ou médical, présentée par cet agent, de nature à expliquer le retard qu'il aurait eu à manifester un lien avec le service, cette administration est en droit d'estimer que ce lien a été rompu du fait de l'intéressé.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à compter du 1er septembre 2018 et jusqu'au 12 novembre 2018, date de sa radiation des cadres, M. B... ne s'est pas présenté à son poste de travail au sein des services de la police municipale de Cannes. Il ressort des pièces du dossier que si un justificatif a été fourni par le requérant pour la période du 17 septembre 2018 au 1er octobre 2018 inclus, il ne disposait cependant pas d'arrêt de travail pour les périodes du 1er septembre 2018 au 16 septembre 2018 inclus et du 2 octobre 2018 au 7 novembre 2018 inclus. Par ailleurs, si M. B... produit un arrêt de travail prescrit du 8 au 30 novembre 2018, il n'établit pas l'avoir transmis à son employeur, si bien qu'il ne peut être regardé comme étant régulièrement placé en congé de maladie à la date de la décision en litige.
4. Toutefois, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, il ressort des pièces du dossier que M. B... a été, durant cette période, en contact téléphonique avec son responsable de service, son chef de service et le poste de commandement de la police municipale. Il en ressort également que sa hiérarchie été informée du motif médical de ses absences. En outre, si le courrier de mise en demeure préalable à la décision de radiation, daté du 22 octobre 2018, avisé à l'adresse de l'agent en son absence le 24 octobre suivant, n'a pas été réclamé et a été retourné à l'administration avec la mention " pli avisé et non réclamé ", il ressort des pièces du dossier que M. B... a été informé par son supérieur hiérarchique dès le 22 octobre 2018 de l'engagement de la procédure de radiation pour abandon de poste et de la nécessité de justifier son absence, à la suite de quoi il a, le même jour, adressé un courrier électronique au service des ressources humaines de la commune de Cannes, par lequel il a indiqué qu'il était hospitalisé jusqu'au 24 octobre suivant et se trouvait ainsi dans l'incapacité de fournir des documents, et par lequel il a expressément demandé à ne pas faire l'objet d'une radiation des cadres pour abandon de poste et a exprimé sa volonté de régulariser sa situation administrative. Contrairement à ce que soutient la commune requérante, les termes de ce courrier électronique ne s'analysent pas comme l'expression d'une volonté de démissionner. Dans ces conditions, la commune de Cannes n'était pas en droit d'estimer que le lien avec le service avait été rompu du fait de l'intéressé.
5. La commune de Cannes n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 12 novembre 2018 prononçant la radiation des cadres pour abandon de poste de M. B... et a prononcé les injonctions susvisées à l'encontre de son maire.
Sur l'appel incident :
6. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un agent public irrégulièrement évincé a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de la mesure illégalement prise à son encontre. Sont ainsi indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente, compte tenu de l'importance respective de cette illégalité et des fautes relevées à l'encontre de l'intéressé, un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des rémunérations ainsi que celle des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions. Il y a cependant lieu de déduire, le cas échéant, le montant des rémunérations nettes et des allocations pour perte d'emploi qu'il a perçues au cours de la période d'éviction.
7. Il résulte de l'instruction que M. B... n'a pas perçu son traitement entre le 21 novembre 2018 et le 6 juin 2019 inclus, dès lors qu'il a été réintégré à titre conservatoire le 7 juin 2019, et qu'avant son éviction irrégulière, il exerçait son emploi au 2e échelon du grade de brigadier-chef-principal. Les traitements perçus par l'intéressé tels qu'ils résultent des bulletins de paie produits au dossier, s'élèvent à la somme totale de 16 903,20 euros correspondant à la rémunération qu'il aurait dû percevoir s'il n'avait pas été radié illégalement. Si la commune de Cannes soutient qu'il y a lieu de soustraire de ce montant celui des primes et indemnités liées à l'exercice effectif des fonctions, elle n'assortit cependant cette critique d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé et d'identifier la nature et le montant des primes et indemnités en cause. Il résulte en outre de l'instruction que M. B... n'a perçu, durant cette période d'éviction, aucun revenu de remplacement ni aucune allocation pour perte d'emploi. En fixant le montant des rémunérations nettes dont M. B... a été privé depuis son éviction jusqu'au 7 juin 2019 à la somme de 16 903,20 euros, les premiers juges ont correctement évalué l'indemnisation de la perte de revenus à laquelle M. B... a droit.
8. Si M. B... demande en outre l'indemnisation du préjudice matériel résultant du recouvrement par l'administration de la somme de 2 052,05 euros mise à sa charge par un titre de recettes émis le 8 décembre 2018, il résulte toutefois de l'instruction que le remboursement de cette somme a été réclamé à M. B... au titre d'un trop-perçu de salaire pour les mois de septembre et octobre 2018, soit antérieurement à la date de son éviction illégale. Alors, au demeurant, qu'il ne résulte pas de l'instruction que M. B... se serait effectivement acquitté de cette somme, la demande d'indemnisation présentée à ce titre doit être rejetée.
9. En indemnisant le préjudice moral de M. B... à hauteur de 1 000 euros, les premiers juges ont fait une correcte évaluation de ce préjudice. En outre, M. B... n'établit pas la réalité du préjudice d'atteinte à l'image et à la réputation qu'il allègue avoir subi ainsi que ses troubles dans les conditions d'existence.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... et la commune de Cannes ne sont pas fondés à soutenir de ce que le tribunal administratif a, par le jugement attaqué, condamné cette dernière à payer à M. B... la somme de 17 903,20 euros.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais d'instance.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Cannes est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. B... sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Cannes et à M. A... B....
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme L. Rigaud, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. J. Mahmouti, premier conseiller,
- M. N. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2024.
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N° 22MA01782