Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2023 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2305071 du 14 décembre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 26 janvier 2024, sous le n° 24MA00176, M. B..., représenté par Me Ben Ayed, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 décembre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 octobre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de transmettre au préfet du Var son entier dossier ainsi qu'une copie de l'arrêt à intervenir ;
4°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans l'attente de l'instruction de son dossier d'admission au séjour par le biais du regroupement familial sur place ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté viole l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- il viole l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
La requête a été communiquée au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 juin 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Marchessaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., de nationalité tunisienne, né le 6 septembre 1987, est entré en France le 29 décembre 2013, muni d'un visa de court séjour. Il s'est marié le 17 décembre 2022 avec une compatriote bénéficiaire d'une carte de résident valable jusqu'au 28 février 2031. Par un arrêté du 12 octobre 2023, le préfet des Alpes-Maritimes lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement attaqué par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 12 octobre 2023.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... est entré en France le 29 décembre 2013 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a épousé, le 17 décembre 2022, une compatriote bénéficiaire d'une carte de résident valable jusqu'au 28 février 2031 et d'un emploi de technicienne hospitalière. Si cette dernière est propriétaire d'un appartement situé au 83 rue de Lyon à Toulon, le requérant produit une facture d'électricité du 28 septembre 2023 indiquant qu'il est domicilié à Cannes chez son frère, adresse qu'il a déclarée lors de son audition par les services de police le 12 octobre 2023. La facture d'un opérateur téléphonique du 9 novembre 2023 à son nom mentionnant l'adresse précitée de son épouse est postérieure à l'arrêté contesté. En outre, si le requérant produit des SMS échangés avec cette dernière ainsi que des photos aux côtés de celle-ci, de tels éléments sont toutefois datés, au plus tard, de novembre 2022. En tout état de cause, la communauté de vie d'un peu moins d'un an à la date de l'arrêté en litige est récente. M. B... ne peut utilement se prévaloir de la naissance de leur enfant le 2 décembre 2023 dès lors qu'elle est postérieure à l'arrêté en litige. L'appelant n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu jusqu'à l'âge de 26 ans et où réside sa mère ni d'aucune insertion socio-professionnelle. Compte tenu de l'ensemble de ces circonstances, et des conditions du séjour de l'intéressé en France, M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en prenant la décision en litige, le préfet aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
5. Le requérant ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dès lors que son enfant n'était pas né à la date de l'arrêté contesté.
En ce qui concerne la légalité de la décision portant interdiction de retour d'une durée d'un an :
6. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 de ce même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / (...) ".
7. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.
8. Ainsi qu'il a été dit au point 3, il ressort des pièces du dossier que M. B... a épousé, le 17 décembre 2022, une compatriote bénéficiaire d'une carte de résident valable jusqu'au 28 février 2031. Cette dernière était enceinte à la date de la décision contestée et a déposé une demande de regroupement familial le 10 juin 2023 en vue de régulariser son séjour sur le territoire. Par suite, la décision contestée a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de transmettre au préfet du Var son entier dossier ainsi qu'une copie de l'arrêt à intervenir, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 12 octobre 2023 portant interdiction de retour d'une durée d'un an.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
10. Le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution. Il y a lieu, par suite, de rejeter les conclusions à fin d'injonction de M. B....
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 14 décembre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Nice est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. B... dirigées contre la décision du 12 octobre 2023 portant interdiction de retour d'une durée d'un an.
Article 2 : La décision du préfet des Alpes-Maritimes du 12 octobre 2023 portant interdiction de retour d'une durée d'un an est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 18 octobre 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 novembre 2024.
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N° 24MA00176
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