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05/11/2024 | FRANCE | N°23MA02342

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 4ème chambre, 05 novembre 2024, 23MA02342


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée (SARL) Mil a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 93 500 euros en réparation du préjudice économique causé par les travaux d'aménagement et de restructuration des places des Prêcheurs, de la Madeleine et de Verdun.



Par un jugement n° 2109808 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de la sociét

Mil en condamnant la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 93 500 euros.



Procé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) Mil a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 93 500 euros en réparation du préjudice économique causé par les travaux d'aménagement et de restructuration des places des Prêcheurs, de la Madeleine et de Verdun.

Par un jugement n° 2109808 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à la demande de la société Mil en condamnant la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 93 500 euros.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2023, la commune d'Aix-en-Provence, représentée par Me Gobert, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2109808 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) de mettre à la charge de la SARL Mil le versement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande de première instance était irrecevable dès lors, d'une part, qu'elle a été déposée après le délai raisonnable d'un an ouvert contre la décision du 10 janvier 2020 et que cette décision était purement confirmative de celle intervenue à la suite de l'avis rendu le 23 septembre 2019 par la commission d'indemnisation amiable ;

- les éléments produits ne suffisent pas à établir que la société Mil aurait subi un préjudice anormal et spécial excédant les sujétions que les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans indemnité dès lors que l'accès au restaurant était possible ;

- le montant de l'indemnisation octroyée à la société Mil est totalement injustifié et infondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2024, la société civile professionnelle (SCP) BR Associés, agissant en sa qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la société Mil, représentée par Me Le Merlus, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la requérante la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la demande de première instance était recevable ;

- les moyens soulevés par la commune d'Aix-en-Provence ne sont pas fondés et le jugement du tribunal administratif sera confirmé.

Un courrier du 11 avril 2024, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.

Par une ordonnance du 30 avril 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Martin,

- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,

- et les observations de Me Morabito, représentant la commune d'Aix-en-Provence.

Considérant ce qui suit :

1. Par délibérations des 18 novembre 2013 et 9 février 2015, le conseil municipal de la commune d'Aix-en-Provence a décidé la réalisation d'un programme d'aménagement et de restructuration des places Prêcheurs, Madeleine et Verdun. Estimant que ces travaux, qui ont débuté le 29 août 2016 pour être réceptionnés le 25 juin 2020, avaient préjudicié au bon exercice de son activité commerciale, la SARL Mil, qui exerçait une activité d'exploitation d'un restaurant et salon de thé sous l'enseigne " Le Millefeuille " situé au n° 8 de la rue

Rifle Rafle, a saisi la commune d'Aix-en-Provence d'une demande tendant à l'indemnisation de son préjudice économique à concurrence d'un montant de 70 000 euros. Après avis de la commission d'indemnisation amiable des préjudices économiques créée par délibération du 12 mars 2018, la commune d'Aix-en-Provence lui a proposé la conclusion d'un protocole transactionnel pour un montant de 5 000 euros, proposition rejetée par la société Mil par courrier du 5 novembre 2019. Par une lettre du 10 janvier 2020, la commune

d'Aix-en-Provence, après avoir de nouveau consulté la commission d'indemnisation amiable, a rejeté le recours gracieux de la société Mil et renouvelé sa proposition d'indemnisation à hauteur de 5 000 euros. La société Mil a alors saisi le tribunal administratif de Marseille lequel, par un jugement du 7 juillet 2023, a condamné la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 93 500 euros en réparation de son préjudice économique. Par la présente requête, la commune d'Aix-en-Provence demande à la Cour d'annuler ce jugement.

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative :

" La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle. (...) ". Et aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".

3. Il résulte, par ailleurs, du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes.

4. En premier lieu, il résulte de ce qui a été exposé au point précédent que la commune d'Aix-en-Provence n'est pas fondée à soutenir que la demande de première instance de la société Mil aurait été tardive, faute pour elle d'avoir saisi le tribunal administratif de Marseille dans le délai raisonnable d'un an à compter de la notification de la décision du 10 janvier 2020 par laquelle a été rejeté son recours gracieux contre la proposition indemnitaire formulée initialement par la commune à la suite de l'avis de la commission d'indemnisation amiable des préjudices économiques du 23 septembre 2019, dès lors que le recours de la société intimée tendait à la mise en jeu de la responsabilité de la commune et non à l'annulation ou à la réformation de la décision prise sur sa demande indemnitaire.

5. En second lieu, si la commune d'Aix-en-Provence soutient que la décision du 10 janvier 2020 est purement confirmative de celle qui l'a précédée, intervenue à la suite de l'avis de la commission d'indemnisation amiable des préjudices économiques du 23 septembre 2019, cette première décision, dont il n'est au demeurant pas allégué ni même établi qu'elle aurait comporté la mention complète des voies et délais de recours ouverts à la société Mil, n'était de surcroît pas définitive le 10 janvier 2020 dès lors qu'elle avait fait l'objet d'un recours gracieux auquel la décision du 10 janvier 2020 a précisément entendu répondre. Dans ces conditions, cette dernière décision ne peut être regardée comme purement confirmative d'une précédente décision qui n'avait pas acquis de caractère définitif.

6. Il résulte de ce qui précède que la fin de non-recevoir opposée par la commune d'Aix-en-Provence, tirée de la tardiveté de la demande de première instance, ne peut être accueillie.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

7. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.

8. En outre, l'occupant du domaine public ne peut obtenir réparation du dommage subi que lorsque les travaux n'ont pas été conduits dans l'intérêt de la dépendance occupée, qu'ils ont constitué une opération d'aménagement étrangère à la destination de celle-ci ou lorsqu'ils ont été exécutés dans des conditions anormales, alors même qu'ils étaient entrepris dans l'intérêt du domaine.

9. D'une part, il résulte de l'instruction que la commune d'Aix-en-Provence a engagé des travaux d'aménagement et de restructuration des places Prêcheurs, Madeleine et Verdun qui ont débuté à la fin du mois d'août 2016 pour être réceptionnés le 25 juin 2020.

Cette opération d'aménagement a également porté sur des rues voisines de ces places, et notamment sur la rue Rifle Rafle devant l'établissement au sein duquel la société Mil exerçait une activité d'exploitation d'un restaurant et salon de thé sous l'enseigne " Le Millefeuille " jusqu'au mois d'août 2018, date de cession du fonds commercial. De tels travaux de voirie ont constitué une opération de travaux publics à l'égard de laquelle la société intimée avait la qualité de tiers.

10. D'autre part, il résulte de l'instruction, et notamment des procès-verbaux de constat d'huissier dressés les 17 mai 2017 et 9 avril 2018 ainsi que des photographies qui leur sont annexées que, si le restaurant exploité par la société Mil est resté en théorie accessible pendant toute la durée des travaux, et ce au moyen d'un cheminement piétonnier et d'une signalétique indiquant l'ouverture des restaurants situés à proximité, les travaux dont il s'agit ont non seulement empêché le gérant de poursuivre l'exploitation de sa terrasse, mais l'ont de surcroît contraint à fermer temporairement son établissement, notamment pour des raisons d'hygiène en raison de la poussière générée par les travaux, ce qui a considérablement impacté son chiffre d'affaires à compter du début de l'année 2017 et conduit à la fermeture définitive de l'établissement. Dans ces conditions, eu égard à la nature même de l'activité de l'établissement géré par la société intimée, et compte tenu de la durée des travaux, qui n'ont pas été conduits principalement dans l'intérêt de la dépendance occupée, et dont il est constant qu'ils n'ont été réceptionnés que le 25 juin 2020 après la cessation d'activité, la gêne qu'elle a subie, imputable à l'opération de réaménagement conduite par la commune

d'Aix-en-Provence, doit être regardée comme ayant excédé les sujétions normales qui peuvent être normalement imposées aux riverains de la voirie publique dans un but d'intérêt général.

11. Enfin, alors que la commune d'Aix-en-Provence ne conteste pas le caractère spécial du préjudice allégué, il résulte de l'instruction que la société Mil a obtenu de son assureur une indemnisation, à concurrence d'un montant de 80 000 euros correspondant à 44,44 % de son préjudice de perte d'exploitation, évalué à 180 000 euros par l'expert désigné par la compagnie d'assurance, qui a constaté une forte baisse du chiffre d'affaires de la société à compter du début de l'année 2017, et dont le rapport d'expertise doit être considéré comme définitif, contrairement à ce que soutient la commune d'Aix-en-Provence, dès lors que l'indemnisation définitivement accordée à l'assurée a été évaluée sur son fondement.

Ce rapport, plus précis que celui que l'attestation de la SARL Sogexcom, également produite dans l'instance, notamment en ce qu'il analyse les causes des pertes constatées, évalue le préjudice de la société en procédant à la différence entre le chiffre d'affaires déclaré pour 2017 et le chiffre d'affaires prévisionnel de cette même année, en tenant compte de la croissance moyenne d'activité sur les trois derniers exercices, puis en prenant en compte le taux de marge brute pour en déduire une perte d'exploitation indemnisable. La commune d'Aix-en-Provence, qui se borne à soutenir, à tort, qu'il n'existe pas de correspondance entre la date de commencement des travaux et la baisse de l'activité, ne critique pas utilement les calculs ainsi réalisés, ni n'apporte d'éléments de nature à étayer son affirmation selon laquelle une cause étrangère aux travaux aurait pu être à l'origine de la baisse du chiffre d'affaires. Dans ces conditions, en évaluant, après déduction de l'indemnité versée par son assureur, le préjudice économique de la société Mil à un montant total de 93 500 euros, la SCP BR et Associés n'en a pas fait une appréciation exagérée.

12. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Aix-en-Provence n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser la somme de 93 500 euros à la SARL Mil du préjudice économique subi du fait des travaux d'aménagement et de restructuration des places Prêcheurs, Madeleine et Verdun.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la SCP BR Associés, agissant en sa qualité de mandataire liquidateur judiciaire de la société Mil, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune d'Aix-en-Provence la somme de 2 000 euros à verser à la SCP BR Associés au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la commune d'Aix-en-Provence est rejetée.

Article 2 : La commune d'Aix-en-Provence versera la somme de 2 000 euros à la SCP BR Associés, mandataire liquidateur judiciaire de la société Mil, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Aix-en-Provence et à la SCP BR Associés, mandataire liquidateur judiciaire de la société Mil.

Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, où siégeaient :

- M. Marcovici, président,

- M. Revert, président assesseur,

- M. Martin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition du greffe, le 5 novembre 2024.

N° 23MA02342 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02342
Date de la décision : 05/11/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

67-03-04 Travaux publics. - Différentes catégories de dommages. - Dommages créés par l'exécution des travaux publics.


Composition du Tribunal
Président : M. MARCOVICI
Rapporteur ?: M. Stéphen MARTIN
Rapporteur public ?: Mme BALARESQUE
Avocat(s) : SCP GOBERT & ASSOCIES AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-05;23ma02342 ?
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