Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Les Trois Palais a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Aix-en-Provence à l'indemniser des préjudices que lui ont causé les travaux d'aménagement et de restructuration des places des Prêcheurs, de la Madeleine et de Verdun.
Par un jugement n° 2204370 du 15 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune d'Aix-en-Provence à verser à la SARL Les Trois Palais la somme de 9 600 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 août 2023, la commune d'Aix-en-Provence, représentée par Me Gobert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2204370 du 15 juin 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de mettre à la charge de la SARL Les Trois Palais le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularités en ce qu'il a inexactement apprécié l'existence d'un lien de causalité entre les travaux publics et le prétendu préjudice subi par la SARL Les Trois Palais ;
- le lien de causalité entre les travaux et le dommage subi par la SARL Les Trois Palais n'est pas suffisamment documenté et étayé par des photographies et constats d'huissier ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en se basant sur la mauvaise période pour caractériser la gravité du préjudice ;
- les éléments produits ne suffisent pas à établir que le café Verdun aurait subi un préjudice anormal et spécial excédant les sujétions que les riverains des voies publiques sont tenus de supporter sans indemnité.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 25 avril et 7 mai 2024, la SARL
Les Trois Palais, représentée par Me Boulan, conclut :
1°) à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a limité à 9 600 euros le montant de la condamnation prononcée à l'encontre de la commune d'Aix-en-Provence ;
2°) à la condamnation de la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 93 851 euros en réparation du préjudice subi entre le 1er octobre 2018 et le 31 mai 2019, somme assortie des intérêts valant capitalisation ;
3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la commune
d'Aix-en-Provence en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement du tribunal administratif de Marseille doit être confirmé en tant qu'il a retenu l'existence d'un lien de causalité engageant la responsabilité de la commune ;
- en revanche, la méthode d'évaluation de son préjudice économique par les premiers juges n'est pas pertinente, dès lors qu'il convient de prendre comme référence la moyenne du chiffre d'affaires des trois dernières années et non le chiffre d'affaires de la seule dernière année avant le commencement des travaux.
Un courrier du 28 mars 2024, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article
R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 11 juin 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613 1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- les observations de Me Boulan, représentant la SARL Les Trois Palais,
- et les observations de Me Morabito, représentant la commune d'Aix-en-Provence.
Une note en délibéré, présentée par Me Boulan, pour la SARL Les Trois Palais, a été enregistrée le 3 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par délibérations des 18 novembre 2013 et 9 février 2015, le conseil municipal de la commune d'Aix-en-Provence a décidé la réalisation d'un programme d'aménagement et de restructuration des places Prêcheurs, Madeleine et Verdun. Estimant que ces travaux, qui ont débuté le 29 août 2016 pour être réceptionnés le 25 juin 2020, avaient préjudicié au bon exercice de son activité commerciale, la SARL Les Trois Palais, transformée depuis en société par actions simplifiée (SAS), qui exerce une activité d'exploitation d'un débit de boissons sous l'enseigne " Café Le Verdun " situé 20 place de Verdun, a saisi la commune d'Aix-en-Provence d'une première demande tendant à l'indemnisation de son préjudice économique pour la période du 1er janvier 2017 au 30 septembre 2018, à laquelle il a été fait droit, après avis favorable de la commission d'indemnisation amiable des préjudices économiques créée par délibération du 12 mars 2018, à concurrence d'un montant de
90 000 euros. Cette société a ensuite déposé une seconde demande indemnitaire, portant sur la période du 1er octobre 2018 au 31 mai 2019, pour un montant de 179 355 euros. A la suite de l'avis défavorable formulé par la commission d'indemnisation amiable, la commune
d'Aix-en-Provence a rejeté cette demande. La société Les Trois Palais a alors saisi le tribunal administratif de Marseille lequel, par un jugement du 15 juin 2023, a condamné la commune d'Aix-en-Provence à verser à la société Les Trois Palais la somme de 9 600 euros en réparation de son préjudice économique. Par la présente requête, la commune
d'Aix-en-Provence demande à la Cour d'annuler ce jugement. Et par la voie de l'appel incident, la SARL Les Trois Palais demande à la Cour de réformer ce jugement en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Si la commune d'Aix-en-Provence soutient que les premiers juges ont inexactement apprécié l'existence d'un lien de causalité entre les travaux publics et le prétendu préjudice subi par la société Les Trois Palais, et qu'ils ont commis de surcroît une erreur de droit en se basant sur la mauvaise période pour caractériser la gravité du préjudice de celle-ci, de tels moyens se rattachent au bien-fondé de la décision juridictionnelle et ne constituent pas des moyens d'irrégularité du jugement. Par suite le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.
4. En outre, l'occupant du domaine public ne peut obtenir réparation du dommage subi que lorsque les travaux n'ont pas été conduits dans l'intérêt de la dépendance occupée, qu'ils ont constitué une opération d'aménagement étrangère à la destination de celle-ci ou lorsqu'ils ont été exécutés dans des conditions anormales, alors même qu'ils étaient entrepris dans l'intérêt du domaine.
5. Pour faire partiellement droit à la demande d'indemnisation présentée par la société Les Trois Palais, le tribunal administratif de Marseille, après avoir relevé que le chiffre d'affaires de celle-ci avait diminué de 19 % au cours des trois années ayant précédé le commencement des travaux, a considéré qu'il convenait, pour apprécier de la manière la plus objective possible le préjudice indemnisable, de prendre en compte, comme termes de comparaison, les seules données comptables pour la période allant du 1er avril 2015 au
31 mars 2016, les plus à même d'illustrer la situation exacte du commerce à la date de commencement des travaux. Puis, il a relevé que la perte mensuelle moyenne de chiffre d'affaires pour la période du 1er octobre 2018 au 31 mars 2019 par rapport à celle comprise entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2016 représente une baisse de 21,5 % du chiffre d'affaires, et que le préjudice économique devait être évalué, au-delà d'une perte de 20 % du chiffre d'affaires, qui peut seule être regardée comme anormale, à la somme de 1 600 euros par mois, soit une somme totale de 9 600 euros.
6. Toutefois, alors que la société intimée a dû faire face, ainsi que l'a relevé le tribunal, à une importante baisse de son chiffre d'affaires, sur une période significative, avant l'engagement des travaux en litige, en dépit d'une légère augmentation entre les exercices 2015-2016 et 2016-2017, et que la baisse du chiffre d'affaires s'est de nouveau accélérée au cours des travaux, baisse de 18 % entre l'exercice 2016-2017 et l'exercice 2017-2018, puis de 5 % entre l'exercice 2017-2018 et l'exercice 2018-2019, il résulte des pièces comptables produites dans l'instance, notamment des rapports de Fiducial Expertise sur les comptes annuels ainsi que des soldes intermédiaires de gestion, que l'évolution annuelle du chiffre d'affaires de la société Les Trois Palais entre deux exercices, particulièrement fluctuante, n'est pas cohérente avec l'évolution de son résultat net, notamment entre l'exercice
2017-2018 et l'exercice 2018-2019, ainsi qu'entre l'exercice 2018-2019 et l'exercice
2019-2020. Il en résulte, d'une part, qu'il ne peut être établi, en l'état de l'instruction, que l'évolution du résultat d'exploitation au cours de la période d'octobre 2018 à mai 2019 serait exclusivement imputable à une baisse de chiffre d'affaires en lien avec la réalisation des travaux place Verdun, et, d'autre part, que dans l'hypothèse où la société Les Trois Palais aurait subi un préjudice économique à raison desdits travaux, son évaluation ne saurait résulter, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Marseille, de la seule différence entre le chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice 2015-2016 et celui réalisé entre octobre 2018 et mai 2019. Dans ces conditions, les pièces du dossier ne permettent pas à la Cour de déterminer si, et dans quelle mesure, les travaux en litige sont à l'origine d'une accélération de la baisse de l'activité et, si c'est le cas, d'un préjudice de perte d'exploitation qui leur serait exclusivement imputable. Il y a lieu, en conséquence d'ordonner avant dire droit une expertise afin de déterminer si ces travaux sont à l'origine d'une perte d'exploitation indemnisable pour la période du 1er octobre 2018 au 31 mai 2019, selon les modalités prévues au dispositif du présent arrêt, et de réserver, jusqu'en fin d'instance, les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.
D É C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur la requête de la commune d'Aix-en-Provence, procédé à une expertise confiée à un expert-comptable, en présence de la commune
d'Aix-en-Provence et de la SARL Les Trois Palais.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Il se fera communiquer tous documents financiers et comptables relatifs à la situation de la SARL Les Trois Palais à compter de l'exercice 2013-2014.
Article 3 : L'expert aura pour mission d'analyser la situation financière de la société
Les Trois Palais et de décrire les causes de l'évolution de son chiffre d'affaires sur chaque exercice à compter de l'année 2013, ainsi que les conséquences de cette évolution sur son résultat net d'exploitation. A cet égard, l'expert devra plus précisément déterminer si les travaux publics conduits sous la maîtrise d'ouvrage de la commune d'Aix-en-Provence dans le cadre du programme d'aménagement et de restructuration des places Prêcheurs, Madeleine et Verdun sont à l'origine d'un préjudice de perte d'exploitation pour la SARL
Les Trois Palais entre le 1er octobre 2018 et le 31 mai 2019. Dans l'hypothèse où, aux termes de cette analyse, l'expert estime que les travaux sont à l'origine d'un préjudice d'exploitation au cours de cette période, il lui appartiendra de chiffrer le montant de cette perte en tant qu'elle est exclusivement imputable aux seuls travaux, et donc en excluant les pertes qui seraient dues à des causes indépendantes desdits travaux.
Article 4 : Le rapport d'expertise sera déposé au greffe en deux exemplaires et des copies en seront adressées aux parties par l'expert dans les conditions prévues par l'article R. 621-9 du code de justice administrative, dans un délai de quatre mois suivant sa désignation.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Aix-en-Provence et à la SARL
Les Trois Palais.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 5 novembre 2024.
N° 23MA02144 2
