Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner l'Etat à lui verser la somme de 400 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis résultant de son éviction illégale et du retard dans l'exécution du jugement n° 1900004 du tribunal administratif de Bastia du 9 juin 2020, assortie des intérêts légaux capitalisés.
Par un jugement n° 2100198 du 1er juin 2023, le tribunal administratif de Bastia a fait partiellement droit à sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2023, Mme A..., représentée par Me Giansily, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 1er juin 2023 ;
2°) de désigner avant dire droit un expert avec pour mission de chiffrer contradictoirement son préjudice ;
3°) de condamner l'Etat (recteur de l'académie de Corse) à lui verser la somme de 400 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis, somme majorée des intérêts légaux capitalisés ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision prononçant son licenciement pour inaptitude n'a pas totalement été exécuté dès lors que sa situation devait être réexaminée ;
- pour ce motif, elle s'est retrouvée illégalement évincée et a subi des troubles dans les conditions d'existence en étant privée d'une rémunération ajustée en fonction de son ancienneté et de ses promotions ;
- son éviction est illégale et de nature à engager la responsabilité de l'administration ;
- l'indemnisation de son préjudice doit être fixée à 400 000 euros, somme à parfaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 avril 2024, le recteur de l'académie de Corse conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 24 juin 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 19 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., recrutée par le recteur de l'académie de Corse en qualité de maître auxiliaire par contrat à durée indéterminée à compter du 25 octobre 2006, a été placée en congés de grave maladie à compter du 29 novembre 2011. Lors de sa séance du 26 octobre 2018, le comité médical départemental de la Haute-Corse a estimé que Mme A... était inapte définitivement à toutes fonctions. Par une décision du 5 novembre 2018, la rectrice de l'académie de Corse a prononcé le licenciement de Mme A... pour inaptitude physique totale et définitive à l'exercice de toutes fonctions à compter du 8 mars 2016. Mme A... a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande d'annulation cette décision. Par jugement n° 190004 du 9 juin 2020, le tribunal a fait droit à sa demande. Saisi d'une demande d'exécution de ce jugement, le tribunal administratif de Bastia a, par jugement n° 2100090 du 10 juin 2021, enjoint à la rectrice de l'académie de Corse de réintégrer juridiquement Mme A... à compter du 8 mars 2016 et de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux à compter de cette date. L'administration rectorale a, par arrêté du 22 juin 2021, prononcé la réintégration de Mme A... et procédé à la reconstitution de sa carrière et de ses droits sociaux. Considérant que le jugement n'avait toujours pas reçu exécution, Mme A... a alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant à la condamnation de l'administration à lui verser la somme de 400 000 euros en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis. Par le jugement en litige, le tribunal administratif a partiellement fait droit à sa demande en lui accordant une indemnisation à hauteur de 1 500 euros. Mme A... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'éviction illégale :
S'agissant de la responsabilité pour illégalité fautive :
2. Des illégalités fautives sont comme telles, et quelle qu'en soit la nature, susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat dès lors qu'elles sont à l'origine des préjudices subis.
3. Il résulte de l'instruction que, par le jugement n° 1900004 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 5 novembre 2018, par lequel la rectrice de l'académie de Corse a prononcé le licenciement de Mme A... pour inaptitude définitive à l'exercice de ses fonctions et à l'exercice de toutes fonctions. L'arrêté de la rectrice a été censuré au motif que l'absence d'information du médecin de prévention quant à la tenue de la réunion du comité médical avait privé l'intéressée d'une garantie procédurale et avait été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise dès lors que l'avis du service de médecine professionnelle et préventive aurait pu être de nature à éclairer davantage le comité médical sur l'aptitude de Mme A... à reprendre le travail, le cas échéant sur un poste adapté. Cette illégalité constitue une faute susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
S'agissant des préjudices :
4. En premier lieu, Mme A... soutient que, n'ayant pas été réintégrée dans ses fonctions et percevant une pension de retraite, elle a subi une perte de revenu annuelle à hauteur de 6 000 euros et que, dès lors qu'elle pouvait escompter travailler jusque à l'année 2031, étant née en 1964, elle doit être indemnisée à hauteur de 90 000 euros. Elle fait également valoir qu'en raison de promotions et d'avancements à l'ancienneté auxquels elle aurait pu prétendre si elle avait été réintégrée, le montant de ses traitements et par conséquent, de ses droits à pension de retraite doit être revalorisé. Toutefois, il résulte de l'instruction que, d'une part, l'intéressée avait épuisé tous ses droits à congés-maladie et que, d'autre part, ses perspectives de réintégration n'étaient qu'hypothétiques alors qu'en outre, aucun élément n'est de nature à établir qu'elle aurait été apte à l'exercice de ses fonctions ou à d'autres fonctions. Par suite, Mme A... ne peut se prévaloir d'aucun préjudice financier, la perte de chance dont elle fait état n'étant qu'hypothétique et le lien de causalité entre les préjudices financiers qu'elle estime avoir subis et l'illégalité fautive commise par l'administration ne pouvant être regardé comme certain. Aussi, il n'y a pas lieu de l'indemniser des préjudices financiers qu'elle réclame.
5. En second lieu, l'appelante allègue de ce que la somme de 50 000 euros devrait lui être allouée en se bornant à se prévaloir sans plus de précisions que le fait de l'avoir évincée illégalement et de ne pas procéder à sa réintégration lui aurait causé des troubles dans les conditions d'existence. Par suite, il n'y a pas davantage lieu de faire droit à sa demande d'indemnisation de ce préjudice.
En ce qui concerne la responsabilité pour non-exécution du jugement n° 1900004 du 9 juin 2020 :
6. Mme A... soutient qu'alors que le tribunal administratif de Bastia, saisi d'une demande d'exécution du jugement n° 1900004 du 9 juin 2020, avait enjoint au recteur de l'académie de Corse, par jugement n° 2100090 du 10 juin 2021, de la réintégrer juridiquement à compter du 8 mars 2016 et de reconstituer sa carrière et ses droits sociaux à compter de cette date, le recteur s'est borné, par un arrêté du 22 juin 2021, à prononcer sa réintégration juridique pour ordre et sans réexaminer sa situation. Or, il résulte de l'instruction qu'ainsi qu'elle l'admet, Mme A... perçoit une pension d'invalidité, attestant de la reconstitution de ses droits sociaux. En revanche, il ne résulte pas de l'instruction que son employeur ait à nouveau examiné sa situation quant à son aptitude à reprendre ses fonctions alors que le tribunal lui avait enjoint d'y procéder dans son jugement du 10 juin 2021. Le recteur de l'académie de Corse ne saurait se retrancher derrière la même circonstance qu'il avait évoquée pendant la phase administrative dans le cadre de la demande d'exécution du jugement n° 1900004 du 9 juin 2020 et avant l'intervention du jugement du 10 juin 2021 et qui portait sur l'envoi à Mme A... d'un courrier le 1er février 2021 lui demandant de solliciter un rendez-vous auprès du médecin de prévention afin de bénéficier d'une visite médicale auquel l'intéressée n'aurait pas donné de suite. Il s'en déduit que Mme A... est fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat en raison du retard dans l'exécution du jugement et de son exécution partielle.
S'agissant des préjudices :
7. En premier lieu, si Mme A... sollicite l'indemnisation de son préjudice financier en raison de pertes de revenus, d'absence de bénéfices de promotions et d'avancements à l'ancienneté auxquels elle aurait pu prétendre si elle avait été réintégrée et de non revalorisation de ses droits à pension, ainsi qu'il a été dit au point 4, ses perspectives de réintégration n'étant qu'hypothétiques, ce préjudice ne saurait être regardé comme ayant un lien certain avec le retard pris par l'administration pour procéder à l'examen de sa situation et avec l'absence de réintégration juridique dès lors que d'une part, l'intéressée avait épuisé ses droits à congés maladie et qu'il n'est pas établi qu'elle aurait été apte à reprendre ses fonctions ou des fonctions. Par suite, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande d'indemnisation à ce titre.
8. En second lieu, alors que les premiers juges lui ont accordé la somme de 1 500 euros au titre de troubles dans les conditions d'existence, compte tenu des tracasseries administratives auxquelles l'appelante a été confrontée et de l'absence de réexamen de son dossier, il y a lieu de fixer l'indemnisation de ce préjudice à hauteur de 3 000 euros.
9. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de diligenter une expertise que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a limité l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence à 1 500 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
10. L'indemnité allouée à Mme A... doit être augmentée des intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2020, date de réception de sa réclamation indemnitaire. La capitalisation des intérêts a été demandée le 17 février 2021. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 17 décembre 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle, à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros qui sera versée à Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme A... une somme de 3 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence avec intérêts au taux légal à compter du 17 décembre 2020. Les intérêts échus à la date du 17 décembre 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du 1er juin 2023 du tribunal administratif de Bastia est réformé dans cette seule mesure.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions la requête de Mme A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., au recteur de l'académie de Corse et à la ministre de l'éducation nationale.
Délibéré après l'audience du 14 octobre 2024, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 octobre 2024.
N° 23MA01977 2