Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 25 janvier 2024 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Par un jugement n° 2402027 du 13 juin 2024, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 24MA01757 le 5 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Ahmed, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 13 juin 2024 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 25 janvier 2024 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer le titre de séjour sollicité dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, et, pendant l'instruction de sa demande, de lui délivrer un récépissé valant autorisation provisoire de séjour et de travail ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges n'ont pas suffisamment motivé le jugement attaqué ;
- le motif sur lequel se fonde l'arrêté en litige est entaché d'inexactitude matérielle des faits ;
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé ;
- le préfet s'est, à tort, estimé en situation de compétence liée par l'avis défavorable des services de la main-d'œuvre étrangère et a ainsi entaché l'arrêté en litige d'une erreur de droit ;
- l'arrêté en litige est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté en litige méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Par un mémoire, enregistré le 30 juillet 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 24MA01791 le 11 juillet 2024, M. A..., représenté par Me Ahmed, demande à la cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement du 13 juin 2024 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un récépissé valant autorisation provisoire de séjour et de travail jusqu'à l'arrêt au fond, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'exécution du jugement emporte des conséquences difficilement réparables ;
- les moyens soulevés dans sa requête au fond sont sérieux.
Par un mémoire, enregistré le 30 juillet 2024, le préfet des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 modifié ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Rigaud a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant tunisien né en 1985, demande l'annulation et le sursis à exécution du jugement du 13 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône pris le 25 janvier 2024 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français dans le délai de trente jours.
2. Les requêtes n° 24MA01757 et n° 24MA01791 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une même décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
4. Si M. A... soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé en l'absence de " précision sur les éléments factuels important et déterminant la prise de décision préfectorale ", il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Marseille, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a expressément répondu aux moyens que comportaient les mémoires produits par M. A.... En particulier, le tribunal administratif n'a pas omis de répondre, notamment aux points 4 à 8 du jugement attaqué, aux moyens tirés du défaut d'examen complet et sérieux de la demande de M. A..., de ce que le préfet se serait estimé en situation de compétence liée par l'avis défavorable de la plateforme interrégionale de la main d'œuvre étrangère du 4 décembre 2023, de l'inexactitude matérielle des faits entachant cet avis et de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet dans l'exercice de son pouvoir de régularisation tant au titre de la vie privée et familiale de l'intéressé que de la demande d'admission exceptionnelle au séjour par le travail. Le requérant n'est dès lors pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à statuer sur certains moyens soulevés en première instance.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
5. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police... ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
6. L'arrêté du 25 janvier 2024 vise notamment l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988, dont il fait application, ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il fait état de ce que M. A... déclare être entré en France dans des conditions indéterminées démuni de visa et s'y être maintenu depuis sans pour autant l'établir, qu'il n'est titulaire ni du visa de long séjour exigé par l'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni du contrat de travail visé par les autorités compétentes tel que prévu par l'article 3 de l'accord franco-tunisien, qu'il présente une demande d'autorisation de travail en date du 7 décembre 2022 pour un emploi de préparateur de sandwich émanant de l'entreprise Ferry Ville ainsi que les bulletins de salaire correspondant à cet emploi, que la plateforme de la main d'œuvre étrangère a émis le 4 décembre 2023 un avis défavorable à son admission exceptionnelle au séjour constatant notamment que le salaire est inférieur au salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) légal. Il précise en outre la situation privée et familiale de l'intéressé en indiquant notamment qu'il est séparé et sans enfant et qu'il ne justifie pas de l'ancienneté et la stabilité des liens personnels et familiaux dont il pourrait se prévaloir et qu'après examen de l'ensemble de sa situation, il ne fait valoir aucun motif exceptionnel ni considérations humanitaires. Cet arrêté comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, au sens des articles L. 211-2 et suivants du code des relations entre le public et l'administration et le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.
7. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum (...), reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention " salarié " (...) ". Aux termes de l'article 11 du même accord : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. (...) ". Le protocole relatif à la gestion concertée des migrations entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne, signé le 28 avril 2008 stipule, à son point 2.3.3, que " le titre de séjour portant la mention " salarié ", prévu par le premier alinéa de l'article 3 de l'accord du 17 mars 1988 modifié, est délivré à un ressortissant tunisien en vue de l'exercice, sur l'ensemble du territoire français, de l'un des métiers énumérés sur la liste figurant à l'Annexe I du présent protocole, sur présentation d'un contrat de travail visé par l'autorité française compétente sans que soit prise en compte la situation de l'emploi (...) ". L'article L. 412-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui porte sur un point non traité par l'accord franco-tunisien au sens de son article 11 dispose que :
" Sous réserve des engagements internationaux de la France et des exceptions prévues aux articles L. 412-2 et L. 412-3, la première délivrance d'une carte de séjour temporaire (...) est subordonnée à la production par l'étranger du visa de long séjour mentionné aux 1° ou 2° de l'article L. 411-1 ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Enfin, l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1 (...) ".
8. Il résulte des stipulations et dispositions citées au point précédent que la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié " aux ressortissants tunisiens sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-tunisien est subordonnée notamment à la présentation d'un visa de long séjour. M. A..., qui ne justifie pas être titulaire d'un visa de long séjour ne pouvait donc prétendre, pour ce seul motif, à la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié sur le fondement de l'article 3 de l'accord franco-tunisien.
9. Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 435-1 n'institue pas une catégorie de titres de séjour distincte mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. Il fixe ainsi, notamment, les conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France au titre d'une activité salariée. Dès lors que l'article 3 de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 435-1 à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco-tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Toutefois, si l'accord franco-tunisien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un titre de séjour à un ressortissant tunisien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, en fonction de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
10. D'une part, si M. A... justifie d'une activité professionnelle dans le domaine de la restauration rapide, en qualité de gérant salarié d'un snack de janvier 2019 à novembre 2021, puis en qualité de salarié de la SARL Ferry Ville à partir de janvier 2022, et s'il établit que sa rémunération n'est pas inférieure au SMIC légal sur toute cette période, cette circonstance, ainsi que l'ont retenu à bon droit les premiers juges, n'établit pas l'existence de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels ouvrant droit à la délivrance d'un titre de séjour " salarié ". S'agissant d'une demande d'admission exceptionnelle au séjour par le travail, il ne peut utilement se prévaloir de l'inexactitude matérielle qui entacherait les faits sur lesquels se fonde l'avis défavorable de la plateforme interrégionale de la main d'œuvre étrangère du 4 décembre 2023. A ce titre, il ne résulte d'ailleurs pas des pièces du dossier que le préfet des Bouches-du-Rhône se serait estimé en situation compétence liée par cet avis.
11. D'autre part, si M. A... soutient être entré en France le 5 mai 2016, il n'établit cependant y résider de manière habituelle que depuis le mois d'avril 2018. Son activité professionnelle dans le secteur de la restauration rapide à compter du mois de janvier 2019 ne caractérise pas en elle-même un motif exceptionnel d'admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. En outre, si l'un de ses frères réside en France de manière régulière, auprès de son épouse de nationalité française et de leurs enfants, M. A..., célibataire et sans enfant, ne conteste pas avoir conservé l'essentiel de ses attaches familiales dans son pays d'origine, la Tunisie, où résident ses parents et ses quatre autres frères et sœurs, et où il a vécu jusqu'à l'âge de 30 ans.
12. Dans ces conditions, le requérant ne peut être regardé comme faisant état de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels de nature à justifier la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de la vie privée et familiale ou au titre de son activité professionnelle. Le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que le préfet a, en s'abstenant de régulariser sa situation dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, entaché son arrêté d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1- Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2- Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
14. Dans les circonstances développées aux points 10 à 12 du présent arrêt, l'arrêté en litige n'a pas méconnu le droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. De même, le requérant n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté en litige est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 25 janvier 2024. Ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.
Sur les conclusions de la requête n° 24MA01791 à fin de sursis à exécution du jugement :
16. Le présent arrêt statue sur la demande d'annulation du jugement attaqué. Les conclusions tendant au sursis à exécution de ce jugement n° 2402027 sont donc devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, pas lieu d'y statuer et il n'y a, par suite, pas lieu de faire droit aux conclusions aux fins d'injonction présentées par M. A... dans sa requête n° 24MA01791. Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin de sursis à exécution de la requête n° 24MA01791 de M. A....
Article 2 : Le surplus des conclusions des requêtes n° 24MA01757 et 24MA01791 est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Cécile Fedi, présidente de chambre,
- Mme Lison Rigaud, présidente-assesseure,
- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 octobre 2024.
N° 24MA01757, 24MA017912