Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Goldnadel, représentant le CHITS, de Me Britsch-Siri, représentant Mme B... et M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Le 31 juillet 2014, Mme D... B... a accouché par voie basse de son premier enfant au centre hospitalier intercommunal de Toulon - La Seyne-sur-Mer (CHITS) et est retournée à son domicile le 4 août suivant. Par la suite, Mme B... a présenté des paresthésies et des douleurs du membre inférieur droit. Une imagerie par résonance magnétique lombaire lui a été prescrite par son médecin traitant, ainsi que des soins par un rhumatologue qui a posé le diagnostic de sciatique. Cependant, le 25 août 2014, Mme B... a été hospitalisée pour une douleur lombaire droite associée à des vomissements attribués à une colique néphrétique. Le 30 août 2014, elle a été de nouveau hospitalisée au CHITS pour des douleurs aiguës des membres inférieurs. Le doppler veineux prescrit par son médecin traitant ne montrait aucune thrombose veineuse profonde. Le 14 septembre 2014, Mme B... a ressenti une douleur abdominale très intense et d'apparition brutale et a de nouveau été hospitalisée au CHITS. Son état s'est alors aggravé et des troubles neurologiques sont apparus. Une laparatomie exploratrice a été réalisée le 15 septembre et a mis en évidence une atteinte ischémique intéressant la totalité de l'intestin grêle. Mme B... a subi alors le 16 septembre 2014 une entérectomie subtotale et une colectomie droite puis une désobstruction de l'artère poplitée justifiée par l'ischémie du membre inférieur droit. Une nutrition parentérale a été mise en place à compter du 17 septembre 2014. L'état de santé de Mme B... s'améliorant, elle a été transférée au centre hospitalier universitaire de Nice pour le suivi de sa prise en charge.
2. Estimant que la qualité des soins qui lui ont été dispensés au CHITS était constitutive d'une faute, Mme B... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) qui a rendu le 25 janvier 2018, sur la base d'un rapport d'expertise établi par les docteurs Le Moine Dony, chirurgien digestif, Vidal, chirurgien cardio-vasculaire et thoracique, et Mares, gynécologue obstétricien, un avis défavorable à l'indemnisation de l'intéressée en l'absence de lien de causalité direct et certain entre sa prise en charge et les complications subies.
3. Par un jugement du 12 mai 2022, le tribunal administratif de Toulon a mis l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) hors de cause et a ordonné une expertise afin de statuer sur la responsabilité du CHITS. Le rapport d'expertise du professeur K..., cardiologue interventionnel et expert, et des docteurs J..., gynécologue-obstétricien, et G..., chirurgien viscéraliste, sapiteurs, a été établi le 23 janvier 2023 et n'a retenu aucune faute dans la prise en charge médicale de Mme B.... Par un jugement du 8 juin 2023, le tribunal administratif de Toulon a condamné le CHITS à payer à Mme B..., en son nom propre, la somme de 238 450,81 euros, outre des rentes trimestrielles d'un montant annuel de 840 euros, de 1 486,80 euros, de 10 780,39 euros et de 6 300 euros. Il a également condamné le CHITS à payer, d'une part, à M. E..., époux de Mme B..., la somme de 31 077,83 euros au titre de ses préjudices personnels, d'autre part, à ces derniers, la somme de 14 000 euros au titre des préjudices personnels subis par l'enfant Allissa E..., enfin, à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var, la somme de 548 110,234 euros au titre des débours et la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
4. Le CHITS relève appel des jugements du 12 mai 2022 et du 8 juin 2023 du tribunal administratif de Marseille. Mme B... et M. E... concluent au rejet de la requête du CHITS et, par la voie de l'appel incident, sollicitent une meilleure indemnisation de leurs préjudices. La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du Var maintient sa demande tendant au remboursement de l'intégralité de ses débours et au paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur la régularité du jugement attaqué :
5. En se bornant à soutenir que " le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi ", le CHITS ne permet pas à la cour d'apprécier le bien-fondé de ce moyen. Au demeurant, il résulte de la lecture du jugement querellé que les premiers juges ont expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par les parties. Dès lors, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé ne peut être qu'écarté.
Sur la responsabilité du CHITS :
En ce qui concerne la faute médicale :
6. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
7. D'une part, il résulte de l'instruction et des éléments exposés au point 1 que quelques jours après son accouchement par voie basse et après avoir regagné son domicile, Mme B... a présenté des paresthésies et des douleurs du membre inférieur droit. En raison de la persistance des douleurs ressenties au niveau du mollet droit et, selon ses affirmations, de la survenue d'une noirceur sur le gros orteil, Mme B... a consulté son médecin traitant le 30 août 2014 qui lui a prescrit un " doppler artériel / veineux des membres inférieurs ". S'il est constant que lors de son admission le même jour à l'hôpital Sainte-Musse, seul un échodoppler veineux du membre inférieur, qui n'a pas révélé de phlébite, a été réalisé, il ressort tant de l'avis de la CCI que du rapport de l'expertise du 23 janvier 2023 ordonnée par le tribunal administratif de Toulon que la réalisation de ce seul examen n'est pas fautive et était adaptée au tableau clinique de la patiente, eu égard à la période post-partum, propice aux accidents thrombo-emboliques veineux, à l'absence de tout symptôme laissant supposer une ischémie artérielle, qui constitue une pathologie rare dont le diagnostic est très difficile à poser, et à la circonstance que Mme B... ne présentait aucun facteur de risque de maladie thromboembolique artérielle. Par ailleurs, le courrier du médecin traitant, accompagnant l'ordonnance précitée, n'évoque à la date du 30 août 2014 que des symptômes évocateurs d'une atteinte veineuse phlébitique et non d'une ischémie artérielle. Il ne résulte pas davantage de l'instruction qu'une nécrose de l'orteil, de nature à révéler une ischémie artérielle, était présente le 30 août 2014, le médecin traitant ne mentionnant en tout état de cause pas cette complication mais seulement des paresthésies et des douleurs au mollet droit, évocatrices d'une phlébite et non d'une ischémie artérielle. Dans ces conditions, à supposer même qu'ainsi que cela a été admis par les conclusions du rapport d'expertise du 27 octobre 2017, la réalisation d'un doppler artériel aurait permis d'aboutir plus précocement au diagnostic et, par voie de conséquence, à une meilleure prise en charge médicale de la thrombose mésentérique supérieure, le CHITS, au sein duquel la requérante avait été admise dans le cadre d'une prise en charge par le service des urgences et non pour simple réalisation d'examens prescrits par un médecin traitant, et qui n'était pas tenu de se conformer à la prescription du médecin traitant de la requérante, n'a pas commis une faute.
8. D'autre part, le rapport d'expertise du 27 octobre 2017 établi à la demande de la CCI indique que le diagnostic de thrombose de l'artère mésentérique aurait dû être effectué plus rapidement lors de son admission aux urgences le 14 septembre 2014 à 22 heures pour un syndrome abdominal aigu. Le rapport explique qu'en l'absence d'injection pourtant recommandée en cas de pathologie abdominale aiguë, le premier scanner effectué le 15 septembre 2014 à 1h13 n'a pas permis de déceler d'anomalie, telle que la présence d'un infarctus splénique. Il ajoute que Mme B... n'a été examinée par un chirurgien que le soir du 15 septembre, ce qui serait en l'espèce tardif. Toutefois, le rapport d'expertise du 23 janvier 2023 précise que les médecins ont à raison réalisé un premier scanner non injecté eu égard aux douleurs abdominales initialement isolées présentées par Mme B... qui était sous traitement d'anti-inflammatoires non stéroïdiens, conduisant à vérifier l'hypothèse d'un problème gastrique et en particulier de perforation d'ulcère dans les meilleurs délais, eu égard au tableau clinique de l'intéressée et au caractère très exceptionnel de l'ischémie mésentérique post partum chez les femmes jeunes sans antécédent vasculaire, seuls six cas ayant été recensés dans la littérature médicale dont la moitié concernent au demeurant des femmes ayant subi une césarienne. Par ailleurs, il est constant que les médecins ont, neuf heures après le premier scanner, réalisé un scanner injecté en raison de la persistance des douleurs abdominales, qui n'a pas davantage permis d'établir de diagnostic certain sur les souffrances ressenties, en l'absence de tout signe évocateur d'une péritonite ou d'occlusion intestinale. Il est relevé de surcroît que le diagnostic de l'infarctus mésentérique artériel, reconnu, au demeurant tant par l'expertise du 27 octobre 2017 que celle du 23 janvier 2023, comme étant très difficile et de survenance exceptionnelle ainsi qu'il a été dit, n'a pas été facilité en raison de l'apparition de troubles neurologiques chez la patiente, et que plusieurs médecins ont examiné Mme B... dans les vingt-quatre heures de son admission, laquelle a bénéficié d'un scanner abdominal injecté, d'un scanner cérébral pour éliminer une thrombophlébite cérébrale, d'une ponction lombaire pour éliminer une méningite infectieuse, d'un électroencéphalogramme et d'une imagerie par résonance magnétique cérébrale. Enfin, il ressort des éléments de l'expertise que la laparotomie exploratrice, qui a été décidée dans la continuité des nombreux examens effectués et en raison d'une aggravation de l'état de santé de la patiente, a été effectuée à la vingt-troisième heure de son admission, et ne révèle ainsi, dans les circonstances de l'espèce, aucun défaut de prise en charge médicale et chirurgicale.
9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen relatif à la régularité du jugement soulevé par le CHITS, que ce dernier est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon l'a condamné, d'une part, à indemniser Mme B..., M. E... et leur fille des préjudices résultant de la prise en charge de Mme B... à la suite de son accouchement le 31 juillet 2014, d'autre part, à payer à la CPAM du Var la somme de 548 110,234 euros au titre des débours et la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Par voie de conséquence, Mme B... et M. E... ne sont pas fondés à demander, par la voie de l'appel incident, qu'une nouvelle expertise soit ordonnée afin d'évaluer l'ensemble de leurs préjudices ou, à défaut, à ce que la somme que le CHITS a été condamné à verser par le tribunal soit réévaluée. Les conclusions reconventionnelles présentées par la CPAM du Var en appel et dirigées contre le CHITS doivent également être rejetées.
Sur la mise hors de cause de l'ONIAM :
10. En l'absence, comme en l'espèce, de tout accident médical non fautif, l'ONIAM à l'encontre duquel, d'ailleurs, aucune conclusion n'a été formulée, est fondé à demander sa mise hors de cause.
Sur la déclaration d'arrêt commun :
11. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la commune de La Motte, employeur de Mme B..., et à la caisse des dépôts et consignations, qui n'ont pas présenté d'observations.
Sur les frais liés au litige :
12. Les frais de l'expertise confiée au professeur K..., expert, et aux docteurs J... et G..., sapiteurs, liquidés et taxés à la somme totale de 5 120,20 euros par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Toulon du 13 février 2023, sont mis à la charge définitive de Mme B... et de M. E....
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du CHITS, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Mme B... et M. E... et la CPAM du Var demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2000477 du 8 juin 2023 du tribunal administratif de Toulon est annulé.
Article 2 : Les demandes de Mme B... et de M. E... et de la CPAM du Var devant le tribunal administratif et la cour sont rejetées.
Article 3 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est mis hors de cause.
Article 4 : Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 5 120,20 euros par une ordonnance de la présidente du tribunal administratif de Toulon du 13 février 2023, sont mis à la charge définitive de Mme B... et M. E....
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse des dépôts et consignations et à la commune de La Motte.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier intercommunal Toulon - La Seyne-sur-Mer, à Mme D... B..., à M. A... E..., à la caisse primaire d'assurance maladie du Var, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse des dépôts et consignations, et à la commune de La Motte.
Copie en sera adressée à M. F... K..., Mme H... J... et M. I... G..., experts.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 octobre 2024.
N° 23MA02077 2