Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) A... a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.
M. ... et Mme ...ont demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2012, 2013 et 2014 et des cotisations supplémentaires de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2013 et 2014, ainsi que des pénalités correspondantes.
Le tribunal administratif de Nice, par un jugement n° 2100541, 2100664 du 31 octobre 2023, après avoir joint les demandes de la SELAS A... et de M. et Mme A..., les a rejetées.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 26 décembre 2023 sous le n° 23MA03128 et un mémoire en réplique enregistré le 28 septembre 2024, la SELAS A..., représentée par Me Nicaise, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 31 octobre 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités en litige ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la " date de départ du contrôle fiscal " ne coïncide pas avec l'exercice du droit de communication de l'administration auprès de l'autorité judiciaire, de sorte que l'administration a disposé d'informations irrégulièrement obtenues et lui permettant d'engager la vérification de comptabilité ;
- le droit de communication a été irrégulièrement mis en œuvre par l'administration ;
- dans la mesure où l'administration a engagé une vérification de comptabilité sur le fondement d'informations irrégulièrement obtenues, elle a méconnu l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'administration a ainsi méconnu le principe de loyauté ;
- l'administration a ainsi méconnu les énonciations de la doctrine administrative référencée BOI-CF-COM-10-50, n° 60 ;
- la Cour doit prendre en compte les nombreux justificatifs produits lors du contrôle dont elle a fait l'objet ;
- la majoration pour manœuvres frauduleuses a été appliquée en méconnaissance de l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 juin 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SELAS A... ne sont pas fondés.
II. Par une requête, enregistrée le 24 janvier 2024 sous le n° 24MA00159, et un mémoire enregistré le 4 juillet 2024, la SELAS A..., représentée par Me Nicaise, demande à la Cour :
1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, le recouvrement des impositions en litige et pénalités ;
2°) d'ordonner aux parties de se rapprocher pour mettre en place le maintien des garanties constituées dans le cadre de sursis de paiement prévu par l'article L. 277 du livre des procédures fiscales ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens sur lesquels est fondée sa requête au fond présentent un caractère sérieux ;
- elle justifie d'une situation d'urgence.
Par des mémoires en défense, enregistré le 6 mai 2024 et le 26 septembre 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SELAS A... ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Mastrantuono,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Nicaise, représentant la SELAS A....
Considérant ce qui suit :
1. La SELAS A..., qui a pour dirigeant et unique associé M. A..., lequel exerce la profession de chirurgien spécialisé, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. A l'issue de ce contrôle, elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2012, 2013 et 2014. Par une requête enregistrée sous le n° 23MA03128, la SELAS A... relève appel du jugement du tribunal administratif de Nice du 31 octobre 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces suppléments d'impôt et des pénalités correspondantes. Par une requête enregistrée sous le n° 24MA00159, elle demande également la suspension du recouvrement de ces impositions et pénalités sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative.
Sur la jonction :
2. Les requêtes n° 23MA03128 et 24MA00159 sont relatives aux mêmes impositions et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 23MA03128 :
En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales : " L'administration des impôts contrôle les déclarations ainsi que les actes utilisés pour l'établissement des impôts, droits, taxes et redevances. / (...) A cette fin, elle peut demander aux contribuables tous renseignements, justifications ou éclaircissements relatifs aux déclarations souscrites ou aux actes déposés (...) ".
4. Il résulte de l'instruction que les rectifications proposées à l'issue de la vérification de comptabilité dont la société requérante a fait l'objet résultent principalement de la remise en cause de la déduction de factures fictives et de complaisance émises par le cabinet d'un avocat et par des personnes ou entreprises ayant un lien avec lui. Il ne résulte pas de l'instruction que l'administration fiscale, à laquelle l'autorité judiciaire avait communiqué un soit transmis daté du 23 septembre 2015 relatif à une information ouverte notamment à l'encontre de cet avocat pour des faits de blanchiment aggravé, et qui n'a demandé au magistrat chargé de l'instruction l'autorisation de prendre connaissance des informations contenues dans la procédure que le 23 novembre 2015, aurait disposé, préalablement à l'envoi à la société requérante, le 30 octobre 2015, de l'avis de vérification de comptabilité, d'éléments d'information irrégulièrement obtenus et relatifs à la société requérante ou à son dirigeant. En tout état de cause, la seule circonstance que, avant de mettre en œuvre à l'égard du contribuable les pouvoirs de contrôle qu'elle tient de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales et de recueillir les éléments nécessaires pour, le cas échéant, établir des impositions supplémentaires, l'administration aurait disposé d'informations relatives à ce contribuable issues de documents irrégulièrement obtenus est, par elle-même, sans incidence sur la régularité de la procédure d'imposition. Par conséquent, doit être écarté le moyen tiré de ce que l'administration aurait disposé d'informations irrégulièrement obtenues et lui permettant d'engager la vérification de comptabilité de la SELAS A....
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 81 du livre des procédures fiscales : " Le droit de communication permet aux agents de l'administration, pour l'établissement de l'assiette, le contrôle et le recouvrement des impôts, d'avoir connaissance des documents et des renseignements mentionnés aux articles du présent chapitre dans les conditions qui y sont précisées (...) ". Aux termes de l'article L. 101 du même livre : " L'autorité judiciaire doit communiquer à l'administration des finances toute indication qu'elle peut recueillir, de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt (...) ". Aux termes de l'article R. 81-5 de ce livre : " Le droit de communication mentionné à l'article L. 81 est exercé par les agents de la direction générale des finances publiques (...) ".
6. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale, à laquelle, ainsi qu'il a été dit précédemment, avait été communiqué un soit transmis relatif à une information ouverte notamment à l'encontre d'un avocat pour des faits de blanchiment aggravé, a demandé au magistrat chargé de l'instruction, sur le fondement de l'article L. 101 du livre des procédures fiscales, l'autorisation de prendre connaissance des informations contenues dans la procédure, qui lui a été accordée le 23 novembre 2015. L'administration a ainsi pu prendre régulièrement connaissance des informations contenues dans la procédure, dont faisait partie le procès-verbal d'audition de M. A... du 9 octobre 2015, et prendre copie d'un scellé. La circonstance que les communications faites par l'autorité judiciaire en application de l'article L. 101 précité ont été adressées à la brigade de contrôle et de recherches des Alpes-Maritimes alors que la vérification de comptabilité de la société requérante a été menée par la brigade départementale de vérification du même département n'est pas de nature à affecter la régularité de la procédure d'imposition. Il en va de même de la circonstance, à la supposer établie, qu'un agent de l'administration fiscale aurait participé à l'audition de M. A.... Par conséquent, la SELAS A... n'est pas fondée à soutenir que le droit de communication aurait été irrégulièrement mis en œuvre par l'administration.
7. En troisième lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 6 que l'administration ne peut être regardée comme ayant méconnu le principe de loyauté.
8. En quatrième lieu, l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales relatif au procès équitable ne peut être utilement invoqué pour contester des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés devant le juge de l'impôt, qui ne statue pas en matière pénale et ne tranche pas des contestations sur des droits et obligations à caractère civil. Par conséquent, doit être écarté comme inopérant le moyen tiré de ce que l'administration aurait engagé une vérification de comptabilité sur le fondement d'informations irrégulièrement obtenues, et ainsi méconnu l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. En cinquième lieu, la SELAS A... ne peut utilement se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la doctrine administrative référencée BOI-CF-COM-10-50, qui, traitant de questions relatives à la procédure d'imposition, ne peut être regardée comme comportant une interprétation de la loi fiscale.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
10. Le moyen tiré de ce que la Cour devrait prendre en compte les nombreux justificatifs produits au cours du contrôle dont la SELAS A... a fait l'objet n'est assorti d'aucune précision permettant de statuer sur son bien-fondé. Il doit dès lors être écarté.
En ce qui concerne les pénalités :
11. Aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (...) / 2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (...) ". Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : / (...) c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ".
12. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 6 que l'administration, qui a régulièrement mis en œuvre son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, ne peut être regardée comme ayant disposé d'informations irrégulièrement obtenues lui permettant d'engager la vérification de comptabilité de la SELAS A.... Par conséquent, le moyen tiré de ce que l'administration aurait méconnu les stipulations précitées de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la procédure d'établissement des majorations pour manœuvres frauduleuse doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la SELAS A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur la requête n° 24MA00159 :
14. En premier lieu, la Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête de la SELAS A... n° 23MA03128 tendant à la réformation du jugement attaqué, les conclusions à fin de suspension de l'exécution du recouvrement des impositions et pénalités en litige, présentées dans la requête n° 24MA00159 sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, sont devenues sans objet. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
15. En second lieu, les dispositions de l'article L. 277 du livre des procédures fiscales, sur lesquelles sont fondées les conclusions à fin de sursis de paiement présentées par la société requérante, n'ont de portée que pendant la durée de l'instruction de la réclamation et de l'instance devant le tribunal administratif. Aucune disposition n'a prévu une procédure de sursis de paiement pendant la durée de l'instance d'appel. Par suite, la SELAS A... n'est pas fondée à obtenir le sursis de paiement des impositions en litige.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SELAS A... les sommes qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 24MA00159 de la SELAS A... tendant à la suspension de l'exécution du recouvrement des impositions et pénalités en litige.
Article 2 : La requête n° 23MA03128 et le surplus des conclusions de la requête n° 24MA00159 de la SELAS A... sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exercice libéral par actions simplifiée (SELAS) A... et au ministre chargé du budget et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 octobre 2024.
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N° 23MA03128 - 24MA00159