Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SARL) Stimpflin la Maroquinerie a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner la commune d'Aix-en-Provence à l'indemniser des préjudices que lui ont causé les travaux d'aménagement et de restructuration des places des Prêcheurs, de la Madeleine et de Verdun.
Par un jugement n° 2203280 du 7 juillet 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné la commune d'Aix-en-Provence à verser à la SARL Stimpflin la Maroquinerie la somme de 93 663 euros en réparation de ses préjudices.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 7 septembre 2023, la commune d'Aix-en-Provence, représentée par Me Gobert, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2203280 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de mettre à la charge de la SARL Stimpflin la Maroquinerie le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance était irrecevable dès lors, d'une part, qu'elle a été déposée après le délai raisonnable d'un an ouvert contre la décision du 10 janvier 2020 portant rejet de la demande indemnitaire formulée le 8 novembre 2019 par la société Stimpflin la Maroquinerie, et, d'autre part, que la décision implicite de rejet de la demande indemnitaire formulée par cette même société le 13 décembre 2021 était purement confirmative des deux rejets qui lui avaient été précédemment opposés ;
- la responsabilité sans faute de la commune ne peut être engagée en l'absence de causalité certaine et directe entre les travaux publics et le préjudice et en l'absence de préjudice anormal et spécial.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2024, la SARL Stimpflin la Maroquinerie, représentée par Me Boulan, conclut au rejet de la requête de la commune d'Aix-en-Provence, et à ce que soit mise à la charge de celle-ci la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la demande de première instance était bien recevable ;
- les moyens soulevés par la commune d'Aix-en-Provence ne sont pas fondés.
Un courrier du 13 juin 2024, adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et leur a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close, dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2 du même code.
Par une ordonnance du 9 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat, en application du dernier alinéa de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
En application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, la Cour a demandé, le 7 août 2024, au conseil de la SARL Stimpflin la Maroquinerie, de produire les documents comptables faisant notamment apparaitre le chiffre d'affaires et le résultat d'exploitation de la société pour les exercices clos à compter de l'année 2019.
En réponse, des pièces ont été produites, les 11 et 27 août 2024, par la SARL Stimpflin la Maroquinerie.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Martin,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- les observations de Me Boulan, représentant la SARL Stimpflin la Maroquinerie,
- et les observations de Me Morabito, représentant la commune d'Aix-en-Provence.
Une note en délibéré, présentée par Me Boulan, pour la SARL Stimpflin la Maroquinerie, a été enregistrée le 3 octobre 2024.
Considérant ce qui suit :
1. Par délibérations des 18 novembre 2013 et 9 février 2015, le conseil municipal de la commune d'Aix-en-Provence a décidé la réalisation d'un programme d'aménagement et de restructuration des places Prêcheurs, Madeleine et Verdun. Estimant que ces travaux, qui ont débuté le 29 août 2016 pour être réceptionnés le 25 juin 2020, avaient préjudicié au bon exercice de son activité commerciale, la SARL Stimpflin la Maroquinerie, qui exerce une activité de commerce de détail de maroquinerie et d'articles de voyage au n° 12 de la rue Thiers, a saisi la commune d'Aix-en-Provence, par courrier du 5 août 2019, d'une demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices, laquelle a été transmise pour avis à la commission d'indemnisation amiable des préjudices économiques créée par délibération du 12 mars 2018. A la suite de l'avis défavorable formulée par la commission, la commune d'Aix-en-Provence a rejeté la demande indemnitaire de la société Stimpflin la Maroquinerie par courrier du 4 octobre 2019. Puis, par un second courrier du 10 janvier 2020, elle a rejeté la nouvelle demande indemnitaire formulée par la société par courrier du 8 novembre 2019. Enfin, par une troisième lettre du 13 décembre 2021, la société Stimpflin la Maroquinerie a réitéré sa demande tendant à la réparation des préjudices qu'elle estime imputable à l'opération de travaux publics conduite par la commune du 29 août 2016 au 25 juin 2020. En l'absence de réponse, elle a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la condamnation de la commune d'Aix-en-Provence à lui verser la somme de 93 663 euros en réparation de son préjudice économique au titre des exercices 2017 et 2018, à laquelle il a été fait droit par un jugement du 7 juillet 2023. La commune d'Aix-en-Provence relève appel de ce jugement dans la présente instance.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il appartient au riverain d'une voie publique qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à l'occasion d'une opération de travaux publics à l'égard de laquelle il a la qualité de tiers d'établir, d'une part, le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués et, d'autre part, le caractère grave et spécial de son préjudice, les riverains des voies publiques étant tenus de supporter sans contrepartie, les sujétions normales qui leur sont imposées dans un but d'intérêt général.
3. Dès lors, et en premier lieu, la circonstance que la commission d'indemnisation amiable des préjudices économiques subis par les professionnels riverains des travaux a, dans le cadre de la procédure d'indemnisation amiable, indemnisé des commerçants voisins de la SARL Stimpflin la Maroquinerie, est sans influence sur le principe et l'étendue de son droit à indemnisation.
4. En second lieu, et d'une part, il résulte de l'instruction que la commune
d'Aix-en-Provence a engagé des travaux d'aménagement et de restructuration des places Prêcheurs, Madeleine et Verdun qui ont débuté à la fin du mois d'août 2016 pour être réceptionnés le 25 juin 2020. Cette opération d'aménagement a également porté sur des rues voisines de ces places, parmi lesquelles la rue Thiers, où la SARL Stimpflin la Maroquinerie exerce une activité de commerce de détail de maroquinerie et d'articles de voyage. De tels travaux de voirie ont constitué une opération de travaux publics à l'égard de laquelle la société intimée avait la qualité de tiers.
5. D'autre part, si ces travaux ont nécessairement occasionné une gêne pour l'accès au commerce de la société intimée, il résulte de l'instruction que celui-ci est resté accessible et ouvert à la clientèle pendant toute la durée des travaux. S'il est certes exact que de potentiels clients ont été privés d'un parc de stationnement d'une capacité de 250 places à proximité de la rue Thiers, une telle circonstance n'a pu avoir qu'un impact très limité sur l'activité de la SARL Stimpflin la Maroquinerie, la commune d'Aix-en-Provence soutenant par ailleurs, sans être contredite, que 5 810 places de stationnement réparties sur neuf parcs de stationnement situés en centre-ville sont restées accessibles, auxquelles s'ajoutent les places de parkings avec horodateurs et parkings relais pour un total estimé à 9 000 places. En outre, si la SARL Stimpflin la Maroquinerie fait valoir qu'elle a également subi une perte de clientèle en raison de la suppression des nombreux marchés sur les trois places objets des travaux en litige, il résulte de l'article de la revue d'Aix-en-Provence " Le Mag " de juin 2016 produit au dossier que ces marchés ont pour l'essentiel été déplacés à proximité immédiate, autour de la rotonde située à l'Ouest du Cours Mirabeau et le long de cette même avenue, dans un secteur qui reste proche de la rue Thiers. Enfin, s'il résulte des constats d'huissiers dressés les 7 mai 2018 et 14 août 2018 que des travaux étaient en cours dans la rue Thiers à ces deux dates, y compris sur le trottoir situé devant l'entrée du commerce géré par la SARL Stimpflin la Maroquinerie s'agissant du constat du 14 août 2018, ces documents n'établissent nullement que les travaux dont il s'agit auraient été d'une durée excessive.
Au demeurant, il résulte de l'instruction qu'ils ont débuté en janvier 2018 seulement dans cette rue et qu'ils étaient achevés en octobre 2018 au plus tard, date à laquelle les clichés photographiques produits par la commune permettent d'établir non seulement l'achèvement des travaux mais également le rétablissement de la circulation routière dans la rue Thiers.
Ni ces procès-verbaux, ni aucune autre pièce produite au dossier, ne permettent davantage d'établir que le bruit ou la poussière générés par les travaux auraient excédé les sujétions normales auxquelles la société pouvait être exposée. Dans ces conditions, le lien de causalité entre cette opération de travaux public et les dommages invoqués n'est pas établi.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la demande de première instance, que la commune d'Aix-en-Provence est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser la somme de 93 663 euros à la SARL Stimpflin la Maroquinerie. Par suite, il y a lieu d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Marseille par la SARL Stimpflin la Maroquinerie.
Sur les frais d'instance :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la commune
d'Aix-en-Provence, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par la commune d'Aix-en-Provence au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2203280 du 7 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Marseille par la SARL Stimpflin la Maroquinerie est rejetée.
Article 3 : Les conclusions présentées par la commune d'Aix-en-Provence en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Aix-en-Provence et à la SARL Stimpflin la Maroquinerie.
Délibéré après l'audience du 1er octobre 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition du greffe, le 15 octobre 2024.
N° 23MA02341 2