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14/10/2024 | FRANCE | N°23MA02036

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 14 octobre 2024, 23MA02036


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association la Quadrature du Net a demandé au tribunal administratif de Marseille de mettre fin à l'exécution du marché conclu le 2 novembre 2018 entre la commune de Marseille et la société anonyme à conseil d'administration SNEF portant sur l'acquisition d'un dispositif de " vidéo-protection intelligente ".



Par un jugement n° 2009485 du 2 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.



Procédure devant la

Cour :



Par une requête, enregistrée le 3 août 2023, l'association la Quadrature du Net, représenté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association la Quadrature du Net a demandé au tribunal administratif de Marseille de mettre fin à l'exécution du marché conclu le 2 novembre 2018 entre la commune de Marseille et la société anonyme à conseil d'administration SNEF portant sur l'acquisition d'un dispositif de " vidéo-protection intelligente ".

Par un jugement n° 2009485 du 2 juin 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 3 août 2023, l'association la Quadrature du Net, représentée par Me Fitzjean O Cobhthaigh, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 juin 2023 ;

2°) de mettre fin à l'exécution du marché conclu le 2 novembre 2018 entre la commune de Marseille et la société SNEF portant sur l'acquisition d'un dispositif de " vidéo-protection intelligente " ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Marseille la somme de 6 144 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé dès lors que les premiers juges ont omis de viser et de répondre à un moyen qui n'était pas inopérant tenant au non-respect des règles relatives à un traitement de données sensibles ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit, d'une erreur manifeste d'appréciation, d'une contradiction de motifs et d'une dénaturation des écritures, les premiers juges ayant considéré que la poursuite de l'exécution du contrat à la date du jugement ne serait pas manifestement contraire à l'intérêt général en raison de la prétendue suspension de son exécution ;

- les premiers juges ont également commis une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation en ne soulevant pas d'office le moyen tiré de l'illicéité de l'objet même du contrat litigieux ;

- c'est au prix d'une erreur manifeste d'appréciation que les premiers juges ont considéré que le traitement litigieux ne déléguerait pas au prestataire une compétence ne pouvant légalement appartenir qu'à l'autorité publique ;

- le marché est entaché d'un vice de procédure dès lors qu'il a été conclu en l'absence d'analyse d'impact ;

- en permettant une surveillance constante de l'espace public par un procédé algorithmique automatique, le traitement en cause porte une atteinte particulièrement grave à l'intérêt général et se révèle manifestement contraire aux règles sur la protection des données personnelles ;

- le marché en litige est manifestement illégal en ce que son objet est illicite ;

- en prévoyant un traitement de données personnelles, il est manifestement disproportionné et ne respecte pas non plus les conditions de légalité d'un traitement de données sensibles ;

- enfin, le marché est entaché d'illégalité dès lors qu'il entraîne la délégation de missions de police administrative à une personne privée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mai 2024, la commune de Marseille, représentée par Me Charrel, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'association la Quadrature du Net la somme de 3 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 23 avril 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 5 juillet 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Un mémoire a été produit le 22 juillet 2024 pour l'association la Quadrature du Net après la clôture de l'instruction et n'a pas été communiqué.

Les parties ont été informées, le 9 septembre 2024, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen d'ordre public relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement dès lors que les premiers juges ont omis de prononcer un non-lieu à statuer sur la demande dont ils étaient saisis alors que cette demande qui tendait à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du marché conclu le 2 novembre 2018 pour une durée de quarante-huit mois, soit jusqu'au 2 novembre 2022, était devenue sans objet quand ils ont statué le 2 juin 2023. (CE, 9 juillet 1980, SARL Le Comptoir méditerranéen des viandes, n°10405 ; CE, 3 février 1986, Charlin, n°43224).

Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites pour l'association la Quadrature du Net le 17 septembre 2024 et communiquées le jour même.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;

- la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de M. A..., pour l'association la Quadrature du Net, et de Me Costantini, pour la commune de Marseille.

Connaissance prise de la note en délibéré enregistrée le 30 septembre 2024, et produite pour l'association la Quadrature du Net.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis publié le 31 octobre 2015, la commune de Marseille a engagé une procédure de dialogue compétitif pour l'attribution d'un marché ayant pour objet l'acquisition d'un dispositif de " vidéo-protection intelligente ". Le 2 novembre 2018, elle a attribué le marché à la société SNEF. Le 5 août 2020, l'association la Quadrature du Net a adressé à la commune de Marseille un courrier lui demandant de résilier le marché public conclu avec la société SNEF. Du silence de la commune est née une décision implicite de rejet. L'association la Quadrature du Net a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du marché conclu le 2 novembre 2018 entre la commune de Marseille et la société SNEF. Par le jugement du 2 juin 2023, le tribunal administratif a rejeté cette demande. L'association la Quadrature du Net relève appel de ce jugement.

En ce qui concerne la nature et la portée du recours introduit par l'association la Quadrature du Net :

2. Un tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par une décision refusant de faire droit à sa demande de mettre fin à l'exécution du contrat, est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat. S'agissant d'un contrat conclu par une collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales, cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département.

3. Les tiers ne peuvent utilement soulever, à l'appui de leurs conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, que des moyens tirés de ce que la personne publique contractante était tenue de mettre fin à son exécution du fait de dispositions législatives applicables aux contrats en cours, de ce que le contrat est entaché d'irrégularités qui sont de nature à faire obstacle à la poursuite de son exécution et que le juge devrait relever d'office ou encore de ce que la poursuite de l'exécution du contrat est manifestement contraire à l'intérêt général. A cet égard, les requérants peuvent se prévaloir d'inexécutions d'obligations contractuelles qui, par leur gravité, compromettent manifestement l'intérêt général. En revanche, ils ne peuvent se prévaloir d'aucune autre irrégularité, notamment pas celles tenant aux conditions et formes dans lesquelles la décision de refus a été prise. En outre, les moyens soulevés doivent, sauf lorsqu'ils le sont par le représentant de l'Etat dans le département ou par les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales compte-tenu des intérêts dont ils ont la charge, être en rapport direct avec l'intérêt lésé dont le tiers requérant se prévaut.

4. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution d'un contrat administratif, il appartient au juge du contrat d'apprécier si les moyens soulevés sont de nature à justifier qu'il y fasse droit et d'ordonner après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat, le cas échéant avec un effet différé.

En ce qui concerne l'objet du recours de l'association la Quadrature du Net :

5. L'article 1-7 du cahier des clauses administratives particulières relatif à la " Durée du marché - Période de validité " stipule que : " La durée du marché se définit comme suit : 48 mois à compter de la date de notification du marché au titulaire. / Les bons de commande émis en fin de marché ne pourront voir leur exécution se prolonger de plus de 3 mois après la date d'expiration du marché. / Les bons de commandes pourront être émis jusqu'au dernier jour de la période de validité du marché. ".

6. Il résulte de l'instruction que, d'une part, le marché entre la commune de Marseille et la société SNEF ayant pour objet l'acquisition d'un dispositif de " vidéo-protection intelligente " a été conclu le 2 novembre 2018 pour une durée de quatre ans pour la tranche ferme et pour une durée de quatre ans concernant la tranche conditionnelle, soit au total une durée de quarante-huit mois, à savoir jusqu'au 2 novembre 2022 et que, d'autre part, la commune ne pouvait plus, en application des stipulations précitées, émettre des bons de commande après cette date.

7. Ainsi, lorsque les premiers juges ont statué, le 2 juin 2023, le marché en litige devait être regardé comme ayant été exécuté. Sont sans incidence sur ce constat la circonstance que la commune de Marseille ait décidé de la suspension de l'exécution du marché au poste n° 2 de la tranche ferme soit au stade de la conception dans le cadre d'un moratoire sur le projet global ainsi que la circonstance que la commune aurait à sa disposition des traitements de vidéosurveillance algorithmique disponibles sur une cinquantaine de caméras. Est également sans influence, le fait que la collectivité publique aurait continué à avoir des relations avec le titulaire du marché hors du cadre contractuel en cause après l'expiration prévue de celui-ci, dès lors que la demande de l'association la Quadrature du Net qui tendait à ce qu'il soit mis fin à l'exécution du contrat ne pouvait porter que sur un contrat en cours d'exécution et ne pouvait permettre de remettre en cause les conséquences d'un marché déjà exécuté et l'utilisation abusive des licences, selon l'appelante, des logiciels de surveillance ainsi implantés. La demande tendant à ce qu'il soit mis fin à l'exécution de ce marché était ainsi devenue sans objet au cours de la procédure de première instance. Il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement attaqué, d'évoquer les conclusions de la demande et de décider dès lors qu'il n'y a pas lieu d'y statuer sur la demande dont le tribunal administratif de Marseille était saisi.

8. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 juin 2023 est annulé.

Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de l'association la Quadrature du Net.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association la Quadrature du Net, à la commune de Marseille et à la société anonyme à conseil d'administration SNEF.

Délibéré après l'audience du 30 septembre 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2024.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02036
Date de la décision : 14/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Fin des contrats - Résiliation.

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales - Pouvoirs et obligations du juge - Pouvoirs du juge du contrat.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SCP CHARREL & ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-14;23ma02036 ?
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