Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL SB2 a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision de l'inspecteur du travail du 6 juillet 2020 refusant de l'autoriser à licencier Mme A... B..., la décision de la ministre du travail portant rejet implicite de son recours hiérarchique, et la décision expresse de la même ministre du 8 mars 2021, annulant la décision de l'inspecteur mais refusant également de faire droit à sa demande.
Par deux jugements n° 2100556 du 5 juin 2023 et n° 2101259 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Toulon a constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur de travail et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la Cour :
I°) Par une requête, enregistrée le 4 août 2023 sous le n° 23MA02068, la SARL SB2, assistée de la SELARL Xavier Huertas et Associés, en qualité d'administrateur judiciaire, représentée par Me Pourrez, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2100556 du 5 juin 2023 en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la ministre du 8 mars 2021 en ce qu'elle refuse d'autoriser le licenciement ;
2°) d'annuler cette décision dans cette mesure ;
3°) d'enjoindre à l'administration de faire droit à sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de Mme B... une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'inspecteur du travail n'a pas conduit son enquête de façon contradictoire ; si la ministre a repris la procédure, l'administration n'a pas effectué ce travail sérieusement ; elle n'a pas organisé de confrontation, n'a fait auditionner que trois salariés, dont l'un ne travaillant pas avec Mme B..., alors qu'il aurait été nécessaire d'en entendre d'autres ayant eu à se plaindre de l'intéressée, et n'a établi que des comptes rendus succincts et subjectifs sans qu'aucun procès-verbal d'audition ne soit signé ; les pièces produites par Mme B... étaient en outre illisibles ;
- les fautes nombreuses et graves commises par Mme B..., caractérisées essentiellement pas des abus d'autorité dans le management, des altercations en présence de la clientèle, une absence de réalisation ou d'implication dans le travail, des manquements réitérés aux règles d'hygiène ainsi qu'aux règles d'organisation du travail, la dégradation répétée de la caisse enregistreuse et des manquements aux obligations de discrétion et de loyauté, sont établies, particulièrement par les attestations nombreuses et concordantes de ses collègues ; les pièces produites par Mme B... sont peu probantes ; le comportement de Mme B... compromet le bon fonctionnement de l'entreprise et justifie le licenciement ;
- les reproches faits à Mme B... sont sans lien avec l'exercice de son mandat ; aucun des manquements que cette dernière reproche à son employeur n'est fondé.
Par un mémoire enregistré le 15 avril 2024, Mme B..., représentée par Me de Hantsetters, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la SARL SB2 du titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève ;
- certains faits relatés seraient en tout état de cause prescrits ;
- l'employeur a manqué à plusieurs de ses obligations contractuelles ;
- le licenciement envisagé était en lien avec son mandat.
La procédure a été communiquée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités qui n'a pas produit d'observations.
II°) Par une requête, enregistrée le 28 août 2023 sous le n° 23MA02227, la SARL SB2, assistée de la SELARL Xavier Huertas et Associés, en qualité d'administrateur judiciaire, représentée par Me Pourrez, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2101259 du 6 juillet 2023 en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision de la ministre du 8 mars 2021 en ce qu'elle refuse d'autoriser le licenciement de Mme B... ;
2°) d'annuler cette décision dans cette mesure ;
3°) d'enjoindre à l'administration de faire droit à sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de Mme B... une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle présente les mêmes moyens que dans l'instance enregistrée sous le n° 23MA02068.
Par un mémoire enregistré le 15 avril 2024, Mme B..., représentée par Me de Hantsetters, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de la SARL SB2 du titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle présente les mêmes moyens que dans l'instance enregistrée sous le n° 23MA02068.
La procédure a été communiquée à la ministre du travail, de la santé et des solidarités qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Poullain,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... a été recrutée par la SARL SB2, qui exploite une boulangerie-saladerie à Six-Fours-les-plages, à compter du 21 juin 2011. Elle y exerce les fonctions de manager depuis l'année 2017 et a été désignée en qualité de représentante des salariés le 5 août 2019, dans le cadre de la procédure de sauvegarde dont faisait l'objet l'entreprise. Par une décision du 6 juillet 2020, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser son employeur à la licencier. Saisie d'un recours hiérarchique, la ministre en charge du travail a, par une décision du 8 mars 2021, retiré sa décision implicite de rejet, annulé la décision de l'inspecteur du travail au motif qu'il n'avait pas respecté le caractère contradictoire de la procédure, et refusé d'autoriser le licenciement de Mme B.... La SARL SB2 relève appel des deux jugements du tribunal administratif de Toulon des 5 juin et 6 juillet 2023 en tant qu'ils ont rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision de la ministre en ce qu'elle refuse d'autoriser le licenciement.
2. Les requêtes n° 23MA02068 et 23MA02227 de la SARL SB2 concernent la même décision. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé des jugements attaqués :
3. En premier lieu, l'inspecteur du travail et le ministre se prononçant sur une autorisation de licenciement ne sont pas un tribunal au sens de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La requérante ne saurait dès lors utilement se prévaloir de ces stipulations. Elle ne saurait davantage, alors qu'elle est à l'origine de la saisine du ministre, se prévaloir à l'encontre de la décision contestée des dispositions de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration qui ne s'appliquent pas dans les cas où il est statué sur une demande. En revanche, en vertu des dispositions des articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, l'inspecteur du travail saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé doit, quel que soit le motif de la demande, procéder à une enquête contradictoire. Si aucune règle ni aucun principe ne fait obligation au ministre chargé du travail, saisi d'un recours hiérarchique sur le fondement des dispositions de l'article R. 2422-1 du même code, de procéder lui-même à cette enquête contradictoire, il en va autrement si l'inspecteur du travail n'a pas lui-même respecté les obligations de l'enquête contradictoire et que, par suite, le ministre annule sa décision et statue lui-même sur la demande d'autorisation.
4. En l'espèce, si la ministre chargée du travail a annulé la décision de l'inspecteur du travail au motif qu'il n'avait pas respecté le caractère contradictoire de l'enquête, il est constant, qu'au cours de la contre-enquête préalable à sa décision du 8 mars 2021, chacune des parties a été entendue, l'ensemble des éléments transmis par Mme B... au cours de la procédure a été adressé à la SARL SB2, dans une version aussi lisible que possible, et un compte rendu des auditions des trois salariés auxquelles l'inspecteur du travail avait procédé le 17 juin 2020 a été effectué à destination des parties. Ce compte rendu, dont il n'y a pas lieu de mettre en doute l'objectivité, alors même qu'aucun procès-verbal d'audition n'a été établi, comporte les précisions suffisantes, permettant de comprendre le sens des questions posées et des réponses apportées. Dans ces circonstances, alors même que l'ensemble des salariés ayant établi des attestations n'a pas été entendu et qu'aucune confrontation entre le dirigeant de la SARL SB2 et Mme B... n'a été organisée, la requérante ne saurait soutenir que les obligations de l'enquête contradictoire n'ont pas été respectées.
5. En deuxième lieu, en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi. Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " (...) / (...) le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. / (...) / Si un doute subsiste, il profite au salarié ".
6. En l'espèce, la demande d'autorisation de licenciement en litige est intervenue dans un contexte de tensions personnelles certaines entre le dirigeant de l'entreprise, M. G..., et Mme B..., alors que le premier s'est séparé au cours de l'année 2018 de l'ex-mari de la seconde, avec qui il vivait, et avait créé la SARL SB2, en écartant ce dernier de la direction de la société et l'accusant de malversations. M. G... a alors formé un couple avec M. F..., engagé au début du mois d'octobre 2019 comme animateur commercial au sein du groupe Borea Développement auquel appartient l'entreprise. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que Mme Lagorgette, conseillère de vente au sein d'une autre entité du groupe, ayant témoigné à l'encontre de Mme B..., était une amie intime du couple formé par MM. G... et F.... Enfin, Mme E... a manifestement été engagée le 21 octobre 2019 par la SARL SB2 dans la perspective de remplacer Mme B..., durant son congé de maladie et alors que l'entreprise avait déjà l'intention de rompre le contrat de travail de l'intéressée. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les témoignages de ces différentes personnes ne présentent pas les garanties d'objectivité requises.
7. Si la SARL SB2 reproche à Mme B... des abus d'autorité dans le management et une attitude irrespectueuse envers ses collègues, elle produit à cet égard les attestations de Mme Lagorgette, de Mme E..., ainsi que de Mme C..., M. D..., et M. H.... Toutefois, il ne ressort pas de l'attestation de ce dernier que Mme B..., qui a pu donner des ordres en urgence, de façon un peu directe aux équipes, lui aurait manqué de respect, tandis que Mme B... justifie du positionnement ambigu de Mme C... et M. D... qui dénoncent, dans leurs attestations, le climat de tension régnant dans l'entreprise plus que des griefs précis à l'encontre de leur manager. Si l'employeur se prévaut également d'une action engagée à son encontre par une ancienne salariée à raison de faits de harcèlement commis par Mme B..., il est constant que ceux-ci ont été jugés non établis par le conseil des prud'hommes.
8. Alors qu'est alléguée la présence d'autres personnes lors de l'altercation survenue en présence de la clientèle entre M. F... et Mme B... le 3 mars 2019, celle-ci n'est attestée que par M. F... et Mme E..., laquelle évoque au demeurant une " agression verbale " de Mme B... sans fournir d'éléments précis quant à la teneur des propos de l'intéressée.
9. Si l'employeur évoque des manquements répétés de Mme B... aux règles d'hygiène, par l'absence de port de gants lors de la manipulation des sandwichs et l'utilisation de denrées tombées par terre par exemple, il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'il ait, à un quelconque moment, alerté préalablement sa salariée au sujet de telles difficultés, alors qu'elle était jusqu'alors chargée de la formation de l'ensemble du personnel d'accueil du groupe. Les attestations de ses collègues versées au dossier en ce sens rapportent un ensemble de faits variés dont il n'est pas précisément indiqué quand ils ont été commis et qui n'ont au demeurant pas été rapportés sur le fait à la direction.
10. Il ne ressort par ailleurs pas des pièces du dossier que Mme B... ne se serait pas pliée aux directives de son employeur quant à l'organisation du travail, notamment s'agissant de la signature des plannings de travail et de la pose de ses jours de congés payés pour laquelle elle a au contraire été diligente dans la proposition d'une alternative à celle qu'elle avait initialement faite, durant le mois de février 2020.
11. Il n'est nullement établi que Mme B... serait à l'origine de la panne de la caisse enregistreuse le 21 janvier 2020 quand bien même son dysfonctionnement résulterait de l'introduction de corps métalliques étrangers dans la cellule de reconnaissance de pièces.
12. Alors qu'il n'est pas contesté que le suivi de l'activité générale du commerce faisait partie des attributions de Mme B..., et que l'intéressée disposait pour cette raison des codes d'accès à distance au logiciel de caisse, la consultation dudit logiciel durant son congé pour maladie n'est pas, en elle-même et en l'absence de toute interdiction précise de l'employeur, de nature à caractériser une faute disciplinaire.
13. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme B... aurait fait preuve de désinvolture et d'un manque d'engagement dans son travail.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL SB2 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de la décision de la ministre en charge du travail du 8 mars 2021 en ce qu'elle refuse de l'autoriser à licencier Mme B....
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de Mme B... qui ne sont pas les parties perdantes dans les présentes instances. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL SB2 une somme de 2 000 euros à verser à Mme B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Les requêtes de la SARL SB2 sont rejetées.
Article 2 : La SARL SB2 versera une somme de 2 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL SB2, à la SELARL Xavier Huertas et Associes, à la SCP BR Associés, à la ministre du travail et de l'emploi et à Mme A... B....
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2024.
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N° 23MA02068, 23MA02227
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