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04/10/2024 | FRANCE | N°23MA01109

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 04 octobre 2024, 23MA01109


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure :



La société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler le titre exécutoire n° 1027 d'un montant de 23 842,50 euros émis le 4 septembre 2020 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et de la décharger du paiement des sommes correspondantes.





L'ONIAM, par des conclusions reconventionnelles, a dema

ndé au tribunal de condamner la SHAM à lui verser la somme de 23 842,50 euros, assortie des intérêts au taux...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler le titre exécutoire n° 1027 d'un montant de 23 842,50 euros émis le 4 septembre 2020 par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) et de la décharger du paiement des sommes correspondantes.

L'ONIAM, par des conclusions reconventionnelles, a demandé au tribunal de condamner la SHAM à lui verser la somme de 23 842,50 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 octobre 2020 et de la capitalisation des intérêts, ainsi que la somme de 3 576,37 euros au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique.

Par un jugement n° 2009374 du 6 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a annulé le titre exécutoire n° 1027 d'un montant de 23 842,50 euros émis le 4 septembre 2020 par l'ONIAM, a partiellement déchargé la SHAM de la créance de l'ONIAM à hauteur de 15 895 euros et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 5 mai 2023 et 24 janvier 2024, l'ONIAM, représenté par la SELARL De La Grange et Fitoussi, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 mars 2023 en ce qu'il a annulé le titre exécutoire n° 1027 d'un montant de 23 842,50 euros et déchargé la SHAM du paiement de la somme de 15 895 euros ;

2°) de rejeter la demande de la SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance et de constater que la créance de l'ONIAM est fondée et que le retard de prise en charge du centre hospitalier de Digne-les-Bains est constitutif d'une perte de chance de 60 % ;

3°) de condamner, à titre reconventionnel, la société Relyens Mutual Insurance au paiement des intérêts légaux sur la somme de 23 842,50 euros, à compter du 2 octobre 2020, et de la capitalisation de ces intérêts à chaque échéance annuelle à compter du 3 octobre 2021 ;

4°) de condamner, à titre reconventionnel, la société Relyens Mutual Insurance à lui verser, au titre de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, la somme de 3 576,37 euros ;

5°) de mettre à la charge de la société Relyens Mutual Insurance la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le retard de prise en charge du centre hospitalier de Digne-les-Bains est à l'origine d'une perte de chance de 60% d'éviter la complication subie par Mme A... ;

- la détermination de ce taux de perte de chance par le tribunal à hauteur de 20 % est infondée ;

- il est fondé, à titre reconventionnel, à obtenir le versement de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique et la condamnation de la société Relyens Mutual Insurance à lui payer la somme de 23 842,50 euros assortie des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts.

Par un mémoire, enregistré le 16 novembre 2023, la société Relyens Mutual Insurance, représentée par la SARL Le Prado-Gilbert, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de l'ONIAM ;

2°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les moyens soulevés par l'ONIAM ne sont pas fondés ;

- c'est à raison que le tribunal a refusé de la condamner à payer à l'ONIAM la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique ainsi que les intérêts et la capitalisation de ces intérêts sur la somme due ;

- au surplus, la demande de versement des intérêts légaux et de la capitalisation des intérêts est infondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) de Provence Alpes Côte d'Azur, saisie par Mme A..., a, par avis du 18 octobre 2018, retenu la responsabilité du centre hospitalier de Digne-les-Bains dans la survenance des dommages subis par celle-ci, à la suite de son accouchement le 2 août 2011. La CCI a retenu une perte de chance d'éviter la survenance de la névralgie pudendale diagnostiquée à l'intéressée, définie à hauteur de 60 %. Saisi par celle-ci d'une demande de substitution en application de l'article L. 1142-15 du code de la santé publique, l'ONIAM a indemnisé Mme A..., à hauteur de 23 842,50 euros. L'ONIAM a notifié à la SHAM, assureur du centre hospitalier de Digne-les-Bains, un titre exécutoire n° 1027 émis le 4 septembre 2020, afin d'assurer le recouvrement de cette somme. La SHAM a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler ce titre exécutoire et d'être déchargée de l'obligation de payer la somme correspondante. L'ONIAM a, pour sa part, présenté des conclusions reconventionnelles tendant à la condamnation de cette société au paiement, d'une part, de la somme de 23 842,50 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, d'autre part, de la pénalité de 15 % prévue à l'article L. 1142-15 du code de la santé publique. Par un jugement du 6 mars 2023, dont l'ONIAM fait appel, le tribunal administratif de Marseille a annulé le titre exécutoire émis par l'ONIAM, a partiellement déchargé la SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, de la créance de l'ONIAM à hauteur de 15 895 euros, en retenant un taux de perte de chance de 20 %, et a rejeté les conclusions présentées à titre reconventionnel par l'ONIAM.

Sur le bien-fondé du titre exécutoire :

2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1142-14 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 ou d'un producteur d'un produit de santé mentionné à l'article L. 1142-2, l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance ". Aux termes de l'article L. 1142-15 du même code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, (...) l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. / (...) / L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise. / En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. / Lorsque l'office transige avec la victime, ou ses ayants droit, en application du présent article, cette transaction est opposable à l'assureur ou, le cas échéant, au fonds institué au même article L. 426-1 du code des assurances ou au responsable des dommages sauf le droit pour ceux-ci de contester devant le juge le principe de la responsabilité ou le montant des sommes réclamées. Quelle que soit la décision du juge, le montant des indemnités allouées à la victime lui reste acquis ".

3. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.(...)".

4. En l'espèce, il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise d'un gynécologue obstétricien ordonnée par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, qu'à la suite de son accouchement le 2 août 2011, Mme A... a ressenti de très vives douleurs au niveau vaginal côté droit, et s'est vue diagnostiquer en novembre 2011 une névralgie pudendale aiguë d'origine obstétricale. L'expert retient que cette névralgie a été causée par une deuxième phase de travail trop longue d'une durée de trois heures trente, alors que les efforts expulsifs auraient dû démarrer au plus tard au bout de deux heures, ce qui aurait permis que la naissance de l'enfant intervienne entre une heure et une heure quinze plus tôt. Ce retard de prise en charge a contribué à la survenance d'une névralgie du fait d'une compression du nerf pudendal au niveau du canal d'Alcock et d'une élongation de celui-ci favorisée par l'utilisation d'un forceps, nécessaire en raison du poids du bébé et d'un périmètre crânien supérieur à la moyenne, mais tardive. Au vu de ces éléments qui ne sont au demeurant plus contestés en appel par la société Relyens Mutual Insurance, c'est à juste titre que le tribunal a considéré que le centre hospitalier de Digne-les-Bains avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

5. Par ailleurs, dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise précité du 13 juillet 2018, que si le centre hospitalier de Digne-les-Bains a commis une faute en tardant à mettre en œuvre les efforts expulsifs et à utiliser un forceps au cours de la deuxième phase de travail, d'autres facteurs étaient en l'espèce de nature à favoriser la survenance du risque de névralgie pudendale. En particulier, il est relevé qu'il s'agissait du premier accouchement de la patiente, que le poids du bébé, de l'ordre de 3,8 kilogrammes, était supérieur au poids moyen et très proche du poids des gros bébés de 4 kilogrammes, et que le périmètre crânien de 36 centimètres était supérieur à la valeur moyenne de 35,5 centimètres constatée à la naissance. Enfin, l'utilisation même de forceps,

si elle était en l'espèce justifiée, était également susceptible de causer des lésions au niveau vaginal. L'expert a estimé à 60 % le taux de perte de chance d'éviter la survenue d'une névralgie pudendale, en relevant à cet égard qu'il n'est pas certain qu'une telle lésion ne serait pas survenue dans l'hypothèse même d'une naissance plus précoce et d'une durée plus courte de compression du nerf. Toutefois et alors que l'expert admet la difficulté d'évaluer le risque de survenance d'une névralgie et note l'existence de quatre autres facteurs de risque, sans que des précisions sur leur influence respective dans la survenance du dommage subi par Mme A... ne soit apportée, la détermination d'un taux à hauteur de 60 % n'apparaît pas, en l'absence d'éléments médicaux précis, suffisamment justifiée, de même que, en l'état de l'instruction, le taux de 20 % retenu par le tribunal. Enfin et contrairement à ce que soutient l'ONIAM, il ne ressort pas du rapport d'expertise, compte tenu des termes mêmes de ses conclusions, que le risque principal serait constitué par l'utilisation du forceps. Dès lors, l'état du dossier ne permet pas de connaître l'ampleur de la chance perdue. Il y a lieu, par suite, d'ordonner une expertise complémentaire afin de déterminer le taux de perte de chance d'échapper aux préjudices en lien direct et certain avec la faute du centre hospitalier de Digne-les-Bains retenue par le tribunal administratif de Marseille dans son jugement du 6 mars 2023.

DÉCIDE :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les autres conclusions de la requête, procédé à une expertise médicale, confiée à un gynécologue obstétricien.

Article 2 : L'expert aura pour mission de :

1°) se faire communiquer tous documents relatifs à l'état de santé de Mme A... et, notamment, tous documents relatifs au suivi médical, aux actes de soins, et aux diagnostics pratiqués sur elle lors notamment de sa prise en charge par le centre hospitalier de Digne-les-Bains à l'occasion de son accouchement le 2 août 2011 ; convoquer et entendre les parties et tous sachants ;

2°) préciser à la cour, au vu de la littérature médicale, dans quelle mesure, compte tenu, d'une part, des manquements fautifs du centre hospitalier de Digne-les-Bains retenus par le jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 mars 2023, d'autre part, des autres causes énoncées au point 6 du présent arrêt qui ont pu contribuer à la survenance de la névralgie pudendale, si Mme A... a perdu une chance d'échapper aux préjudices subis en lien direct avec la faute du centre hospitalier de Digne-les-Bains ;

3°) chiffrer en pourcentage l'ampleur de la perte de chance perdue.

Article 3 : L'expertise aura lieu en présence de l'ONIAM et de la société Relyens Mutual Insurance.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la société Relyens Mutual Insurance.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2024, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2024.

N° 23MA01109 2

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