Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme F... B..., épouse C... et Mme D... B..., épouse E... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 20 septembre 2019 par laquelle le maire de Grasse a constaté, à compter du 13 janvier 2019, la péremption du permis de construire tacite du 14 avril 2002 délivré à Mme G... B... en vue de l'édification de quatre maisons d'habitation sur un terrain situé chemin de la Bellonière.
Par un jugement n° 1905558 du 1er mars 2023, le tribunal administratif de Nice a annulé cette décision.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 2 mai 2023, la commune de Grasse, représentée par Me Orlandini, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 1er mars 2023 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mesdames C... et E... devant le tribunal administratif de Nice ;
3°) de mettre à la charge de Mesdames C... et E... la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable au regard des dispositions de l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative ;
- le délai de validité du permis de construire n'a pas été suspendu par le pourvoi en cassation exercé par Mesdames C... et E... devant le Conseil d'Etat, en application des dispositions de l'article R. 424-19 du code de l'urbanisme ; c'est à tort que le tribunal a fixé comme date de fin de la période de suspension le 28 décembre 2016, date de la décision de non-admission du pourvoi, au lieu du 12 mai 2016, date de l'arrêt de la Cour ; le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit et est insuffisamment motivé sur ce point ;
- la délivrance d'un permis modificatif n'a pas eu pour effet de suspendre le délai de validité du permis initial ;
- la décision contestée n'est pas entachée d'incompétence ;
- la décision contestée n'est pas entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- elle se trouvait, en l'absence de tout commencement des travaux, en situation de compétence liée pour constater la caducité du permis de construire ; dès lors, les moyens de légalité externe soulevés par les requérantes de première instance sont inopérants.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 novembre 2023, Mesdames C... et E..., représentées par le cabinet Buk-Lament Robillot, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Grasse la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la requête est irrecevable au regard des dispositions de l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative ;
- les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Un mémoire enregistré le 24 avril 2024, présenté par la commune de Grasse, n'a pas été communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le décret n° 2008-1353 du 19 décembre 2008 ;
- le décret n° 2016-6 du 5 janvier 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Courbon, présidente-assesseure ;
- les conclusions de M. Quenette, rapporteur public ;
- et les observations de Me Plénot, représentant la commune de Grasse.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., veuve B... a obtenu, le 14 avril 2002, un permis de construite tacite portant sur la construction de quatre maisons d'habitation sur une parcelle cadastrée section DL n° 275, située chemin de la Bellonière à Grasse. Par un arrêté du 29 mai 2002, le maire de Grasse a retiré ce permis. Par un jugement du 13 mars 2006 et un arrêt du 13 novembre 2008, le tribunal administratif de Nice et la cour administrative d'appel de Marseille ont rejeté les requêtes de Mme B... tendant à l'annulation de cet arrêté, lequel a toutefois été annulé par une décision du Conseil d'Etat du 18 novembre 2011. Par une requête enregistrée le 30 janvier 2012, l'association Grasse Environnement a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler le permis tacite susmentionné. Si le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande par un jugement du 7 mai 2014, la cour administrative d'appel a, par un arrêt du 12 mai 2016, partiellement annulé ce permis. Le pourvoi formé par Mme B..., épouse C... et Mme B..., épouse E..., venant aux droits de Mme B..., a fait l'objet d'une décision de non-admission du Conseil d'Etat le 28 décembre 2016. Mme C... a obtenu, le 27 novembre 2017, un permis de construire modificatif régularisant notamment l'illégalité retenue par l'arrêt du 12 mai 2016. Par une décision du 20 septembre 2019, le maire de Grasse a constaté, à compter du 13 janvier 2019, la caducité du permis tacite du 14 avril 2002. La commune de Grasse relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nice, saisi par Mesdames C... et E..., a annulé cette décision.
Sur la compétence de la cour pour statuer en appel :
2. Aux termes de l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative, dans sa version applicable au présent litige : " Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application (...). / Les dispositions du présent article s'appliquent aux recours introduits entre le 1er décembre 2013 et le 31 décembre 2022 ".
3. Ces dispositions, qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l'offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d'opérations de construction de logements ayant bénéficié d'un droit à construire, ne peuvent être regardées comme concernant les recours dirigés contre les décisions constatant la péremption d'un permis de construire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
4. En premier lieu, le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés à son appui, a suffisamment motivé sa réponse au moyen de défense soulevé en première instance par la commune de Grasse, tiré de ce que la péremption du permis de construire tacite du 14 avril 2002 était acquise au 13 janvier 2019 au regard des dispositions de l'article R. 424-19 du code de l'urbanisme, aux points 2 à 10 du jugement attaqué.
5. En second lieu, si la commune de Grasse soutient que le jugement attaqué est entaché d'une erreur de droit, ce moyen, qui relève du contrôle du juge de cassation et non de celui du juge d'appel, est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué et ne peut, dès lors, qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-32, dans sa rédaction issue du décret du 16 janvier 2002 pris pour l'application de la loi n° 2001-44 du 17 janvier 2001, applicable à la date de naissance du permis de construire tacite : " Le permis de construire est périmé si les constructions ne sont pas entreprises dans le délai de deux ans à compter de la notification visée à l'article R. 421-34 ou de la délivrance tacite du permis de construire. Il en est de même si les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année. / (...) ".
7. D'autre part, aux termes de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue du décret du 5 janvier 2007, applicable aux permis de construire en cours de validité à la date de son entrée en vigueur, le 1er octobre 2007 : " Le permis de construire, d'aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de deux ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. / (...) ". L'article 1er du décret du 19 décembre 2008 prolongeant le délai de validité des permis de construire, d'aménager ou de démolir et des décisions de non-opposition à une déclaration préalable a, pour les permis de construire intervenus au plus tard le 31 décembre 2010, porté à trois ans le délai mentionné au premier alinéa de l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme. En vertu de l'article 2 de ce même décret, cette modification s'applique aux autorisations en cours de validité à la date de sa publication, soit le 20 décembre 2008. L'article 3 du décret du 5 janvier 2016 relatif à la durée de validité des autorisations d'urbanisme a porté, de manière pérenne, à trois ans le délai mentionné à l'article R. 424-17 du code de l'urbanisme. En vertu de l'article 7 de ce même décret, cette modification s'applique aux autorisations en cours de validité à la date de sa publication, soit le 6 janvier 2016.
8. Ces dispositions ne peuvent toutefois recevoir application que si l'inexécution ou l'arrêt des travaux n'est pas imputable au fait de l'administration. Ainsi, la décision de retrait, par l'administration, d'un permis de construire a pour effet, non de suspendre, mais d'interrompre le délai défini par le premier alinéa de l'article R. 421-32 du code de l'urbanisme, au-delà duquel le permis de construire est périmé.
9. Enfin, aux termes du quatrième alinéa de l'article R. 421-32, dans sa rédaction issue du décret du 16 janvier 2002 précité, applicable à la date de naissance du permis de construire tacite : " Le délai de validité du permis de construire est suspendu, le cas échéant, pendant la durée du sursis à exécution de la décision portant octroi dudit permis, ordonné par décision juridictionnelle ou administrative, ainsi que, en cas d'annulation du permis de construire prononcée par jugement du tribunal administratif frappé d'appel, jusqu'à la décision rendue par le conseil d'Etat. / (...) ". Ces dispositions ont ensuite été reprises, à compter du 1er mars 2007, au premier alinéa de l'article R. 424-19 du code de l'urbanisme, aux termes duquel : " En cas de recours devant la juridiction administrative contre le permis ou contre la décision de non-opposition à la déclaration préalable ou de recours devant la juridiction civile en application de l'article L. 480-13, le délai de validité prévu à l'article R. 424-17 est suspendu jusqu'au prononcé d'une décision juridictionnelle irrévocable ".
10. Il ressort des pièces du dossier que la décision tacite, intervenue le 14 avril 2002, par laquelle le maire de Grasse a délivré un permis de construire à Mme B..., en vue de l'édification de quatre maisons d'habitation sur un terrain situé chemin de la Bellonière à Grasse, a été retirée par le maire de Grasse par une décision du 29 mai 2002, qui a eu pour effet d'interrompre, ainsi qu'il a été dit au point 8 ci-dessus, le délai de validité de ce permis, délai porté à trois ans en application des dispositions citées au point 7. Cette décision de retrait a été annulée par le Conseil d'Etat par une décision du 18 novembre 2011, qui a eu pour effet, d'une part, de rétablir dans l'ordonnancement juridique le permis tacite du 14 avril 2002, et d'autre part, de mettre fin à l'interruption du délai de péremption de ce permis à compter de sa date de lecture, soit le 18 novembre 2011.
11. Par ailleurs, le permis de construire tacite du 14 avril 2002 a fait l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, introduit le 30 janvier 2012 par l'association Grasse Environnement devant le tribunal administratif de Nice, lequel a rejeté cette requête par un jugement du 7 mai 2014. Par un arrêt du 12 mai 2016, la cour administrative de Marseille a annulé partiellement ce permis de construire, en tant qu'il méconnaissait les dispositions de l'article NB 3 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune, en l'absence d'aménagement d'un accès à la propriété à partir d'une des voies secondaires riveraines. Par une décision du 28 décembre 2016, le Conseil d'État n'a pas admis le pourvoi formé par Mesdames C... et E..., venant aux droits de Mme B..., contre cet arrêt. Cette décision, alors même que la cour n'a annulé que partiellement le permis de construire du 14 avril 2002 et que les autrices du pourvoi sont les bénéficiaires de ce permis, constitue une décision juridictionnelle irrévocable au sens et pour l'application de l'article R. 424-19 précité du code de l'urbanisme. Il en résulte que le délai de validité du permis de construire tacite a été suspendu du 30 janvier 2012, date de l'introduction du recours pour excès de pouvoir à l'initiative de l'association Grasse Environnement, jusqu'au 28 décembre 2016, date de lecture de la décision du Conseil d'Etat n'admettant par le pourvoi à l'encontre de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille du 12 mai 2016 et non, comme le soutient la commune de Grasse, au 12 mai 2016.
12. Dans ces conditions, le délai de validité de trois ans du permis de construire du 14 avril 2002 a couru du 18 novembre 2011 au 30 janvier 2012, soit pendant deux mois et onze jours, et a recommencé à courir, après sa suspension, pour la durée restante de deux ans, neuf mois et vingt jours à compter du 28 décembre 2016. Ainsi, indépendamment de la délivrance, le 27 novembre 2017, d'un permis de construire modificatif en vue de régulariser le permis tacite du 14 avril 2002, le permis de construire tacite du 14 avril 2002 n'était pas atteint de péremption à la date du 13 janvier 2019 comme l'a indiqué le maire de Grasse dans la décision attaquée du 20 septembre 2019 et ne l'était pas davantage à la date à laquelle cette décision a été prise.
13. Il résulte de ce qui précède que la commune de Grasse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision du 20 septembre 2019 par laquelle le maire de Grasse a constaté, à compter du 13 janvier 2019, la péremption du permis de construire tacite du 14 avril 2002.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mesdames C... et E..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la commune de Grasse au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Grasse une somme de 2 000 euros au titre des frais de même nature exposés par Mesdames C... et E....
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la commune de Grasse est rejetée.
Article 2 : La commune de Grasse versera à Mme B..., épouse C... et à Mme B..., épouse E... prises ensemble une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Grasse, à Mme F... B..., épouse C... et à Mme D... B..., épouse E....
Délibéré après l'audience du 12 septembre 2024, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- Mme Courbon, présidente assesseure,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2024
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N° 23MA01088
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