Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 13 mars 2019, par laquelle le conseil médical de l'aéronautique civile a constaté que l'affection motivant son inaptitude à exercer la profession de navigant n'était pas imputable au service aérien.
Par un jugement n° 1903057 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 septembre 2023 et le 1er juillet 2024, M. D..., représenté par Me Dillenschneider puis par Me Lafforgue, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 13 juillet 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 13 mars 2019 ;
3°) d'enjoindre au conseil médical de l'aéronautique civile de statuer à nouveau sur sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 400 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier faute d'une instruction complète ;
- les premiers juges ont entaché leur décision d'erreurs de droit et de faits ;
- c'est à tort que le conseil médical de l'aéronautique civile a refusé de reconnaître son état de santé comme étant imputable à ses fonctions alors qu'il produit de nombreux documents de nature à l'existence d'un phénomène aérotoxique qui affecte le personnel naviguant ;
- il démontre qu'il a été contaminé par des nanoparticules de métal dans l'exercice de ses fonctions ;
- il ne saurait lui être opposé qu'il aurait subi en 2011 un traumatisme crânien de nature à expliquer la dégradation de son état de santé ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu d'ordonner une expertise médicale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, représenté par la SCP Lyon-Caen et Thiriez conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de M. D... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 5 juin 2024 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 10 juillet 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'aviation civile ;
- le code des transports ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure ;
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Tizot pour M. D... et de Me Brecq-Coutant pour le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Connaissance prise de la note en délibéré enregistrée le 6 septembre 2024 et produite pour le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., né en 1963, a exercé la profession de pilote de ligne à compter de l'année 1996, employé par la compagnie Easyjet à partir de février 2002. A la suite à de nombreux arrêts de travail dès l'année 2006, il a dû cesser ses fonctions de pilote en 2015. Le 2 mai 2018, il a été déclaré inapte définitivement " comme classe 1 " par le conseil médical de l'aéronautique civile. Le 18 juin 2018, il a sollicité la reconnaissance de l'imputabilité au service aérien de son inaptitude à exercer la profession de navigant. Par une décision du 13 mars 2019, le conseil médical de l'aéronautique civile a décidé de la non imputabilité au service de son inaptitude médicale. M. D... a alors saisi le tribunal administratif de Nice d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par le jugement du 13 juillet 2023, le tribunal administratif a rejeté cette demande. M. D... relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, M. D... fait valoir que les premiers juges n'ont ni transmis à la défense ni analysé le rapport d'expertise établi par un collège d'experts. D'une part, la circonstance que ce rapport n'ait pas été communiqué au défendeur n'affecte pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à l'égard de M. D... et ne saurait, dès lors, être utilement invoquée par lui. D'autre part, il ressort des termes du jugement en litige qu'en mentionnant que l'ensemble des éléments du dossier ne suffisait pas à établir un lien de causalité direct et certain entre les troubles dont est atteint le requérant, les premiers juges doivent être regardés comme ayant implicitement écarté l'ensemble des moyens, arguments et des documents produits à leur soutien et comme ayant nécessairement analysé ces documents et notamment le rapport d'expertise établi par un collège d'experts. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance du contradictoire et du caractère incomplet de l'instruction ne peuvent qu'être écartés.
3. En deuxième lieu, il n'appartient pas au juge d'appel d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, M. D... ne peut utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, des erreurs de droit ou d'appréciation que les premiers juges auraient commises.
Sur le bien-fondé du jugement :
4. Aux termes de l'article L. 6526-5 du code des transports : " Lorsqu'un accident aérien survenu en service ou lorsqu'une maladie imputable au service et reconnue comme telle par la commission mentionnée à l'article L. 6511-4 ont entraîné le décès, ou une incapacité permanente totale au sens de la législation relative à la réparation des accidents du travail, une indemnité en capital est versée à l'intéressé ou à ses ayants droit par la caisse créée en application de l'article L. 6527-2. / Est considéré comme accident aérien tout accident du travail survenu à bord d'un aéronef. Un décret en Conseil d'Etat définit les événements ou les circonstances, directement liés au transport aérien ou à la formation des personnels navigants, assimilables à des accidents aériens. / Les limites dans lesquelles le conseil d'administration de la caisse établit le barème des sommes dues en application du premier alinéa ainsi que les majorations pour charges de famille sont fixées par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 6526-6 du même code : " Si l'incapacité résultant des causes mentionnées à l'article L. 6526-5 entraîne seulement l'inaptitude permanente à exercer la profession de navigant, la caisse de retraites verse à l'intéressé une somme en capital ".
5. M. D... a été déclaré le 2 mai 2018, inapte définitivement " comme classe 1 " par le conseil médical de l'aéronautique civile. Il est constant que l'intéressé souffre de troubles cognitifs invalidants. Pour établir que son état de santé dégradé était en lien avec l'exécution de ses services, l'appelant verse des documents portant sur des considérations générales relatives au risque d'exposition des personnels navigants à un syndrome aérotoxique lié aux émanations de micro et nano-débris d'huile de vidange dans l'air pressurisé des cabines des avions, phénomène appelé " fume event " ainsi que de nombreux rapports et examens médicaux le concernant.
6. En premier lieu, la circonstance, à la supposer avérée, que les autorités britanniques, que des juridictions des Etats-Unis pour l'aviation, le Parlement australien, des instances de l'Organisation des Nations Unies, l'Organisation mondiale de la santé ainsi que diverses instances ou autorités françaises adopteraient une position différente de celle du conseil médical de l'aéronautique civile quant aux conséquences à tirer de l'éventuelle exposition des pilotes au phénomène désigné sous l'anglicisme " fume event " et au syndrome aérotoxique, est en tout état de cause sans incidence sur la légalité de la décision attaquée. Il en va de même des décisions émanant de juridictions judiciaires ou encore de thèses produites dans la présente instance ou d'un rapport diligenté dans le cadre d'une instance devant les juridictions judiciaires menées par M. D... présentant l'état de la science concernant ces phénomènes.
7. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes du rapport d'expertise établi le 18 avril 2018 par le professeur C... dans le cadre de la saisine du conseil médical de l'aéronautique civile que plusieurs hypothèses sur l'origine des troubles cognitifs affectant M. D... sont envisageables et ont trait à un possible lien avec le traumatisme crânien dont l'intéressé aurait été victime en 2011, ou encore avec un syndrome d'apnées-hypopnées obstructives chez ce sujet avec obésité modérée au sommeil non exploré ou enfin, avec des troubles psychiatriques. Il en ressort que le praticien n'invoque pas comme hypothèse celle de l'exposition de M. D... à une quelconque contamination. S'il indique dans un courriel qu'il a adressé à M. D... le 6 avril 2018 qu'un avis neurologique serait éclairant, il ressort des termes de ce message qu'il est mentionné que l'intéressé devait voir un neurologue à la fin du mois. Pour corroborer l'existence d'un phénomène " fume event " ou syndrome aérotoxique, il est produit le rapport établi par un professeur de pharmacologie et biologie des cancers et de neurobiologique, le docteur E..., praticien américain, à qui M. D... a adressé un sérum prélevé sur lui et qui recense comme causes possibles un traumatisme crânien mais également des expositions faibles et répétées à des substances chimiques. L'appelant produit également l'analyse réalisée par le Professeur B... d'un échantillon de son sang et de ses tissus adipeux prélevés en 2015 à l'hôpital de Saint-Raphaël et conservés à l'Institut médico-légal de Paris et qui conclut à la présence importante de particules métalliques. Ensuite, l'appelant produit le rapport d'expertise établi le 28 avril 2022 par un collège d'experts à la demande du tribunal judiciaire de Paris saisi par lui ainsi que le rapport établi par l'agence nationale de sécurité sanitaire en 2023.
8. Toutefois, ces éléments sont insuffisants pour renverser l'appréciation portée par le conseil médical de l'aéronautique civile dès lors qu'ainsi que le relève le ministre en défense, d'une part, le médecin rapporteur de son dossier devant ce conseil médical a conclu que l'ensemble des examens pratiqués sur l'intéressé n'avait pas montré d'anomalie cohérente et significative permettant d'expliquer la symptomatologie fonctionnelle alléguée par le patient et que d'autre part, en l'état des connaissances actuelles de la science, le phénomène des " smoke/fume events " ne peut être considéré comme la cause des atteintes dont M. D... fait état, en l'absence de données claires d'exposition et cela, sans qu'une expertise analysant le seul cas de l'appelant soit nécessaire pour permettre d'établir ou d'infirmer un quelconque lien entre l'exposition du personnel à des produits chimiques dans la cabine et le cockpit et l'altération de la santé de ce personnel.
9. Il s'ensuit que si M. D... fait valoir que l'affection qui a causé son inaptitude définitive à l'exercice de la profession de pilote de ligne, est la conséquence de son exposition au phénomène " fume event " et au syndrome aérotoxique, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette affection ait pour origine le service aérien effectué par l'intéressé en sa qualité de membre du personnel navigant sans qu'il soit besoin de diligenter une expertise.
10. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
11. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'appelle aucune mesure d'exécution au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 2 septembre 2024, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 septembre 2024.
N° 23MA02375 2