Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Paledora Suisse a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, en droits et majorations, du prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts auquel elle a été assujettie à la suite de l'apport d'une parcelle à la société civile de construction-vente All Suites Sophia Antipolis le 13 décembre 2013.
Par un jugement no 1905174 du 8 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 8 juin 2022 et le 17 novembre 2023, la société Paledora Suisse, représentée par Me Foissac, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 8 avril 2022 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre la somme de 10 000 euros à la charge de l'État en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle exerçait une activité professionnelle au sens de l'article 244 bis A du code général des impôts ;
- elle n'entre pas dans le champ d'application de l'article 244 bis A du code général des impôts, dès lors qu'elle exerçait une activité professionnelle en France au sens du deuxième alinéa de cet article, que l'immeuble en question était inscrit à son bilan, et que les profits imposés ne relèvent pas des e bis) et e ter) de l'article 164 B du même code ;
- l'application de cet article est incompatible avec la libre circulation des capitaux protégée par les articles 63 et 65 du traité sur l'Union européenne.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 octobre 2022 et le 1er décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Paledora Suisse ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse en vue d'éliminer les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l'évasion fiscales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Platillero, président assesseur, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mérenne,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Chicano, représentant la société Paledora Suisse.
Considérant ce qui suit :
1. La société anonyme de droit suisse Paledora Suisse a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, au terme de laquelle l'administration fiscale l'a assujettie au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts, du fait de la plus-value réalisée à l'occasion de l'apport d'un terrain à la société civile de construction-vente All Suites Sophia Antipolis le 13 décembre 2013. Elle relève appel du jugement du 8 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge de ce prélèvement et des majorations correspondantes.
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Aux termes de l'article 244 bis A du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à la date de la cession en litige : " I. 1. Sous réserve des conventions internationales, les plus-values, telles que définies aux e bis et e ter du I de l'article 164 B, réalisées par les personnes et organismes mentionnés au 2 du I lors de la cession des biens ou droits mentionnés au 3 sont soumises à un prélèvement selon le taux fixé au deuxième alinéa du I de l'article 219. Cette disposition n'est pas applicable aux cessions d'immeubles réalisées par des personnes physiques ou morales ou des organismes mentionnés au premier alinéa, qui exploitent en France une entreprise industrielle, commerciale ou agricole ou y exercent une profession non commerciale à laquelle ces immeubles sont affectés. Les immeubles doivent être inscrits, selon le cas, au bilan ou au tableau des immobilisations établis pour la détermination du résultat imposable de cette entreprise ou de cette profession (...) 2. Sont soumis au prélèvement mentionné au 1 : (...) b) Les personnes morales ou organismes, quelle qu'en soit la forme, dont le siège social est situé hors de France (...) 3. Le prélèvement mentionné au 1 s'applique aux plus-values résultant de la cession : a) De biens immobiliers ou de droits portant sur ces biens (...) III. Lorsque le prélèvement mentionné au I est dû par une personne morale assujettie à l'impôt sur les sociétés, les plus-values sont déterminées par différence entre, d'une part, le prix de cession du bien et, d'autre part, son prix d'acquisition, diminué pour les immeubles bâtis d'une somme égale à 2 % de son montant par année entière de détention. Par dérogation au premier alinéa du I et au premier alinéa du présent III, le prélèvement dû par des personnes morales résidentes d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention d'assistance administrative en vue de lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et n'étant pas non coopératif au sens de l'article 238-0 A est déterminé selon les règles d'assiette et de taux prévues en matière d'impôt sur les sociétés dans les mêmes conditions que celles applicables à la date de la cession aux personnes morales résidentes de France (...) V. Le prélèvement mentionné au I est libératoire de l'impôt sur le revenu dû en raison des sommes qui ont supporté celui-ci. Il s'impute, le cas échéant, sur le montant de l'impôt sur les sociétés dû par le contribuable à raison de cette plus-value au titre de l'année de sa réalisation. S'il excède l'impôt dû, l'excédent est restitué aux personnes morales résidentes d'un Etat de l'Union européenne ou d'un Etat ou territoire ayant conclu avec la France une convention fiscale qui contient une clause d'assistance administrative en matière d'échange de renseignements et de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales et n'étant pas non coopératif au sens de l'article 238-0 A ".
3. Il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 28 juillet 2015, que la société Paledora Suisse, dont le siège social est en Suisse et qui a pour objet social l'acquisition, la détention d'immeubles et de terrains à usage de bureaux et toute opération de promotion de résidence hôtelière, notamment la réalisation d'un programme immobilier, a acquis le 16 avril 2010 à Valbonne une parcelle cadastrée AC70 bâtie, comprenant un centre d'affaires, et, au prix de 1 700 000 euros hors taxe, une parcelle cadastrée AC71 consistant en un terrain à bâtir, sur laquelle elle s'est engagée à édifier des constructions en vue de la revente à destination de résidence de tourisme. Le 13 décembre 2013, elle a apporté la parcelle cadastrée AC71, sur laquelle se situait un immeuble en cours de construction, à la société civile de construction-vente All Suites Sophia Antipolis, pour un montant de 7 842 617 euros hors taxe. L'administration a soumis la plus-value ainsi dégagée au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts.
4. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que la société Paledora Suisse a apporté à une société civile de construction-vente un terrain non encore bâti qui était dès l'origine une parcelle destinée à être bâtie. Elle ne disposait d'aucun autre bien susceptible de donner lieu à une activité de promotion immobilière. Cet apport d'un terrain à bâtir, alors même que le terrain a été acquis sous le bénéfice du I du A de l'article 1594-0 G du code général des impôts, l'opération de construction en vue de la revente n'ayant pas été réalisée contrairement à l'engagement de construire dans les quatre ans, que l'engagement de construire a été repris par la société All Suites Sophia Antipolis et que des constructions avaient débuté, ne relève pas, à la date de l'apport, de l'exploitation d'une entreprise exerçant en France une activité de promotion immobilière au sens du 1° bis du I de l'article 35 du code général des impôts. Par ailleurs, si la société Paledora Suisse a également perçu des revenus immobiliers tirés d'un bail commercial, ces revenus, qui ne constituent pas l'accessoire d'une activité de promotion immobilière mais relèvent d'une activité de bailleur génératrice de revenus immobiliers, ne caractérisent pas l'exploitation en France d'une entreprise industrielle ou commerciale auquel le terrain en litige aurait été affecté. Ainsi, la société Paledora Suisse, qui n'exploite pas en France une entreprise industrielle, commerciale ou agricole, et qui n'y exerce pas non plus une profession non commerciale, n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été exclue du champ de l'article 244 bis A du code général des impôts en application du deuxième alinéa du I de cet article. En outre, la plus-value en litige, qui n'a pas été réalisée dans le cadre d'une activité relevant de l'article 35 du code général des impôts, entre dans le champ de l'article 150 U du même code, auquel renvoie le premier paragraphe du I de l'article 244 bis A par l'intermédiaire d'un renvoi au e bis) de l'article 164 B dudit code. Par suite, et dès lors que l'article 6 et le 1. de l'article 15 de la convention conclue le 9 septembre 1966 entre la France et la Suisse permettent l'imposition en France des revenus immobiliers de la société Paledora Suisse, c'est à bon droit que l'administration a soumis cette plus-value au prélèvement prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts.
5. Par ailleurs, aux termes de l'article 63 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Dans le cadre des dispositions du présent chapitre, toutes les restrictions aux mouvements de capitaux entre les Etats membres et entre les Etats membres et les pays tiers sont interdites (...) ". Le paragraphe 1, sous a), du traité prévoit que cet article " ne porte pas atteinte au droit qu'ont les États membres [...] d'appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis ", à la condition, selon le paragraphe 3, que ces dispositions ne constituent pas " un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements ".
6. Pour caractériser l'existence d'une discrimination, la société Paledora Suisse fait valoir que le prélèvement à la source prévu à l'article 244 bis A du code général des impôts pour les sociétés non résidentes donne lieu à une imposition immédiate dans l'attente de la liquidation de l'impôt sur les sociétés, contrairement aux sociétés résidentes, quand bien même celles-ci seraient tenues par ailleurs d'effectuer des versements anticipés d'impôt sur les sociétés. Cependant, le législateur s'est borné à prévoir des techniques d'imposition différentes en fonction du lieu de résidence de l'assujetti du fait de la différence objective de situations dans lesquelles se trouvent les sociétés non résidentes par rapport aux sociétés résidentes, qui ne sont pas comparables. En outre, la société Paledora Suisse ne s'est pas acquittée du prélèvement prévu à l'article 244 bis A de façon immédiate. Si elle fait également valoir que le prélèvement ne tient pas compte du résultat de l'exercice, éventuellement déficitaire, et que l'imposition des plus-values n'est pas susceptible d'être reportée, il est toutefois constant que l'administration fiscale, conformément au deuxième alinéa du V de l'article 244 bis A, a imputé le montant du prélèvement mis à la charge sur celui de l'impôt sur les sociétés dû, qui a été déterminé en fonction de son résultat déficitaire, que l'excédent lui a été restitué. Par suite, aucune discrimination constitutive d'une atteinte à la libre circulation des capitaux n'est établie.
7. Il résulte de ce qui précède que la société Paledora Suisse n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, du prélèvement en litige doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Paledora Suisse demande au titre des frais qu'elle a exposés.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Paledora Suisse est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Paledora Suisse et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée pour information à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, où siégeaient :
- M. Platillero, président-assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme A... et M. Mérenne, premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 juillet 2024.
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No 22MA01608