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09/07/2024 | FRANCE | N°22MA01873

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 09 juillet 2024, 22MA01873


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles (SHAM) à lui payer la somme de 349 223,30 euros en réparation de préjudices résultants de sa prise en charge par l'hôpital Nord à compter du 3 mai 2016.

Par un jugement n° 2005336 du 2 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement l'AP-HM et

la SHAM à payer à M. B... la somme de 98 446,03 euros, assortie des intérêts au taux légal à...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner solidairement l'Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et la Société Hospitalière d'Assurances Mutuelles (SHAM) à lui payer la somme de 349 223,30 euros en réparation de préjudices résultants de sa prise en charge par l'hôpital Nord à compter du 3 mai 2016.

Par un jugement n° 2005336 du 2 mai 2022, le tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement l'AP-HM et la SHAM à payer à M. B... la somme de 98 446,03 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la réclamation préalable, et capitalisation des intérêts.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er juillet 2022, le 4 août 2022 et le 11 janvier 2023, l'AP-HM et la SHAM, devenue la société Relyens mutual insurance, représentées par Me Le Pradot-Gilbert, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 mai 2022 ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. B... et la caisse primaire d'assurance maladie du Var devant le tribunal administratif de Marseille.

Elles soutiennent que :

- leur responsabilité ne saurait être engagée, en l'absence de faute ; l'exérèse tumorale pratiquée sur M. B... n'étant pas une erreur médicale mais un choix thérapeutique prudent et raisonné, conforme aux données de la science, compte tenu du bilan avantage/risque en l'espèce ;

- subsidiairement, le taux de déficit fonctionnel permanent retenu par le tribunal est excessif ;

- le jugement sera annulé en ce qu'il a indemnisé la perte de gains professionnels futurs de M. B..., ce dernier n'étant pas inapte à tout emploi ;

- il sera également annulé en ce qu'il les a condamnées à rembourser à la caisse l'intégralité de la pension d'invalidité servie à M. B... fixée à la somme de 81 539,82 euros en excédant l'assiette de 10 000 euros représentant le préjudice professionnel de l'intéressé ;

- les demandes présentées par M. B... tendant à majorer les sommes à verser en indemnisation de son déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, de son préjudice esthétique temporaire, de son déficit fonctionnel permanent, de son préjudice sexuel, de son préjudice d'agrément, de l'incidence professionnelle, et de l'assistance par une tierce personne postérieurement à la consolidation doivent être rejetées.

Par des mémoires, enregistrés le 5 décembre 2022, le 28 mars 2023 et le 8 février 2024, et des pièces enregistrées le 29 mars 2023, M. F... B..., représenté par Me Leterme, demande à la cour :

1°) de confirmer le jugement rendu par le tribunal administratif de Marseille le 2 mai 2022 en ce qu'il a retenu la faute de l'AP-HM, engagé la responsabilité de cette dernière et condamne solidairement cette dernière avec la SHAM à l'indemniser de l'ensemble de ses préjudices ;

2°) d'infirmer ce jugement sur le montant des indemnités allouées sauf sur la perte de gains professionnels actuels et l'assistance par une tierce personne temporaire ;

3°) statuant de nouveau, de condamner solidairement l'AP-HM et la SHAM à lui verser la somme de 146 824,93 euros en réparation de ses préjudices résultant de sa prise en charge par l'hôpital Nord à compter du 3 mai 2016 ;

4°) de mettre à la charge solidaire de l'AP-HM et de la SHAM la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

5°) de condamner solidairement l'AP-HM et la SHAM aux entiers dépens, qui comprendront l'ensemble des frais d'expertise judiciaire, outre les frais des interventions des officiers ministériels ;

6°) d'ordonner l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir.

Il fait valoir que :

- l'indication de l'intervention réalisée le 3 mai 2016 constitue une erreur médicale fautive à l'origine exclusive des dommages séquellaires qu'il subit ;

- il a droit à être indemnisé de ses préjudices à hauteur de : 10 656,50 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, 25 000 euros au titre des souffrances endurées, 4 000 euros au titre de son préjudice esthétique temporaire, 10 768,68 euros au titre de l'assistance d'une tierce personne après consolidation, 37 400 euros au titre de son déficit fonctionnel permanent évalué à 20 %, 45 000 euros au titre de l'incidence professionnelle, 6 000 euros au titre de son préjudice d'agrément, 5 000 euros au titre de son préjudice sexuel, et 4 000 euros au titre de son préjudice esthétique permanent ;

- le jugement attaqué doit être confirmé en ce qu'il indemnise la perte de gains professionnelles actuels et l'aide par une tierce personne avant consolidation.

Par un mémoire, enregistré le 13 juin 2024, la Caisse primaire d'assurance maladie du Var, représentée par Me Vergeloni, demande à la cour :

1°) de condamner solidairement l'AP-HM et son assureur la SHAM à lui payer la somme de 179 030,53 euros, représentant le montant de sa créance définitive au titre des prestations servies à l'assuré social à la suite de l'accident, objet de la présente procédure ;

2°) d'assortir cette condamnation des intérêts au taux légal à compter du mémoire du 29 septembre 2020, avec capitalisation annuelle sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil ;

3°) de condamner solidairement l'AP-HM et son assureur la SHAM à lui payer la somme de 1 114 euros au titre de l'indemnité prévue par l'article L. 376-1 alinéas 9 et 10 du code de la sécurité sociale ;

4°) de mettre à la charge solidaire de l'AP-HM et son assureur la SHAM la somme de 1 500 euros en application de l'article L ; 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa créance définitive s'établit à 179 030,53 euros suivant notification définitive des débours en date du 4 juin 2024 ;

- les contestations émises sur les arrérages échus en invalidité et le capital invalidité sont infondées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rigaud,

- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a subi une exérèse monobloc de l'extrémité supérieure de l'humérus associée à une reconstruction par allogreffe ostéo-cartilagineuse cryo-conservée et pose d'un matériel d'ostéosynthèse le 3 mai 2016 à l'hôpital Nord en vue de son exérèse avec reconstruction par allogreffe et pose d'un matériel d'ostéosynthèse en raison d'une tumeur cartilagineuse de l'extrémité supérieure de l'humérus gauche. Les suites de cette intervention ont été marquées par des complications qui ont nécessité une reprise chirurgicale le 15 novembre 2016 en raison d'une fracture de l'allogreffe, puis une reprise chirurgicale en deux temps au centre hospitalier universitaire de Nice les 24 juillet et 10 octobre 2017. L'AP-HM et la SHAM, devenue société Relyens, relèvent appel du jugement du 2 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Marseille les a solidairement condamnées à payer à M. B... la somme de 98 446,03 euros en réparation des préjudices subis et celle de 179 030,53 euros à la CPAM du Var au titre des débours. Par un appel incident, M. B... demande à la cour de réformer le jugement du 2 mai 2022 et condamner solidairement l'AP-HM et la SHAM, devenue société Relyens, à lui payer la somme de 146 824,93 euros en réparation de ses préjudices.

Sur le bienfondé du jugement du 2 mai 2022 :

En ce qui concerne la responsabilité de l'AP-HM :

2. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

3. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. (...) ". Il incombe alors, en principe, au juge de statuer au vu des pièces du dossier, le cas échéant après avoir demandé aux parties les éléments complémentaires qu'il juge nécessaires à son appréciation. Il ne lui revient d'ordonner une expertise que lorsqu'il n'est pas en mesure de se prononcer au vu des pièces et éléments qu'il a recueillis et que l'expertise présente ainsi un caractère utile.

4. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise remis le 23 mars 2020 que M. B..., qui présentait une enchondrome de l'extrémité supérieure de l'humérus gauche, en a subi l'exérèse avec reconstruction par allogreffe le 3 mai 2016 à l'hôpital Nord de Marseille. L'expert et son sapiteur constatent qu'il n'y avait aucune indication pour faire une chirurgie d'exérèse large de type carcinologique en présence d'une tumeur non cancéreuse comme l'objectivait la scintigraphie réalisée le 4 janvier 2016, antérieurement à l'opération d'exérèse. L'expert ajoute qu'une simple surveillance par IRM ou une exérèse biopsie avec reconstruction par greffe ou ciment était l'attitude thérapeutique appropriée et qu'elle aurait évité les hospitalisations, interventions chirurgicales et lourdes séquelles subies par M. B.... L'AP-HM et son assureur soutiennent toutefois, en se prévalant des observations formulées les 27 mars et 21 avril 2020 par le Pr E... et le Dr A..., qui émanent donc du praticien ayant réalisé l'opération et de son chef de service, que l'hypothèse d'une biopsie pré-opératoire et l'indication d'une résection en bloc de la tumeur avec comblement du défect par un fragment de crête iliaque selon les modalités initialement proposées étaient trop aléatoires compte tenu des risques présentés par M. B... d'être atteint d'une tumeur maligne ou d'une tumeur pouvant devenir maligne, et que le choix thérapeutique d'une chirurgie d'exérèse large de type carcinologique fait le jour de l'opération le 3 mai 2016 en concertation avec le Pr E... et le Dr A... était justifié et non fautif. Ces éléments et l'ensemble des pièces versées au débat ne permettent pas à la cour de déterminer si l'intervention réalisée le 3 mai 2016 constitue une erreur médicale fautive à l'origine exclusive des dommages séquellaires subis par M. B.... Il y a donc lieu d'ordonner avant dire droit une expertise aux fins précisées ci-après.

D É C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de l'AP-HM et de la société Relyens, de M. B... et de la CPAM du Var, procédé à une expertise par un médecin désigné par la présidente de la cour, menée au contradictoire de M. B..., de l'AP-HM, de la société Relyens et de la caisse primaire d'assurance maladie du Var.

L'expert aura pour mission de :

1°) Prendre connaissance de l'expertise médicale réalisée par le Dr D... et le Pr C... du 23 mars 2020, du dossier médical correspondant et de l'analyse critique du Pr E... et du Dr A... des 27 mars et 21 avril 2020 ;

2°) Déterminer, en se fondant sur la littérature scientifique disponible, si le choix du geste de résection large avec reconstruction par une allogreffe dont M. B... a bénéficié le 3 mai 2016 constitue une erreur médicale fautive à l'origine exclusive des dommages séquellaires subis par M. B....

Article 2 : L'expert remplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Pour l'accomplissement de cette mission, il pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du même code, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé. Il annexera à son rapport l'intégralité des dires présentés par les parties.

Article 3 : Conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative, l'expert avertira les parties par lettre recommandée, quatre jours au moins à l'avance, des jours et heures auxquels il sera procédé à l'expertise.

Article 4 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires, dans le délai qui sera fixé par la présidente de la cour. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... B..., à l'Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, à la société Relyen mutual insurance et à la caisse primaire d'assurance maladie du Var.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Cécile Fedi, présidente de chambre,

- Mme Lison Rigaud, présidente assesseure,

- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 juillet 2024.

2

N° 22MA01873


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA01873
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-01-01 Responsabilité de la puissance publique. - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. - Service public de santé. - Établissements publics d'hospitalisation.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: Mme Lison RIGAUD
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;22ma01873 ?
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