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01/07/2024 | FRANCE | N°23MA02854

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 01 juillet 2024, 23MA02854


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023, par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2304930 du 20 septembre 2023, le tribunal administratif de C... a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :

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Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 novembre 2023 et le 23 avril 2024, Mme D..., représentée par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de C... d'annuler l'arrêté du 21 avril 2023, par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2304930 du 20 septembre 2023, le tribunal administratif de C... a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 novembre 2023 et le 23 avril 2024, Mme D..., représentée par Me Archenoul, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 20 septembre 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 21 avril 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de séjour est insuffisamment motivée ;

- le refus de délivrance d'un titre de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision de refus de séjour qui la fonde ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- le préfet a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le préfet a également méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision fixant le délai de départ volontaire et la décision fixant le pays de destination ne sont pas motivées et sont illégales du fait de l'illégalité des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français.

Par une décision en date du 23 février 2024, Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- et les observations de Me Archenoul, pour Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante algérienne née le 14 août 1984, a sollicité le 31 août 2022 son admission au séjour au titre de la vie privée et familiale. Par un arrêté du 21 avril 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme D... a alors saisi le tribunal administratif de C... d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par le jugement du 20 septembre 2023, le tribunal administratif a rejeté cette demande. Mme D... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

2. Les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives aux différents titres de séjour qui peuvent être délivrés aux étrangers en général et aux conditions de leur délivrance s'appliquent, ainsi que le rappelle l'article L. 110-1 du même code, " sous réserve des conventions internationales ". En ce qui concerne les ressortissants algériens, les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent d'une manière complète les conditions dans lesquelles ils peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France.

3. D'une part, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. ". Portant sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaire prévues par les dispositions auxquelles il renvoie, l'article L. 435-1 est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France soit au titre d'une activité salariée, soit au titre de la vie familiale. Dès lors que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces conditions sont régies de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, un ressortissant algérien ne peut utilement invoquer les dispositions de cet article à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national.

4. Toutefois, si l'accord franco-algérien ne prévoit pas, pour sa part, de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, il y a lieu d'observer que ses stipulations n'interdisent pas au préfet de délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit. Il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.

5. D'autre part, les stipulations de l'accord franco-algérien régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Si une ressortissante algérienne ne peut utilement invoquer les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives au renouvellement du titre de séjour lorsque l'étranger a subi des violences conjugales et que la communauté de vie a été rompue, il appartient au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. En pareille hypothèse, il appartient seulement au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressée.

6. Il ressort des pièces du dossier que Mme D..., entrée en France le 23 août 2015 sous couvert d'un passeport d'une validité de cinq ans jusqu'au 15 juin 2018 revêtu d'un visa de trente jours délivré par les autorités consulaires françaises à Oran, a vécu en concubinage avec un compatriote, M. B..., qui réside régulièrement sur le territoire français, et que de cette union sont nés trois enfants, respectivement les 19 mai 2016, 8 mai 2017 et 29 juin 2021. Il ressort également des pièces du dossier qu'elle a été victime de violences conjugales de la part de M. B..., titulaire d'une carte de résident de dix ans et qui a été condamné à ce titre à trois reprises, les 29 septembre 2019, 10 juin 2021 et 29 décembre 2022, par le tribunal correctionnel de C..., en dernier lieu, pour des faits commis le 4 juillet 2022, en état de récidive et en présence des deux aînés des enfants du couple, à une peine de huit mois d'emprisonnement, effectuée sous bracelet électronique. Mme D..., qui s'est définitivement séparée du père de ses enfants depuis le mois de juin 2022, bénéficie d'un accompagnement mis en place dans le cadre de mesures d'assistance éducative en milieu ouvert et d'une aide à la gestion du budget familial, ordonnés par le juge des enfants de C... depuis le mois de mars 2022 ainsi que, sur sa demande du 24 juillet 2023, postérieure à l'édiction de l'arrêté attaqué, d'une ordonnance de protection rendue le 1er août 2023 par le juge aux affaires familiales du tribunal judiciaire de C.... Il en ressort en outre que Mme D... s'est trouvée, lorsqu'elle vivait avec son conjoint, dans un état d'isolement social et professionnel. Le préfet des Bouches-du-Rhône ne conteste pas ces faits, dès lors qu'après avoir mentionné dans son arrêté l'existence de faits de violences conjugales, il s'est borné à opposer à l'intéressée l'absence d'ancienneté et de stabilité des liens personnels et familiaux dont elle pourrait se prévaloir. En conséquence, en refusant de mettre en œuvre son pouvoir de régularisation et en ne tenant pas compte du soutien psycho-social dont elle bénéficie rendu nécessaire par les violences qu'elle a subies, le préfet des Bouches-du-Rhône a commis une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, la décision portant refus de séjour doit être annulée ainsi que, par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.

7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de C... a rejeté sa demande en annulation.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard aux motifs du présent arrêt et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la situation de la requérante se serait modifiée, en droit ou en fait, depuis l'intervention de la décision attaquée, l'exécution de cet arrêt implique nécessairement la délivrance d'un certificat de résidence mention vie privée et familiale. Il y a lieu, en conséquence, d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de procéder à cette délivrance dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

9. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Archenoul, avocate de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Archenoul de la somme de 2 000 euros.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de C... du 20 septembre 2023 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 21 avril 2023 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme D... un certificat de résidence mention vie privée et familiale dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me Archenoul une somme de 2 000 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Archenoul renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Archenoul.

Copie en sera transmise au procureur de la République près le tribunal judiciaire de C... et au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juillet 2024.

N° 23MA02854 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA02854
Date de la décision : 01/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : SCP CARLINI & ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-01;23ma02854 ?
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