Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La métropole Aix-Marseille-Provence a demandé au tribunal administratif de Marseille, à titre principal, de condamner solidairement la société anonyme Société des eaux de Marseille (" SEM "), enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Marseille sous le n° 057 806 150, la société en nom collectif Société d'assainissement Est Métropole (" SAEM "), enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Marseille sous le n° 800 898 249, et la société par actions simplifiée à associé unique Stereau, enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Nanterre sous le n° 602 011 918, à lui verser la somme de 1 343 362,12 euros toutes taxes comprises au titre des désordres affectant la station d'épuration de La Ciotat, assortie des intérêts au taux légal, ou, à titre subsidiaire, de condamner la société Stereau à lui verser la somme de 781 583,63 euros toutes taxes comprises et de condamner solidairement la SEM et la SAEM à lui verser la somme de 561 778,49 euros toutes taxes comprises au titre des désordres affectant la station d'épuration de La Ciotat, assortie des intérêts au taux légal et, en tout état de cause, de mettre à la charge solidaire de ces trois sociétés les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 53 498,65 euros, ainsi que la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1908787 du 7 février 2023, le tribunal administratif de Marseille a, en premier lieu, condamné la société Stereau à verser à la métropole la somme de 920 534,53 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 2019, en deuxième lieu, rejeté ses appels en garantie comme présentés devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, en troisième lieu, condamné les sociétés SEM et SAEM à verser la somme de 372 826,51 euros toutes taxes comprises à la métropole, avec intérêts au taux légal à compter du 15 octobre 2019, en quatrième lieu, condamné, réciproquement, la métropole à payer aux sociétés SEM et SAEM une somme de 113 670 euros hors taxes, en quatrième lieu, attribué la charge définitive des frais d'expertise, chiffrés à 66 736,92 euros, à la société Stereau à hauteur de 90 % et aux sociétés SEM et SAEM à hauteur de 10 %, et, en cinquième et dernier lieu, mis à la charge de la société Stereau une somme de 2 500 euros à verser à la métropole en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 avril 2023, et un mémoire enregistré le 18 octobre 2023, la société Stereau, représentée par la SELARL Cabinet Cabanes Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 2 du jugement qui la condamne à payer une somme de 920 534,53 euros toutes taxes comprises, et, statuant à nouveau, de ramener cette somme à 283 722,98 euros toutes taxes comprises ;
2°) d'annuler l'article 5 du jugement qui met à sa charge définitive 90 % des frais de l'expertise, et, statuant à nouveau, de ramener cette proportion à 35 % ;
3°) de mettre à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence, de la SEM et de la SAEM la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le préjudice correspondant au coût de la réparation de l'ouvrage aurait dû être calculé sous déduction d'un abattement pour vétusté de 33 % ;
- la perte des primes de performance trouve sa seule cause dans le refus de l'exploitant de changer la " pouzzolane ", ce qui a fait obstacle à la reprise de l'ouvrage à titre amiable qu'elle avait proposée ;
- " il est incompréhensible que le tribunal n'ait pas même dit un mot de cette question centrale dans son jugement " ;
- la faute du maître de l'ouvrage est " tout aussi entière ", dès lors qu'il aurait pu imposer à son exploitant la réalisation des prestations à ses frais, et qu'un défaut d'information de sa part est à l'origine de l'attitude de son exploitant ;
- s'agissant de la perte des primes de performance, le partage de responsabilité de 80 % et 20 % n'est pas justifié ;
- la justification des primes perdues n'a pas été fournie lors de l'expertise ;
- le lien entre ces pertes de prime et les désordres n'est pas établi ;
- le montant des dépens mis à sa charge ne saurait excéder 19 142,10 euros ;
- les moyens présentés à l'appui de l'appel incident de la métropole sont infondés ;
- l'appel en garantie présenté à son encontre est nouveau en appel ;
- l'appel provoqué de la métropole est irrecevable à défaut d'aggravation de sa situation ;
- cet appel est donc tardif ;
- il soulève en outre un litige distinct.
Par une lettre en date du 7 juillet 2023, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu avant la fin de l'année 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 10 septembre 2023.
Par un mémoire en défense et en appel incident et provoqué, enregistré le 9 septembre 2023, et un mémoire non communiqué enregistré le 27 novembre 2023, la métropole Aix-Marseille-Provence, représentée par Me Semeriva, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de la société Stereau ;
2°) d'annuler le jugement en tant qu'il a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à la condamnation in solidum de la société Stereau, de la SEM et de la SAEM à lui verser une indemnité de 50 000 euros au titre de son préjudice d'image et, d'autre part, à la capitalisation des intérêts courant sur le montant des sommes mis à la charge de ces trois sociétés, et, statuant à nouveau, de faire droit à ces demandes ;
3°) d'annuler le jugement en tant qu'il la condamne à verser à la SEM et à la SAEM la somme de 111 670 euros hors taxes ;
4°) de mettre à la charge de la société Stereau la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens présentés à l'appui de la requête d'appel sont infondés ;
- la société Stereau d'une part, et les sociétés SEM et SAEM d'autre part, doivent indemniser son préjudice d'image à hauteur de deux sommes de 25 000 euros ;
- le tribunal administratif a omis de statuer sur la demande de capitalisation, qui était fondée ;
- sa condamnation à payer la somme de 111 670 euros hors taxes aux sociétés SEM et SAEM était injustifiée ;
- elle doit être garantie de cette condamnation par la société Stereau.
Par un mémoire en défense et en appel provoqué, enregistré le 14 novembre 2023, les sociétés SEM et SAEM, représentées par Me Guillet, demandent à la Cour :
1°) de rejeter la requête d'appel de la société Stereau ;
2°) d'annuler le jugement en tant qu'il leur fait grief et, statuant à nouveau, de rejeter toutes demandes de la métropole et de la société Stereau dirigées contre elles ;
3°) subsidiairement, d'annuler le jugement en ce qu'il les a condamnées à payer la somme de 167 941,72 euros à la métropole, et en tant qu'il a seulement fait droit à leur demande indemnitaire à hauteur de 113 670 euros et, statuant à nouveau, de limiter leur condamnation à 10 % du montant des dommages affectant l'ouvrage, et faire droit à leurs propres demandes de condamnation à hauteur de 277 449,24 euros ;
4°) de mettre à la charge de tout succombant la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les demandes présentées à leur encontre sont injustifiées ;
- leurs propres demandes étaient justifiées.
Par ordonnance du 18 décembre 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Par courrier du 10 juin 2024, les parties ont été informées de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de ce que le tribunal administratif, s'il a condamné les sociétés Stereau, SEM et SAEM à rembourser à la métropole l'allocation provisionnelle de 50 000 euros versée par la métropole à l'expert, majorée de la taxe sur la valeur ajoutée, n'a pas statué sur la charge définitive des dépens finalement taxés et liquidés à la somme de 53 498,65 euros.
Par un mémoire enregistré le 13 juin 2024, la société Stereau a répondu à ce moyen en soutenant qu'en réformant le jugement dans le sens indiqué, la Cour statuerait ultra petita.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Couette, pour la société Stereau, de Me Semeriva, pour la métropole Aix-Marseille-Provence, et de Me Guillet, pour les sociétés SEM et SAEM.
Considérant ce qui suit :
1. Par contrat conclut le 23 juin 2004, la communauté urbaine Marseille Provence métropole, aux droits de laquelle vient la métropole Aix-Marseille-Provence, a confié au groupement solidaire composé de la société par actions simplifiée à associé unique Stereau, de la société à responsabilité limitée Senec et de la société à responsabilité limitée Christophe Caire Architecture, un marché de conception-réalisation ayant pour objet la construction de l'extension de la capacité de la station d'épuration de La Ciotat-Ceyreste et la mise en place d'une filière biologique dans cette station. Les travaux ont été réceptionnés le 17 mars 2006 avec réserves, et ces réserves ont été levées le 28 novembre 2006. Toutefois, à la fin de l'année 2006, des désordres liés au fonctionnement du système d'aération des biofiltres de cette station sont survenus. La métropole Aix-Marseille-Provence a sollicité et obtenu, en 2014, la désignation d'un expert judiciaire aux fins de déterminer la nature, l'étendue et la cause de ces désordres. Après la remise du rapport d'expertise, intervenue le 18 février 2019, la métropole Aix-Marseille-Provence a saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la condamnation de la SEM, de la SAEM, titulaires successifs de la délégation de service public comportant l'exploitation de l'ouvrage à compter de 1991 puis de 2014, et de la société Stereau, à lui verser la somme de 1 343 362,12 euros toutes taxes comprises en réparation du préjudice subi. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a, notamment, condamné cette dernière à payer à la métropole une somme de 920 534,53 euros toutes taxes comprises, et mis à sa charge définitive 90 % du montant des frais d'expertise, d'un montant de 66 736,92 euros, ainsi qu'une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le tribunal administratif a par ailleurs rejeté, comme présentés devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître, les appels en garantie de la société Stereau à l'encontre des sociétés SEM et SAEM. La société Stereau relève appel de ce jugement en sollicitant seulement que le montant de la condamnation prononcée soit limité à 283 722,98 euros toutes taxes comprises, au lieu de 920 534,53 euros toutes taxes comprises, et que le montant des dépens mis à sa charge définitive soit limité à 35 % du montant des frais d'expertise.
Sur l'appel principal de la société Stereau :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. La société Stereau soutient que la perte des primes de performance trouve sa seule cause dans le refus de l'exploitant de changer la " pouzzolane ", et qu'" il est incompréhensible que le tribunal n'ait pas même dit un mot de cette question centrale dans son jugement ". Toutefois, en indiquant, au point 16 du jugement, les raisons qui l'ont conduit à faire un partage de responsabilité entre la société Stereau, d'une part, et les sociétés SEM et SAEM d'autre part, le tribunal administratif a suffisamment motivé sa décision.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :
S'agissant du préjudice correspondant au coût des travaux de reprise :
4. Par des motifs que la société appelante ne conteste pas, le jugement attaqué a, aux points 3, 4 et 9, estimé que les biofiltres de la station d'épuration étaient affectés de désordres les rendant partiellement inutilisables et que ces désordres étaient imputables à la société Stereau. Les premiers juges ont par ailleurs estimé, aux points 9 et 10 de ce jugement, que la responsabilité décennale de la société Stereau était engagée à hauteur du montant total du coût des travaux de reprise, soit 675 515,36 euros, sans qu'il y eût lieu d'appliquer un abattement pour vétusté " dès lors que la vétusté de l'ouvrage s'apprécie à la date d'apparition des premiers désordres et que, en l'espèce, ceux-ci sont apparus dès l'année de leur réception, en 2006 ". Sans discuter le montant du coût des travaux de reprise, la société Stereau conteste le refus du tribunal administratif d'appliquer un coefficient de vétusté.
5. A cet égard, la société appelante soutient que la vétusté de l'ouvrage doit être appréciée à la date de la mise en œuvre des réparations. Elle soutient par ailleurs que les désordres qu'elle a été condamnée à réparer, et qui concernent exclusivement les filtres nos 2 et 5, ne sont apparus qu'en 2014, soit huit ans après la réception, alors que la durée de vie d'une station d'épuration est d'environ trente ans, ce qui justifie par conséquent, en tout état de cause, un abattement de vétusté d'un tiers. Elle ajoute enfin que ce n'est que huit années après la réception qu'ont été constatés des dépassements des niveaux prescrits par l'arrêté préfectoral d'exploitation, et que ce n'est encore qu'en 2016 que des résultats d'analyse non conformes apparaissaient de façon substantielle.
6. Toutefois, la vétusté d'un bâtiment qui peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l'occasion de désordres survenus dans un bâtiment, à un abattement affectant l'indemnité allouée au titre de la réparation des désordres, doit être appréciée à la date d'apparition des désordres.
7. Il y a ainsi lieu, pour apprécier la vétusté d'un ouvrage, de tenir compte de son état particulier à la date d'apparition des premiers désordres, cela même dans le cas où les désordres n'ont pas atteint toute leur extension prévisible ou qu'ils n'ont pas atteint un caractère de gravité tel qu'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination. Dès lors, il y a lieu, comme l'a retenu à bon droit le tribunal administratif, de considérer que les désordres, qui tous concernaient les circuits de distribution de " l'air procédé " des biofiltres, sont apparus dès 2006, c'est-à-dire l'année même de la réception de l'ouvrage, alors même que les seuls désordres étaient alors limités aux filtres nos 3, 4 et 6, et que les travaux de reprise dont la société Stereau a été condamnée à rembourser le coût à la métropole concernaient les filtres nos 2 et 5, dont les désordres se sont révélés en 2014.
S'agissant du préjudice correspondant à la perte des primes de performance :
8. Aux points 15 et 16 du jugement attaqué, le tribunal administratif a relevé qu'il résultait de son instruction que la perte de la prime de performance épuratoire, versée chaque année aux maîtres d'ouvrage de station d'épuration par l'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse, avait été estimée, dans le cadre de l'expertise, à 611 108, 56 euros par la métropole et l'exploitant, et que la métropole justifiait, par la production de courriers de l'agence de l'eau, du montant de la prime qui lui a été attribuée au titre des années 2015 à 2017 et des pénalités qui ont été appliquées en raison des désordres affectant la station d'épuration. Il a également relevé, suivant le rapport d'expertise, que la diminution des performances épuratoires de la station est due à la fois à des défauts de conception imputables à la société Stereau et à des fautes d'exécution imputables aux exploitants. Compte tenu des responsabilités respectives de la société Stereau et de l'exploitant, il a ainsi réparti la charge de l'indemnisation de ce préjudice entre la société Stereau, d'une part, et la SEM et la SAEM d'autre part, à hauteur, respectivement, de 80 % pour la première et de 20 % pour les deux autres, soit, respectivement, 488 886,84 euros et 122 221,71 euros.
9. En premier lieu, pour contester ces motifs, la société Stereau fait valoir que la perte des primes résulte non de son propre fait, mais du refus, fautif, du délégataire du service public de prendre à sa charge le renouvellement de la " pouzzolane ", ce qui l'a empêchée, comme elle l'avait proposé, de procéder à titre amiable en 2014 au renouvellement des rampes des filtres 2 et 5.
10. Toutefois, en matière contractuelle, les coauteurs d'un dommage, dont le fait ou la faute ont concouru à la réalisation de la totalité du dommage, sont tenus, chacun, de réparer la totalité du dommage. Il en résulte que, dès lors que la perte des primes de performance découlait tant du désordre imputable à la société Stereau que du refus de l'exploitant de remplacer la " pouzzolane ", la société Stereau n'est pas fondée à solliciter une atténuation de sa responsabilité pour cette raison.
11. En deuxième lieu, la société Stereau fait valoir que le maître de l'ouvrage, autorité délégante, a créé lui-même les conditions de son propre préjudice en n'imposant pas à son exploitant de réaliser les travaux dès 2014. Elle fait également valoir qu'en s'abstenant de transmettre à son délégataire les consignes d'exploitation de la station d'épuration fournies par le constructeur, le maître de l'ouvrage a commis une faute qui a été à l'origine du refus, par l'exploitant, du renouvellement de la " pouzzolane ", et, par conséquent, de l'échec de la tentative de reprise amiable.
12. Toutefois, la dépose de la pouzzolane était, en l'espèce, impliquée par les travaux destinés à réparer les désordres décennaux affectant l'ouvrage. Ces frais de dépose étaient donc à la charge de la société Stereau, au titre de sa responsabilité décennale. Si celle-ci soutient qu'en tout état de cause, l'exploitant était contractuellement tenu de remplacer la pouzzolane, et qu'en s'abstenant de lui enjoindre d'y procéder, l'autorité concédante aurait commis une faute exonératoire de responsabilité, il ne résulte pas de l'instruction que l'exploitant aurait été dans l'obligation contractuelle, en 2014, d'assurer le renouvellement de la " pouzzolane " mise en place en 2007, aucune stipulation du contrat de délégation de service public ne faisant état d'une telle obligation, et la nécessité, du point de vue de l'exploitation, d'un renouvellement en 2014 n'étant pas établie.
13. Par ailleurs, à supposer même qu'en s'abstenant de transmettre à son délégataire les consignes d'exploitation de la station d'épuration fournies par le constructeur, le maître de l'ouvrage ait commis une faute, une telle faute n'entretient avec le préjudice dont l'indemnisation est demandée par la métropole qu'un caractère indirect, et ne saurait donc venir atténuer la responsabilité de la société Stereau.
14. En troisième lieu, la société Stereau soutient que le partage de responsabilité aboutissant à lui laisser la charge de 80 % du montant du préjudice correspondant à la perte des primes de performance est injustifié.
15. Toutefois, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les coauteurs d'un même dommage sont, en matière contractuelle, tenus de réparer chacun l'entièreté du dommage. Le vice de conception identifié par l'expert, et retenu par le tribunal administratif par des motifs que la société Stereau ne conteste pas, ayant concouru aux dysfonctionnements desquels a résulté la perte des primes, la société Stereau n'est donc en tout état de cause pas fondée à soutenir que la part de responsabilité de 80 % qui lui a été attribuée par le tribunal administratif est excessive compte tenu des faits et fautes respectivement imputables à elle-même et à l'exploitant.
16. En quatrième lieu, la société Stereau soutient que la métropole n'a fourni à l'expert aucun élément justificatif des primes de performance perdues, mais s'est bornée à lui fournir un tableau qui les énumérait.
17. Toutefois, la métropole a ultérieurement, ainsi que la société Stereau ne le conteste pas, fourni des courriers de l'agence de l'eau établissant le montant des pénalités infligées en raison des dysfonctionnements affectant la station d'épuration.
18. En cinquième lieu, la société Stereau soutient que le lien de causalité entre les désordres qui lui sont imputés et les primes perdues n'est pas établi.
19. Toutefois, il résulte des documents de calcul des primes établis par l'agence de l'eau que, sur le montant total de 727 231,43 euros de pénalités retenues sur les primes versées par l'agence de l'eau, un montant de 611 108,56 euros résulte de l'application de coefficients de conformité des performances épuratoires inférieurs à l'unité. Ainsi, en 2015, un coefficient de 0,8 a été appliqué, occasionnant une perte de prime de 68 340,94 euros. En 2016, un coefficient de 0,4 a été appliqué, occasionnant une perte de prime de 198 824,36 euros. En 2017 enfin, un coefficient de 0 a été appliqué, occasionnant une perte de prime de 343 943,26 euros. L'ensemble de ces pénalités appliquées sont liées à l'incapacité de la station d'épuration de traiter convenablement les eaux usées. Les deux pénalités de 20 % infligées en 2013 et 2014 en raison de la dévalidation de l'autosurveillance de la station d'épuration et du fait de la non-conformité du réseau de collecte n'ont pas été incluses dans le préjudice calculé par l'expert et retenu par le tribunal administratif.
S'agissant des frais d'expertise :
- Quant à la portée de la décision du tribunal administratif :
20. Le tribunal administratif a retenu un montant de frais d'expertise de 66 736,92 euros et mis 90 % de cette somme à la charge de la société Stereau.
21. Cette somme, sollicitée par la métropole, correspond en réalité, non pas aux dépens de l'instance taxés et liquidés à la somme de 53 498,65 euros par ordonnance du 13 mars 2019 du président du tribunal administratif de Marseille, mais d'une part, au montant hors taxes de l'allocation provisionnelle de 50 000 euros versée à l'expert, majorée de la taxe sur la valeur ajoutée au taux de 20 %, soit un total de 60 000 euros (50 000 x 1,20) et, d'autre part, aux frais d'analyses réalisées dans le cadre de l'expertise, financées par la métropole et correspondant, en premier lieu, à une facture de l'Institut de recherche hydrologique (IRH) d'un montant de 3 970 euros hors taxes (soit 4 764 euros toutes taxes comprises) pour l'analyse des eaux les 22 et 23 juillet 2015, et une facture de 1 644,10 euros hors taxes (soit 1 972,92 euros toutes taxes comprises) émise par le laboratoire Wessling pour une analyse réalisée le 4 mai 2017.
- Quant aux frais de l'expertise prescrite par la tribunal administratif :
22. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ".
23. Le tribunal administratif, s'il a d'une part condamné les sociétés Stereau, SEM et SAEM à rembourser à la métropole la somme de 60 000 euros correspondant au montant, toutes taxes comprises, de l'allocation provisionnelle payée à l'expert, s'est ainsi prononcé sur les sommes versées à titre provisionnel, et non, comme il l'aurait dû, sur le montant définitif des frais de l'expertise judiciaire, qui ont été taxés et liquidés à la somme de 53 498,65 euros par ordonnance du 13 mars 2019 du président du tribunal administratif.
- Quant aux frais des analyses :
24. Ces frais d'analyse, d'un montant total de 6 736,92 euros, s'ils ne sont pas inclus dans les dépens de l'instance, doivent être indemnisés par les auteurs du dommage dès lors que ces prélèvements et études ont été réalisés à la demande de l'expert judiciaire, ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise en page 45, et qu'ils ont été utiles à l'expert.
25. La société Stereau n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif, qui ne les a pas considérés comme des dépens de l'instance, l'a condamnée à verser à la métropole 90 % du montant des frais exposés dans le cadre de ces études.
26. Il résulte de ce qui précède que le montant total des frais d'expertise et d'analyses définitivement exposés par la métropole s'élève non pas à 66 736,92 euros, mais à 60 172,34 euros, correspondant, d'une part, aux dépens de l'instance taxés et liquidés à la somme de 53 498,65 euros et, d'autre part, aux frais d'investigation réalisés dans le cadre de l'expertise, pour un montant de 6 736,92 euros.
27. Dès lors, la société Stereau est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à payer à la métropole 90 % de la somme de 66 736,92 euros, au lieu de limiter cette condamnation à 90 % de la somme de 60 172,34 euros.
Sur l'appel incident de la métropole :
En ce qui concerne la capitalisation des intérêts :
28. Le tribunal administratif a omis de statuer sur la demande de capitalisation des intérêts qui avait été présentée par la métropole dans sa requête introductive d'instance enregistrée le 15 octobre 2019.
29. Il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement dans cette mesure, et d'évoquer le litige correspondant pour y statuer immédiatement.
30. Aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ".
31. Il résulte de ces dispositions que la métropole est fondée à solliciter la capitalisation des intérêts dus sur la somme de 920 534,53 euros toutes taxes comprises au paiement de laquelle la société Stereau a été condamnée, à la date du 15 octobre 2020 à laquelle les intérêts échus étaient dus pour une année entière, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
En ce qui concerne le préjudice d'image :
32. La métropole Aix-Marseille-Provence sollicite l'indemnisation d'un préjudice d'image.
33. Il résulte de l'instruction que les dysfonctionnements de la station d'épuration, qui se sont traduits par des odeurs pour les riverains et des pollutions récurrentes pour les plages, ont porté atteinte à l'image du gestionnaire du service public de l'assainissement. Pour les raisons exposées aux points 9 à 13, la société Stereau n'est pas fondée à soutenir que la métropole serait à l'origine de son propre préjudice à cet égard.
34. Il y a lieu de mettre à la charge de la société Stereau la somme de 25 000 euros que la métropole sollicite à ce titre, et qui, au regard du nombre d'années de dysfonctionnement, n'est pas excessif.
Sur l'appel en garantie :
35. La métropole soutient, en page 45 de sa requête d'appel, qu'il " appartenait au tribunal (...) de mettre à la charge de la société Stereau l'indemnisation allouée à la SEM et à la SAEM, en garantissant la Métropole des condamnations prononcées à son encontre ".
36. A la regarder comme formulant un appel en garantie, d'ailleurs non repris dans les conclusions de sa requête, une telle demande, présentée pour la première fois en appel, est irrecevable, ainsi que le fait valoir la société Stereau.
Sur les appels provoqués :
37. La situation des parties intimées n'est pas aggravée par l'appel principal de la société Stereau. Les conclusions qu'elles présentent les unes à l'encontre des autres ont donc le caractère d'appel provoqués irrecevables.
Sur les frais liés au litige :
38. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le montant de la condamnation de la société Stereau prononcée par l'article 5 du jugement du 7 février 2023 est ramené de 90 % de 66 736,92 euros à 90 % de 60 172,34 euros, soit 54 155,11 euros.
Article 2 : L'article 5 du jugement du 7 février 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement du 7 février 2023 est annulé en tant qu'il rejette la demande de la métropole tendant à l'indemnisation de son préjudice d'image.
Article 4 : La société Stereau est condamnée à payer à la métropole, au titre du préjudice d'image, la somme de 25 000 euros, et, au titre des frais de prélèvement et d'études exposés par celle-ci lors de l'expertise judiciaire, 90 % des sommes de 4 764 euros toutes taxes comprises et de 1 972,92 euros toutes taxes comprises.
Article 5 : Le jugement est annulé en tant qu'il omet de statuer sur la demande de capitalisation des intérêts dus sur le montant de la condamnation prononcée par son article 2.
Article 6 : Les intérêts dus à raison de cette condamnation seront capitalisés à la date du 15 octobre 2020 et à chaque échéance annuelle ultérieure pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à la métropole Aix-Marseille-Provence, à la société Stereau, à la société SEM et à la société SAEM.
Délibéré après l'audience du 17 juin 2024, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er juillet 2024.
N° 23MA00836 2