Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par une décision n°461535 du 10 octobre 2023, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt n° 20MA02925 du 17 décembre 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté la requête présentée par Mme E... et la MACSF tendant à l'annulation du jugement n°1803087du 22 juin 2020 du tribunal administratif de Montpellier, à la condamnation du centre hospitalier de Carcassonne à leur payer la somme de 336 708 euros en remboursement des sommes mises à leur charge par les juridictions civiles, à parfaire tant que le caractère définitif de cette condamnation n'est pas acquis ou, subsidiairement, une fraction de cette somme correspondant à la part de responsabilité imputable au centre hospitalier de Carcassonne, qui ne saurait être inférieure à 75% et à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Carcassonne la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le Conseil d'Etat a aussi renvoyé l'affaire devant la cour.
Procédure devant la cour après renvoi :
Par deux mémoires, enregistrés les 9 novembre 2023 et 9 avril 2024, Mme E... et la MACSF, représentées par Me Choulet et Me Perron, demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement précité du 22 juin 2020 du tribunal administratif de Montpellier ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Carcassonne à payer à la MACSF la somme, majorée des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2018 et de la capitalisation des intérêts, de 279 494,80 euros correspondant à 50 % des sommes supportées par la MACSF en exécution des décisions des juridictions civiles ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Carcassonne la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles concluent par les mêmes moyens que ceux articulés dans leurs écritures précédentes et ajoutent que :
- eu égard à l'arrêt du Conseil d'Etat du 10 octobre 2023, la quote-part de responsabilité de l'hôpital doit être fixée à hauteur de 50 % ;
- la MACSF ayant versé à son assurée la somme de 558 989,60 euros, le centre hospitalier de Carcassonne doit être condamné, compte tenu de ce partage, à lui payer la somme de 279 494,80 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2024, le centre hospitalier de Carcassonne, représenté par Me Zandotti, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que le taux de perte de chance soit ramené à 48% et à ce que sa part de responsabilité soit fixée à hauteur maximale de 30 % du montant total de la condamnation ;
3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme E... et D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées le 21 mai 2024, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 22 juin 2020 en l'absence de mise en cause de la caisse primaire d'assurance maladie.
Mme E... et la MACSF ont répondu à ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 24 mai 2024.
Le centre hospitalier de Carcassonne a répondu à ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 7 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des assurances ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Ranchereau, représentant Mme E... et la MACSF, et de Me Saint-Oyan, substituant la selarl Abeille, représentant le centre hospitalier de Carcassonne.
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 avril 2009 à 21h47, Mme B..., s'inquiétant de la forte fièvre que présentait sa fille née le 20 mars 2009, a été dirigée par le médecin régulateur du service d'aide médicale d'urgence (SAMU) rattaché au centre hospitalier de Carcassonne, qui l'a rappelée à 22h05, vers la maison médicale de garde de Carcassonne en vue de s'y faire délivrer du paracétamol. Le docteur E..., qui a reçu l'enfant à 22h30, l'a examinée et a confirmé la prescription de paracétamol pour faire tomber la fièvre. Le 8 avril au soir, devant la persistance des symptômes, l'enfant a été conduite au centre hospitalier de Carcassonne où les investigations effectuées ont révélé qu'elle souffrait d'une méningite à pneumocoque, qui a entrainé de lourdes séquelles. Après avoir ordonné une expertise médicale, le tribunal de grande instance de Carcassonne a, par un jugement du 28 novembre 2017 et sur la base d'un rapport d'expertise médicale, considéré que le docteur E... avait commis une faute médicale dans la prise en charge de l'enfant ayant entraîné pour cette dernière une perte de chances d'échapper aux séquelles subies. Il a condamné le médecin et son assureur, la mutuelle d'assurance du corps de santé français (MACSF) à payer à Mme B... diverses indemnités à valoir sur l'indemnisation des préjudices subis par elle et son enfant. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 17 novembre 2020. Une ordonnance du juge de la mise en état du 21 mars 2019 et un arrêt de la cour d'appel du 9 mai 2023, confirmant un jugement du tribunal judiciaire de Carcassonne du 10 novembre 2020 sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité à laquelle le docteur E... et son assureur avaient été condamnés au titre des besoins en assistance par une tierce personne, ont mis à la charge de ces derniers des indemnités complémentaires.
2. Par un jugement du 22 juin 2020, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté la demande présentée par Mme E... et la MACSF tendant à condamner le centre hospitalier de Carcassonne à leur rembourser les sommes mises à leur charge par les juridictions civiles. Par un arrêt n° 20MA02925 du 17 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Mme E... et la MACSF contre ce jugement. Par une décision n° 461535 du 10 octobre 2023, le Conseil d'Etat a annulé, sur le pourvoi de Mme E... et de son assureur, cet arrêt et renvoyé à la cour le jugement de cette affaire.
Sur la régularité du jugement :
3. L'assureur qui bénéficie de la subrogation instituée par les dispositions de l'article L. 121-12 du code des assurances dispose de la plénitude des droits et actions que l'assuré qu'il a dédommagé aurait été admis à exercer à l'encontre de toute personne tenue, à quelque titre que ce soit, de réparer le dommage ayant donné lieu au paiement de l'indemnité d'assurance. Cette voie de droit est ouverte à l'assureur de la victime mais aussi, comme en l'espèce, à l'assureur de l'auteur du dommage qui justifie avoir payé une indemnité à la victime en exécution du contrat d'assurance. Il se trouve ainsi subrogé dans les droits et actions de l'assuré dans la limite du paiement effectué et peut alors exercer un recours subrogatoire contre les tiers, co-auteurs du dommage. Cet assureur est également subrogé dans les droits de la victime d'une faute médicale à l'encontre du centre hospitalier.
4. Il résulte de l'instruction que la MACSF a payé à Mme E... la somme totale de 558 989,60 euros en exécution des diverses condamnations prononcées par les juridictions judiciaires afin d'indemniser les préjudices subis par Mme B... et son enfant. Elle est ainsi subrogée dans les droits de son assurée et dans les droits de la victime à concurrence de ces montants. Toutefois, en statuant sur la requête sans mettre en cause la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de l'Aude dont relève la patiente, le tribunal administratif de Montpellier a statué à l'issue d'une procédure irrégulière.
5. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande de première instance, la CPAM de l'Aude ayant été régulièrement mise en cause par la cour.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Carcassonne :
6. Les sommes qu'une personne a été condamnée à verser en application d'une décision de justice exécutoire, même non définitive, présentent, au fur et à mesure de leur paiement effectif, le caractère d'une créance certaine dont cette personne peut demander le paiement à un tiers responsable. Il résulte de l'instruction, au vu des justificatifs produits, que la MACSF a, en sa qualité d'assureur de Mme E..., payé, à compter de l'année 2016, les sommes dues au centre hospitalier de Carcassonne en exécution des diverses condamnations prononcées par les juridictions judiciaires. Dès lors, les conclusions présentées par Mme E... et la MACSF, tendant à obtenir la condamnation du centre hospitalier de Carcassonne à leur rembourser les sommes mises à leur charge, sont recevables, alors même que les décisions prises par le juge civil, tel que le jugement précité du tribunal de grande instance de Carcassonne du 28 novembre 2017, n'étaient, à la date du jugement du tribunal administratif de Montpellier, pas devenues définitives. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Carcassonne, tirée de l'absence de caractère définitif des condamnations prononcées à l'encontre des requérants par le juge civil, doit être écartée.
Sur la responsabilité :
7. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire, que si la reconnaissance précoce d'une méningite à pneumocoque peut s'avérer difficile chez les nourrissons, les recommandations médicales en matière de maladies infectieuses, concernant les nouveaux nés de moins de vingt-huit jours présentant une forte fièvre, préconisent de les hospitaliser systématiquement en attendant les résultats des prélèvements. En l'espèce, il résulte de l'instruction que Mme B... a signalé, au cours de son appel le 6 avril 2009 au médecin régulateur du SAMU, que son enfant A..., alors âgée de dix-sept jours, présentait une forte température de 38,5 degrés. Le médecin régulateur du SAMU n'a cependant pas orienté immédiatement l'enfant vers un service d'urgence pédiatrique mais vers le docteur E..., médecin de garde qui l'a examinée une demi-heure plus tard, et qui n'a pas décidé l'hospitalisation du nourrisson mais a prescrit un traitement associant des médicaments antipyrétique et antispasmodique et un protecteur digestif. Il est constant que l'enfant, dont l'état de santé a continué de se dégrader, n'a été hospitalisé aux urgences pédiatriques du centre hospitalier de Carcassonne que deux jours plus tard. Il s'ensuit que le médecin régulateur du SAMU et le docteur E... n'ont pas posé la bonne indication thérapeutique et n'ont pas pris la mesure des symptômes présentés par le nouveau-né en ne l'orientant pas immédiatement au service des urgences pédiatriques du centre hospitalier de Carcassonne. Les fautes ainsi commises par le médecin régulateur et le médecin de garde ont constitué pour l'enfant une perte de chance d'échapper aux séquelles qu'elle conserve de la méningite néonatale dont elle a été atteinte. Chacune de ces fautes, commises successivement et de manière indépendante, portait en elle la totalité des conséquences dommageables du retard de diagnostic et de traitement de la méningite à pneumocoque. Dans ces conditions, Mme E... et son assureur, qui ont été condamnés par le juge judiciaire à réparer les dommages subis par l'enfant et sa mère, sont fondés à soutenir que le centre hospitalier de Carcassonne dont dépend le SAMU en cause est co-responsable de ces dommages et a commis ainsi une faute de nature à atténuer sa responsabilité.
Sur le partage de responsabilité :
8. Il résulte de ce qui vient d'être exposé que tant la faute du médecin régulateur du SAMU que celle du docteur E... ont porté en elles l'intégralité du dommage dont a été victime l'enfant de Mme B.... Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que le centre hospitalier de Carcassonne et le docteur E... sont tous deux responsables pour moitié de la totalité des préjudices subis par l'enfant.
9. Il résulte du rapport de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire que l'enfant de Mme B..., atteinte également de troubles épileptiques suite à sa méningite à pneumocoque, souffre principalement d'une surdité bilatérale séquellaire qui est diagnostiquée dans 15 % des cas, même lorsque des soins diligents et adaptés sont dispensés. Dans ces conditions, il y a lieu d'évaluer la perte de chance d'éviter les séquelles de cette maladie à un taux de 85 %, non sérieusement contredit par le centre hospitalier de Carcassonne, et au demeurant retenu, au vu du rapport d'expertise, par le jugement du tribunal de grande instance du 28 novembre 2017 et l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 17 novembre 2020.
10. S'agissant de la liquidation des préjudices et après application du taux de perte de chance de 85 %, il y a lieu de retenir, ainsi que l'a détaillé l'arrêt de la cour d'appel de Montpellier du 9 mai 2023 et eu égard aux conséquences neuropsychologiques majeures de l'enfant depuis sa naissance, un besoin en assistance par une tierce personne, d'une part, de 234 049,20 euros déterminé à compter du 20 mars 2011, correspondant aux deux ans de l'enfant, jusqu'au 10 novembre 2020, date du jugement du tribunal judiciaire de Carcassonne, d'autre part, un besoin de même nature de 57 267 euros sur la période du 11 novembre 2020 au 9 mai 2023. Le préjudice au titre de l'assistance par une tierce personne doit ainsi être évalué à la somme de 291 316,20 euros. Par ailleurs, il n'y a pas lieu de remettre en cause le calcul de la somme totale de 197 716 euros allouée à titre provisionnel par une ordonnance du juge de la mise en état du 20 octobre 2016 et un jugement du 28 novembre 2017 du tribunal de grande instance de Carcassonne, confirmés par des arrêts de la cour d'appel de Montpellier du 7 septembre 2017 et du 17 novembre 2020, et correspondant à l'indemnisation, d'une part, de divers préjudices subis par l'enfant à hauteur de 172 216 euros, tels que les dépenses de santé, le déficit fonctionnel temporaire, le déficit fonctionnel permanent, les souffrances endurées, le préjudice esthétique et le préjudice scolaire, d'autre part, des préjudices subis par sa mère au titre du préjudice d'affection et du préjudice d'accompagnement, à hauteur de 25 500 euros.
11. Il résulte de l'instruction que la MACSF établit, par les justificatifs produits, tels que les captures d'écran issues de son logiciel de comptabilité, avoir, en sa qualité d'assureur de Mme E..., indemnisé Mme B.... Au vu des éléments exposés au point précédent, les préjudices indemnisables subis par Mme B... et son enfant s'élèvent donc, après application du taux de perte de chance de 85 %, à 489 032,20 euros. Par suite, et compte tenu de la part de responsabilité imputable au centre hospitalier de Carcassonne telle que définie au point 8, il y a lieu de condamner ce dernier à payer à la MACSF la somme de 244 516,10 euros.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
12. La MACSF a droit aux intérêts au taux légal correspondant à cette indemnité de 244 516,10 euros à compter du 27 juin 2018, date d'enregistrement de sa requête au greffe du tribunal administratif de Montpellier, et à la capitalisation de ces intérêts à compter du 27 juin 2019, date à laquelle un an d'intérêts était dû, ainsi qu'à chaque échéance annuelle.
Sur la déclaration d'arrêt commun :
13. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la CPAM de l'Aude qui, régulièrement mise en cause dans la présente instance, n'a pas produit de mémoire.
Sur les frais du litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme E... et D..., qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier de Carcassonne demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge du centre hospitalier de Carcassonne une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par Mme E... D... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1803087 du 22 juin 2020 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 2 : Le centre hospitalier de Carcassonne est condamné à payer à la MACSF la somme de 244 516,10 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 juin 2018 et de la capitalisation des intérêts à compter du 27 juin 2019 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 3 : Le centre hospitalier de Carcassonne versera à Mme E... et à la MACSF une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aude.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... E..., à la mutuelle d'assurance du corps de santé français, au centre hospitalier de Carcassonne et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aude.
Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 juin 2024.
N° 23MA02511 2