Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Antibes Boat et Yacht Services a demandé au tribunal administratif de Nice de prononcer la décharge, en droits et majorations, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012 et du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011.
Par un jugement n° 1804513 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 16 juin 2022, la société Antibes Boat et Yacht Services, représentée par Me Huet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1804513 du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie de la livraison intracommunautaire exonérée de taxe sur la valeur ajoutée d'un bateau, en application du I de l'article 262 ter du code général des impôts ;
- elle est fondée à se prévaloir de la doctrine administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-30-20-10 n° 60 ;
- contrairement à ce qu'a estimé l'administration, elle était fondée à déduire une provision de 100 000 euros pour client douteux à la clôture de l'exercice 2012 ;
- les intérêts de retard sont contestés par voie de conséquence ;
- la majoration pour manquement délibéré n'est pas fondée.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 décembre 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la société Antibes Boat et Yacht Services ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 4 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La société Antibes Boat et Yacht Services a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 13 août 2014 lui a été notifiée. Au terme de la procédure, elle a été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2012 et à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2011, assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée. La société Antibes Boat et Yacht Services relève appel du jugement du 25 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :
2. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut porter en provision et déduire des bénéfices imposables d'un exercice des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par elle, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent, en outre, comme probables eu égard aux circonstances constatées à la date de clôture de l'exercice et qu'enfin, elles se rattachent par un lien direct aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise.
4. Il résulte de l'instruction que la société Antibes Boat et Yacht Services a comptabilisé à la clôture de l'exercice 2012 une provision pour créance douteuse, constituée pour un montant de 100 000 euros, à raison d'un impayé d'un client, la société Sea and Mainland. L'administration a remis en cause la déduction de cette provision, au motif qu'aucun document probant justifiant de l'existence d'un litige à la clôture de l'exercice n'avait été produit. La société Antibes Boat et Yacht Services se prévaut de son intérêt à ne pas poursuivre le remboursement de sa créance, compte tenu de son faible montant et de sa volonté de poursuivre des relations commerciales avec la société Sea and Mainland, en faisant valoir qu'elle a vendu à cette société un bateau qui a subi plusieurs avaries nécessitant diverses interventions, le client ayant finalement décidé de procéder à un remplacement complet du bloc moteur, qui lui a été facturé à hauteur de 100 000 euros en septembre 2012 et que le client a alors estimé qu'il ne devait plus le solde de sa facture d'achat du fait de cette réparation d'un montant identique, alors qu'elle n'avait pas renoncé à obtenir le règlement. La société requérante souligne qu'elle avait pour objectif de vendre un autre bateau au même client pour un montant d'environ 5 000 000 euros. Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, la vente ayant été conclue au prix d'environ 1 500 000 euros, le solde de 100 000 euros n'était pas négligeable. En outre, aucun élément du dossier ne matérialise effectivement un projet de vente d'un autre bateau d'un montant de 5 000 000 euros. Par ailleurs, la société Antibes Boat et Yacht Services ne justifie d'aucune démarche amiable à la clôture de l'exercice pour tenter de recouvrer la créance, à laquelle elle soutient ne pas avoir renoncé à cette date. A cet égard, la production d'un protocole d'accord conclu en 2015 avec la société Sea and Mainland et d'attestations de l'expert-comptable et du commissaire aux comptes de la société ne permet pas d'établir le caractère probable du non recouvrement de la créance en cause à la clôture de l'exercice 2012, en l'absence de preuve de toute diligence de quelque nature que ce soit à cette date, à laquelle est seulement établie l'existence d'une créance impayée. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause la déduction de la provision en litige.
En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :
5. Aux termes de l'article 262 ter du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur : " I. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : 1° Les livraisons de biens expédiés ou transportés sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne à destination d'un autre assujetti ou d'une personne morale non assujettie (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée des livraisons intracommunautaires de biens est notamment subordonnée à la condition, d'une part, que l'acquéreur desdits biens soit assujetti à cette taxe ou ait la qualité de personne morale non assujettie et ne bénéficiant pas dans l'Etat membre dans lequel elle est établie d'un régime dérogatoire l'autorisant à ne pas soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée ses acquisitions intracommunautaires et, d'autre part, que le bien ait été expédié ou transporté hors de France par le vendeur, par l'acquéreur ou par un tiers pour leur compte, à destination d'un autre Etat membre. S'agissant de la réalité de la livraison d'une marchandise sur le territoire d'un autre Etat membre de la Communauté européenne, pour l'application des dispositions de l'article 262 ter du code général des impôts, seul le redevable de la taxe sur la valeur ajoutée est en mesure de produire les documents afférents au transport de la marchandise, lorsqu'il l'a lui-même assuré, ou tout document de nature à justifier la livraison effective de la marchandise, lorsque le transport a été assuré par l'acquéreur.
7. Il résulte de l'instruction que la société Antibes Boat et Yacht Services a vendu le 22 mars 2011 un bateau de marque Ferretti modèle 500 dénommé " Seanergy " à la société Aqua Synergy établie au Luxembourg, la vente ayant été exonérée de taxe sur la valeur ajoutée sur le fondement du I de l'article 262 ter du code général des impôts. L'administration a remis en cause cette exonération, au motif que l'existence d'une livraison intra-communautaire n'était pas établie. La société Antibes Boat et Yacht Services produit les statuts de la société de droit luxembourgeois Aqua Synergy, les résultats de la validation du numéro de taxe sur la valeur ajoutée intracommunautaire de cette société et la déclaration de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle a déposée au Luxembourg, les avis de règlement des sommes dues en provenance d'un établissement bancaire au Luxembourg, ainsi qu'une déclaration d'échange de biens et le certificat d'immatriculation du navire auprès des autorités luxembourgeoises. Si ces documents établissent la réalité de la vente du bateau à la société Aqua Synergy, la société Antibes Boat et Yacht Services ne produit néanmoins aucun document, qu'elle seule est en mesure de produire, afférent à la livraison effective du navire au Luxembourg. En effet, la lettre de voiture du transporteur produite ne mentionne pas le lieu de déchargement du bateau. En outre, l'administration a relevé qu'après sa vente le 22 mars 2011, le bateau a été amarré à quai au Port-Vauban d'Antibes dès le 27 avril 2011, où il est exploité par la société requérante dans le cadre d'une gestion-location, après avoir fait l'objet de travaux sur un chantier naval en Italie, ce qu'atteste une facture du 26 avril 2011, sans qu'aucun élément probant ne soit fourni permettant d'établir l'effectivité des différents déplacements allégués de ce navire, la réalisation de travaux en Italie ne constituant manifestement pas la livraison du bateau dans cet Etat. Dans ces conditions, en l'absence de document probant justifiant du transfert physique du bien de la France vers le Luxembourg, c'est à bon droit que l'administration a remis en cause l'exonération pratiquée par la société.
8. Par ailleurs, la société Antibes Boat et Yacht Services n'est en tout état de cause pas fondée à se prévaloir de l'interprétation administrative référencée BOI-TVA-CHAMP-30-20-10 n° 60, qui ne donne pas d'interprétation de la loi fiscale en matière de preuve différente de celle dont il est fait application par le présent arrêt.
Sur les majorations :
9. D'une part, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la société Antibes Boat et Yacht Services n'est pas fondée à demander la décharge des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré mis à sa charge par voie de conséquence.
10. D'autre part, aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration (...) entraînent l'application d'une majoration de : a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
11. Il résulte de la proposition de rectification du 13 août 2014 que pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré au rappel de taxe sur la valeur ajoutée collectée mentionné au point 7, l'administration a relevé que les justificatifs produits par la société Antibes Boat et Yacht Services ne mentionnaient pas le lieu de livraison du bateau " Seanergy " acquis par la société luxembourgeoise Aqua Energy et que le montant de la taxe sur la valeur ajoutée en litige était important, le ministre faisant par ailleurs valoir que la société s'est sciemment placée sous le régime d'exonération de taxe sur la valeur ajoutée alors qu'elle ne pouvait ignorer qu'elle ne disposait pas des justifications suffisantes pour établir la réalité d'une livraison intracommunautaire. Dans ces conditions, l'administration apporte la preuve de l'existence d'un manquement délibéré commis par la société Antibes Boat et Yacht Services et justifie par suite du bien-fondé de l'application de la pénalité prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Antibes Boat et Yacht Services n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, des impositions en litige doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Antibes Boat et Yacht Services demande au titre des frais qu'elle a exposés.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de la société Antibes Boat et Yacht Services est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Antibes Boat et Yacht Services et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 6 juin 2024, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 juin 2024.
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N° 22MA01692