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14/06/2024 | FRANCE | N°23MA01439

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 14 juin 2024, 23MA01439


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... E..., M. C... E..., M. F... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions par lesquelles le ministre des affaires étrangères et l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre ont refusé de faire droit à leurs demandes d'indemnisation et de condamner l'Etat à leur verser, en leur qualité d'ayants-droits de M. H... E... et de Mme D... E... née B..., la somme de 1 274 930 euros à titre de dommages et intérê

ts, tous préjudices confondus, sauf à parfaire au jour de la décision rendue.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... E..., M. C... E..., M. F... E... et Mme G... E... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions par lesquelles le ministre des affaires étrangères et l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre ont refusé de faire droit à leurs demandes d'indemnisation et de condamner l'Etat à leur verser, en leur qualité d'ayants-droits de M. H... E... et de Mme D... E... née B..., la somme de 1 274 930 euros à titre de dommages et intérêts, tous préjudices confondus, sauf à parfaire au jour de la décision rendue.

Par un jugement n° 1905900 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 juin 2023 et 28 février 2024, sous le n° 23MA01439, M. E... et autres, représentés par Me Marty-Etcheverry, demandent à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 11 avril 2023 ;

2°) d'annuler la décision implicite du ministre des affaires étrangères et la décision du 20 août 2019 de l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG) rejetant leurs demandes d'indemnisation ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 1 274 930 euros en réparation de leurs préjudices ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 560 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils ont droit à l'indemnisation intégrale de leurs préjudices sur le fondement de la loi n° 61-1463 du 26 décembre 1961 et du second volet des articles 66 et 71 de la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 ;

- l'Etat a commis une faute en s'abstenant de mener des négociations avec l'Etat algérien dans la suite des accords des 19 mars 1962 et 23 avril 1987 ;

- il a commis une faute en raison des erreurs dommageables nées de l'équivoque de l'attitude des autorités gouvernementales dans la gestion du problème algérien ;

- la responsabilité de l'Etat doit être engagée sur le terrain de la rupture de l'égalité devant les charges publiques résultant directement des choix de gouvernement notamment quant à ne pas exiger le respect des accords d'Evian et à ne pas prendre toutes mesures coercitives aux fins de forcer l'Etat algérien à verser l'indemnisation considérée ;

- ils ont subi un préjudice grave, anormal et spécial ;

- l'attitude de l'Etat français viole l'article 53 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 février 2024, le ministre des armées conclut au rejet de la requête de M. E... et autres.

Il soutient que :

- la juridiction administrative est incompétente pour statuer sur le refus d'engager des négociations avec un Etat étranger ;

- les demandes de M. E... et autres sont irrecevables en l'absence de liaison du contentieux ;

- la créance invoquée par M. E... et autres est prescrite en application de la loi du 29 janvier 1831 et de la loi du 31 décembre 1968 ;

- les moyens soulevés par M. E... et autres ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre qui n'ont pas produit d'observations.

Par un mémoire distinct, enregistré le 22 juin 2023, M. E... et autres, représentés par Me Marty-Etcheverry, demandent à la Cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1er de la loi n° 61-1463 du 26 décembre 1961.

Par une ordonnance n° 23MA01439 QPC du 16 août 2023, la présidente de la 7ème chambre de la Cour a rejeté cette demande comme étant non fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. H... E... et Mme D... E..., parents et beaux-parents des requérants, décédés respectivement en 1978 et 2000, ont dû quitter définitivement l'Algérie à la suite de la signature des accords d'Evian du 18 mars 1962. Ils ont été ainsi dépossédés de leurs biens constitués par un terrain à bâtir de 640 m², un terrain de 338 m² sur lequel ils ont fait construire un immeuble et de deux appartements. Ils ont perçu une somme de 1 005 821 francs, au titre de l'avance provisoire et forfaitaire prévue par l'article 1er de la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970. Par ailleurs, une somme de 50 000 francs résultant de la vente de leur résidence principale en Algérie et d'un atelier de réparation automobiles est toujours bloquée par le Trésor public algérien. Par des courriers du 15 juillet 2019, les requérants ont saisi le ministre des affaires étrangères et l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), aux fins d'obtenir l'indemnisation du reliquat de leur préjudice financier. Ces demandes ont été rejetées par une décision de l'ONACVG du 20 août 2019 et une décision implicite du ministre des affaires étrangères. M. E... et autres relèvent appel du jugement du 11 avril 2023 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes tendant, d'une part, à l'annulation de ces décisions et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 1 274 930 euros en réparation de leurs préjudices.

Sur la recevabilité des demandes de première instance de M. E... et autres :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans sa version applicable à la date des décisions contestées : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ".

3. Par un courrier du 15 juillet 2019, les consorts E... ont présenté tant à l'ONACVG qu'au ministre des affaires étrangères " une demande aux fins d'obtenir une décision administrative " portant sur " toutes (les) dispositions utiles " que, selon eux, l'Etat français devait prendre " pour mettre en application pratique le recouvrement effectif et impératif " de l'indemnisation qu'ils estimaient leur être due de la part de l'Etat algérien, conformément notamment aux dispositions de l'article 66 de la loi du 15 juillet 1970.

4. En premier lieu, ces demandes qui prenaient, du reste, acte de la contribution nationale à l'indemnisation qui leur avait été versée par l'Etat français en application de la loi du 15 juillet 1970, ne visaient ni directement ni indirectement à ce que celui-ci les indemnise, en lieu et place de l'Etat algérien, du reliquat de leur préjudice financier consécutif à la dépossession de leurs biens. Par suite, ainsi que le soutient le ministre des armées, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, ces demandes n'ont pu avoir pour effet de lier un contentieux indemnitaire tendant à la condamnation de l'Etat français à leur verser une somme de 1 274 930 euros, en réparation de leurs préjudices.

5. En second lieu, de telles demandes en ce qu'elles sollicitaient des autorités françaises d'obtenir de l'Etat algérien l'indemnisation de la dépossession de leurs biens n'ont pu faire naître que des décisions qui constituent des actes de gouvernement non détachables de la conduite des relations internationales entre la France et l'Algérie. Ces décisions sont, dès lors, insusceptibles, par leur nature, d'être portées devant la juridiction administrative.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de déchéance et de prescription quadriennale opposée par le ministre des armées, que M. E... et autres ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté leurs demandes tendant, d'une part, à l'annulation de la décision de l'ONACVG du 20 août 2019 ainsi que de la décision implicite du ministre des affaires étrangères rejetant leur demande du 15 juillet 2019 et, d'autre part, à la condamnation de l'Etat à leur verser la somme de 1 274 930 euros, en réparation de leurs préjudices.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. E... et autres au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. E... et autres est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à M. C... E..., à M. F... E..., à Mme G... E... et au ministre des armées.

Copie en sera adressée au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre.

Délibéré après l'audience du 31 mai 2024, où siégeaient :

- Mme Helmlinger, présidente de la Cour,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 juin 2024.

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N° 23MA01439

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01439
Date de la décision : 14/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Compétence - Actes échappant à la compétence des deux ordres de juridiction - Actes de gouvernement.

Procédure - Introduction de l'instance - Liaison de l'instance - Décision administrative préalable.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : MARTY ETCHEVERRY ERIC

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-14;23ma01439 ?
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