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03/06/2024 | FRANCE | N°23MA00613

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 03 juin 2024, 23MA00613


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 14 octobre 2022, par laquelle la directrice du centre de détention d'Aix-Luynes a refusé à ses proches de lui apporter au parloir un oreiller ergonomique et un surmatelas, prescrits par le médecin de l'établissement.



Par une ordonnance n° 2209162 du 10 janvier 2023, la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

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Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 10 mars 2023, M. C..., repr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 14 octobre 2022, par laquelle la directrice du centre de détention d'Aix-Luynes a refusé à ses proches de lui apporter au parloir un oreiller ergonomique et un surmatelas, prescrits par le médecin de l'établissement.

Par une ordonnance n° 2209162 du 10 janvier 2023, la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2023, M. C..., représenté par Mes Hebmann et Ciaudo, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance du 10 janvier 2023 ;

2°) d'annuler la décision du 14 octobre 2022, par laquelle la directrice du centre de détention d'Aix-Luynes a refusé à ses proches de lui apporter au parloir un oreiller ergonomique et un surmatelas, prescrits par le médecin de l'établissement ;

3°) d'enjoindre à la directrice du centre de détention d'Aix-Luynes d'autoriser ses proches à lui apporter au parloir un oreiller ergonomique médical et un surmatelas dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- c'est à tort que la première juge a accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense et a jugé sa demande irrecevable pour porter sur une mesure d'ordre intérieur ;

- la décision en litige est insuffisamment motivée en méconnaissance des dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- l'administration pénitentiaire a méconnu les dispositions des articles R. 332-43 à 45 du code pénitentiaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 janvier 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la demande de M. C... est irrecevable en ce qu'elle vise une mesure d'ordre intérieur ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 30 novembre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 7 mars 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Par courrier du 14 mai 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, l'un tiré de l'incompétence de la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Marseille à avoir rejeté la demande de M. C... par voie d'ordonnance sur le fondement du 4° de l'article R. 221-1 du code de justice administrative alors que sa demande ne pouvait être regardée comme manifestement irrecevable et l'autre tiré de ce que l'administration se trouvait en compétence liée pour refuser la demande de M. C... (A... 15 décembre 2016, Commune de Saint-Denis d'Oléron, n° 389141).

Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites pour M. C... le 21 mai 2024 et communiquées le jour même.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 mai 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code pénitentiaire ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., détenu au centre de détention d'Aix-Luynes, a sollicité auprès de l'administration pénitentiaire en vue de se faire remettre par ses proches au parloir un oreiller ergonomique ainsi qu'un surmatelas prescrits par le médecin de l'établissement. Par décision du 10 octobre 2022, la directrice du centre a refusé de faire droit à sa demande. M. C... a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de cette décision. Par l'ordonnance du 10 janvier 2023, la présidente de la 6ème chambre du tribunal a rejeté cette demande. M. C... relève appel de cette ordonnance.

Sur la régularité de l'ordonnance :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 222-1 du code de justice administrative : " (...) les présidents de formation de jugement des tribunaux (...) peuvent, par ordonnance : (...) / 4° Rejeter les requêtes manifestement irrecevables, lorsque la juridiction n'est pas tenue d'inviter leur auteur à les régulariser ou qu'elles n'ont pas été régularisées à l'expiration du délai imparti par une demande en ce sens (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 6 du code pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la commission de nouvelles infractions et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap, de l'identité de genre et de la personnalité de chaque personne détenue. ".

4. Et, aux termes de l'article L. 322-1 du même code : " La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l'ensemble de la population. / L'état psychologique des personnes détenues est pris en compte lors de leur entrée en détention et pendant leur détention. L'administration pénitentiaire favorise la coordination des différents intervenants agissant pour la prévention et l'éducation sanitaires. ".

5. Pour considérer la demande de M. C... irrecevable, la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Marseille a considéré qu'eu égard à sa nature et à ses effets limités sur la situation de M. C..., ce refus constituait une simple mesure d'ordre intérieur et a rejeté pour ce motif sa demande.

6. Toutefois, la décision de la directrice du centre pénitentiaire a pour objet de refuser à M. C... de se voir remettre au parloir un oreiller ergonomique ainsi qu'un surmatelas dans sa cellule, alors que l'intéressé produit deux certificats médicaux, en vue de justifier de la nécessité eu égard à sa santé de disposer de ces équipements. Par suite, cette mesure, qui est susceptible de remettre en cause, par elle-même, les libertés et droits fondamentaux des détenus, et notamment le droit à la santé de M. C... et qui est susceptible d'aggraver les conditions de détention de l'intéressé, ne constitue pas une mesure d'ordre intérieur ne pouvant faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le ministre ne pouvait être accueillie.

7. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Marseille a statué par voie d'ordonnance sur la demande de M. C.... Par suite, cette ordonnance est entachée d'incompétence et doit être annulée. Il y a lieu pour la Cour d'évoquer l'affaire.

Sur la recevabilité de la demande de M. C... :

8. Il résulte de ce qui a été dit plus haut que la décision de la directrice de l'établissement pénitentiaire dans lequel était détenu M. C... ne peut être regardée comme une mesure d'ordre intérieur. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense ne saurait être accueillie.

Sur le bien-fondé de la demande de M. C... :

9. En premier lieu, aux termes de l'article R. 332-42 du code pénitentiaire : " Sans préjudice des dispositions applicables aux publications écrites et audiovisuelles conformément aux dispositions des articles R. 370-1 et R. 370-2, la réception d'objets de l'extérieur et l'envoi d'objets vers l'extérieur sont interdits. / Toutefois, une liste des objets ou catégories d'objets dont la réception ou l'envoi est autorisé est fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, annexé au présent code. / Lorsque des objets dont la réception n'est pas autorisée sont reçus de l'extérieur, le chef de l'établissement pénitentiaire le notifie à l'expéditeur. Les objets sont réexpédiés aux frais de l'expéditeur ou, à défaut, déposés au vestiaire de la personne détenue intéressée. / Lorsque des objets dont l'envoi n'est pas autorisé sont envoyés à un destinataire extérieur, le chef de l'établissement le notifie à la personne détenue intéressée. Lui sont restitués les objets autorisés en cellule. Les autres sont déposés au vestiaire. / La personne détenue intéressée peut demander à se défaire des objets déposés au vestiaire dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 332-38. / Si les frais générés par la réception ou l'envoi des objets ne sont pas acquittés par l'expéditeur ou le destinataire extérieur, ces frais sont à la charge de la personne détenue intéressée. ".

10. Il résulte de ces dispositions et du règlement intérieur sur lequel la directrice du centre pénitentiaire s'est fondée que l'autorité administrative était tenue de refuser de faire droit à la demande de M. C... de se voir remettre un oreiller ergonomique ainsi qu'un surmatelas dès lors que ces équipements ne faisaient pas partie des objets pouvant être autorisés à être remis à la personne détenue.

11. En second lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; (...) ".

12. Dès lors que la directrice du centre pénitentiaire d'Aix-Luynes était en situation de compétence liée pour refuser la demande de M. C..., le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et de l'insuffisante motivation de la décision en litige est sans incidence sur la légalité de ce refus.

13. Enfin, aux termes de l'article R. 332-43 du code pénitentiaire : " La réception et l'envoi d'objets par une personne détenue sont soumis aux contrôles de sécurité nécessaires à la prévention des évasions et au maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements pénitentiaires. / La réception ou l'envoi d'objets autorisés par une personne détenue sont réalisés : / 1° Par apport lors des visites dans le cadre d'un permis de visite ou de la venue d'un visiteur de prison agréé ; / 2° Par remise directe lors des visites dans le cadre d'un permis de visite, pour tout document relatif à la vie familiale de la personne détenue intéressée et à l'exercice de son l'autorité parentale ; / 3° Par colis postal si la personne détenue intéressée ne bénéficie pas des visites dans le cadre d'un permis de visite, après accord du chef de l'établissement pénitentiaire ; / 4° Par dépôt à l'établissement pénitentiaire en dehors des visites, par des visiteurs de prison agréés ou des personnes titulaires d'un permis de visite, après accord du chef de l'établissement pénitentiaire. / Dans les hypothèses mentionnées par les dispositions des 1° et 4°, l'objet est remis au personnel pénitentiaire qui le transmet à la personne détenue destinataire après contrôle. ". Son article R. 332-44 dispose que : " Les objets et vêtements laissés habituellement en la possession des personnes détenues peuvent leur être retirés, pour des motifs de sécurité, contre la remise d'autres objets propres à assurer la sécurité ou contre une dotation de protection d'urgence. / Les objets personnels retirés sont déposés au vestiaire. Ils sont restitués aux personnes détenues à leur sortie. / Les personnes détenues peuvent demander à se défaire de leurs objets personnels dans les conditions prévues par les dispositions de l'article R. 332-38. ". Enfin, aux termes de l'article R. 332-45 du même code : " Les objets qui ne peuvent être laissés en possession des personnes détenues pour des raisons d'ordre et de sécurité sont déposés au vestiaire de l'établissement. / Ils sont, après inventaire, inscrits sur le registre du vestiaire, au nom de la personne détenue intéressée pour lui être restitués à sa sortie. Elle peut cependant demander à s'en défaire dans les conditions prévues par les dispositions des articles R. 332-37 à R. 332-39. / Les documents d'identité sont également interdits en détention et sont déposés au vestiaire, inventoriés et inscrits au même registre. Les personnes détenues peuvent les récupérer à l'occasion de leurs sorties de l'établissement pénitentiaire afin de réaliser les démarches nécessaires. Ils leur sont restitués lors de leur levée d'écrou. / En revanche, les personnes détenues sont autorisées à conserver en cellule des photographies de famille. ".

14. Si M. C... fait valoir que le refus qui lui est opposé ne pouvait être fondé sur un motif de sécurité, il ne ressort pas des termes de la décision en litige que la directrice ait entendu fonder sa décision sur de telles considérations mais seulement sur l'interdiction de leur remise aux détenus. Si l'appelant soutient que l'autorité administrative ne se trouvait pas en situation de compétence liée dès lors que les dispositions des articles R. 332-43 et suivants prévoyaient les conditions de remise des équipements dangereux et notamment les modalités de contrôle de sécurité, il ressort de ces dispositions que ces modalités ne s'appliquent qu'aux objets autorisés. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 332-43 à 45 du code pénitentiaire ne saurait être accueilli.

15. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de la décision du 14 octobre 2022 doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

16. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation n'appelle aucune mesure d'exécution au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. C... dirigées contre l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : L'ordonnance du 10 janvier 2023 de la présidente de la 6ème chambre du tribunal administratif de Marseille est annulée.

Article 2 : La demande de M. C... est rejetée.

Article 3 : Le surplus de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au garde des sceaux, ministre de la justice, et à Me Ciaudo.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2024.

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No 23MA00613


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA00613
Date de la décision : 03/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

37-05-02-01 Juridictions administratives et judiciaires. - Exécution des jugements. - Exécution des peines. - Service public pénitentiaire.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : AARPI THEMIS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-03;23ma00613 ?
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