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03/06/2024 | FRANCE | N°22MA02459

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 03 juin 2024, 22MA02459


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme I... H... veuve E..., Mme F... E..., Mme G... E..., Mme C... D... épouse E... et M. B... E..., agissant en qualité d'ayants droit de M. A... E..., ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner solidairement la chambre de commerce et d'industrie de Corse et l'Etat à verser à Mme I... H... veuve E... la somme de 927 298 euros, à Mme F... E... et Mme G... E... la somme de 40 000 euros chacune, à Mme C... D... épouse E... la somme de 30 000 euros et à M. B... E.

.. la somme de 15 000 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir sub...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I... H... veuve E..., Mme F... E..., Mme G... E..., Mme C... D... épouse E... et M. B... E..., agissant en qualité d'ayants droit de M. A... E..., ont demandé au tribunal administratif de Bastia de condamner solidairement la chambre de commerce et d'industrie de Corse et l'Etat à verser à Mme I... H... veuve E... la somme de 927 298 euros, à Mme F... E... et Mme G... E... la somme de 40 000 euros chacune, à Mme C... D... épouse E... la somme de 30 000 euros et à M. B... E... la somme de 15 000 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis à la suite du décès de A... E..., sommes majorées des intérêts légaux capitalisés.

Par un jugement n° 2000679 du 12 juillet 2022, le tribunal administratif de Bastia a rejeté leur demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 septembre 2022, les consorts E..., représentés par Me Valette, demandent à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 12 juillet 2022 ;

2°) de condamner solidairement l'État et la Chambre du commerce et de l'industrie de Corse-du-Sud à la réparation du préjudice subi par M. E... et ses ayants droit à hauteur de 897 298 euros, à la réparation du préjudice d'affection subi par M. E... et ses ayants droit à hauteur de 30 000 euros pour Mme I... E..., 40 000 euros pour Mme F... E..., 40 000 euros pour Mme G... E... et 15 000 euros pour M. B... E... ainsi que la réparation du préjudice d'angoisse de mort imminente subi par M. A... E... à hauteur de 10 000 euros, sommes majorées des intérêts légaux capitalisés.

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement est insuffisamment motivé en méconnaissance des dispositions de l'article 9 du code de justice administrative et comporte une contradiction ;

- le jugement, qui est entaché de dénaturation des faits et d'erreur de qualification des faits, est irrégulier ;

- la présence d'arbres à l'approche de la piste d'atterrissage fait partie des éléments ayant eu une implication dans l'accident dont a été victime M. A... E... au même titre que la hauteur de l'avion tandis que les conditions météorologiques et le centrage de l'avion n'ont pas été confirmés de façon certaine par les enquêteurs comme étant en lien direct avec l'accident, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges ;

- il résulte de la combinaison des dispositions des articles R. 241-1, D. 241-4, D. 242-7, D. 242-11 et D. 242-12 du code de l'aviation civile ainsi que de l'arrêté du 28 août 2003 relatif aux conditions d'homologation et aux procédures d'exploitation des aérodromes qu'il appartient à l'exploitant de l'aéroport et aux services de la Direction générale de l'aviation civile de s'assurer que les surfaces de dégagements aéronautiques sont libres de tout obstacle et dans l'hypothèse où des obstacles se situeraient sur les parcelles de propriétaires riverains, il appartient aux services de l'État de conclure une convention avec ces derniers afin de faire réaliser les travaux nécessaires et d'encadrer leurs délais d'exécution ;

- en n'entreprenant pas les démarches nécessaires pour faire respecter la réglementation en vigueur ni les actions tendant à préserver la zone de dégagement aéronautique et à enlever les obstacles dans ce périmètre, la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud et l'Etat ont commis par leur inaction une faute de nature à engager leur responsabilité ;

- ces autorités doivent être condamnées à indemniser l'épouse de M. A... E... du préjudice patrimonial au regard des revenus nets perdus du fait du décès de la victime et qui s'élève à 897 298 euros ;

- le préjudice d'affection de l'épouse doit être indemnisé à hauteur de 30 000 euros, celui de leurs deux filles, 40 000 euros et celui de son frère à hauteur de 15 000 euros ;

- le préjudice d'angoisse subi par M. A... E... doit lui aussi être indemnisé à hauteur de 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2023, et un mémoire non communiqué enregistré le 26 mars 2024, la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud, représentée par Me Cesari, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge des consorts E... la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

-à titre subsidiaire, seule la responsabilité pleine et entière de l'Etat ne peut être retenue.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la demande des consorts E... n'est pas recevable en l'absence de demande indemnitaire préalable ;

- aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par ordonnance du 25 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 3 avril 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- l'arrêté du 28 août 2003 relatif aux conditions d'homologation et aux procédures d'exploitation des aérodromes ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Valette, pour les consorts E..., et de Me Loiseau, pour la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud.

Considérant ce qui suit :

1. Le 27 mars 2010, alors qu'il approchait, à bord de son aéronef, de la piste d'atterrissage n° 20 de l'aéroport Napoléon Bonaparte d'Ajaccio, M. A... E... a été victime d'un accident. Grièvement blessé, il est décédé le jour même à 23h00 au centre hospitalier d'Ajaccio. Mme I... H..., sa veuve, Mmes F... E... et G... E..., ses filles, Mme C... D... épouse E..., sa mère, et M. B... E..., son frère ont alors saisi le tribunal administratif de Bastia d'une demande tenant à la condamnation solidaire de la chambre de commerce et d'industrie de Corse et de l'Etat à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait du décès de M. A... E.... Par le jugement du 12 juillet 2022, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Les consorts E... font appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision (...) contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application ".

3. Les premiers juges pour écarter les moyens soulevés par les consorts E... ont suffisamment motivé leur jugement. En critiquant les contradictions supposées des motifs du jugement en cause, les appelants remettent en cause non sa régularité mais son bien-fondé. Un tel moyen tend en réalité à remettre en cause l'appréciation des premiers juges et ne peut être utilement soulevé à l'appui d'une contestation de la régularité du jugement. Par suite, le moyen tiré de ce qu'en motivant ainsi qu'ils l'ont fait leur décision, les premiers juges auraient entaché d'irrégularités leur jugement ne peut qu'être écarté.

4. En second lieu, il n'appartient pas au juge d'appel d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative attaquée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Par suite, les consorts E... ne peuvent utilement se prévaloir, pour contester la régularité du jugement attaqué, de la dénaturation des faits et de l'erreur de qualification juridique des faits que les premiers juges auraient commises.

Sur la prescription quadriennale :

5. Aux termes de l'article 7 de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " L'Administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. ". Il est constant que la prescription quadriennale n'a pas été opposée en première instance. Par suite, il ne saurait être fait droit à la prescription quadriennale opposée pour la première fois en appel par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par l'Etat :

6. Contrairement à ce qui est soutenu, les consorts E... ont introduit une demande indemnitaire le 16 mars 2020 auprès de l'Etat et de la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud par lettre recommandée avec AR dont les accusés réception sont produits dans la présente instance. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense ne saurait être accueillie.

En ce qui concerne la responsabilité :

S'agissant de la cause du dommage :

7. Il résulte de l'instruction que le 27 mars 2010 à 15 heures 25, qu'un avion léger de type bimoteur immatriculé s'est écrasé à l'aéroport Napoléon Bonaparte d'Ajaccio entre la clôture d'enceinte de la plateforme aéroportuaire et le seuil de la piste 20, causant le décès quelques heures plus tard du pilote, M. A... E.... Il a été constaté qu'un arbre situé dans l'axe d'approche de la piste n° 20 présentait en revanche un élagage d'environ 1,50 mètre au niveau de sa cime. Des résidus de végétaux et une trace d'impact étaient visibles sur l'aile gauche de l'appareil. La responsabilité pénale de la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud a été recherchée pour homicide involontaire. Dans le cadre de la procédure pénale dans laquelle les ayants droit de M. A... E... se sont portés partie civile, une ordonnance de non-lieu a été in fine rendue par le tribunal de grande instance de Bastia le 22 juin 2020, ordonnance confirmée par la Cour d'appel de Bastia le 14 avril 2021.

8. Les appelants font valoir qu'il résulte de la combinaison des dispositions des articles R. 241-1, D. 241-4, D. 242-7, D. 242-11 et D. 242-12 du code de l'aviation civile ainsi que de l'arrêté du 28 août 2003 relatif aux conditions d'homologation et aux procédures d'exploitation des aérodromes qu'il appartient à l'exploitant de l'aéroport, la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud, et aux services de la Direction générale de l'aviation civile de s'assurer que les surfaces de dégagements aéronautiques étaient libres de tout obstacle et que, dans l'hypothèse où des obstacles se situeraient sur les parcelles de propriétaires riverains, il appartient aux services de l'État de conclure une convention avec ces derniers afin de faire réaliser les travaux nécessaires et d'encadrer leurs délais d'exécution. Ils reprochent à ces deux entités de ne pas avoir entrepris les démarches nécessaires pour faire respecter la réglementation en vigueur ni mis en œuvre les actions tendant à préserver la zone de dégagement aéronautique et à enlever les obstacles dans ce périmètre.

9. D'une part, l'autorité de la chose jugée ne s'attache, pour ce qui concerne les juridictions pénales, qu'aux constatations de faits contenues dans leurs décisions et qui sont le support nécessaire des jugements répressifs. En outre, elle ne s'attache qu'aux décisions des juridictions qui statuent sur le fond de l'action publique. Tel n'est pas le cas des ordonnances de non-lieu que rendent les juges d'instruction, quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées.

10. D'autre part, il appartient au juge d'opérer un choix parmi toutes les conditions qui ont pu contribuer à la réalisation d'un dommage et de ne retenir comme causes que l'évènement qui, au moment où il s'est produit, portait normalement en lui le dommage.

11. Il résulte de l'instruction que l'avion piloté par M. E... a heurté au cours de la phase d'approche un arbre faisant partie d'un groupe d'arbres situés sur un terrain compris dans une zone de servitude aéronautique, en bout de piste 20, au niveau d'un centre équestre, ainsi que l'atteste le courrier adressé par la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud à la direction régionale des forêts le 27 novembre 2008 mentionnant des " arbres perçant les servitudes aéronautiques ", et signalant que certains de ces arbres sont situés en dehors du domaine de l'aéroport. Dans le listing joint à cette demande, l'arbre heurté par M. E... est l'arbre n° 44, arbre qui a été mesuré à une hauteur de 15,36 mètres.

S'agissant du lien de causalité :

12. Il résulte de l'instruction qu'aucun facteur météorologique, aucune défaillance mécanique de l'appareil, aucun défaut d'entretien, ni même aucune erreur de pilotage n'a pu être démontrée, " aucun élément de l'enquête n'ayant pu attester de telles circonstances ", ainsi que le précise l'arrêt de la chambre d'instruction de la Cour d'appel de Bastia rendu le 14 avril 2021. La hauteur d'approche ne peut être regardée comme une cause déterminante du crash, dès lors que rien n'indique que cette hauteur était insuffisante pour atteindre la piste et poser l'avion dans des conditions sécurisées. Il résulte de l'instruction que l'arbre heurté par l'avion piloté par M. E... n'aurait pas dû être sur sa trajectoire, quand bien même cette trajectoire n'était pas conforme aux recommandations d'approche. Il en résulte qu'avant la collision avec l'arbre, aucun facteur n'était de nature à provoquer de façon déterminante le crash de l'appareil. Il s'en déduit que cette collision a compromis l'atterrissage sécurisé et peut être regardée comme à l'origine du crash aérien.

13. Dans ces conditions, la présence de l'arbre doit être regardée comme une cause déterminante de l'accident et des préjudices qu'il en est résulté.

S'agissant de l'imputabilité de la faute :

14. L'article D. 242-11 du code de l'aviation civile, en vigueur au moment des faits dispose que : " Lorsque les servitudes instituées par le plan de dégagement impliquent soit la suppression ou la modification de bâtiments constituant des immeubles par nature, soit une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain, la mise en application des mesures correspondantes est subordonnée dans chaque cas à une décision du ministre chargé de l'aviation civile ou du ministre des armées. Cette décision est notifiée aux intéressés par l'ingénieur en chef du service des bases aériennes compétent, conformément à la procédure appliquée en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. / Les notifications comportent toutes précisions utiles sur les travaux à effectuer ainsi que sur les conditions dans lesquelles ils pourraient être exécutés. ".

15. Contrairement à ce que soutient la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud, si l'institution des servitudes aéronautiques et la possibilité d'imposer des travaux aux propriétaires de terrains grevés par ces servitudes incombent à l'Etat en application des dispositions précitées du code de l'aviation civile, il ne résulte pas de ces mêmes dispositions que l'entretien des servitudes incombent à l'Etat selon les mêmes modalités et procédures appliquées en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. Il résulte de l'instruction que si l'Etat a signalé à la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud que des arbres perçaient la servitude aéronautique dès 2007, il ne s'est pas assuré que ses signalements avaient été suivi d'effets. De l'autre côté, la chambre de commerce et d'industrie s'est bornée à écrire en 2008 un courrier à la direction régionale des forêts, laquelle lui a indiqué qu'elle n'était pas compétente et qu'il lui appartenait de contacter les propriétaires des terrains sur lesquels ces arbres perçant la servitude étaient implantés en joignant à sa lettre de réponse la liste de ces propriétaires. La chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud, en tant qu'exploitante de l'aéroport où a eu lieu l'accident ne saurait se retrancher derrière la circonstance que les terrains en cause se trouvaient en dehors de la zone aéroportuaire dès lors que certains des arbres implantés sur ces terrains perçaient la servitude aéronautique.

16. Il en résulte que les consorts E... sont fondés à rechercher la responsabilité solidaire de l'Etat et de la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud en raison de leur inertie à ne pas s'assurer que la servitude aéronautique était dégagée de tout obstacle sans que n'ait d'incidence la circonstance que le juge d'instruction du tribunal d'Ajaccio, saisi de l'information judiciaire dirigée contre la chambre de commerce et d'industrie de Corse, ait pris une ordonnance de non-lieu le 22 juin 2020, confirmée par la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Bastia par un arrêt en date du 14 avril 2021, ainsi que cela résulte des principes précisés au point 9 sur l'autorité de la chose jugée en matière pénale.

S'agissant des causes exonératoires :

17. Le ministre cherche à faire valoir que le comportement du pilote est de nature à exonérer l'Etat de toute responsabilité. Toutefois, aucune faute de pilotage n'a pu être établie par l'enquête et aucun élément au dossier ne permet de démontrer que le pilote aurait commis une erreur ou une imprudence. En tout état de cause, la perte d'altitude n'explique pas de façon déterminante l'accident. Par ailleurs, le ministre ne saurait davantage invoquer une quelconque faute du propriétaire du terrain dès lors qu'il n'appartenait qu'aux autorités publiques d'avertir les propriétaires des terrains sur lesquels se trouvent des arbres perçant les servitudes aéronautiques, de s'assurer qu'elles sont dégagées et au besoin de faire procéder au dégagement de ces servitudes. Il s'en déduit que le ministre n'est pas fondé à invoquer une quelconque faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité.

En ce qui concerne le droit à indemnisation :

S'agissant du préjudice patrimonial :

18. Le préjudice économique subi par une personne du fait du décès de son conjoint est constitué par la perte des revenus de la victime qui étaient consacrés à son entretien, compte tenu, le cas échéant, de ses propres revenus et déduction faite des prestations reçues en compensation. Ce préjudice est établi par référence à un pourcentage des revenus de la victime affecté à l'entretien de la famille.

Au plan du préjudice économique actuel de Mme E... :

19. Pour évaluer le préjudice économique actuel subi par Mme E..., il y a lieu d'évaluer les pertes de revenus subies par l'intéressée, d'une part, entre le décès de son conjoint, le 27 mars 2010 et le 14 mai 2020, date du départ probable à la retraite de son mari s'il était resté en vie, d'autre part, entre cette date et la date de départ à la retraite de Mme E... le 1er octobre 2020, et enfin, entre cette date et la date de lecture du présent arrêt. Pour chacune de ces périodes, il convient d'évaluer les revenus que percevait le ménage avant le décès de M. E..., de déduire de ce montant la part de ces revenus correspondant à la consommation personnelle du défunt et de comparer le solde aux revenus effectivement perçus par Mme E... après le décès de son époux.

Quant à la période allant du 27 mars 2010 au 14 mai 2020, date probable de départ à la retraite de M. E... :

20. Il résulte de l'instruction que le revenu du couple formé par M. et Mme E... s'est élevé en 2010 à 48 729 euros pour Monsieur et 56 721 euros pour Madame, soit un montant total de 105 450 euros. Dès lors qu'en 2010, les deux filles du couple étaient majeures, la part de consommation personnelle de M. A... E... ne saurait être inférieure à 30 %. Le solde est donc, après déduction de cette part, de 73 815 euros en 2010. Pour la période allant du 27 mars 2010, date du décès de son mari au 14 mai 2020, date probable du départ à la retraite de ce dernier s'il était resté en vie, le revenu disponible de Mme E... se serait donc élevé à environ 750 000 euros en l'absence de décès de son mari. Il résulte de l'instruction que, pour cette même période, Mme E... a perçu la somme de 705 000 euros, compte tenu de son revenu annuel de 56 721 euros et la somme annuelle de 12 570 euros au titre de la pension de réversion dont elle est bénéficiaire. Par conséquent, sa perte patrimoniale sur une période de près de dix années et demi peut être estimée à 45 000 euros, dont il y a lieu de déduire le montant du capital décès qu'elle a perçu en 2010 à hauteur de 17 297,50 euros. Ainsi, son préjudice économique pour la période allant du 27 mars 2010, date du décès de son mari, au 14 mai 2020, date probable de départ à la retraite de ce dernier, peut être évalué à 28 000 euros.

Quant à la période allant du 15 mai 2020, date probable de départ à la retraite de M. E... au 1er octobre 2020, date de départ effectif à la retraite de Mme E... :

21. Les revenus, dont auraient disposé les époux E..., pour cette période du 15 mai 2020 au 1er octobre 2020, compte tenu du départ à la retraite de Monsieur peuvent être calculés à partir de la somme globale annuelle de 93 000 euros, résultant de l'addition du montant de la pension de Monsieur qui peut être estimée à 36 000 euros et du montant des revenus de Madame, soit 56 721 euros. Après déduction de la part de 30 % de consommation personnelle de son mari fixée au point précédent, les revenus pour la période considérée peuvent être estimés à 25 000 euros. Il résulte de l'instruction que Mme E... a perçu pour cette période son traitement ainsi que la pension de réversion de son défunt mari à hauteur de 26 500 euros. Il s'en déduit l'absence de préjudice économique la période allant du 15 mai 2020, date probable de départ à la retraite de M. E... au 1er octobre 2020, date de départ effectif à la retraite de Mme E....

Quant à la période allant du 2 octobre 2020 à la date de lecture du présent arrêt :

22. Les revenus annuels dont aurait disposé Mme E..., compte tenu de son départ à la retraite et celui de son époux peuvent être estimés à la somme de 78 000 euros, soit 36 000 euros au titre de la pension de Monsieur et 42 000 euros, au titre de la pension de Madame et donc à la somme de 55 000 euros, après déduction de la part de 30 % de consommation personnelle de son mari. Il s'ensuit que pour la période considérée, les revenus dont auraient pu bénéficier les époux E... si M. E... était resté en vie peuvent être estimés à 200 000 euros. Il résulte de l'instruction que Mme E... a perçu sa pension de retraite d'un montant annuel de 42 000 euros ainsi que la pension de réversion, d'un montant annuel de 12 570, soit pour la période considérée, un total de 200 000 euros. Il en résulte que Mme E... ne peut être regardée comme ayant subi un quelconque préjudice économique.

Au plan du préjudice économique futur de Mme E... :

23. Comme indiqué au point précédent, le revenu annuel du foyer compte tenu de leurs départs respectifs à la retraite et après déduction de la part de consommation personnelle de M. E... peut être estimé à 55 000 euros. Il résulte de l'instruction que Mme E... peut compter pouvoir disposer de revenus annuels à hauteur de 55 000 euros, composés de sa pension et de la pension de réversion de son époux. Il en résulte que Mme E... ne peut être regardée comme étant susceptible de subir un quelconque préjudice économique futur.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux :

Quant au préjudice d'affection :

24. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'affection subi par Mme E... du fait du décès de son mari à hauteur de 20 000 euros, du préjudice d'affection subi par Mmes G... et F... E... du fait du décès de leur père en leur octroyant 10 000 euros à chacune et enfin, une somme de 5 000 euros à M. B... E..., frère de la victime, au titre de son préjudice d'affection.

Quant au préjudice d'angoisse :

25. Il résulte de l'instruction que M. E... retrouvé inconscient est mort quelques heures plus tard après le crash de son avion et qu'il a ainsi subi une souffrance morale du fait de la perception d'une mort imminente quand il a heurté un arbre avant de s'écraser au sol. Par suite, son préjudice d'angoisse peut être évalué à 5 000 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

26. La somme que l'Etat et la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud sont condamnés à verser aux consorts E... portera intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2020, date de réception de la demande indemnitaire des consorts E....

27. La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. La capitalisation des intérêts a été demandée le 18 juillet 2020. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 18 juillet 2021, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article L. 1343-2 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande.

Sur les frais liés au litige :

28. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud contre les consorts E... qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante.

29. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros à verser aux consorts E... en application de ces dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : L'Etat et la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud sont solidairement condamnés à verser à Mme I... E... au titre de ses préjudices et de celui de son défunt époux, une somme de 53 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2020.

Article 2 : L'Etat et la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud sont solidairement condamnés à verser respectivement à Mme G... E... et à Mme F... E... au titre de leur préjudice une somme de 10 000 euros chacune, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2020.

Article 3 : L'Etat et la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud sont solidairement condamnés à verser à M. B... E... au titre de son préjudice une somme de 5 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 19 mars 2020.

Article 4 : Les intérêts dus sur la période précitée seront capitalisés à compter du 18 juillet 2021, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Article 5 : L'Etat versera aux consorts E... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions de la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I... E..., en tant que représentante unique désignée en application des dispositions de l'article R. 411-5 du code de justice administrative, à la chambre de commerce et d'industrie de Corse du Sud et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et solidaire.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 juin 2024.

2

No 22MA02459


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02459
Date de la décision : 03/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute - Application d'un régime de faute simple.

Travaux publics - Différentes catégories de dommages - Dommages survenus sur les aérodromes - dans les ports - sur les canaux et dans les voies navigables - Aérodromes.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : CESARI

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-03;22ma02459 ?
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