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27/05/2024 | FRANCE | N°22MA02447

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 27 mai 2024, 22MA02447


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Les associations Agir pour la Crau, Nature et citoyenneté Crau Camargue Alpilles (NACICCA) et France nature environnement Bouches-du-Rhône (FNE 13) ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 18 septembre 2019 autorisant la SARL Logiprest à exploiter deux entrepôts couverts, nommés " SMC 6 " et " SMC 7 ", sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Crau.



Par un jugement n° 2000503 du 7 j

uillet 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 18 septembre 2019 en tan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Les associations Agir pour la Crau, Nature et citoyenneté Crau Camargue Alpilles (NACICCA) et France nature environnement Bouches-du-Rhône (FNE 13) ont demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 18 septembre 2019 autorisant la SARL Logiprest à exploiter deux entrepôts couverts, nommés " SMC 6 " et " SMC 7 ", sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Crau.

Par un jugement n° 2000503 du 7 juillet 2022, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 18 septembre 2019 en tant qu'il vaut dérogation aux interdictions prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement et en a suspendu l'exécution en ce qu'il autorise le projet au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 septembre 2022 et 15 décembre 2023, la SARL Logiprest, représentée par Me Illouz, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2022 ;

2°) de condamner les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13 au paiement de la somme de 10 000 euros pour recours abusif en application des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge desdites associations une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le projet s'inscrit dans la politique publique nationale de développement du secteur logistique en France et sur un site exclusivement dédié à ce secteur depuis de nombreuses années ; les intérêts socio-économiques en jeu, en termes de création d'emplois pérennes sur le territoire communal, dans un bassin d'emploi en difficulté, l'emportent sur les faibles impacts à l'environnement, tels qu'ils ressortent principalement de l'étude d'impact réalisée en décembre 2018 ; il ne fait pas sens de se référer à une étude d'impact antérieure ; dès lors, l'intérêt public majeur doit être reconnu ;

- les moyens présentés par les associations, qui n'ont pas été retenus par les premiers juges, ne sont pas fondés ;

- les recours répétitifs de ces dernières, comportant des arguments contradictoires et imprécis, lui portent préjudice, ne s'expliquent que par leur volonté de nuire ; une condamnation sur le fondement de l'article R. 741-12 du code de justice administrative est justifiée.

Par un mémoire, enregistré le 28 juillet 2023, les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13, représentées par Me Victoria, demandent à la Cour :

1°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement du 7 juillet 2022 en tant qu'il n'annule pas l'arrêté du 18 septembre 2019 dans son ensemble ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions de la requête ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la SARL Logiprest une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l'évaluation environnementale est insuffisante car elle ne tient pas compte de l'état initial de l'environnement, avant réalisation d'une partie du projet permise par un précédent arrêté qui a été annulé, ni dès lors de toutes les incidences du projet dans son ensemble ; cette insuffisance a une incidence sur la teneur de l'étude et ses conclusions ;

- le projet porte une atteinte significative aux intérêts protégés par les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement ; il a un impact fort sur plusieurs espèces et sur des habitats, ainsi sur la fonctionnalité écologique globale de la zone ; les mesures de réduction et de compensation sont insuffisantes ;

- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève ;

- en tout état de cause l'autre condition à l'obtention d'une dérogation aux interdictions fixées par l'article L. 411-1 du code de l'environnement que celle tenant à l'existence d'un motif impératif d'intérêt public majeur, à savoir l'absence d'autre solution satisfaisante, n'est pas réunie.

Une ordonnance, portant clôture immédiate de l'instruction, a été prise le 11 mars 2024.

Un mémoire, présenté par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, a été enregistré le 13 mars 2024 postérieurement à la clôture et n'a pas été communiqué.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la SARL Logiprest n'étant pas soumise à l'obligation de demander une dérogation au sens des dispositions des articles L. 411-1 et L. 411-2 du code de l'environnement dès lors que le projet ne présente pas un risque suffisamment caractérisé pour les espèces protégées, l'arrêté litigieux revêt, en tant qu'il délivre une telle dérogation, un caractère superfétatoire rendant irrecevables les conclusions tendant, dans cette mesure, à son annulation.

Des observations, en réponse au moyen relevé d'office, ont été enregistrées et communiquées, pour les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13 les 30 avril et 3 mai 2024, et pour la SARL Logiprest, les 2 et 6 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Poullain,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Illouz, représentant la SARL Logiprest, et de Me Victoria, représentant les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté en date du 25 janvier 2013 pris au titre la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, le préfet des Bouches-du-Rhône a autorisé la société Logiprest à exploiter une installation de stockage de matières, produits ou substances combustibles d'une capacité maximale de 1 677 600 m3 sur le territoire de la commune de Saint-Martin-de-Crau, dans la zone industrielle du Bois de Leuze, sous forme de deux bâtiments dénommés " SMC 6 " et " SMC 7 ". Parallèlement, par deux arrêtés respectivement des 18 et 20 juillet 2012, la ministre chargée de l'environnement et le préfet des Bouches-du-Rhône ont délivré à la SCI Boussard sud, aux droits de laquelle vient la société Logiprest, des dérogations aux interdictions de destruction et de perturbation des espèces protégées et de leurs habitats. A la demande des associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13, par jugement du 12 janvier 2017, le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 25 janvier 2013 portant autorisation d'exploiter. Par un arrêt du 12 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté les appels formés par la société Logiprest et le ministre de la transition écologique et solidaire contre ce jugement. La société Logiprest et le ministre se sont pourvus en cassation contre cet arrêt que le Conseil d'Etat a annulé par une décision du 31 mai 2021. A nouveau saisie du litige sur renvoi, la cour administrative d'appel de Marseille a constaté, par un arrêt du 31 décembre 2021 que, le préfet des Bouches-du-Rhône ayant, par un arrêté du 18 septembre 2019, accordé à la société Logiprest une autorisation environnementale relative à l'exploitation de deux entrepôts couverts nommés " SMC 6 " et " SMC 7 ", définissant entièrement les conditions d'exploitation de ces installations et abrogeant implicitement l'arrêté du 25 janvier 2013, il n'y avait plus lieu de statuer sur les requêtes de la société Logiprest et du ministre.

2. Dans la présente instance, la société Logiprest relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 juillet 2022, annulant l'arrêté du 18 septembre 2019 en tant qu'il vaut dérogation aux interdictions prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement et suspendant son exécution en ce qu'il autorise le projet au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement. Les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13 demandent, par la voie de l'appel incident, l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en ce qu'il autorise le projet au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les conclusions d'appel incident et l'autorisation au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement :

S'agissant de la teneur de l'étude d'impact :

3. Conformément aux objectifs poursuivis par la directive 2014/52/UE, modifiant la directive 2011/92/UE concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, l'impact des projets sur l'environnement doit être apprécié dans son ensemble. Ainsi, aux termes du dernier alinéa du IV de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, dans sa version applicable, lorsqu'un projet soumis à autorisation environnementale " est constitué de plusieurs travaux, installations, ouvrages ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage, il doit être appréhendé dans son ensemble, y compris en cas de fractionnement dans le temps et dans l'espace et en cas de multiplicité de maîtres d'ouvrage, afin que ses incidences sur l'environnement soient évaluées dans leur globalité ". Aux termes de l'article L. 122-1-1 du même code, dans sa version alors en vigueur : " I.- L'autorité compétente pour autoriser un projet soumis à évaluation environnementale prend en considération l'étude d'impact, l'avis des autorités mentionnées au V de l'article L. 122-1 ainsi que le résultat de la consultation du public et, le cas échéant, des consultations transfrontières. / La décision de l'autorité compétente est motivée au regard des incidences notables du projet sur l'environnement. Elle précise les prescriptions que devra respecter le maître d'ouvrage ainsi que les mesures et caractéristiques du projet destinées à éviter les incidences négatives notables, réduire celles qui ne peuvent être évitées et compenser celles qui ne peuvent être évitées ni réduites. Elle précise également les modalités du suivi des incidences du projet sur l'environnement ou la santé humaine. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 122-5 du même code, dans sa version applicable : " I. - Le contenu de l'étude d'impact est proportionné à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, installations, ouvrages, ou autres interventions dans le milieu naturel ou le paysage projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine. / II - (...) l'étude d'impact comporte les éléments suivants, en fonction des caractéristiques spécifiques du projet et du type d'incidences sur l'environnement qu'il est susceptible de produire : (...) / 3° Une description des aspects pertinents de l'état actuel de l'environnement, dénommée "scénario de référence", et de leur évolution en cas de mise en œuvre du projet ainsi qu'un aperçu de l'évolution probable de l'environnement en l'absence de mise en œuvre du projet, dans la mesure où les changements naturels par rapport au scénario de référence peuvent être évalués moyennant un effort raisonnable sur la base des informations environnementales et des connaissances scientifiques disponibles ; / (...) ".

4. Il appartient au juge du plein contentieux des autorisations environnementales d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de l'autorisation. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances d'une étude d'impact ne sont susceptibles de vicier la procédure et donc d'entraîner l'illégalité de la décision prise au vu de cette étude que si elles ont pu avoir pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

5. Il résulte de la combinaison des dispositions citées ci-dessus que l'étude d'impact, qui est proportionnée à la sensibilité environnementale de la zone susceptible d'être affectée par le projet, à l'importance et la nature des travaux, ouvrages et aménagements projetés et à leurs incidences prévisibles sur l'environnement ou la santé humaine, doit comporter une description des aspects pertinents de l'état actuel de l'environnement. Dans la mesure où l'autorisation environnementale est évolutive et doit prendre en compte les changements qui interviennent dans une exploitation, cet état est nécessairement celui qui résulte des travaux déjà exécutés lorsque la réalisation du projet a été engagée sur la base d'une précédente autorisation annulée ou abrogée.

6. En l'espèce, ainsi qu'il a été exposé au point 1 ci-dessus, l'installation de stockage de matières, produits ou substances combustibles projetée, sous forme de deux bâtiments dénommés " SMC 6 " et " SMC 7 ", constitue un seul projet, quand bien-même une partie des travaux a été exécutée sur la base des arrêtés des 18 et 20 juillet 2012 et de l'arrêté du 25 janvier 2013 abrogé, notamment 6 des 9 cellules constituant le bâtiment " SMC 6 " et 3 des 8 cellules constituant le bâtiment " SMC 7 ". Toutefois, il résulte des principes qui viennent d'être énoncés que le préfet devait apprécier la situation de fait à la date de la délivrance de l'autorisation litigieuse, le 18 septembre 2019, en tenant compte des travaux déjà exécutés et de l'état actuel de l'environnement.

7. Dès lors, les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13, ne sont pas fondées à soutenir que l'étude d'impact réalisée est insuffisante en ce qu'elle décrit un " scénario de référence " tel qu'il résulte des constructions et aménagements déjà effectués sur le site à la date de délivrance de l'autorisation litigieuse, notamment en vertu de l'arrêté du 25 janvier 2013 abrogé, et détermine au regard de cet état l'impact du projet.

S'agissant de l'atteinte aux intérêts protégés par les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement :

8. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients ... pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code, relatif à l'autorisation environnementale : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 181-3 du même code : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 (...) / II. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent également : / (...) / 4° Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ; / (...) ". En vertu du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, " lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats ", sont notamment interdites la destruction et la perturbation intentionnelle des espèces animales protégées, la destruction de végétaux protégés ainsi que la destruction, l'altération ou la dégradation de leurs habitats. Toutefois, les dispositions du 4° du I de l'article L. 411-2 du même code permettent de déroger à ces interdictions dans les strictes conditions qu'elles précisent, parmi lesquelles figure dans tous les cas celle que " la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ".

9. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation environnementale délivrée en application de l'article L. 512-1 du code de l'environnement des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour ces intérêts. Par ailleurs, il résulte de la combinaison des dispositions citées ci-dessus que lorsque la construction et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement nécessite la délivrance d'une dérogation au titre de l'article L. 411-2 du même code, les conditions d'octroi de cette dérogation contribuent à l'objectif de protection de la nature mentionné à son article L. 511-1. Pour autant, lorsqu'elles lui apparaissent nécessaires pour assurer la protection des intérêts mentionnés à cet article, le préfet doit assortir l'autorisation environnementale qu'il délivre de prescriptions additionnelles. A cet égard, ce n'est que dans le cas où il estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation environnementale est sollicitée, que même l'édiction de telles prescriptions additionnelles ne permet pas d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, qu'il ne peut légalement délivrer cette autorisation.

10. En premier lieu, aux termes des arrêtés des 18 et 20 juillet 2012, dont la légalité n'a pas été contestée et qui sont devenus définitifs, le projet de plate-forme logistique en litige a fait l'objet de dérogations à la protection des espèces, et il n'est pas contesté qu'à la date de l'édiction de l'arrêté en litige, les mesures d'évitement, de réduction et d'accompagnement prescrites avaient été mises en œuvre à hauteur de l'avancement du projet de même que la mesure de compensation concernant notamment le lézard ocellé, l'outarde canepetière, l'œdicnème criard, le cochevis huppé, le bruant proyer et la pipistrelle pygmée. Dès lors, les associations ne sauraient se prévaloir des effets qu'ont pu avoir les premiers travaux, conduits durant la période de validité de ces arrêtés, sur la présence de ces espèces sur le site litigieux, pour critiquer l'autorisation nouvelle délivrée afin de permettre l'achèvement et l'exploitation des entrepôts.

11. S'agissant du lézard ocellé, il ressort de l'étude d'impact réalisée en 2018 que l'espèce ne fréquente, après la première vague de travaux, que les talus du bassin d'infiltration artificiel situé à l'ouest du terrain, dont les conditions de gite, d'insolation et d'accès aux ressources sont favorables. Cette zone est totalement évitée par l'emprise des travaux restant à conduire. Par ailleurs, le projet prévoit l'installation de gîtes rupestres en faveur de l'espèce notamment, par amoncellement de blocs rocheux en périphérie du bassin, ainsi qu'un entretien manuel des talus correspondants. En outre, est prévue une mesure d'accompagnement, qui consiste à déplacer des arbres situés à proximité du bassin de rétention afin de maximiser l'ensoleillement de ses abords fréquentés par l'espèce thermophile. Ainsi, l'impact de la dernière phase de travaux sur l'espèce est estimé très faible après prise en compte de ces différentes mesures.

12. Si le site était également notamment un lieu de reproduction pour l'outarde canepetière, l'espèce n'y est plus visible depuis que la première tranche de travaux a été réalisée. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la finalisation du projet n'est pas susceptible d'avoir un effet significatif sur l'avifaune protégée. Si le petit gravelot, l'œdicnème criard, le cochevis huppé et le bruant proyer se sont notamment installés de façon opportuniste après décapage du terrain, à raison de quelques couples, des mesures, prévoyant l'adaptation du calendrier des travaux et le maintien d'un espace d'habitat favorable sur la zone d'emprise, via l'installation d'une gravière et une plantation de haies, sont prévues. L'impact résiduel est ainsi évalué comme faible pour ces quatre espèces et très faible pour l'ensemble des autres.

13. S'il est prétendu que le site serait un corridor naturel et un lieu de transit et de chasse pour les populations de chiroptères environnantes, il ressort de l'étude d'impact qu'il ne présente, vu sa situation, à proximité immédiate de la voie ferrée, et sa configuration, qu'un intérêt faible à cet égard, limité à la partie sud-ouest du terrain, correspondant au bassin artificiel et à une lisière d'arbres, hors la zone d'emprise des derniers travaux à entreprendre. En outre, le projet prévoit de compléter la haie de chênes verts existante sur trois des quatre côtés du site, par une haie composée de trois rangs de végétaux.

14. En deuxième lieu, les associations relèvent que le terrain d'assiette du projet accueillait, dans l'emprise même des entrepôts, une population remarquable de bupreste de Crau, qui est une espèce de coléoptère endémique. Cette espèce ne fait toutefois pas l'objet d'une protection réglementaire et il ne résulte pas de l'instruction que son état de conservation serait inquiétant. Par ailleurs, si l'impact du projet sur l'espèce était évalué comme fort avant toute réalisation de travaux et si la mesure de compensation mise en œuvre en application des arrêtés des 18 et 20 juillet 2012, consistant en l'acquisition de terrains faisant l'objet d'une restauration et d'une gestion écologique de superficie équivalente sur la plaine de la Crau, n'a pas été identifiée réglementairement comme concernant cette espèce, dès lors qu'elle n'est pas protégée, il ressort de l'étude d'impact réalisée en 2011 que cette mesure visait également à compenser l'impact du projet sur cette population qui exploite le même type d'habitat que les espèces protégées concernées. Par ailleurs, ainsi que le relèvent les associations, la première phase du chantier a entrainé la raréfaction, mais non la disparition du bupreste de Crau sur le site. L'impact de la 2ème phase de travaux est caractérisé de modéré avant la mise en œuvre de la mesure d'évitement prévue, et de faible à son issue. Si elles soutiennent que cette mesure, consistant à éviter une partie de la zone d'implantation du projet en délimitant une zone de non-intervention au nord de celui-ci, correspondant à celle de la présence du Bupreste de Crau notamment, était déjà prévue dans la première étude d'impact, il n'en résulte en tout état de cause pas qu'elle serait dépourvue d'efficacité. Par ailleurs, une étude, dédiée à l'espèce, a également été prévue.

15. En troisième lieu, enfin, si les associations font valoir qu'avant la réalisation des travaux, le site était doté d'une fonctionnalité écologique globale, il est constant que le terrain d'assiette se trouvait dans une zone déjà industrialisée ou en friche, largement enclavée par diverses infrastructures de transport et échappant à tout classement protecteur au titre de l'environnement et de la biodiversité en particulier. Dès lors, il ne résulte pas de l'instruction que la perte de la fonctionnalité qui était la sienne n'aurait pas été, de façon globale, suffisamment compensée par les mesures prises en vertu des arrêtés des 18 et 20 juillet 2012. La circonstance que le site de compensation, de surface équivalente, soit situé à une certaine distance de l'emprise du projet est à cet égard sans incidence, tandis que les associations ne soutiennent pas que la fonctionnalité écologique de son emprise n'irait pas au-delà de celle-ci, comme elles prétendent que tel était le cas pour le site litigieux. Par ailleurs, l'étude d'impact conduite en 2018 indique, sans que cela ne soit contredit, que la zone d'étude s'inscrit désormais dans un contexte paysager et écologique réduit, peu connectée avec les zones agricoles ou naturelles alentour, et dont le caractère rudéralisé ne permet pas de lui rattacher un rôle écologique fonctionnel au titre de réservoir ou de corridor.

16. L'autorisation litigieuse prescrit, en son titre 11, les mesures d'évitement, de réduction, de suivi et d'accompagnement proposées par le pétitionnaire. Il résulte dès lors de l'ensemble de ce qui vient d'être exposé des points 10 à 15 que l'arrêté du 18 septembre 2019 permet d'assurer la conformité de l'exploitation aux dispositions de l'article L. 511-1 du même code, sans qu'il puisse être fait grief au préfet, même au regard des travaux déjà accomplis à la date de son édiction, de ne pas avoir assorti celui-ci de prescriptions complémentaires.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13 ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 18 septembre 2019 en tant qu'il autorise le projet au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement.

En ce qui concerne les conclusions d'appel principal et la dérogation aux interdictions prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement :

18. Il résulte des dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement que la destruction ou la perturbation des espèces animales protégées, ainsi que la destruction ou la dégradation de leurs habitats, sont interdites. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, l'autorité administrative peut, en application du I de l'article L. 411-2 du même code, déroger à ces interdictions. Trois conditions distinctes et cumulatives doivent pour ce faire être remplies, tenant d'une part, à l'absence de solution alternative satisfaisante, d'autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l'un des cinq motifs limitativement énumérés et parmi lesquels figure le fait que le projet réponde, par sa nature et compte tenu des intérêts économiques et sociaux en jeu, à une raison impérative d'intérêt public majeur.

19. Le système de protection des espèces résultant des dispositions citées ci-dessus, qui concerne les espèces de mammifères terrestres et d'oiseaux figurant sur les listes fixées par les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009, impose d'examiner si l'obtention d'une dérogation est nécessaire dès lors que des spécimens de l'espèce concernée sont présents dans la zone du projet, sans que l'applicabilité du régime de protection dépende, à ce stade, ni du nombre de ces spécimens, ni de l'état de conservation des espèces protégées présentes.

20. Le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ".

21. En l'espèce, si, sur le fondement de ces dispositions, l'arrêté en litige déroge pour cinq ans à l'interdiction de destructions de spécimens et d'habitats de trente espèces animales protégées, il résulte cependant de l'étude d'impact jointe au dossier que l'impact résiduel du projet, après mesures d'évitement et de réduction, a été évalué comme " faible " pour quatre espèces, et " très faible " pour le reste du cortège.

22. Si les associations font valoir que l'étude d'impact réalisée avant la première tranche de travaux évaluait l'impact brut et résiduel du projet sur l'oedicnème criard de modéré alors qu'un seul couple avait été identifié sur la zone, il n'en résulte pas que les conclusions de la nouvelle étude d'impact, qui concerne une zone d'étude bien plus réduite quand bien même deux ou trois couples ont été observés, seraient erronées en ce qu'elles relèvent un impact résiduel faible pour cette espèce. A supposer, ainsi que les associations le soutiennent, que la mesure consistant à maintenir un espace d'habitat favorable sur la zone d'emprise, via l'installation d'une gravière, relève d'une mesure de compensation, et non d'une mesure de réduction, et qu'il ne faille dès lors pas la prendre en compte pour déterminer si l'obtention d'une dérogation " espèces protégées " est nécessaire, il ressort du dossier de demande que l'impact résiduel du projet sur cette espèce et sur le petit gravelot peut être évalué comme faible du seul fait de la mesure d'adaptation du calendrier des travaux. En effet, il n'est pas contesté que tout risque de destruction de spécimen ou de nid est évité dès lors que les travaux sont conduits en dehors de la période de nidification de ces espèces. Par ailleurs, les espaces d'habitat, qui eux seront effectivement détruits avec certitude, sont des zones remaniées à l'issue de la première tranche de travaux, exploitées de façon opportuniste par ces couples, alors que l'état des espaces voisins similaires est favorable à leur présence. Dès lors, et quand bien même cette destruction va occasionner un phénomène de compétition sur ceux-ci, il n'apparait pas, eu égard notamment au faible nombre de couples concernés, que le bon accomplissement des cycles biologiques serait remis en cause de telle sorte que les dispositions du II de l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009, qui n'interdisent la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos de ces oiseaux que dans cette hypothèse, seraient méconnues et qu'un impact sur ces espèces serait à cet égard certain, ou même à craindre.

23. Ainsi, il résulte de l'instruction que le projet ne présente pas un risque suffisamment caractérisé pour les espèces protégées, justifiant que la SARL Logiprest soit soumise à l'obligation de demander une dérogation aux interdictions prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement. Dès lors, l'arrêté litigieux, en tant qu'il délivre une telle dérogation, présente un caractère superfétatoire. Par suite la demande présentée devant le tribunal administratif tendant à son annulation n'était, dans cette mesure, pas recevable.

24. Il résulte de tout ce qui précède la SARL Logiprest est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 18 septembre 2019 en tant qu'il vaut dérogation aux interdictions prévues à l'article L. 411-1 du code de l'environnement. Par voie de conséquence, c'est également à tort que les premiers juges ont suspendu cet arrêté en ce qu'il autorise le projet au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement.

Sur les conclusions de la SARL Logiprest présentées sur le fondement de l'article L. 741-12 du code de justice administrative et les frais de l'instance :

25. D'une part, aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de la SARL Logiprest tendant à ce que les associations Agir pour la Crau, NACICCA et FNE 13 soient condamnées à une telle amende ne sont pas recevables.

26. D'autre part, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au bénéfice de l'une quelconque des parties.

D É C I D E :

Article 1er : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 juillet 2022 sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Logiprest, à l'association Agir pour la Crau, à l'association Nature et citoyenneté Crau Camargue Alpilles (NACICCA), à l'association France nature environnement Bouches-du-Rhône (FNE 13) et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Poullain, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 mai 2024.

2

N° 22MA02447


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02447
Date de la décision : 27/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Régime juridique - Actes affectant le régime juridique des installations - Première mise en service.

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Règles de procédure contentieuse spéciales - Pouvoirs du juge.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Caroline POULLAIN
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : REED SMITH LLP

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-27;22ma02447 ?
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