Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse C... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 17 novembre 2022 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours mentionnant le pays de destination.
Par un jugement n° 2300719 du 17 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 8 juin 2023, Mme B..., représentée par Me Iglesias, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 17 mai 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité ;
3°) à titre principal d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône, sur le fondement des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative, de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois sous une astreinte de 200 euros par jour de retard, et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa demande, dans le délai de deux mois sous une astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de première instance est recevable alors que c'est seulement le 17 janvier 2023 qu'elle a eu connaissance de l'arrêté attaqué daté du 17 novembre 2022 ;
- le refus de séjour est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté a été pris sans examen préalable de sa situation personnelle ;
- il méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision attaquée porte atteinte à sa vie privée et familiale au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle remplissait les conditions de la circulaire Valls ;
- la décision attaquée méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le refus de séjour est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la mesure d'éloignement est illégale, par voie de conséquence de l'illégalité du refus de séjour.
Le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas produit de mémoire en défense.
Un courrier du 16 novembre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 10 avril 2024.
Par une décision du 26 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a rejeté la demande d'aide juridictionnelle de Mme B....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- et les observations de Me Iglesias, pour Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Par arrêté du 17 novembre 2022, le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté la demande de titre de séjour que lui avait présentée le 25 janvier 2022 Mme B..., épouse C..., ressortissante algérienne, sur le fondement de sa vie privée et familiale et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Mme B... relève appel du jugement du 17 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Mme B... soutient être arrivée en France en 2016 pour fuir son mari qui exerçait sur elle des violences physiques et psychologiques et s'y être maintenue depuis avec ses deux enfants mineurs nés en Algérie en 2012 et en France en 2016, qu'elle élève seule. Elle justifie, par la production de cartes d'admission à l'aide médicale d'Etat pour les années 2016, 2019, 2020 et 2021 et des certificats de scolarisation de ses enfants être présente en France depuis 2016, soit depuis six ans à la date de la décision attaquée. Il ressort des pièces du dossier que sa mère, dont elle soutient qu'elle était une aide précieuse face aux violences conjugales dont elle était l'objet, est décédée en 2015 et qu'un de ses frères, marié à une ressortissante française, est en situation régulière en France. La requérante fait en outre valoir ne plus avoir d'attaches avec son pays d'origine dans lequel son dernier enfant n'a jamais vécu alors que son père a refait sa vie et qu'elle n'a plus de contact avec les autres membres de sa fratrie. Elle justifie par ailleurs s'être insérée socialement par la production de plusieurs attestations très favorables d'amis et de voisins, ainsi que de l'entraineur de football de ses enfants. Elle est de plus bénévole au sein du Secours Populaire Français depuis plusieurs années. Par suite, eu égard notamment à la durée de présence de l'intéressée et à sa situation de parent isolée, la requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'ensemble des moyens de la requête, Mme B..., épouse C..., est fondée à demander l'annulation de l'arrêté attaqué.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant d'un délai d'exécution. ". Et selon l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ". Enfin, l'article L. 911-3 du même code dispose que : " Saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut assortir, dans la même décision, l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte qu'elle prononce dans les conditions prévues au présent livre et dont elle fixe la date d'effet. ".
6. Eu égard aux motifs du présent arrêt, son exécution entraîne nécessairement la délivrance à l'intéressée d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme B... ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, ce qui implique qu'elle soit mise en possession dans ce délai, non d'un simple récépissé mais dudit titre valable, au plus tôt, à compter de la date du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés à l'instance :
7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2300719 du tribunal administratif de Marseille du 17 mai 2023 et l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 17 novembre 2022 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer à Mme B... épouse C... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et suivant les modalités précisées dans les motifs sus indiqués.
Article 3 : L'Etat versera à Mme B... épouse C... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2024, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.
N° 23MA0147402