Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... D..., épouse C..., agissant en son nom personnel, en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, F... C..., et en sa qualité d'ayant-droit de son époux décédé, et M. A... C... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice à leur payer la somme de 495 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de leurs préjudices résultant des fautes commises par le service d'aide médicale urgente (SAMU) à l'origine du décès de M. A... C....
Par une ordonnance n° 2301247 du 14 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté la requête de Mme D... et de M. C....
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 30 novembre 2023, 8 janvier 2024 et 5 février 2024, Mme B... D..., épouse C..., agissant en son nom personnel, en sa qualité de représentante légale de son fils mineur, F... C..., et en sa qualité d'ayant-droit de son époux décédé, et M. A... C..., représentés par Me Mingasson, demandent à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 14 novembre 2023 ;
2°) de condamner le CHU de Nice à payer la somme totale de 495 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation définitive de leurs préjudices ;
3°) de mettre à la charge du CHU de Nice la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le CHU de Nice est le débiteur des fautes commises par le SAMU des Alpes-Maritimes ;
- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il subsistait des incertitudes sur les causes et l'heure du décès et que le lien de causalité entre les fautes du CHU de Nice et le décès de M. C... ne pouvait être établi avec un degré suffisant de certitude ;
- les fautes commises par le SAMU caractérisent l'existence d'une obligation non sérieusement contestable ;
- la note du docteur E... comporte des lacunes en ce qui concerne l'analyse de l'état de santé de M. C..., les questions posées à ce dernier par le SAMU, l'heure et les conditions de son décès ;
- ils sont fondés à solliciter l'indemnisation provisionnelle de leurs préjudices à hauteur d'une somme totale de 495 000 euros, en tenant compte d'un taux de perte de chance de 30 %, incluant les préjudices personnels de M. C... et ceux subis par Mme D..., M. F... C... et M. A... C... en leur qualité de victimes indirectes, à hauteur des sommes suivantes :
- les souffrances endurées par M. C... s'élèvent à 30 000 euros,
- les préjudices subis par Mme D... sont constitués des frais liés aux obsèques (4 885,42 euros), d'un préjudice d'accompagnement (10 000 euros), d'un préjudice d'affection (30 000 euros), d'un préjudice économique résultant des pertes de revenus du foyer (1 217 829,77 euros) et d'un préjudice financier du fait des crédits contractés (5 052,20 euros) ;
- les préjudices subis par M. F... C... sont constitués d'un préjudice d'affection (30 000 euros) et d'un préjudice économique (189 478,28 euros) ;
- les préjudices subis par M. A... C... sont constitués d'un préjudice d'affection (30 000 euros), d'un préjudice économique (98 130,79 euros) et d'un préjudice financier du fait des crédits contractés (4 865,04 euros).
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2023, l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par Me Fitoussi, demande à être mis hors de cause et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de toute partie perdante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir qu'il doit être mis hors de cause, le décès de M. C... étant lié uniquement à une faute du SAMU du CHU de Nice.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 janvier 2024, le CHU de Nice, représenté par la SELARL Le Prado-Gilbert, demande à la cour de rejeter la requête de Mme D... et de M. C....
Il fait valoir que :
- à titre principal, aucune faute n'est imputable au CHU de Nice, une erreur de diagnostic n'étant pas nécessairement fautive ; le lien de causalité entre la faute et le décès de M. C... ne peut être établi avec un degré de certitude suffisant ;
- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la responsabilité du CHU de Nice serait regardée comme non sérieusement contestable, il y a lieu de retenir un taux de perte de chance de 30 % ; les demandes indemnitaires présentées ne sont pas fondées dans leur principe et dans leur quantum.
Les parties ont été informées le 13 mars 2024, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'irrégularité de l'ordonnance en l'absence de mise en cause de la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes en première instance.
Mme D... et M. C... ont répondu à ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 14 mars 2024.
Le CHU de Nice a répondu à ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 14 mars 2024.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Boutroy représentant Mme D... et M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 août 2018, M. A... C..., né le 8 février 1961, a contacté à 13h37 le service d'aide médicale urgente (SAMU) du centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice en indiquant qu'il ressentait une douleur, à type de brûlures, dans la poitrine, ainsi qu'une céphalée. Le médecin régulateur a proposé à M. C... de consulter un médecin à Vence, puis M. C... faisant état de son état de fatigue, a orienté ce dernier vers une visite à domicile via le service de l'association des médecins de garde de Vence. M. C... a contacté à 13h47 la plateforme téléphonique de l'association qui a transmis sa demande à un médecin mais celle-ci n'est pas parvenue à le recontacter à deux reprises, à 14h19 et 14h23. Le lendemain, un voisin s'est rendu au domicile de M. C... et a découvert son corps sans vie.
2. La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, saisie par les ayants-droit de M. C..., a rendu, le 26 novembre 2021, un avis après expertise, qui a estimé que le SAMU du CHU de Nice avait commis des fautes à l'origine d'un retard de prise en charge et d'une perte de chance d'éviter le décès de M. C..., évaluée à 50 %. Mme D..., épouse de M. C..., agissant en son nom personnel, en sa qualité de représentant légal de son fils mineur, F... C..., et en sa qualité d'ayant-droit de son époux décédé, et M. A... C..., deuxième fils de M. C..., ont saisi le CHU de Nice par courrier du 27 décembre 2022 d'une demande indemnitaire préalable qui a été implicitement rejetée. Par ordonnance du 14 novembre 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande tendant à obtenir le versement d'une provision d'un montant de 495 000 euros, à valoir sur l'indemnisation définitive des préjudices résultant des fautes commises par le SAMU. Ceux-ci relèvent appel de cette ordonnance.
Sur la régularité de l'ordonnance :
3. Il ressort de l'examen du dossier de première instance et des mentions de l'ordonnance attaquée que la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, susceptible de faire valoir le paiement de certaines dépenses tel que le versement d'un capital décès aux ayants-droit, n'a pas été mise en cause par le tribunal administratif de Nice, contrairement aux dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Ladite ordonnance a dès lors été rendue à l'issue d'une procédure irrégulière, et doit, pour ce motif, être annulée.
4. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes de Mme D... et de M. C... devant le tribunal administratif de Nice.
Sur les conclusions tendant à l'allocation d'une provision :
En ce qui concerne la responsabilité du CHU de Nice :
5. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.".
6. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expertise prescrite par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux et de la retranscription de la conversation téléphonique entre le médecin régulateur du SAMU et M. C..., qui a appelé celui-ci à 13h37, que les douleurs thoraciques décrites par ce dernier, survenant sans effort, à type de brûlures, accompagnées de difficultés respiratoires, auraient dû conduire le médecin régulateur à envoyer immédiatement, conformément au guide d'aide à la régulation médicale édité par le SAMU de France, un moyen de secours médicalisé afin que soit réalisée une prise en charge médicale en urgence, et notamment un électrocardiogramme. Les manquements commis lors de cet interrogatoire sont ainsi à l'origine directe d'une erreur de diagnostic, le médecin régulateur ayant évoqué seulement la possibilité d'une bronchite, qui a conduit à ne pas engager les moyens d'urgence appropriés alors disponibles. A cet égard, la proposition du médecin régulateur faite à M. C... de consulter un médecin à Vence, avant de l'orienter, compte tenu de l'état de fatigue dont lui a fait part l'intéressé, vers une visite à domicile via le service de l'association des médecins de garde de Vence, que M. C... a contacté à 13h47, était inadaptée et insuffisante. Par suite, les manquements dans la prise en charge de l'appel de M. C... reçu par le SAMU, repris par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux dans son avis du 26 novembre 2021, sont de nature à engager la responsabilité du CHU de Nice.
7. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel survenu, mais la perte d'une chance d'éviter ce dommage. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
8. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, que l'heure du décès peut être estimée le 16 août 2018 entre 13h53, heure de la fin d'appel de M. C... à la plateforme du service des médecins de garde de Vence, et 14h19, heure à laquelle cette même plateforme a tenté de le joindre sans succès, ainsi qu'à 14h23. Le rapport précise que l'envoi d'un moyen de secours adapté dès 13h47 aurait permis une arrivée des secours au domicile de M. C... vers 14h05 - 14h07 au plus tôt, heure à laquelle il convient d'ajouter environ 5 à 10 minutes correspondant au temps d'accès au domicile et de recherche de M. C..., de mise en œuvre du diagnostic clinique de l'électrocardiogramme et de mise en place des défibrillateurs semi-automatiques. L'expert considère ainsi que l'arrivée des secours n'aurait pu être effective que vers 14h18, et précise, dans ces conditions, qu'une issue favorable de la prise en charge de M. C... serait restée " très incertaine ". Il ajoute que cette intervention aurait été " probablement trop tardive " et ceci " même dans l'hypothèse où l'évènement létal était en cours au moment de l'arrivée des secours ". Ces éléments ne sont pas sérieusement remis en cause par l'expertise du médecin conseil, cardiologue, de Mme D... datée du 29 septembre 2021, estimant que M. C..., qui a appelé son épouse à 13h54 pendant 3 minutes et 27 secondes, était probablement encore en vie au moins jusqu'à 14h28, au seul motif qu'il s'est habillé puis est allé, selon les recommandations du SAMU et de son épouse, ouvrir le portail extérieur et la porte de son domicile pour permettre l'arrivée du médecin de garde. Par ailleurs, si la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux a indiqué que la faute du SAMU de ne pas avoir envoyé un moyen de secours adéquat dès la fin de l'appel de M. C..., soit à 13h47, a fait perdre à ce dernier des chances de survie, évaluées à 50 %, elle confirme qu'il existe une incertitude sur la connaissance de l'heure exacte mais aussi de la cause du décès. A cet égard, il résulte de l'examen du médecin légiste, intervenu le 17 août 2018 sur les lieux du décès de M. C..., que le jour et l'heure du décès ont été estimés au 16 août 2018 à 20 heures, et non entre 13h53 et 14h19 comme le précise l'expertise. Le médecin conseil du CHU de Nice relève que l'estimation du décès à 20 heures ne repose sur aucune base scientifique recevable dès lors que le médecin légiste n'a pas mesuré la température du corps alors qu'elle constitue la seule technique fiable susceptible de donner une estimation précise de l'heure du décès. Par ailleurs, le compte-rendu d'autopsie du 31 août 2018 indique, comme le médecin légiste, qu'une mort naturelle est vraisemblable, résultant d'un syndrome asphyxique avec un œdème pulmonaire, alors que tant l'expert désigné par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux que le médecin conseil du CHU de Nice ont retenu une mort subite résultant d'un syndrome coronarien aigu avec trouble du rythme létal.
9. Il ressort de l'ensemble de ces éléments que la créance dont se prévalent les requérants sur le CHU de Nice, portant sur des questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi, ne revêt pas en l'état de l'instruction le caractère non sérieusement contestable justifiant l'allocation d'une provision.
10. Il résulte de ce qui précède que la demande de provision de Mme D... et de M. C... doit être rejetée.
Sur la demande de mise hors de cause de l'ONIAM :
11. Aucune conclusion n'étant dirigée contre l'ONIAM, sa demande de mise hors de cause doit être accueillie.
Sur la déclaration d'arrêt commun :
12. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes qui, régulièrement mise en cause dans la présente instance, n'a pas produit de mémoire.
Sur les frais liés au litige :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux demandes des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance du 14 novembre 2023 du juge des référés du tribunal administratif de Nice est annulée.
Article 2 : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 3 : La demande de provision de Mme D... et de M. C... est rejetée.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D..., épouse C..., à M. A... C..., au centre hospitalier de Nice, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mai 2024.
N° 23MA02856