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29/04/2024 | FRANCE | N°23MA01605

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 29 avril 2024, 23MA01605


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... Bousquet a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du 27 novembre 2020, par lesquels le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a décidé de son déplacement d'office à titre de sanction disciplinaire et l'a affecté au lycée professionnel René Caillé de Marseille à compter du 1er janvier 2021.



Par un jugement n° 2009995 du 2 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à sa demande.



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Procédure devant la Cour :



Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023, le ministre de l'éduca...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... Bousquet a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du 27 novembre 2020, par lesquels le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a décidé de son déplacement d'office à titre de sanction disciplinaire et l'a affecté au lycée professionnel René Caillé de Marseille à compter du 1er janvier 2021.

Par un jugement n° 2009995 du 2 mai 2023, le tribunal administratif de Marseille a fait droit à sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 27 juin 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 2 mai 2023 ;

2°) de rejeter les demandes de M. Bousquet.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la sanction de déplacement d'office infligée à M. Bousquet en raison de son refus d'obéissance était disproportionnée, les éléments sur lesquels il se sont fondés se révélant soit erronés, soit inopérants ;

- la circonstance selon laquelle M. Bousquet n'aurait pas persisté à refuser ses obligations, un fois la sanction exécutée, est postérieure à la sanction et reste sans incidence sur sa légalité.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2023, M. Bousquet, représenté par Me Guilmain, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 30 novembre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 31 janvier 2024, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'éducation ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;

- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 2012-2146 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,

- et les conclusions de M. François Point, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. Bousquet, conseiller d'administration scolaire et universitaire, agent comptable, était affecté au lycée Frédéric Joliot-Curie à Aubagne. Par deux arrêtés du 27 novembre 2020, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a décidé son déplacement d'office à titre de sanction disciplinaire et l'a affecté au lycée René Caillé à Marseille. M. Bousquet a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à l'annulation de ces arrêtés. Par le jugement du 2 mai 2023, le tribunal administratif a fait droit à sa demande. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

2. Aux termes de l'article 29 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. (...) ". Aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. (...) Deuxième groupe : (...) /- le déplacement d'office. (...) ".

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. Bousquet, attaché d'administration de l'Etat, était affecté en qualité d'agent comptable, adjoint gestionnaire, au sein du lycée Frédéric Joliot-Curie à Aubagne. Par un arrêté du 14 avril 2020, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille, a décidé que le groupement comptable rattaché à ce lycée comprendrait, à compter du 1er septembre 2020, deux établissements scolaires supplémentaires portant le nombre d'établissements gérés dans le cadre de ce groupement à sept. Par arrêté du 28 juillet 2020, la gestion comptable de ces sept établissements a été confiée, à compter de cette même date, à M. Bousquet. Ce dernier ayant refusé de se rendre aux remises de gestion comptable des deux nouveaux établissements prévus les 4, 9, 10 et 18 septembre 2020, une procédure disciplinaire a été enclenchée à son encontre. Compte tenu de ce refus d'obéir aux instructions qui lui avaient été données, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille a infligé à M. Bousquet, par arrêté du 27 novembre 2020, une sanction du deuxième groupe de déplacement d'office.

5. Pour considérer que la sanction infligée à M. Bousquet était disproportionnée, les premiers juges se sont fondés sur l'absence de sanction disciplinaire en vingt années d'exercice de ses fonctions, sur la tentative de l'intéressé de justifier son refus d'obéissance, sur sa demande de médiation à laquelle le rectorat n'aurait pas donné de suite, sur la nomination d'un comptable intérimaire pour la gestion des cinq établissements et non des sept qu'il était prévu de lui confier et enfin, sur l'absence de persistance de l'agent à refuser d'exercer ses obligations.

6. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que si, en raison du refus de M. Bousquet de prendre ses fonctions et d'assurer la gestion de l'ensemble des sept établissements, le rectorat a dû mettre en place un intérim et scinder la gestion de ces établissements en les confiant à deux agents, un agent comptable a, en définitive, été nommé par arrêté du 1er avril 2021 sur le groupement comptable rattaché au lycée Frédéric Joliot-Curie comprenant les sept établissements dont il était initialement prévu d'en confier la gestion à M. Bousquet. Par ailleurs, ni la circonstance que le rectorat n'aurait pas donné suite à la demande de médiation émanant de ce dernier qui ne portait, du reste, que sur la retenue opérée sur son salaire, ni la circonstance qu'il aurait tenté en vain d'expliquer les motifs de son refus, ne sont de nature à relativiser la gravité du refus d'obéissance commis par l'intéressé. Enfin, la seule circonstance que, postérieurement à la sanction infligée, le refus d'obéissance n'aurait pas persisté, ne saurait être prise en compte pour apprécier rétrospectivement le caractère proportionné de la sanction. Au surplus, il ne saurait être considéré que l'intéressé n'aurait pas persisté à refuser ses obligations dès lors que ces dernières ont dû être assumées dans un premier temps par deux agents par intérim, puis par un autre agent.

7. Dans ces conditions, la seule absence de précédente sanction disciplinaire n'est pas de nature à permettre de regarder la sanction infligée à M. Bousquet comme revêtant un caractère disproportionné. Eu égard à la nature des faits reprochés, le refus d'obéissance aux ordres de sa hiérarchie, et eu égard aux conséquences attachées au refus de M. Bousquet d'assister à la remise des gestions comptables de deux établissements supplémentaires, perturbant le fonctionnement normal de ces établissements et obligeant le recteur à nommer dans un premier temps des agents par intérim, l'autorité disciplinaire n'a pas, en l'espèce, pris une sanction disproportionnée en décidant de déplacer l'intéressé d'office.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'éducation nationale est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges, pour annuler ses arrêtés, se sont fondés sur le caractère disproportionné de la sanction de déplacement d'office.

9. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. Bousquet devant le tribunal administratif.

En ce qui concerne les autres moyens soulevés par M. Bousquet dans sa demande :

10. En premier lieu, le moyen tiré du vice de procédure en ce que la présence et la présidence du conseil de discipline par le secrétaire général de l'académie entacherait la procédure disciplinaire de partialité, soulevé par M. Bousquet en première instance, n'est pas assorti de précisions suffisantes permettant à la Cour de se prononcer sur son bien-fondé. Ainsi, le moyen tiré du vice de procédure ne peut qu'être écarté.

11. En deuxième lieu, si des retenues ont été effectuées sur le traitement de M. Bousquet en raison de ses absences non justifiées, une telle mesure n'est que la résultante de l'absence de service fait et ne saurait revêtir le caractère d'une sanction. Dans ces conditions, l'intéressé ne saurait soutenir que la sanction infligée en litige méconnaitrait la règle " non bis in idem ".

12. En troisième lieu, le refus d'obéir à un ordre qui n'est pas, à la fois, manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public, est constitutif d'une faute de nature à justifier une sanction.

13. Pour justifier son refus d'obéir aux ordres qui lui étaient donnés de se rendre aux remises de gestion comptable de deux nouveaux établissements, M. Bousquet se prévaut de ce que sa responsabilité personnelle et pécuniaire était mise en péril malgré ses alertes, de ce que l'engagement de cette responsabilité méconnaitrait le principe constitutionnel du droit de propriété et de ce qu'en application des règles issues de l'instruction codificatrice n° 02-037-M91 du 30 avril 2002, l'ordonnateur doit veiller à ce que ses décisions n'empêchent pas l'agent comptable d'exercer correctement ses missions de comptable public, notamment dans l'hypothèse où les nouvelles conditions de travail ne lui permettraient plus de garantir sa responsabilité. Toutefois, aucun de ces éléments ne permet de regarder l'ordre que M. Bousquet a reçu d'assumer la gestion comptable de deux établissements supplémentaires comme manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.

14. En quatrième lieu, M. Bousquet ne saurait, en tout état de cause, utilement se prévaloir du régime applicable aux seuls régisseurs et non aux agents comptables, et qui offre des garanties ainsi qu'une protection accrue en ce qu'il prévoit qu'aucune sanction administrative ne peut être prononcée s'il est établi que les règlements, instructions ou ordres auxquels le régisseur a refusé ou négligé d'obéir étaient de nature à engager sa responsabilité personnelle et pécuniaire. Il ne peut davantage alléguer d'une quelconque rupture d'égalité entre les comptables et les régisseurs dès lors que, placés dans des situations différentes, ces derniers relèvent de régimes juridiques et de règles d'engagement de leurs responsabilités respectives distinctes.

15. En cinquième lieu, le requérant ne saurait utilement soutenir que le déplacement d'office qui lui a été imposé à titre de sanction méconnaitrait les dispositions de l'article 62 bis de la loi du 11 janvier 1984, dans sa rédaction issue du 1 de l'article 75 de la loi du 6 août 2019, lesquelles prévoient les dispositifs d'accompagnement d'un fonctionnaire dont le poste est supprimé, l'intéressé n'ayant pas vu son poste supprimé mais le périmètre de ses fonctions seulement modifié. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

16. En sixième lieu, les arrêtés en litige sanctionnant M. Bousquet et le déplaçant d'office n'ont pas été pris pour l'application de l'arrêté du 28 juillet 2020 lui confiant la gestion de sept établissements scolaires et ce dernier n'en constitue pas la base légale. Par suite, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de l'arrêté du 28 juillet 2020 ne saurait être accueilli.

17. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que la sanction infligée à M. Bousquet serait motivée par d'autres considérations que celles tenant à la continuité du service public et à son refus d'obéir aux ordres qui lui ont été donnés par son employeur et aux conséquences négatives de son refus sur la gestion comptable des deux établissements adjoints au périmètre de ses fonctions. En particulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette sanction révèlerait une situation de harcèlement moral dont M. Bousquet serait victime de la part de son employeur. Pour faire présumer qu'il est victime de faits de harcèlement moral, M. Bousquet ne peut se prévaloir des conséquences de la sanction du deuxième groupe qui lui a été infligée. Il ne saurait davantage alléguer du caractère répété des agissements de sa hiérarchie en se prévalant de ce qu'il a obtenu, en 2012, l'annulation par le tribunal administratif de Marseille de la décision portant suppression de la part " résultats " de sa prime de fonctions et de résultats. Enfin, la sanction qui lui a été infligée est la conséquence de son refus d'obéir aux ordres de sa hiérarchie dont il vient d'être dit qu'ils n'étaient pas manifestement illégaux. Ne sont pas établies les tentatives d'intimidation ou de culpabilisation dont M. Bousquet s'estime victime. Enfin, les angoisses de l'intéressé quant aux possibles risques de voir sa responsabilité engagée alors que le périmètre de ses fonctions était élargi sans moyens supplémentaires ne sauraient davantage laisser présumer des faits de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie.

18. Il résulte de ce qui précède que la demande de M. Bousquet tendant à l'annulation des arrêtés du 27 novembre 2020 du recteur de l'académie d'Aix-Marseille portant déplacement d'office à titre de sanction doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. Bousquet dirigées contre l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 2 mai 2023 est annulé.

Article 2 : La demande de M. Bousquet est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par M. Bousquet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... Bousquet et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera transmise au recteur de l'académie d'Aix-Marseille.

Délibéré après l'audience du 15 avril 2024, où siégeaient :

- Mme Laurence Helmlinger, présidente de la Cour,

- M. Renaud Thielé, président assesseur,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 avril 2024.

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No 23MA01605


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01605
Date de la décision : 29/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Motifs - Faits de nature à justifier une sanction.

Fonctionnaires et agents publics - Discipline - Sanctions.


Composition du Tribunal
Président : Mme HELMLINGER
Rapporteur ?: Mme Isabelle RUIZ
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : GUILMAIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-29;23ma01605 ?
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