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26/04/2024 | FRANCE | N°23MA01176

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 26 avril 2024, 23MA01176


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la délibération du 21 novembre 2013 du conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres portant classement du domaine du A... D..., situé sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer, dans son domaine propre, ensemble la décision du 14 janvier 2021 par laquelle la directrice du Conservatoire a refusé de retirer cette délibération.



Par un jugement n° 2102897 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la délibération du 21 novembre 2013 du conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres portant classement du domaine du A... D..., situé sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer, dans son domaine propre, ensemble la décision du 14 janvier 2021 par laquelle la directrice du Conservatoire a refusé de retirer cette délibération.

Par un jugement n° 2102897 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 15 mai 2023, sous le n° 23MA01176, M. B..., représenté par Me Toumi, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 mars 2023 ;

2°) d'annuler la délibération du 21 novembre 2013 ;

3°) de mettre à la charge du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres, la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- il ne mentionne pas le refus de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ;

- la délibération en litige n'a été ni publiée ni ne lui a été notifiée ;

- il a retenu à tort une novation unilatérale de contrat en violation de l'article 1329 du code civil ;

- il a méconnu les dispositions de l'article L. 411-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime ;

- il a violé la loi par méconnaissance de la hiérarchie des normes ;

- le Conservatoire a violé les articles L. 411-4, L. 411-5, L. 411-46 et L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime et l'article L. 322-9 du code de l'environnement ;

- la délibération contestée méconnaît les articles R. 322-7 et R. 322-13 du code de l'environnement et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que plusieurs plans de gestion préexistaient ;

- elle n'est pas conforme aux principes généraux de la domanialité publique ;

- elle est entachée d'un détournement de pouvoir, de procédure et de fraude ;

- l'irrégularité de cette délibération est telle qu'elle justifie son retrait sans condition de délai.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 27 octobre 2023.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2023, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par Me Briec, conclut au rejet de la requête de M. B... et demande à la Cour par la voie de l'appel incident :

1°) de supprimer en application des articles L. 741-2 et L. 741-3 du code de justice administrative, les passages injurieux de la requête de M. B... ;

2°) de condamner M. B... à lui verser la somme de 5 000 euros en raison des préjudices subis au titre de l'article L. 741-3 du code de justice administrative ;

3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête de première instance était irrecevable ;

- certains passages de la requête présentent un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire ;

- les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct, enregistré le 15 mai 2023, M. B..., représenté par Me Toumi, demande à la Cour d'annuler le refus de transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution et divers autres textes de l'article L. 322-9 du code de l'environnement décidé par une ordonnance du 23 août 2022 du président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Marseille.

Par une ordonnance n° 23MA01176 QPC du 6 décembre 2023, la présidente de la 7ème chambre de la Cour a rejeté cette demande comme étant non fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux ;

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;

- et les observations de Me Toumi, représentant M. B... et de Me Radi, représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... exploite, depuis 1995, une fraction d'environ 71 hectares des parcelles d'une surface de 160 hectares du domaine dit " A... D... ", sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer. Par une délibération du 21 novembre 2013, le conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a décidé de classer le domaine du A... D... dans son domaine propre. M. B... a demandé par lettre du 16 décembre 2020, le retrait de cette délibération, demande qui a été rejetée par une décision du 14 janvier 2021. M. B... relève appel du jugement du 14 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette délibération du 21 novembre 2013 et de cette décision du 14 janvier 2021.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".

3. Les premiers juges ont suffisamment répondu au moyen tiré du détournement de pouvoir et n'avaient pas à répondre à tous les arguments soulevés par M. B....

4. Il ressort des écritures de première instance de M. B... que ce dernier a invoqué les conditions de publication de la délibération litigieuse au titre de la recevabilité de sa requête et du moyen tiré de ce que cet acte serait entaché de fraude. Si le tribunal a écarté la fin de non-recevoir du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres tirée de l'irrecevabilité de la requête de M. B... sans qu'il ait eu besoin de se prononcer sur cette publication, il a répondu au moyen tiré de la publication confidentielle de la délibération litigieuse au point 7 dudit jugement. Par suite, le jugement est suffisamment motivé sur ce point.

5. Aux termes de l'article R. 771-10 du code de justice administrative : " Le refus de transmission dessaisit la juridiction du moyen d'inconstitutionnalité. La décision qui règle le litige vise le refus de transmission. (...) ".

6. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué vise l'ordonnance n° 2102897 QPC du 23 août 2022 par laquelle le président de la 5ème chambre du tribunal administratif de Marseille a refusé de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement contesté ne viserait pas cette ordonnance manque en fait et doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

7. D'une part, aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public. ". Selon le I de l'article L. 322-1 du code de l'environnement : " Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est un établissement public de l'Etat à caractère administratif qui a pour mission de mener, après avis des conseils municipaux et en partenariat avec les collectivités territoriales intéressés, une politique foncière ayant pour objets la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels ainsi que celle des biens culturels qui s'y rapportent : (...) ". L'article L. 322-3 du même code dispose que : " Pour la réalisation des objectifs définis à l'article L. 322-1, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres peut procéder à toutes opérations foncières. (...) ".

8. Aux termes de l'article L. 322-9 du code de l'environnement : " Le domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres comprend les biens immobiliers acquis ainsi que ceux qui lui sont affectés, attribués, confiés ou remis en gestion par l'Etat. Le domaine propre du conservatoire est constitué des terrains dont il est devenu propriétaire et qu'il décide de conserver afin d'assurer sa mission définie à l'article L. 322-1. Le domaine relevant du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres est du domaine public à l'exception des terrains acquis non classés dans le domaine propre. Dans la limite de la vocation et de la fragilité de chaque espace, ce domaine est ouvert au public. / Les immeubles du domaine relevant du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres peuvent être gérés par les collectivités locales ou leurs groupements, ou les établissements publics ou les fondations et associations spécialisées agréées qui en assurent les charges et perçoivent les produits correspondants. Priorité est donnée, si elles le demandent, aux collectivités locales sur le territoire desquelles les immeubles sont situés. Les conventions signées à ce titre entre le conservatoire et les gestionnaires prévoient expressément l'usage à donner aux terrains, cet usage devant obligatoirement contribuer à la réalisation des objectifs définis à l'article L. 322-1, ainsi que le reversement périodique au conservatoire du surplus des produits qui n'ont pas été affectés à la gestion du bien. / Le conservatoire et le gestionnaire peuvent autoriser par voie de convention un usage temporaire et spécifique des immeubles dès lors que cet usage est compatible avec la mission poursuivie par le conservatoire, telle que définie à l'article L. 322-1. / Dans le cas d'un usage de ce domaine public associé à une exploitation agricole, priorité est donnée à l'exploitant présent sur les lieux au moment où les immeubles concernés sont entrés dans le domaine relevant du conservatoire. (...). La convention avec celui-ci fixe les droits et obligations de l'exploitant en application d'une convention-cadre approuvée par le conseil d'administration et détermine les modes de calcul des redevances / (...) ".

9. D'autre part, aux termes de l'article R. 322-7 du code de l'environnement : " Le domaine propre du conservatoire, mentionné à l'article L. 322-3, est constitué des terrains dont il est devenu propriétaire et qu'il décide de conserver et de classer afin d'assurer la sauvegarde du littoral, le respect des sites naturels et l'équilibre écologique. / Le conseil d'administration du conservatoire classe dans son domaine propre, mentionné à l'article L. 322-9, les biens immobiliers qui lui appartiennent lorsqu'ils constituent un ensemble permettant l'établissement d'un plan de gestion conformément à l'article R. 322-13. Il procède dans les meilleurs délais à la cession des immeubles qui n'ont pas vocation à être classés dans son domaine propre ". L'article R. 322-10 du code précité dispose que : " La gestion du domaine relevant du conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est réalisée dans les conditions prévues aux articles L. 322-9 (...) ". Selon le dernier alinéa de l'article R. 322-11du même code : " Les conventions d'usage mentionnées à l'article L. 322-9 sont signées conjointement par le conservatoire et le gestionnaire. Elles peuvent avoir une durée supérieure à celle de la convention de gestion. Dans ce cas, le gestionnaire n'est lié au titulaire de la convention d'usage que jusqu'à l'échéance de la convention de gestion ". En outre, l'article R. 322-13 du code précité prévoit que, lorsque les immeubles relevant du Conservatoire constituent un site cohérent au regard des objectifs poursuivis, le Conservatoire élabore un plan de gestion qui définit les objectifs et les orientations selon lesquels ce site doit être géré. Par ailleurs, en vertu du 4° du II de l'article R. 322-26 du code précité, le conseil d'administration du Conservatoire délibère notamment sur le classement des immeubles dans le domaine propre de l'établissement.

10. Il résulte des dispositions mentionnées aux points 8 et 9, que l'incorporation au domaine public d'un terrain appartenant au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est subordonnée à l'intervention d'une délibération du conseil d'administration de l'établissement classant ce terrain dans son domaine propre. L'entrée en vigueur de cette décision de classement, qui ne constitue pas une décision réglementaire et ne présente pas davantage le caractère d'une décision administrative individuelle, est subordonnée, en l'absence de dispositions contraires, à l'accomplissement de formalités adéquates de publicité.

11. Il ressort des termes de l'arrêt de la Cour n° 20MA01368, 20MA01470 du 16 octobre 2020 devenu définitif, confirmé par une décision n° 447797 du Conseil d'Etat du 7 juin 2023 que par une délibération du 21 novembre 2013, le conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a décidé de classer le domaine du A... D... dans le domaine propre de l'établissement public. Il ressort des pièces du dossier que cette délibération a été mise en ligne à compter du 1er janvier 2017 sur le site internet du Conservatoire, dans la rubrique " Actes administratifs ", 2. Conseil d'administration (délibérations foncières et autres) ", dans des conditions garantissant la fiabilité et la date de la mise en ligne de cet acte. Cette mise en ligne doit être regardée comme une mesure de publicité suffisante permettant son entrée en vigueur à cette dernière date, alors même qu'elle n'aurait pas fait l'objet d'une notification à M. B.... Par suite ce dernier ne peut utilement soutenir que cette publication ne serait pas fiable et n'aurait pas vocation à se substituer à une publication papier ni qu'elle n'aurait aucune réalité juridique. De même, il ne peut utilement se prévaloir de l'obligation de notification des décisions individuelles dès lors que comme dit au point 10, la délibération contestée n'en présente pas le caractère.

12. Aux termes de l'article 1329 du code civil : " La novation est un contrat qui a pour objet de substituer à une obligation, qu'elle éteint, une obligation nouvelle qu'elle crée. / Elle peut avoir lieu par substitution d'obligation entre les mêmes parties, par changement de débiteur ou par changement de créancier ".

13. En vertu des dispositions de l'article L. 322-9 du code de l'environnement rappelées au point 8, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, ou l'une des personnes morales mentionnées au deuxième alinéa de cet article avec laquelle il a passé une convention de gestion, peut autoriser par voie de convention un usage temporaire et spécifique des immeubles compris dans son domaine public dès lors que cet usage est compatible avec sa mission, qui comprend notamment la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels ainsi que, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré en application de l'article R. 322-13 du même code.

14. Lorsque le Conservatoire procède à l'intégration dans le domaine public de biens immobiliers occupés et mis en valeur par un exploitant déjà présent sur les lieux en vertu d'un bail rural en cours de validité, ce bail constitue, jusqu'à son éventuelle dénonciation, un titre d'occupation de ce domaine qui fait obstacle à ce que cet exploitant soit expulsé ou poursuivi au titre d'une contravention de grande voirie pour s'être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public. Ce contrat ne peut, en revanche, une fois ces biens incorporés au domaine public, conserver un caractère de bail rural en tant qu'il comporte des clauses incompatibles avec la domanialité publique.

15. Il s'ensuit qu'après l'incorporation au domaine public de terres mises en valeur par un exploitant, le Conservatoire peut décider de dénoncer le bail rural qui n'était pas encore parvenu à expiration, pour mettre fin à cette occupation et priver par conséquent l'exploitant du droit et du titre d'occupation procédant de ce bail. Dans l'hypothèse où, après cette dénonciation, le Conservatoire considère que l'usage des biens relevant de son domaine propre peut être associé à une exploitation agricole, il peut alors proposer de conclure avec ce même exploitant, qui dispose pour la poursuite de son activité d'une priorité en vertu des dispositions de l'article L. 322-9 citées au point 8, ou, en l'absence d'accord avec celui-ci, avec un autre exploitant, une convention d'usage temporaire et spécifique qui, en vertu des dispositions de cet article, et ainsi qu'il est dit au point 13, permet un usage des terres compatible avec les missions confiées à l'établissement public, notamment la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels, ainsi que, le cas échéant, avec le plan de gestion élaboré à cette fin en application de l'article R. 322-13 du même code. Dans le cas où le bail conclu antérieurement à l'incorporation n'est pas dénoncé et au plus tard jusqu'à sa prochaine échéance - date à laquelle, en tout état de cause, le régime de la domanialité publique fait obstacle à ce qu'il puisse être renouvelé -, il est loisible au Conservatoire de laisser l'occupant, en vertu du titre dont il dispose et qui procède du bail initial, poursuivre à titre précaire cette occupation associée à une exploitation agricole, en se fondant sur les clauses de ce bail qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au Conservatoire.

16. Il ressort des pièces du dossier que le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a acquis, par un acte notarié du 31 mars 2005, du groupement foncier agricole (GFA) du A... D... des parcelles du domaine du A... D... situées sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer dont une fraction avait été donnée à bail rural, à compter du 1er avril 1995, verbalement à M. B.... Par un jugement du 15 mai 2019, devenu définitif, le tribunal paritaire des baux ruraux de Tarascon a reconnu, à compter du 1er avril 1995, l'existence d'un bail rural par la suite renouvelé conformément aux dispositions des articles L. 411-50 et suivants du code rural et de la pêche maritime et en a fixé l'échéance au 30 mars 2022 sans possibilité de renouvellement compte tenu de l'incorporation des parcelles occupées et exploitées par M. B... dans le domaine public du conservatoire à compter du 1er janvier 2017, en vertu de la délibération contestée du 21 novembre 2013 du conseil d'administration du Conservatoire ayant fait l'objet d'une mesure de publicité adéquate ainsi qu'il a été dit au point 11. Par ailleurs, la délibération contestée qui décide de l'incorporation des parcelles occupées par M. B... dans le domaine propre du Conservatoire n'a pas pour objet de prononcer la résiliation du bail rural dont le requérant bénéficie. Par suite et compte tenu de ce qui a été dit aux points 13 à 15, M. B... ne peut utilement soutenir que la délibération contestée a une teneur contractuelle et procède à une novation sans avoir été consentie par les deux parties au contrat, que le tribunal et le Conservatoire ont opéré unilatéralement une novation du bail rural, en méconnaissance de l'article 1329 du code civil et que sa situation n'est en rien conforme aux principes généraux de la domanialité publique.

17. Aux termes des dispositions de l'article L. 411-1 et suivants du code rural et de la pêche maritime : " Toute mise à disposition à titre onéreux d'un immeuble à usage agricole en vue de l'exploiter pour y exercer une activité agricole définie à l'article L. 311-1 est régie par les dispositions du présent titre, sous les réserves énumérées à l'article L. 411-2. Cette disposition est d'ordre public. / Il en est de même, sous réserve que le cédant ou le propriétaire ne démontre que le contrat n'a pas été conclu en vue d'une utilisation continue ou répétée des biens et dans l'intention de faire obstacle à l'application du présent titre : / -de toute cession exclusive des fruits de l'exploitation lorsqu'il appartient à l'acquéreur de les recueillir ou de les faire recueillir ; / -des contrats conclus en vue de la prise en pension d'animaux par le propriétaire d'un fonds à usage agricole lorsque les obligations qui incombent normalement au propriétaire du fonds en application des dispositions du présent titre sont mises à la charge du propriétaire des animaux. / La preuve de l'existence des contrats visés dans le présent article peut être apportée par tous moyens ". Aux termes de l'article L. 411-4 du même code : " Les contrats de baux ruraux doivent être écrits. / A défaut d'écrit enregistré avant le 13 juillet 1946, les baux conclus verbalement avant ou après cette date sont censés faits pour neuf ans aux clauses et conditions fixées par le contrat type établi par la commission consultative des baux ruraux. / Un état des lieux est établi contradictoirement et à frais communs dans le mois qui précède l'entrée en jouissance ou dans le mois suivant celle-ci. Passé ce délai d'un mois, la partie la plus diligente établit un état des lieux qu'elle notifie à l'autre partie par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. Cette dernière dispose, à compter de ce jour, de deux mois pour faire ses observations sur tout ou partie du projet ou pour l'accepter. Passé ce délai, son silence vaudra accord et l'état des lieux deviendra définitif et réputé établi contradictoirement. / L'état des lieux a pour objet de permettre de déterminer, le moment venu, les améliorations apportées par le preneur ou les dégradations subies par les constructions, le fonds et les cultures. Il constate avec précision l'état des bâtiments et des terres ainsi que le degré d'entretien des terres et leurs rendements moyens au cours des cinq dernières années ". Selon l'article L. 411-5 du code précité : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 411-3 et sauf s'il s'agit d'une location régie par les articles L. 411-40 à L. 411-45, la durée du bail ne peut être inférieure à neuf ans, nonobstant toute clause ou convention contraire. ". L'article L. 411-47 dudit code dispose que : " Le propriétaire qui entend s'opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l'expiration du bail, par acte extrajudiciaire. (...) ".

18. Comme l'a estimé à juste titre le tribunal et compte tenu de ce qui a été dit aux points 13 à 15, M. B... ne peut utilement se prévaloir de la méconnaissance des dispositions des articles L. 411-1, L. 411-4, L. 411-5 et L. 411-47 du code rural et de la pêche maritime relatives aux baux ruraux dès lors que les articles L. 322-9 et R. 322-7 du code de l'environnement confèrent au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres le droit d'incorporer dans son domaine propre les parcelles lui appartenant. Par ailleurs, la délibération en litige n'a pas pour objet de prononcer la résiliation du bail rural dont le requérant bénéficie.

19. Les premiers juges n'ont pas fait primer deux articles réglementaires, les articles R. 322-7 et R. 322-13 du code de l'environnement, sur un article législatif, l'article L. 411-1 du code rural et de la pêche maritime mais se sont bornés à répondre aux moyens soulevés par M. B... tirés de ce que la délibération contestée méconnaît les articles R. 322-7 et R. 322-13 du code de l'environnement et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que plusieurs plans de gestion préexistaient. Par ailleurs, et contrairement à ce que le requérant soutient, les articles L. 322-3, L. 322-9 et R. 322-7 du code de l'environnement confèrent au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres le droit d'incorporer dans son domaine propre les parcelles lui appartenant en vue d'assurer les missions prévues à l'article L. 322-1 du même code, à savoir de mener une politique foncière ayant pour objets la sauvegarde du littoral, le respect des équilibres écologiques et la préservation des sites naturels ainsi que celle des biens culturels qui s'y rapportent. Ainsi, le moyen tiré de la violation de la loi ne peut qu'être écarté.

20. La circonstance qu'un plan de gestion préexistait en 2009 ne faisait pas obstacle à ce que le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres incorpore dans son domaine propre des parcelles lui appartenant et occupées par M. B... dès lors que conformément aux dispositions de l'article R. 322-7 du code de l'environnement, ledit Conservatoire entendait les conserver en vue de réaliser sa mission de préservation des sites naturels, des équilibres écologiques et de sauvegarde du littoral alors même que M. B... bénéficiait d'un bail rural lequel n'interdit pas l'adoption d'un plan de gestion en application de l'article R. 322-13 du code de l'environnement. Le requérant ne peut utilement soutenir que les parcelles en cause sont classées en zone agricole par le plan local d'urbanisme des Saintes-Maries-de-la-Mer dès lors que les dispositions de l'article L. 322-9 du code de l'environnement prévoit le cas d'un usage du domaine public du Conservatoire associé à une exploitation agricole. La circonstance à la supposer établie que M. B... respecterait les plans de gestion successifs est sans incidence. Ainsi, ce dernier n'est pas fondé à se prévaloir de la violation des articles R. 322-7 et R. 322-13 du code de l'environnement ni de ce que la délibération contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

21. Aux termes de l'article L. 241-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des exigences découlant du droit de l'Union européenne et de dispositions législatives et réglementaires spéciales, les règles applicables à l'abrogation et au retrait d'un acte administratif unilatéral pris par l'administration sont fixées par les dispositions du présent titre. ". L'article L. 241-2 du même code dispose que : " Par dérogation aux dispositions du présent titre, un acte administratif unilatéral obtenu par fraude peut être à tout moment abrogé ou retiré. "

22. Un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai de recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.

23. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la délibération contestée aurait été prise dans le seul but d'évincer M. B... dès lors que le Conservatoire pouvait légalement conserver les parcelles lui appartenant, occupées par le requérant, en vue de réaliser sa mission de préservation des sites naturels, des équilibres écologiques et de sauvegarde du littoral conformément aux dispositions des articles L. 322-9 et R. 322-7 du code de l'environnement ainsi qu'il a été dit précédemment. Par ailleurs comme mentionné au point 11, cette délibération a fait l'objet d'une mesure de publicité suffisante et M. B... a pu valablement en contester les modalités de publication laquelle contestation a donné lieu à une décision du 5 décembre 2016, du Conseil d'Etat. Il n'a ainsi pas été privé de son droit à un recours effectif. L'intention frauduleuse du Conservatoire ne saurait être sérieusement démontrée par le fait qu'il aurait engagé à l'encontre du requérant une procédure de contravention de grande voirie. Par suite, les moyens tirés du détournement de pouvoir, de procédure et de la fraude ne peuvent qu'être écartés.

24. M. B... n'ayant pas démontré l'illégalité de la délibération du 21 novembre 2013 portant classement des parcelles du domaine du A... D... dans le domaine propre du Conservatoire, le moyen tiré de l'inexistence de cette délibération doit être écarté.

Sur les conclusions incidentes du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres tendant au versement de dommages et intérêts :

25. Aux termes de l'article L. 741-2 du code de justice administrative : " (...) Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. (...) ". Aux termes de l'article L. 741-3 du même code : " Si des dommages-intérêts sont réclamés à raison des discours et des écrits d'une partie ou de son défenseur, la juridiction réserve l'action, pour qu'il y soit statué ultérieurement par le tribunal compétent, conformément au cinquième alinéa de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ci-dessus reproduit. (...) ".

26. Il résulte de ces dispositions que le juge administratif peut exercer la faculté qu'elles lui reconnaissent de prononcer la suppression des propos tenus et des écrits produits dans le cadre de l'instance qui présenteraient un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire tant à l'égard des propos et écritures des parties que de pièces produites par elles. Une partie ne saurait toutefois utilement solliciter du juge la suppression d'une injure, d'un outrage ou d'une diffamation qui résulterait d'une pièce qu'elle a elle-même produite.

27. Les passages de la requête de M. B... enregistrée le 15 mai 2023 commençant par les mots " Ces faits (...) " et se terminant par les mots " (...) l'arbitraire du Conservatoire du littoral " (page 43 de la requête), ceux commençant par les mots " Par ailleurs, le Conservatoire (...) " et se terminant par " (...) inexactitudes " (page 59), ceux commençant par " Il est rare (...) " et se terminant par " (...) déloyauté " (page 60), et enfin ceux commençant par " S'il avait abouti (...) " et se terminant par " personnel " (page 62), présentent un caractère injurieux, outrageant ou diffamatoire et doivent être supprimés.

28. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres obtient, par cette suppression, une complète réparation du préjudice qu'il invoque. Par suite, ses conclusions tendant à ce que 5 000 euros de dommages et intérêts lui soient accordés doivent être rejetées.

29. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la délibération du 21 novembre 2013 et de la décision du 14 janvier 2021. Le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est seulement fondé, à demander, par la voie de l'appel incident, que les passages des écritures de M. B... mentionnés ci-dessus au point 27 soient supprimés.

Sur les frais liés au litige :

30. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, tout ou partie de la somme que le conseil de M. B... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. B... la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les passages des écritures de M. B... mentionnés au point 27 sont supprimés.

Article 3 : M. B... versera au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions incidentes du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., à Me Toumi et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2024, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 avril 2024.

2

N° 23MA01176

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01176
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

44-05-04-01 Nature et environnement. - Divers régimes protecteurs de l`environnement. - Protection du littoral. - Conservatoire du littoral.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : ERNST & YOUNG

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-26;23ma01176 ?
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