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26/04/2024 | FRANCE | N°23MA01151

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 5ème chambre, 26 avril 2024, 23MA01151


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à lui verser la somme globale de 117 047,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, du fait notamment de l'entretien et des travaux qu'il a réalisés au domaine C... et d'annuler les décisions rejetant ses demandes indemnitaires préalables.



Par un jugement n° 2004483 du 14 mars 2023, le tribunal admi

nistratif de Marseille a rejeté cette demande.



Procédure devant la Cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à lui verser la somme globale de 117 047,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, du fait notamment de l'entretien et des travaux qu'il a réalisés au domaine C... et d'annuler les décisions rejetant ses demandes indemnitaires préalables.

Par un jugement n° 2004483 du 14 mars 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mai 2023, sous le n° 23MA01151, M. A..., représenté par Me Toumi, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 mars 2023 ;

2°) d'annuler les décisions de rejet de ses demandes indemnitaires préalables ;

3°) de condamner le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à lui verser la somme globale de 117 047,88 euros ;

4°) de mettre à la charge du Conservatoire du littoral et des rivages lacustres, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que le tribunal a méconnu l'étendue de sa compétence ;

- ses demandes indemnitaires étaient recevables ;

- le tribunal a dénaturé les pièces du dossier ;

- il a vicié son jugement en sous-entendant que les taxes avaient peut-être servi à payer des dépenses utiles au fermier sur son irrigation ;

- il a vicié son jugement en retenant qu'il n'était pas dans une situation particulière justifiant que son préjudice soit qualifié d'anormal et spécial ;

- les travaux de réfection du chemin d'accès qu'il a réalisés ont procuré un avantage au Conservatoire ;

- l'enrichissement sans cause du Conservatoire est évalué à 30 450 euros TTC ;

- le Conservatoire a commis une faute en émettant deux titres exécutoires les 5 avril 2018 et 7 février 2019 ;

- la somme de 1 097,88 euros qu'il a réglée en paiement de ces deux chèques doit être restituée par le mécanisme de la répétition de l'indu ;

- subsidiairement, le paiement de ces créances a constitué un enrichissement sans cause du Conservatoire ;

- il a subi un préjudice moral évalué à 500 euros ;

- il a effectué des prestations pour le compte du Conservatoire estimées à 60 000 euros ;

- les plans de gestion lui ont imposé des sujétions exorbitantes qui le privent de certaines ressources ;

- il subit des troubles de jouissance dans son droit au bail et un préjudice anormal et spécial évalué à 5 000 euros par an soit un total de 25 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juin 2023, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, représenté par Me Briec, conclut au rejet de la requête de M. A... et demande à la Cour de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable ;

- la créance est prescrite ;

- la demande tendant à l'annulation des titres exécutoires du 18 avril 2018 et du7 février 2019 est tardive ;

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, par une décision du 27 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marchessaux,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;

- et les observations de Me Toumi, représentant M. A..., et de Me Radi, représentant le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... exploite, depuis 1995, une fraction d'environ 71 hectares des parcelles d'une surface de 160 hectares du domaine dit C... ", sur le territoire de la commune des Saintes-Maries-de-la-Mer. Il a adressé au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres trois demandes indemnitaires préalables, les 31 janvier, 5 février et 15 avril 2020 qui ont été rejetés par une décision du 11 mai 2020 pour la première et par des décisions implicites pour les deux autres. M. A... relève appel du jugement du 14 mars 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du Conservatoire à lui verser la somme globale de 117 047,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis et à l'annulation des décisions portant rejet de ses demandes indemnitaires préalables.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Ainsi qu'il résulte d'un arrêt n° 20MA01368, 20MA01470 du 16 octobre 2020 devenu définitif, par une délibération du 21 novembre 2013, publiée le 1er janvier 2017, le conseil d'administration du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a décidé de classer le domaine C... dans le domaine propre de l'établissement public. Il en résulte que depuis le 1er janvier 2017, le domaine C... doit être regardé comme une dépendance du domaine public. Mais antérieurement à cette date, cette propriété acquise en 2005 appartenait au domaine privé dudit Conservatoire. Par suite, les conclusions de M. A... tendant à la condamnation du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres à réparer ses préjudices pour la période antérieure au 1er janvier 2017, résultant de ce qu'il a réalisé des travaux en mars 2016, de l'entretien du domaine à compter du 1er janvier 2016, de son préjudice anormal et spécial du fait des sujétions qui lui ont été imposées, des troubles de jouissance qu'il estime avoir subi et de l'enrichissement sans cause du Conservatoire relèvent de la gestion du domaine privé de ce dernier. Par suite, le tribunal a rejeté à juste titre ces conclusions indemnitaires comme étant portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

3. D'une part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci en a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance. Cette règle, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d'un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il appartient dès lors au juge administratif d'en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance. D'autre part, l'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.

4. En l'espèce, le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres a adressé à M. A... deux titres exécutoires émis les 5 avril 2018 et 7 février 2019 d'un montant de 548,94 euros chacun, correspondant au remboursement d'une taxe syndicale annuelle facturée par l'association syndicale autorisée Irrigation Pioch Frigoules Grazier au Conservatoire au titre de l'année 2017. Il résulte de l'instruction que le requérant les a réglés par deux chèques émis le 4 mai 2018 et 28 février 2019. Il doit ainsi être regardé comme en ayant eu connaissance à ces deux dates. Par ailleurs, il reconnaît ne pas avoir contesté ces deux titres exécutoires lesquels sont devenus définitifs. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la prescription opposée par le Conservatoire, M. A... n'était pas recevable à présenter des conclusions indemnitaires ayant la même portée que la contestation de ces deux titres sans que sa demande indemnitaire préalable formée le 5 février 2020 ait pu interrompre les délais de recours.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité pour faute du Conservatoire :

5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que les conclusions de M. A... tendant ce que le Conservatoire lui verse une somme de 500 euros au titre du préjudice moral qu'il estime avoir subi du fait de l'émission des deux titres exécutoires précités, émis les 5 avril 2018 et 7 février 2019, doivent être rejetées.

En ce qui concerne la responsabilité sur le fondement de la rupture d'égalité des citoyens devant les charges publiques :

6. La responsabilité de la puissance publique peut se trouver engagée, même sans faute, sur le fondement du principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques, lorsqu'une mesure légalement prise a pour effet d'entraîner, au détriment d'une personne physique ou morale, un préjudice grave et spécial, qui ne peut être regardé comme une charge lui incombant normalement.

7. M. A... soutient qu'il s'est maintenu depuis l'arrivée du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres dans une activité peu rentable, du fait des sujétions imposées par le cahier des charges concernant un élevage limité à quelques têtes, l'encadrement des coupes de roselières et l'utilisation de quasiment aucun produit chimique ainsi que des plans de gestion C.... Toutefois, outre que ces préjudices ne paraissent pas spéciaux dès lors que ces sujétions s'appliquent à tous les occupants du domaine public du Conservatoire, ils ne présentent pas davantage de caractère anormal dans la mesure où il résulte du cahier des charges que M. A... n'a d'ailleurs pas signé qu'il peut quand même posséder un troupeau de 10 à 20 chevaux admis au pâturage de race camarguaise et portugaise et procéder à la coupe de la roselière sous réserve d'en laisser 20 % non coupée annuellement. Par ailleurs, si ce cahier des charges interdit à l'exploitant d'exercer toute activité agricole dérivée telles que notamment le parcours équestre, c'est sous réserve de l'obtention d'un agrément préalable du Conservatoire, que le requérant ne démontre pas avoir demandé. Il ne résulte pas davantage de ce cahier des charges que les pâturages lui seraient interdits mais seulement soumis à certaines conditions. Il en va de même de l'interdiction d'utiliser des produits pesticides, de la venue des agents du Conservatoire et de ses partenaires ainsi que du fait qu'il ne peut installer un portail et des cadenas, qui ne présentent pas de caractère anormal. Dans ces conditions, la responsabilité sans faute du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres ne saurait être engagée au titre de la rupture d'égalité devant les charges publiques. Pour les mêmes raisons, aucune atteinte au principe de liberté de commerce et de l'industrie ne saurait être retenue.

En ce qui concerne l'enrichissement sans cause en raison de l'entretien et du gardiennage du domaine postérieurement au 1er janvier 2017 :

8. Si M. A... invoque l'enrichissement sans cause du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres en raison des travaux d'entretien et du gardiennage qu'il a effectués sur le Mas de Taxil pour un montant de 12 000 euros par an postérieurement au 1er janvier 2017, il n'établit pas la réalité du montant de ces dépenses ni de l'appauvrissement qui en aurait résulté pour lui. En outre, la circonstance que le Conservatoire lui aurait réclamé des arrières de loyers sur cinq ans n'est pas de nature à caractériser son enrichissement.

9. Compte tenu de ce qui a été dit au point 7, M. A... ne démontre ni l'enrichissement du Conservatoire, par la seule allégation tirée de la bonne qualité du domaine, ni avoir subi un appauvrissement du fait des sujétions imposées par cet établissement en matière notamment de coupe de roselières et d'élevage de chevaux, pas plus que par le rappel des loyers que le requérant n'a d'ailleurs jamais réglés.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du Conservatoire à lui verser la somme globale de 117 047,88 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis et à l'annulation des décisions portant rejet de ses demandes indemnitaires préalables.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, tout ou partie de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : M. A... versera au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Toumi et au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres.

Délibéré après l'audience du 12 avril 2024, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Vincent, présidente assesseure,

- Mme Marchessaux, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 26 avril 2024.

2

N° 23MA01151

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01151
Date de la décision : 26/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Nature et environnement - Divers régimes protecteurs de l`environnement - Protection du littoral - Conservatoire du littoral.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Enrichissement sans cause.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: Mme Jacqueline MARCHESSAUX
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : ERNST & YOUNG

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-26;23ma01151 ?
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