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15/04/2024 | FRANCE | N°22MA03096

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 6ème chambre, 15 avril 2024, 22MA03096


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Toulon, en premier lieu, d'annuler l'arrêté du 21 juin 2022 par lequel le préfet du Var l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans le département du Var, lui a prescrit de se présenter tous les lundis et jeudis aux services de police et lui a interdit de sortir du département sans autorisation, en deuxième lieu, d'annuler l'arrêté du 15 avril 2022 par lequel le préfet du Var lui a retiré le bén

éfice d'une carte de résident de dix ans et lui a délivré un titre de séjour d'un an et, en...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... a demandé au tribunal administratif de Toulon, en premier lieu, d'annuler l'arrêté du 21 juin 2022 par lequel le préfet du Var l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours dans le département du Var, lui a prescrit de se présenter tous les lundis et jeudis aux services de police et lui a interdit de sortir du département sans autorisation, en deuxième lieu, d'annuler l'arrêté du 15 avril 2022 par lequel le préfet du Var lui a retiré le bénéfice d'une carte de résident de dix ans et lui a délivré un titre de séjour d'un an et, en troisième et dernier lieu, d'annuler l'arrêté du 16 juin 2022 par lequel le préfet du Var a prononcé son expulsion du territoire français.

Par un jugement n° 2201724, 2202152, 2202165 du 21 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a annulé l'arrêté du 16 juin 2022 prononçant son expulsion ainsi que l'arrêté du 21 juin 2022 l'assignant à résidence et a rejeté le surplus de ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 décembre 2022, le préfet du Var demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon en tant qu'il annule son arrêté d'expulsion du 16 juin 2022 ;

2°) de rejeter la demande de première instance.

Il soutient que :

- contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public ;

- M. D... n'entre pas dans la catégorie des étrangers protégés contre l'éloignement au regard des articles L. 631-2 et L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la mesure attaquée ne porte pas d'atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et ne méconnaît pas l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Un courrier des 24 février 2023 et 17 juillet 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourrait être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par courriers des 3 mars 2023, 5 mai 2023, 6 juin 2023 le greffe de la Cour a demandé à M. D... de régulariser, dans le délai d'un mois, ses mémoires au regard des exigences de l'article R. 811-7 du code de justice administrative s'agissant de la représentation par ministère d'avocat.

Par courriers des 5 et 31 mai 2023 le greffe de la Cour a demandé à Mme A... C..., intervenante volontaire, de régulariser dans le délai d'un mois ses mémoires au regard des exigences de l'article R. 811-7 du code de justice administrative s'agissant de la représentation par ministère d'avocat.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 6 juillet 2023 et le 11 juillet 2023, M. D..., représenté par Me Barlet, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour, à titre principal d'enjoindre au préfet du Var de lui délivrer une carte de résident valable dix ans, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard et à titre subsidiaire de réexaminer son dossier et de lui accorder un titre de séjour, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard. M. D... demande en outre à la Cour de condamner le préfet du Var à verser la somme de 2 000 euros à son conseil sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Il fait valoir que :

- la requête, qui ne comporte pas de critique du jugement contesté, est irrecevable ;

- les autres moyens soulevés par le préfet du Var ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 11 juillet 2023, Mme A... C..., représentée par Me Barlet, a présenté une intervention volontaire en défense au soutien des écritures de M. D.... Elle demande à la Cour de rejeter la requête du préfet du Var et à titre principal d'enjoindre au préfet du Var de délivrer à M. D... une carte de résident de dix ans et à titre subsidiaire de lui enjoindre de réexaminer son dossier, à compter de la notification de l'arrêt, sous une astreinte de 50 euros par jour de retard. Enfin elle demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son intervention volontaire est recevable ;

- elle est de nationalité française et vit en concubinage avec M. D... qui contribue à l'entretien et à l'éducation de leur fils, également de nationalité française ;

- la décision attaquée porte une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale.

Un avis d'audience portant clôture immédiate de l'instruction a été émis le 24 janvier 2024 et l'audience initialement prévue le 12 février 2024 a été renvoyée au 2 avril 2024.

M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné M. Renaud Thielé, président assesseur de la 6ème chambre pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public ;

- et les observations de M. E..., pour le préfet du Var, et de M. D....

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 16 juin 2022, le préfet du Var a ordonné l'expulsion de M. B... D..., ressortissant algérien, sur le fondement de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet du Var relève appel du jugement n° 2202165 du 21 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Toulon a annulé cet arrêté.

Sur la recevabilité des mémoires présentés sans avocat :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 811-7 du code de justice administrative : " ... les appels ainsi que les mémoires déposés devant la cour administrative d'appel doivent être présentés, à peine d'irrecevabilité, par l'un des mandataires mentionnés à l'article R. 431-2. Lorsque la notification de la décision soumise à la cour administrative d'appel ne comporte pas la mention prévue au deuxième alinéa de l'article R. 751-5, le requérant est invité par la cour à régulariser sa requête dans les conditions fixées à l'article R. 612-1... ". Et selon l'article R. 431-2 du même code : " Les requêtes et les mémoires doivent, à peine d'irrecevabilité, être présentés soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ... ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 612-1 du code de justice administrative : " Lorsque des conclusions sont entachées d'une irrecevabilité susceptible d'être couverte après l'expiration du délai de recours, la juridiction ne peut les rejeter en relevant d'office cette irrecevabilité qu'après avoir invité leur auteur à les régulariser. ".

4. Les mémoires présentés par M. D... et Mme C... sans avocat sont donc irrecevables et ne peuvent qu'être écartés des débats.

Sur la recevabilité de l'intervention volontaire en défense de Mme C... :

5. Mme C..., compagne de M. D..., a intérêt à l'annulation du jugement attaqué. Ainsi son intervention est recevable.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. Aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. ". Et selon l'article L. 631-2 du même code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l'article L. 631-3 n'y fasse pas obstacle : / 1° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; / 2° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; / 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été pendant toute cette période titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; / 4° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 %. Par dérogation au présent article, l'étranger mentionné aux 1° à 4° peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application de l'article L. 631-1 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. ".

7. Les infractions pénales commises par un étranger ne sauraient, à elles seules, justifier légalement une mesure d'expulsion et ne dispensent pas l'autorité compétente d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace grave pour l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une telle menace pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.

8. Pour annuler l'arrêté d'expulsion édicté à l'encontre de M. D..., le tribunal s'est fondé sur l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a relevé notamment, d'une part, que la décision attaquée se fondait sur l'existence d'une menace à l'ordre public résultant des condamnations pénales prononcées entre 2004 et 2008 et qu'il s'agissait de condamnations anciennes et, d'autre part que la mère de l'intéressé, ses deux frères, son fils, et la mère de ce dernier, âgé de neuf ans à la date de l'arrêté, étaient de nationalité française et que bien que divorcés, les deux parents exerçaient conjointement l'autorité parentale sur cet enfant, dont le domicile est fixé chez M. D... en vertu d'un jugement du tribunal de grande instance de Nîmes du 26 novembre 2018. Les premiers juges ont de plus relevé que M. D... était atteint de plusieurs pathologies graves, à raison desquelles il a été reconnu handicapé entre 50 et 80 %. Ils en ont déduit que, compte tenu de ses attaches en France, l'arrêté prononçant son expulsion, auquel la commission des expulsions avait d'ailleurs donné un avis défavorable, était manifestement disproportionné à la gravité de la menace invoquée par le préfet du Var, fondée exclusivement sur des condamnations anciennes, la plus récente datant de plus de treize ans.

9. Pour contester ce jugement, le préfet du Var allègue, sans toutefois l'établir, que durant son incarcération M. D... aurait fait l'objet d'une vigilance particulière de la part des agents de détention et qu'il aurait eu une attitude prosélyte tant auprès de son fils et de la mère de ce dernier que de son co-détenu. Le préfet se prévaut en outre du fait que l'intéressé n'a pas respecté son assignation à résidence et que, lors d'une visite domiciliaire pour non-respect de ses obligations de pointage, M. D... s'est enfui, le rapport de la police aux frontières mentionnant " l'abandon d'un couteau de type boucher d'environ 25 cm ", faits contestés par l'intéressé. Le préfet fait en outre état d'une condamnation à ce titre par le tribunal correctionnel de Toulon du 27 septembre 2022 " pour non-respect de l'obligation de présentation périodique ". Toutefois, ces circonstances, évoquées de manière imprécise par le préfet, sont postérieures à l'arrêté attaqué. Il en est de même des différends que M. D... a eu avec l'équipe enseignante de son fils.

10. Par ailleurs, le fait que M. D... ne dispose pas de l'autorité parentale exclusive, que ses moyens de subsistance sont exclusivement assurés par la solidarité nationale, que sa durée de présence en France ne lui permettrait pas d'entrer dans la catégorie des étrangers protégés contre l'éloignement au regard des articles L. 631-2 et L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et que l'arrêté attaqué ne méconnaitrait pas l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant demeurent sans incidence, dès lors que les premiers juges ne se sont pas fondés sur de telles circonstances pour annuler l'arrêté attaqué.

11. Dans ces conditions, le préfet du Var, qui, s'il s'y croit fondé au regard de l'évolution de la situation peut édicter un nouvel arrêté d'expulsion, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a annulé l'arrêté d'expulsion édicté à l'encontre de M. D....

Sur l'injonction et l'astreinte :

12. Le présent arrêt, qui se borne à confirmer le jugement annulant l'arrêté d'expulsion de M. D..., n'implique pas qu'un titre de séjour lui soit délivré ni même que le préfet du Var procède à un nouvel examen de sa situation.

Sur les frais liés à l'instance :

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme à verser au conseil de M. D... sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

14. Les conclusions de Mme C..., qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie, formées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées.

D É C I D E :

Article 1er : L'intervention en défense de Mme C... est admise.

Article 2 : La requête du préfet du Var est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C... et de M. D... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Barlet.

Copie en sera adressée au préfet du Var et à Mme A... C....

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024, où siégeaient :

- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2024.

2

N° 22MA03096


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA03096
Date de la décision : 15/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-02 Étrangers. - Expulsion.


Composition du Tribunal
Président : M. THIELÉ
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : BARLET

Origine de la décision
Date de l'import : 21/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-15;22ma03096 ?
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