Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner La Poste à lui verser la somme de 23 048,20 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis.
Par un jugement n° 2104710 du 21 novembre 2022, le tribunal administratif de Marseille a, à l'article 1er, condamné La Poste à verser à M. D... la somme de 4 800 euros au titre des préjudices résultant de l'accident de service du 9 janvier 2017, aux articles 2 et 3, mis à la charge de La Poste les frais d'expertises taxés et liquidés à la somme de 1 680 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et à l'article 4, rejeté la demande de La Poste tendant à l'application de l'article L. 761-1 précité.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2023, sous le n° 23MA00081, La Poste SA, représentée par Me Andreani, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 novembre 2022 ;
2°) de rejeter la demande de M. D... ;
3°) de mettre à la charge de M. D... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de la faute commise par M. D... lors de l'accident de nature à l'exonérer entièrement ;
- elle n'a commis aucune faute dans le cadre de l'intervention du véhicule de dépannage ;
- le comportement de M. D... est fautif dès lors qu'il n'entrait pas dans le cadre de ses attributions d'intervenir dans l'opération de dépannage et est en contradiction avec les formations qu'il a suivies ;
- dans le cadre de la responsabilité sans faute, son intervention constitue une faute de nature à exonérer entièrement la responsabilité.
La requête a été communiquée à M. D... qui n'a pas produit de mémoire.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal administratif de Marseille a omis de mettre en cause d'office la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône dont relevait M. D... en méconnaissance des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale.
La requête a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit d'observation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la sécurité sociale ;
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné Mme Aurélia Vincent, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public ;
- et les observations de Me Tosi, représentant La Poste.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., fonctionnaire de La Poste occupant le poste de responsable d'équipe, s'est blessé le 9 janvier 2017 en aidant un remorqueur à charger un véhicule de service immobilisé sur une dépanneuse et a eu la troisième phalange de l'index gauche sectionnée. Cet accident a été reconnu imputable au service le 13 janvier 2017. Il a adressé une demande préalable indemnitaire à la Poste le 15 décembre 2020, à laquelle il n'a pas été répondu. La Poste relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Marseille l'a condamnée à verser à M. D... la somme de 4 800 euros au titre des préjudices résultant de l'accident de service du 9 janvier 2017 et a mis à sa charge les frais d'expertise taxés et liquidés à la somme de 1 680 euros ainsi que la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction applicable à la date du jugement : " Lorsque, sans entrer dans les cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont l'assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, l'assuré ou ses ayants droit conserve contre l'auteur de l'accident le droit de demander la réparation du préjudice causé, conformément aux règles du droit commun, dans la mesure où ce préjudice n'est pas réparé par application du présent livre. Les caisses de sécurité sociale sont tenues de servir à l'assuré ou à ses ayants droit les prestations prévues par le présent livre, sauf recours de leur part contre l'auteur responsable de l'accident dans les conditions ci-après. Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, à l'exclusion de la part d'indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d'agrément. De même, en cas d'accident suivi de mort, la part d'indemnité correspondant au préjudice moral des ayants droit leur demeure acquise (...) L'intéressé ou ses ayants droit doivent indiquer, en tout état de la procédure, la qualité d'assuré social de la victime de l'accident ainsi que les caisses de sécurité sociale auxquelles celle-ci est ou était affiliée pour les divers risques. Ils doivent appeler ces caisses en déclaration de jugement commun. A défaut du respect de l'une de ces obligations, la nullité du jugement sur le fond pourra être demandée pendant deux ans, à compter de la date à partir de laquelle ledit jugement est devenu définitif, soit à la requête du ministère public, soit à la demande des caisses de sécurité sociale intéressées ou du tiers responsable, lorsque ces derniers y auront intérêt (...) ".
3. Il appartient au juge administratif, qui dirige l'instruction, d'ordonner la mise en cause des parties intéressées au litige. En ayant omis de mettre en cause d'office la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône en vue de l'exercice par celle-ci de l'action susmentionnée alors que M. D... soulevait la responsabilité pour faute de son employeur, le tribunal administratif de Marseille a méconnu la portée des dispositions précitées. Par suite, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 novembre 2022.
4. Il y a lieu, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre cause d'irrégularité soulevée par la requérante tirée de ce que le tribunal aurait omis de statuer sur le moyen tiré de la faute de la victime, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. D... devant le tribunal administratif de Marseille.
Sur la responsabilité pour faute :
5. En l'espèce, le 9 janvier 2017, M. D... fonctionnaire de la Poste occupant le poste de responsable d'équipe, s'est rendu à Lambesc pour intervenir sur un véhicule de type Staby en panne. Afin de faire remorquer ce véhicule, il a sollicité l'assistance d'un véhicule de dépannage, dans le cadre de son service. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le véhicule missionné aurait été inadapté, ni que La Poste aurait commis une faute en missionnant le véhicule de dépannage.
Sur la responsabilité sans faute :
6. Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et 65 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la collectivité qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre cette personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
7. Il résulte de l'instruction que l'accident de M. D... survenu le 9 janvier 2017 a été reconnu imputable au service le 13 janvier 2017 à un taux d'IPP fixé à 5 %. Il ne bénéficie ni d'une allocation temporaire ni d'une rente d'invalidité. Par suite, s'il ne peut prétendre, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant ses pertes de revenus ou une incidence professionnelle, il peut prétendre à la réparation de préjudices d'une autre nature, même en l'absence de faute de son employeur.
En ce qui concerne le partage de responsabilité :
8. La responsabilité sans faute de l'autorité administrative peut être atténuée ou supprimée dans le cas où l'accident est imputable à une faute de la victime. Il résulte de l'instruction que M. D..., employé par La Poste depuis plus de 36 ans, occupait le poste d'encadrant courrier distribution. Le 9 janvier 2017, il s'est rendu à Lambesc pour intervenir sur un véhicule de type Staby en panne. Afin de faire remorquer ce véhicule, il a sollicité l'assistance d'un véhicule de dépannage, dans le cadre de son service. M. D... a pris, seul, l'initiative d'intervenir pour aider le prestataire à charger le véhicule. Il a ainsi saisi la roue arrière gauche par l'un de ses bâtons, mais la roue à pivoté d'un quart de tour sur son axe, causant l'écrasement et la section de son index gauche entre la partie arrière de la roue et le moteur électrique. M. D... ne conteste pas le fait que cette intervention ne faisait pas partie de ses fonctions et qu'il n'avait reçu aucune formation en la matière. Dans ces conditions, l'accident de service survenu le 9 janvier 2017 étant en partie imputable à la faute de M. D..., il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité lui incombant en la fixant à 50 % des conséquences dommageables résultant de cet accident.
En ce qui concerne les préjudices subis :
9. L'expert désigné par le tribunal administratif de Marseille a établi son rapport le 25 janvier 2021 et a fixé la date de consolidation de l'état de santé de M. D... au 23 août 2017.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
Quant au préjudice esthétique temporaire :
10. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise du 25 janvier 2021, que M. D... a souffert d'un préjudice esthétique temporaire du 9 janvier 2017 au 23 août 2017, évalué à 1 sur 7. Il y a lieu d'en faire une juste appréciation en l'évaluant à la somme de 300 euros.
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
11. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport du 25 janvier 2021 que l'expert a estimé que le déficit fonctionnel temporaire était total le 9 janvier 2017, partiel du 10 janvier 2017 au 19 juin 2017 avec un taux de 7% et partiel du 20 juin 2017 au 23 août 2017 avec un taux de 5%. Par suite, il y a lieu d'évaluer ce préjudice à la somme de 200 euros.
Quant aux souffrances endurées :
12. Il résulte du rapport d'expertise que M. D... a enduré des souffrances qu'il convient d'évaluer à 3 sur 7. Par suite, il sera fait une juste appréciation de ce préjudice, en ce incluses les souffrances morales, en le fixant à la somme de 3 500 euros.
S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux permanents :
Quant au préjudice esthétique permanent :
13. Il y a lieu d'évaluer le préjudice esthétique permanent lié à l'amputation à 1 sur 7, ainsi que l'expert le préconise. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en le fixant à la somme de 1 000 euros.
Quant au déficit fonctionnel permanent :
14. Selon l'expert, ce préjudice est évalué à 5 %. Par suite, M. D... étant âgé de 56 ans au jour de la consolidation, il y a lieu d'évaluer son déficit fonctionnel permanent à la somme de 5 400 euros.
Quant au préjudice d'agrément :
15. M. D... n'établit pas avoir subi une gêne dans les activités de loisirs pratiquées, alors que l'expertise mentionne que la perte de la pince index pouce de sa main gauche peut être remplacée aussi efficacement par la pince majeur pouce.
16. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 10 à 15, il y a lieu d'évaluer à la somme totale de 10 400 euros la réparation des préjudices subis par M. D.... Cependant, eu égard au partage de responsabilité mentionné au point 8, La Poste doit être condamnée à lui verser la somme de 5 200 euros.
17. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à demander la condamnation de La Poste à lui verser la somme de 5 200 euros en réparation des préjudices résultant de l'accident de service survenu le 9 janvier 2017.
Sur les frais d'expertise :
18. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise (...) ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagée entre les parties (...) ".
19. Il y a lieu de mettre à la charge de la Poste, partie perdante les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme totale de 1 680 euros par les ordonnances de la présidente du tribunal le 9 mars 2021.
Sur les frais liés au litige :
20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D... qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par La Poste au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de La Poste une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. D... en première instance et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 21 novembre 2022 est annulé.
Article 2 : La poste est condamnée à verser à M. D... la somme de 5 200 euros.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 680 euros toutes taxes comprises, sont mis à la charge définitive de La Poste.
Article 4 : La Poste versera à M. D... une somme de 1 500 euros au titre des frais de première instance, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à La Poste SA, à M. A... D... et à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Copie en sera adressée au docteur B... C..., expert près la Cour d'appel de Nîmes.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, où siégeaient :
- Mme Vincent, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Marchessaux, première conseillère,
- Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 avril 2024.
N° 23MA00081 2
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