Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile de construction-vente (SCCV) Stilimmo a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 16 novembre 2020 par lequel le maire de la commune d'Ajaccio a refusé de lui délivrer un permis de construire trois immeubles d'habitation sur la parcelle cadastrée section BT n° 33, située au lieudit " Prate Martino ", d'enjoindre au maire d'Ajaccio, dans le cas où elle serait titulaire d'un permis tacite, de lui délivrer une attestation de permis tacite, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et, à défaut de permis tacite, de se prononcer à nouveau sur sa demande, dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et enfin, de mettre à la charge de la commune d'Ajaccio la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2100539 du 23 février 2023, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté, a enjoint au maire d'Ajaccio de délivrer à la SCCV Stilimmo, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement, un certificat de permis de construire tacite, a mis à la charge de la commune d'Ajaccio une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédures devant la Cour :
I - Par une requête et un mémoire, enregistrés le 11 avril 2023 et le 9 février 2024, sous le n° 23MA00874, la commune d'Ajaccio, représentée par Me Guillini de la SELARL Parme avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 23 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande de la SCCV Stilimmo ;
3°) de mettre à la charge de la SCCV Stilimmo la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative, pour ne pas avoir répondu à deux arguments en défense de la commune, tirés d'une part, de l'inopérance du moyen lié à l'irrégularité de l'avis de l'architecte des Bâtiments de France et d'autre part, de l'existence d'une covisibilité entre le projet et deux monuments historiques depuis un tiers point ;
- l'autorité qui a signé la décision de prolongation du délai d'instruction de la demande avait compétence pour ce faire ;
- le moyen tiré de l'incompétence de cette autorité pour signer cette décision est en tout état de cause inopérant, compte tenu de l'avis défavorable de l'architecte des Bâtiments de France qui faisait obligation au maire de refuser le permis sollicité et obstacle à la naissance d'un permis tacite ;
- l'avis conforme de l'architecte des Bâtiments de France était nécessaire, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, compte tenu de la localisation du projet dans le périmètre de protection de 500 mètres de deux monuments historiques et de la covisibilité offerte par l'ensemble formé de ces bâtiments et du projet, les photographies produites par l'intimée n'étant pas fiables et devant donc être écartées ;
- subsidiairement, à supposer qu'un permis tacite soit né avant l'intervention de l'avis de l'architecte des Bâtiments de France, le maire était tenu de le retirer ;
- le moyen tiré de l'illégalité de cet avis est inopérant, dès lors que l'avis du préfet de région s'y est substitué et que la société n'a pas contesté ce dernier avis ;
- en tout état de cause, l'avis de l'architecte des Bâtiments de France n'est pas illégal, la parcelle d'assiette du projet, entièrement boisée, participant de la mise en valeur paysagère des abords visuels de la Clinique Grand'Val et du Grand Hôtel de Région d'Ajaccio et le dossier de demande étant insuffisant ;
- l'autre moyen de première instance, tiré de l'illégalité du classement de la parcelle en élément paysager à protéger, n'est pas fondé et la méconnaissance par le projet d'un tel classement justifie légalement le refus en litige ;
- si la Cour devait retenir l'illégalité de l'avis de l'architecte des Bâtiments de France, il conviendrait de substituer à ce motif de refus, celui tiré du non-respect de l'article UC3 du règlement de plan local d'urbanisme, en raison d'un surplomb du domaine public routier et de l'inadaptation de l'accès à la RD11 au regard de considérations de sécurité publique, celui du non-respect de l'article UC 10 du règlement, compte tenu de la hauteur du bâtiment n° 3, celui du non-respect des articles UC 11 et R. 111-27 du code de l'urbanisme et celui du défaut de l'accord du gestionnaire de la voirie en méconnaissance de l'article R. 431-13 de ce code.
Par un mémoire en défense, enregistré les 1er février 2024 et un mémoire, enregistré le 16 février 2024 et non communiqué en application de l'article R. 611-1 du code de justice administrative, la SCCV Stilimmo, représentée par Me Muscatelli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de son auteur la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés et que la demande de substitution de motifs ne peut pas être accueillie.
Par une ordonnance du 24 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 9 février 2024 à 12 heures, puis par une ordonnance du 9 février 2024, a été reportée du 9 février 2024 au 16 février 2024, à 12 heures.
II - Par un recours et des mémoires, enregistrés les 20 avril et 22 juin 2023 et les 8 et
16 février 2024, sous le n° 23MA00992, le ministre de la culture demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 23 février 2023 ;
2°) de rejeter la demande de la SCCV Stilimmo.
Le ministre soutient que :
- le jugement est irrégulier faute de viser les dispositions dont il fait application, en méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, une partie de l'ensemble immobilier projeté se situe dans le rayon des 500 mètres autour du Grand Hôtel de région, en covisibilité avec celui-ci et avec la clinique Grand'Val ;
- par conséquent, c'est à tort que le tribunal a jugé illégal l'avis de l'architecte des Bâtiments de France, que le refus en litige était entaché d'un vice de procédure et que la société pétitionnaire était devenue titulaire d'un permis tacite ;
- les autres moyens de première instance ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er et 16 février 2024, la SCCV Stilimmo, représentée par Me Muscatelli, conclut au rejet du recours et ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code du patrimoine ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique,
- et les observations de Me Goubet, substituant Me Muscatelli, représentant la SCCV Stilimmo.
Une note en délibéré présentée pour la SCCV Stilimmo a été enregistrée le 26 mars 2024 dans l'instance n° 23MA00874.
Considérant ce qui suit :
1. Le 5 août 2020, la SCCV Stilimmo a déposé une demande de permis de construire pour la réalisation de deux bâtiments d'habitation comportant 91 logements et d'un immeuble comportant 23 logements sociaux, d'une surface de plancher totale de 6 225,80 m², sur la commune d'Ajaccio, lieu-dit " Prate Martino ". Sur avis défavorable de l'architecte des Bâtiments de France du 2 octobre 2020, confirmé par le préfet de région sur recours de la SCCV Stilimmo, le maire de la commune d'Ajaccio a rejeté sa demande de permis de construire par un arrêté du 16 novembre 2020. Par un jugement du 23 février 2023, dont la commune d'Ajaccio et le ministre de la culture relèvent appel par leurs requêtes n°s 23MA00874 et 23MA00992, le tribunal administratif de Bastia, à la demande de la SCCV Stilimmo, a jugé que, faute pour le délai d'instruction de la demande de permis d'avoir été valablement prolongé, un permis de construire tacite était né au jour de l'arrêté de refus du 16 novembre 2020, a annulé cette décision, requalifiée en décision de retrait du permis tacite, et a enjoint au maire d'Ajaccio de délivrer à cette société un certificat de permis de construire tacite.
2. Les requêtes n° 23MA00874 et 23MA00992 sont dirigées contre le même jugement et présentent à juger des questions identiques. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la requête n° 23MA00874 présentée par la commune d'Ajaccio :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
3. Aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'urbanisme : " Les demandes de permis de construire, d'aménager ou de démolir et les déclarations préalables sont présentées et instruites dans les conditions et délais fixés par décret en Conseil d'État. ". Selon l'article L. 424-2 du même code, " Le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction. / Un décret en Conseil d'Etat précise les cas dans lesquels un permis tacite ne peut être acquis ". Si l'article R*424-1 de ce code dispose que : " A défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction déterminé comme il est dit à la section IV du chapitre III [du titre II du livre IV de la partie réglementaire du code de l'urbanisme], le silence gardé par l'autorité compétente vaut, selon les cas : b) Permis de construire (...) tacite ", l'article R.*424-3 précise que : " Par exception au b de l'article
R*424-1, le défaut de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction vaut décision implicite de rejet lorsque la décision est soumise à l'accord de l'architecte des Bâtiments de France et que celui-ci a notifié, dans les délais mentionnés aux articles R. * 423-59 et R. * 423-67, un avis défavorable ou un avis favorable assorti de prescriptions. / Il en est de même, en cas de recours de l'autorité compétente contre l'avis de l'architecte des Bâtiments de France, lorsque le préfet de région a rejeté le recours ".
4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que l'absence de notification d'une décision expresse dans le délai d'instruction d'une demande de permis de construire ne peut valoir permis tacite si cette décision est soumise à l'accord de l'architecte des Bâtiments de France et si celui-ci a notifié légalement un avis défavorable dans le délai de deux mois suivant sa saisine, prévu par l'article R. 423-67 du code de l'urbanisme.
5. En outre, aux termes de l'article L. 621-30 du code du patrimoine, dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine : " I. - Les immeubles ou ensembles d'immeubles qui forment avec un monument historique un ensemble cohérent ou qui sont susceptibles de contribuer à sa conservation ou à sa mise en valeur sont protégés au titre des abords (...). / II. - La protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, situé dans un périmètre délimité par l'autorité administrative dans les conditions fixées à l'article L. 621-31 (...). / En l'absence de périmètre délimité, la protection au titre des abords s'applique à tout immeuble, bâti ou non bâti, visible du monument historique ou visible en même temps que lui et situé à moins de cinq cents mètres de celui-ci (...) ". Aux termes de l'article L. 621-32 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les travaux susceptibles de modifier l'aspect extérieur d'un immeuble, bâti ou non bâti, protégé au titre des abords sont soumis à une autorisation préalable. / L'autorisation peut être refusée ou assortie de prescriptions lorsque les travaux sont susceptibles de porter atteinte à la conservation ou à la mise en valeur d'un monument historique ou des abords. / Lorsqu'elle porte sur des travaux soumis à formalité au titre du code de l'urbanisme ou au titre du code de l'environnement, l'autorisation prévue au présent article est délivrée dans les conditions et selon les modalités de recours prévues à l'article L. 632-2 du présent code ". Enfin, aux termes du I de l'article L. 632-2 de ce code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le permis de construire (...) tient lieu de l'autorisation prévue à l'article L. 632-1 du présent code si l'architecte des Bâtiments de France a donné son accord, le cas échéant assorti de prescriptions motivées (...) ". L'article R. 425-1 du code de l'urbanisme prévoit, de même, que lorsque le projet est situé dans les abords des monuments historiques, le permis de construire tient lieu de l'autorisation prévue à l'article L. 621-32 du code du patrimoine si l'architecte des Bâtiments de France a donné son accord, le cas échéant assorti de prescriptions motivées.
6. Il résulte de la combinaison des dispositions citées au point précédent que ne peuvent être délivrés qu'avec l'accord de l'architecte des Bâtiments de France les permis de construire portant sur des immeubles situés, en l'absence de périmètre délimité, à moins de 500 mètres d'un édifice classé ou inscrit au titre des monuments historiques, s'ils sont visibles à l'œil nu de cet édifice ou en même temps que lui depuis un lieu normalement accessible au public, y compris lorsque ce lieu est situé en dehors du périmètre de 500 mètres entourant l'édifice en cause. Eu égard à la finalité de ces dispositions, le périmètre de 500 mètres doit s'entendre de la distance de 500 mètres entre l'immeuble classé ou inscrit et la construction.
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
7. Pour annuler l'arrêté du 16 novembre 2020 refusant à la SCCV Stilimmo un permis de construire, le tribunal administratif de Bastia, considérant que le délai d'instruction de sa demande n'avait pu être valablement prorogé par la lettre du 2 septembre 2020 signée par une autorité incompétente et que cette lettre n'était pas légalement justifiée, faute pour la consultation de l'architecte des Bâtiments de France d'être requise en l'espèce, a requalifié le refus en litige en retrait de permis tacite et jugé que ce retrait était intervenu en méconnaissance de la procédure contradictoire préalable prescrite par les dispositions des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration.
8. Néanmoins, il ressort des pièces du dossier, et notamment de la comparaison des clichés photographiques produits et renseignés par les parties, ainsi que des données de l'atlas des patrimoines dont le juge peut valablement tenir compte, que si aucun périmètre n'a été délimité par l'autorité compétente pour protéger les abords de la clinique Grand'Val et du Grand-Hôtel de région, tous deux classés monuments historiques, le projet en litige se situe, pour sa partie sud, à moins de 500 mètres de ces édifices. Il résulte ensuite de la simulation réalisée par les services de la commune que, malgré la présence de végétations, ce projet, compte tenu de ses dimensions et de la hauteur des bâtiments qu'il prévoit, sera visible en même temps que le Grand-Hôtel de région, depuis le boulevard Pascal Rossini et le complexe sportif municipal, normalement accessibles au public, contrairement à ce que soutient la SCCV Stilimmo. Il résulte au surplus des autres pièces soumises au contradictoire des parties que le projet sera visible en même temps que le Grand-Hôtel de région depuis la plage de Saint-François, également accessible au public, dans le périmètre de 500 mètres. Ni les prises de vue aériennes réalisées par drone à une hauteur indéterminée, montrant l'absence de visibilité de ce monument depuis le terrain d'assiette de l'opération, ni les constatations d'un huissier de justice du 22 décembre 2020, ne sont de nature à démentir la covisibilité de celle-ci et de cet édifice protégé.
9. Or, d'une part, l'architecte des Bâtiments de France, consulté le 10 août 2020 sur la demande de permis de construire de la SCCV Stilimmo, dont l'accord était donc requis pour la réalisation de ces travaux en application des dispositions citées au point 5, a émis le 2 octobre 2020 un avis conforme défavorable, dont il est constant qu'il a été notifié à la commune dans le délai de deux mois prévu à l'article R. 423-67 du code de l'urbanisme, et qui a été confirmé par l'avis tacite défavorable du préfet de région rejetant le recours de la société formé le 21 janvier 2021.
10. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que par les dimensions, la hauteur et la longueur des trois bâtiments prévus, le projet en litige, bien qu'il respecte les règles du plan local d'urbanisme relatives à l'emprise des constructions en longueur et en largeur, et malgré les dispositions d'insertion et le mode constructif choisis, présente, à la différence des autres immeubles du secteur, un caractère massif produisant un effet de barre, sur un terrain de quelque 5 000 m², boisé et en forte pente, sur lequel il implique la réalisation d'importants décaissements et dont il ne prévoit pas le reboisement dans des conditions équivalentes. Ainsi, la SCCV Stilimmo, qui, ce faisant, ne remet pas efficacement en cause l'appréciation portée par l'architecte des Bâtiments de France sur l'impact de son projet sur la conservation et la mise en valeur des abords du Grand-Hôtel de région, ne justifie pas que cet avis, confirmé implicitement par le préfet de région, est entaché, comme elle le soutient, d'une erreur d'appréciation.
11. Il suit de là que l'autorisation de construire sollicitée par la société SCCV Stilimmo étant soumise à l'accord de l'architecte des Bâtiments de France et celui-ci ayant notifié un avis défavorable, confirmé par le préfet de région, le défaut de notification à cette société d'une décision expresse dans le délai d'instruction, alors même que celui-ci aurait été irrégulièrement prorogé, valait décision implicite de rejet, conformément aux dispositions de l'article R. 424-3 du code de l'urbanisme, et non permis de construire tacite.
12. La commune d'Ajaccio est donc fondée à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté en litige, le tribunal a qualifié cette décision de retrait de permis tacite et en a prononcé l'annulation pour méconnaissance des dispositions des articles L. 121-1 et L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration.
13. Dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, il y a lieu néanmoins d'examiner les autres moyens de première instance et d'appel de la société SCCV Stilimmo.
En ce qui concerne les autres moyens de la SCCV Stilimmo :
14. Pour rejeter la demande de permis de construire de la SCCV Stilimmo, le maire d'Ajaccio s'est fondé sur les motifs tirés de l'avis conforme défavorable de l'architecte des Bâtiments de France et du non-respect par le projet de son identification au plan local d'urbanisme de la commune, d'un élément paysager à protéger en application de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme.
15. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 10, l'avis défavorable de l'architecte des Bâtiments de France, implicitement confirmé par le préfet de région, n'est pas entaché d'erreur d'appréciation. Le projet en litige n'ayant pas obtenu l'accord de l'architecte des Bâtiments de France pourtant requis par les dispositions citées au point 5, le maire d'Ajaccio était dès lors tenu de rejeter la demande de permis de construire de la SCCV Stilimmo.
16. D'autre part, en tout état de cause, aux termes de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme : " Le règlement peut identifier et localiser les éléments de paysage et identifier, localiser et délimiter les quartiers, îlots, immeubles bâtis ou non bâtis, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel, historique ou architectural et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur préservation. Lorsqu'il s'agit d'espaces boisés, il est fait application du régime d'exception prévu à l'article L. 421-4 pour les coupes et abattages d'arbres ".
17. L'article L. 600-12-1 du même code dispose que : " L'annulation ou la déclaration d'illégalité d'un schéma de cohérence territoriale, d'un plan local d'urbanisme, d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou d'une carte communale sont par elles-mêmes sans incidence sur les décisions relatives à l'utilisation du sol ou à l'occupation des sols régies par le présent code délivrées antérieurement à leur prononcé dès lors que ces annulations ou déclarations d'illégalité reposent sur un motif étranger aux règles d'urbanisme applicables au projet. /
Le présent article n'est pas applicable aux décisions de refus de permis ou d'opposition à déclaration préalable. Pour ces décisions, l'annulation ou l'illégalité du document d'urbanisme leur ayant servi de fondement entraîne l'annulation de ladite décision. ".
18. Il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qu'affirme la société SCCV en première instance, son terrain est identifié par le règlement du plan local d'urbanisme d'Ajaccio, et matérialisé dans ses documents graphiques, en élément de paysage à protéger au titre des dispositions législatives citées au point 16. L'institution de cette servitude est justifiée dans le rapport de présentation de ce plan, en cohérence avec les orientations du projet d'aménagement et de développement durable qui prévoit la protection de la ceinture verte comprise entre la ville historique et la ville du XXème, par la nécessité de préserver la " richesse du paysage urbain d'Ajaccio ", en conservant une ambiance " jardin " par l'identification des arbres isolés, des boisements et des alignements d'arbres remarquables participant à la nature en ville. Il en est ainsi du quartier dit de la ville haute, dont relève la parcelle en cause, où la route de Salario fait office de rupture dans l'urbanisation qui a favorisé l'apparition de lisières végétales entre les quartiers amont et aval de la commune. Si la demande de permis de construire qualifie l'environnement du projet de fortement urbanisé et si le préfet a estimé le 20 février 2020 que cette opération ne nécessite pas la délivrance d'une autorisation de défrichement, les autres pièces du dossier montrent, ainsi qu'il a été dit au point 10, que le terrain en cause est boisé et il n'est pas contesté que ce boisement est constitué d'oliviers centenaires. C'est dès lors sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que les auteurs du plan local d'urbanisme ont identifié cette parcelle comme un élément de paysage à protéger au titre de l'article L. 151-19 du code de l'urbanisme. La SCCV n'est donc pas fondée à exciper de l'illégalité de cette servitude pour soutenir que le refus de permis de construire en litige, dont elle ne critique pas l'application de cette servitude à son projet, reposerait sur un motif illégal.
19. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les demandes de substitution de motifs présentées par la commune d'Ajaccio, que celle-ci est fondée à demander l'annulation du jugement attaqué. Il y a lieu, par conséquent, d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de la SCCV Stilimmo tendant à l'annulation du refus de permis de construire du 16 novembre 2020.
Sur la requête n° 23MA00992 présentée par le ministre de la culture :
20. Le présent arrêt annulant, sur l'appel de la commune d'Ajaccio, le jugement attaqué par le ministre de la culture dans sa requête n° 23MA00992, il n'y a dès lors plus lieu de statuer sur celle-ci.
Sur les frais liés au litige :
21. D'une part, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la SCCV Stilimmo tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais exposés par elle dans l'instance n° 23MA00992 et non compris dans les dépens.
22. D'autre part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune d'Ajaccio, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance n° 23MA00874, au titre des frais exposés par la SCCV Stilimmo et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SCCV Stilimmo, au titre de ces dispositions, la somme de 2 000 euros à verser à la commune d'Ajaccio.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 23MA00992 du ministre de la culture.
Article 2 : Le jugement n° 2100539 rendu le 23 février 2023 par le tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 3 : La demande présentée par la SCCV Stilimmo devant le tribunal administratif de Bastia, et ses conclusions d'appel tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La SCCV Stilimmo versera à la commune d'Ajaccio la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Ajaccio, à la ministre de la culture et à la société SCCV Stilimmo.
Copie en sera adressée au Procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Ajaccio.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.
N°s 23MA00874, 23MA009922