Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Nîmes de prononcer la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011.
Par un jugement n° 1701905 du 21 juin 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté leur demande.
Par un arrêt n° 19MA03752 du 16 décembre 2021, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formée par M. et Mme A... contre ce jugement.
Par une décision n° 461661 du 16 novembre 2022, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté pour M. et Mme A..., annulé l'arrêt n° 19MA03752 du 16 décembre 2021 et décidé de renvoyer l'affaire devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 7 août 2019, 3 juillet 2020 et 3 février 2023, M. et Mme A..., représentés par Me Massé, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1701905 du 21 juin 2019 du tribunal administratif de Nîmes ;
2°) de prononcer la décharge demandée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- les revenus en litige ont la nature de redevance de brevet au sens des articles 39 terdecies et 93 quater du code général des impôts, imposables en Espagne en application du paragraphe 4 de l'article 12 de la convention franco-espagnole ;
- la société Solido Control SL ne dispose pas d'un établissement stable en France ;
- en tout état de cause, dès lors que les sommes perçues rémunèrent un travail accompli en Espagne et ne peuvent être regardées comme des revenus de source française, ils sont fondés à se prévaloir du 1 de l'article 15 et de l'article 24 de la convention franco-espagnole.
Par des mémoires en défense enregistrés les 9 décembre 2019, 29 décembre 2022 et 9 juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les conclusions tendant à l'annulation de la décision d'admission partielle de la réclamation sont irrecevables ;
- les moyens invoqués par M. et Mme A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 6 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 25 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée à Madrid le 10 octobre 1995 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- les conclusions de M. Ury, rapporteur public,
- et les observations de Me Massé, pour M. et Mme A....
Une note en délibéré a été enregistrée le 25 mars 2024 pour M. et Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Le foyer fiscal de M. A..., gérant et principal associé de la société à responsabilité limitée de droit espagnol Solido Control SL, qui exerce l'activité de fabrication, programmation et distribution de cartes à micro-puces intégrées et de cartes électroniques, a fait l'objet d'un examen contradictoire de situation fiscale personnelle, à l'issue duquel des propositions de rectification des 20 décembre 2013 et 18 août 2014 lui ont été notifiées. Au terme de la procédure, M. et Mme A... ont été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années 2010 et 2011, notamment dans la catégorie des traitements et salaires, procédant de la remise en cause des crédits d'impôt dont M. A... avait bénéficié sur le fondement de l'article 24 de la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995. Par un jugement du 21 juin 2019, le tribunal administratif de Nîmes a rejeté la demande de M. et Mme A... tendant à la décharge des impositions correspondantes. Par un arrêt du 16 décembre 2021, la Cour a rejeté l'appel formé contre ce jugement. Par une décision du 16 novembre 2022, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et décidé de renvoyer l'affaire devant la Cour.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Par un jugement du 21 juin 2019 intervenant dans le cadre d'une instance opposant la société Solido Control SL et l'administration fiscale, le tribunal administratif de Nîmes a jugé que cette société disposait d'un établissement stable en France et rejeté la demande de décharge des impositions mises à sa charge à ce titre. Le tribunal s'est notamment fondé sur cet élément dans l'instance qui opposait M. et Mme A... à l'administration fiscale pour juger que les rémunérations en litige correspondaient à un travail physiquement réalisé en France, étaient supportées par un établissement stable français et avaient été perçues par un résident fiscal français, alors qu'une décision juridictionnelle ne peut être motivée par simple référence à une autre décision rendue par la même juridiction dans un autre litige. Dans ces conditions, M. et Mme A... sont fondés à soutenir que le jugement attaqué est insuffisamment motivé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Nîmes.
Sur le bien-fondé des impositions :
5. D'une part, aux termes de l'article 4 A du code général des impôts : " Les personnes qui ont en France leur domicile fiscal sont passibles de l'impôt sur le revenu en raison de l'ensemble de leurs revenus ". Aux termes de l'article 79 du même code : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 62 de ce code : " Les traitements, remboursements forfaitaires de frais et toutes autres rémunérations sont soumis à l'impôt sur le revenu au nom de leurs bénéficiaires s'ils sont admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt sur les sociétés par application de l'article 211, même si les résultats de l'exercice social sont déficitaires, lorsqu'ils sont alloués : Aux gérants majoritaires des sociétés à responsabilité limitée n'ayant pas opté pour le régime fiscal des sociétés de personnes (...) Le montant imposable des rémunérations visées au premier alinéa est déterminé (...) selon les règles prévues en matière de traitements et salaires ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 15 de la convention entre la République française et le Royaume d'Espagne en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune signée le 10 octobre 1995 : " 1. Sous réserve des dispositions des articles 16, 18, 19 et 20, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat (...) ". Aux termes de l'article 24 de la même convention : " 1. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont évitées de la manière suivante : a) Les revenus qui proviennent d'Espagne, et qui sont imposables ou ne sont imposables que dans cet Etat, conformément aux dispositions de la présente Convention, sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsque leur bénéficiaire est un résident de France et qu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt espagnol n'est pas déductible de ces revenus, mais le bénéficiaire a droit à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français (...) ".
7. M. A... a été imposé dans la catégorie des traitements et salaires conformément à ses déclarations au titre de sommes versées par la société Solido Control SL et a bénéficié à ce titre des crédits d'impôt prévus à l'article 24 de la convention franco-espagnole du 10 octobre 1995. L'administration a confirmé l'imposition sur le fondement des articles 62 et 79 du code général des impôts dans la catégorie des traitements et salaires, versés à une personne ayant son domicile fiscal en France en application de l'article 4 A du même code. Elle a toutefois remis en cause les crédits d'impôt dont M. A... avait bénéficié sur le fondement de l'article 24 de la convention franco-espagnole en estimant que les sommes en litige procédaient d'un emploi exercé en France et y étaient ainsi imposables, au sens du 1 de l'article 15 de la convention, et que ces sommes provenaient d'un établissement stable en France de la société Solido Control SL.
8. D'une part, M. et Mme A... soutiennent que les rémunérations en litige ont en réalité la nature juridique de redevances versées en contrepartie d'une concession de licence de brevet conclue le 10 mars 2004 entre la société Solido Control SL et M. A.... Toutefois, ils ne produisent aucun contrat ou autre document, qu'ils sont seuls en mesure de produire, susceptible de l'établir, alors qu'il est constant que le seul brevet mentionné dans le contrat de licence et enregistré par M. A... est relatif à une machine de musculation et ne concerne pas un protocole d'écriture électronique permettant la personnalisation de cartes à puces ou d'un algorithme, comme mentionné dans le contrat de concession dont se prévalent les requérants. Si les requérants exposent que des enveloppes " Soleau " relatives à l'invention en contrepartie de laquelle M. A... percevrait les sommes en litige ont été déposées à l'Institut national de la propriété industrielle, ils ne justifient en tout état de cause pas de tels dépôts. En outre, à l'occasion d'un contrôle diligenté à l'encontre de la société Solido Control SL par les autorités fiscales espagnoles au cours de l'année 2012, M. A... a déclaré percevoir une rémunération, variable pour partie, en contrepartie d'un travail consistant à développer l'activité commerciale et de fabrication de cette société ainsi qu'à assurer sa gestion commerciale et ses contacts avec les clients, la société n'ayant au demeurant pas comptabilisé les rémunérations versées comme des redevances. Dans ces conditions, M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que les sommes en cause auraient la nature juridique de redevances de brevet et c'est par suite à bon droit que l'administration, qui n'a pas implicitement invoqué un abus de droit mais s'est bornée à constater que les rémunérations ne procédaient pas du contrat précité, a maintenu l'imposition en litige dans la catégorie des traitements et salaires.
9. D'autre part, il résulte de l'instruction, notamment des énonciations des mémoires en défense dont la teneur et l'authenticité ne sont pas contestées, qu'une procédure de visite et de saisie réalisée en application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales au domicile de M. A... à Orange dans le Vaucluse et dans les locaux des sociétés Heitz International et Siles, créées et dirigées par M. A..., à Bédarrides dans le même département, a permis de procéder à des saisies informatiques sur les postes de travail de la secrétaire comptable de la société Siles et d'un salarié de la société Heitz International, qui ont révélé une imbrication du fonctionnement de ces sociétés avec la société Solido Control SL. Ainsi, l'administration a constaté, à partir de courriels saisis, que, dans la gestion des relations avec les fournisseurs, le salarié de la société Heitz se présentait sur les documents commerciaux comme le directeur technique de la société Solido Control SL, l'intéressé assurant également les approvisionnements et la gestion des stocks pour le compte de cette société. En ce qui concerne la gestion des clients, la secrétaire comptable de la société Siles était chargée de la gestion des relations commerciales avec la clientèle de la société Solido Control SL et assurait depuis Bédarrides les expéditions et leur suivi. En outre, en ce qui concerne la gestion des règlements, elle réceptionnait les chèques adressés en paiement à la société Solido Control SL à Bédarrides et assurait leur remise à l'encaissement sur le compte bancaire de cette société en France. Il est d'ailleurs constant que lorsqu'un client de la société espagnole procédait à un appel téléphonique, son interlocuteur, quel que soit son employeur, se présentait comme relevant de cette société. En matière de gestion comptable, les documents saisis ont révélé la participation de la secrétaire comptable à des tâches de gestion comptable propres à la société Solido Control SL, telles que la passation des écritures comptables et l'établissement des documents fiscaux. Enfin, le principal compte bancaire dont la société espagnole est titulaire en France encaisse la quasi-totalité des recettes, règle les charges d'exploitation et est utilisé pour approvisionner le compte détenu par la société en Espagne. Ce compte utilisé par la société Solido Control SL est domicilié chez M. et Mme A... à Orange et montre que l'activité commerciale de cette société est gérée depuis la France soit au siège des sociétés françaises détenues par M. A... soit à son domicile.
10. Il résulte également de l'instruction, ainsi que les requérants le reconnaissent, que, dans le cadre de son activité de fabrication, programmation et distribution de cartes à micro-puces intégrées et de cartes électroniques, la société Solido Control SL achète des cartes à puces auprès de fournisseurs français et italiens et les transporte en Espagne où elles font l'objet d'opérations de cryptage et de chargement de sécurité à l'aide d'un algorithme, avant d'être revendues principalement en France. Ces opérations matérielles, qui ne nécessitent qu'un salarié en Espagne employé dix heures par semaine, un local professionnel et des machines, ne sont pas dissociables du reste du processus de fabrication, de commercialisation et de gestion réalisé en France par des entités dirigées par M. A... dans les conditions précédemment décrites, la circonstance que le conseil d'administration de la société Solido Control SL se réunit une fois par semestre en Espagne ne remettant pas en cause la réalité de la direction et de la gestion en France.
11. Dans ces conditions, la société Solido Control SL réalise en France des opérations constitutives d'un cycle commercial complet, la part de l'activité réalisée en Espagne n'étant pas détachable de ce cycle, et exerce son activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé.
12. Par ailleurs, ainsi qu'il a été dit précédemment, M. A... a perçu une rémunération, variable pour partie, en contrepartie d'un travail consistant à développer l'activité commerciale et de fabrication de la société Solido Control SL, ainsi qu'à assurer la gestion commerciale et les contacts avec les clients de cette dernière. Il réside habituellement en France à Orange et les éléments précédemment cités sont de nature à établir que les tâches de direction, de commercialisation et de gestion sont effectuées en France au travers d'entités que l'intéressé dirige et de salariés de ces entités qui agissent sous le contrôle de la personne qui dispose des pouvoirs de direction et de gestion de la société Solido Control SL. Et les requérants n'apportent aucun élément en sens contraire qu'ils sont seuls en mesure de produire, en se bornant à soutenir que M. A... se rend deux jours et demi par mois en Espagne et qu'il exerce d'autres activités en France que celle liée à la direction et à la gestion de cette société.
13. Compte tenu de l'ensemble des éléments qui précèdent, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les rémunérations en litige, imposables dans la catégorie des traitements et salaires, ont été perçues au titre d'un emploi exercé par M. A..., résident français, en France, y étant ainsi imposables en application du 1 de l'article 15 de la convention franco-espagnole, et que ces revenus provenaient de l'établissement stable en France de la société Solido Control SL, n'ouvrant pas droit au crédit d'impôt prévu à l'article 24 de cette convention.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le ministre, que M. et Mme A... ne sont pas fondés à demander la décharge, en droits et majorations, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2010 et 2011.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme A... demandent au titre des frais qu'ils ont exposés en première instance et en appel.
D E C I D E :
Article 1 : Le jugement n° 1701905 du 21 juin 2019 du tribunal administratif de Nîmes est annulé.
Article 2 : La demande de M. et Mme A... devant le tribunal administratif de Nîmes et le surplus de leurs conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... A... et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, où siégeaient :
- M. Platillero, président assesseur, président de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Mastrantuono, première conseillère,
- M. Mérenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.
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N° 22MA02816